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Le Blanc, Charles (2019) : Histoire naturelle de la traduction. Traductologiques. Paris : Les Belles Lettres, 304 p.[Record]

  • Jean Delisle

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  • Jean Delisle
    Université d’Ottawa, Ottawa, Canada

Il y a dix ans, lorsqu’est paru, du même auteur, Le complexe d’Hermès (Le Blanc 2009), ouvrage désormais accessible en anglais, en coréen, en arabe et en italien, j’avais dit dans une recension tout le bien que je pensais de cet essai sur la bonne manière de théoriser la pratique de la traduction (Delisle 2011). L’auteur y diagnostiquait trois problèmes fondamentaux : la difficulté pour la traductologie de se constituer en discipline pleinement autonome, le problème de sa fondation logique et sa tendance à confondre théorie et méthodologie. Il avait aussi dénoncé la confusion existant entre thématisation de la traduction et réflexion sur la traduction. Rompu au raisonnement philosophique et pétri de culture gréco-latine, ce spécialiste de la philosophie allemande déployait une grande érudition dans son ouvrage, qui avait pour toile de fond les mythes d’Hermès et d’Apollon. Cette fois-ci, Charles Le Blanc prolonge sa réflexion à partir des conclusions du Complexe d’Hermès. La mythologie grecque est remplacée par cinq contes et récits bien connus autour desquels il charpente son argumentation. Du jamais vu, sauf erreur, en traductologie. Ces contes et récits sont Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde, La Reine des neiges d’Andersen, L’Apprenti sorcier de Goethe, La Barbe-bleue de Perrault et Hansel et Gretel de Grimm. Par des rapprochements analogiques avec ces oeuvres, l’auteur décrit cinq grandes caractéristiques de la traduction et cinq périodes de l’art de traduire, de l’Antiquité au romantisme. Un extrait de la quatrième de couverture expose clairement l’utilisation originale qu’il fait de ces contes : Dans ce nouvel essai, Le Blanc pose la question, qui peut paraître banale, mais qui ne l’est pas : « Qu’est-ce que la traduction ? » Et il répond pertinemment : son histoire. Cette réponse implique que la figure du lecteur passe au premier plan. La traduction est à la fois une pratique ancrée dans l’Histoire et une maïeutique du sens à laquelle procède le traducteur-lecteur, notion clé de son essai. Vue sous cet angle, la traduction est une oeuvre de substitution, une lecture écrite : « Une traduction n’est pas un original autrement, mais une lecture originale d’un texte qui témoigne du rapport entretenu entre un auteur et ce lecteur si particulier qu’est le traducteur » (p. 16-17). Tout comme « la beauté est dans les yeux de celui qui regarde » (Oscar Wilde), la traduction se crée à travers l’oeil du traducteur-lecteur : « La traduction est le portrait d’une oeuvre à travers un regard » (p. 93). Le texte littéraire, à l’instar de toute traduction, est porteur d’une historicité, car il est porteur d’un usage de la langue à une époque donnée. Cette analyse pénétrante montre bien que le texte littéraire n’est pas clos, mais ouvert (contrairement au texte pragmatique) et qu’il faut sortir le discours sur la traduction des débats stériles sur la lettre ou l’esprit (faut-il traduire littéralement ou librement ?). Pour un historien de la traduction, ce constat a valeur d’axiome. Contrairement à la plupart des traités antérieurs, de Cicéron à Berman, en passant par Leonardo Bruni et Dolet, cet essai ne cherche pas à dire ce que doit être (ou ne pas être) une traduction – combien de traités et de théories de la traduction s’apparentent à des méthodologies –, mais tente de cerner ce qu’est cette activité complexe et polymorphe. Pas plus que le premier essai, paru en 2009, Histoire naturelle de la traduction n’est un ensemble de règles à suivre, une vaine tentative de « codification » de la traduction. Une théorie de la traduction exige une théorie de la lecture. On peut dire …

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