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Contrairement à ce que suggère le titre, Panorama actuel de l’étude et de l’enseignement des discours spécialisés[1], ce collectif est presque entièrement consacré à la traduction spécialisée. De fait, les neuf chapitres –rédigés en espagnol à l’exception du dernier, en allemand– sont repartis en trois sections : traduction juridique, traduction biomédicale et thèmes divers. La plupart des articles abordent le discours d’un domaine de spécialité à partir des problématiques posées par la pratique ou par la pédagogie de la traduction. Certains se penchent sur des paires de langues ou des contextes culturels spécifiques tandis que d’autres traitent de questions plus générales. La directrice, María José Varela Salinas, explicite toutefois la vocation large du volume : « Il s’agit de travaux qui proposent de nouvelles approches pour la pédagogie des langues de spécialité, soit par des applications concrètes, soit à l’aide d’une réflexion théorique [2] » (p. 7).
La première partie, axée sur le droit, comprend trois analyses comparatives dont une étude terminologique. Dans le premier chapitre, Inmaculada Almahano Güeto caractérise trois types de contrats touristiques utilisés en Espagne et en Allemagne et les situe dans les typologies élaborées pour les textes juridiques. Elle met en relief l’hétérogénéité des taxonomies existantes, qui se fondent sur des principes de classement assez divers, et fait état des difficultés pour cerner la classe des « contrats » à l’aide de ces critères, car elle se trouve parfois à cheval entre deux catégories. Il en résulte une description exhaustive des aspects communicatifs, pragmatiques et linguistiques, ainsi que des deux cadres institutionnels où les textes apparaissent, analyse qui s’avère cruciale au moment de la traduction. Le deuxième chapitre, écrit par Adela Martínez García, traite des écueils que représentent pour les traducteurs novices les asymétries culturelles et linguistiques entre deux régimes juridiques : la Common Law anglo-galloise et le droit espagnol. De fait, la prise de décisions de traduction doit tenir compte des circonstances historiques et sociales qui en ont marqué la naissance. L’auteure explique la démarche suivie pour introduire les notions essentielles dans le cadre d’un cours de traduction juridique et évoque les stratégies à adopter lorsque l’équivalence fonctionnelle fait défaut. Dans le troisième chapitre, Encarnación Tabares Plasencia et Vessela Ivanova abordent la variation géographique dans le discours juridique, d’autant plus saillante dans un domaine ayant une forte spécificité socio-culturelle. Après une révision détaillée des débats terminologiques actuels et des travaux sur la variation, les auteures constatent que les ressources terminographiques multilingues ne gèrent pas toujours correctement ce phénomène et que la documentation demeure indispensable pour les traducteurs. La problématique est illustrée par une étude d’envergure portant sur la paire allemand-espagnol : la variation terminologique et conceptuelle – intra et interlinguistique – liée à la notion de meurtre est examinée au sein de neuf systèmes juridiques différents. La difficulté qui en découle pour l’établissement de l’équivalence impose, lors de la traduction, de situer les unités terminologiques dans leur cadre juridique spécifique.
La deuxième partie cible la formation des traducteurs et la pratique dans le domaine biomédical. María Calonge Prieto attire l’attention sur certaines particularités de la langue médicale qui posent des difficultés aux apprentis-traducteurs, et tout particulièrement sur la variation. Autant la connaissance du champ notionnel que la compréhension des motivations sociales, linguistiques et contextuelles qui sous-tendent l’usage des termes sont des facteurs clés pour éviter les erreurs. Il est donc d’une grande utilité pour les étudiants de confectionner des fiches terminologiques à partir de corpus authentiques : cette tâche leur permet d’étoffer leur bagage encyclopédique et de situer les termes dans leur contexte d’emploi. Pour leur part, Ana Isabel García Esteban et María José Varela Salinas présentent la méthode pédagogique conçue pour le cours de traduction spécialisée allemand-espagnol à l’Universidad de Málaga. Le but des séances consacrées à la traduction biomédicale est de sensibiliser les étudiants à la diversité du discours spécialisé en introduisant des genres de textes variés, choisis en fonction des besoins du marché du travail en Espagne. Conformément au cadre fonctionnaliste adopté, une grande importance est accordée aux paramètres de la consigne de traduction. Les auteures décrivent en détail le déroulement de la première unité didactique et les critères adoptés pour l’évaluation. Dans le dernier article de cette section, Laura Parrilla Gómez se penche sur les ressources multilingues qui sont de plus en plus utilisées en milieu clinique afin de faciliter la communication entre le personnel soignant et les patients. À partir de l’analyse de plusieurs guides plurilingues, elle passe en revue les aspects à considérer lors de la création de ces textes, du sujet choisi aux modalités de diffusion. Le travail conjoint des médecins et des traducteurs est fondamental pour la mise au point d’un outil efficace et adéquat sur les plans communicatif, notamment en ce qui concerne le niveau de spécialisation, et culturel.
La troisième partie regroupe des travaux assez divers. Les deux premiers semblent même échapper en quelque sorte à la thématique du volume, car il n’y est pas strictement question de traduction spécialisée. Ainsi, Isabel Comitre Narváez adapte l’approche descriptive à l’étude de la traduction audiovisuelle, où la composante sémiotique est capitale. Elle compare deux traductions du film Peau d’Âne de J. Demy afin de dégager des normes régissant la « retraduction » d’une oeuvre cinématographique. Si le premier doublage reste proche de l’original, la seconde version (doublage et sous-titrage) présente plusieurs instances de manipulation visant l’« acceptabilité » du texte dans la culture cible. Le chapitre suivant, rédigé par Rosario Herrero Prádanos, porte sur le discours d’un domaine peu étudié : celui des revues de mode. L’analyse permet de montrer que la « langue de la mode » peut être considérée comme une langue de spécialité à part entière, car elle possède une terminologie et des ressources stylistiques particulières. Ici aussi la dimension sémiotique s’avère fondamentale. Enfin, Karl-Heinz Freigang, Yamile Ramírez et Daniel Zielinski proposent une méthodologie d’enseignement de la traduction spécialisée faisant une place accrue aux outils informatiques. Ils prônent une approche pédagogique « collaborative » simulant une commande réelle où tous les acteurs et les étapes du projet sont pris en compte afin d’encourager le travail en équipe. Aussi, l’emploi des logiciels liés aux différents tâches (gestion de projet, recherche terminologique, traduction et révision) est intégré au travail en classe.
De prime abord, il semble étonnant que ce collectif soit présenté comme un « échantillon représentatif » des recherches actuelles sur l’enseignement des discours spécialisés (p. 7), à moins que l’on restreigne ce champ d’études à la pédagogie de la traduction. Nous avons, à défaut, un aperçu des travaux menés aujourd’hui en Espagne sur la traduction spécialisée. Dans ce sens, le volume constitue un apport indéniable, ne serait-ce que par la diversité des approches et des sujets traités[3]. Certes, on peut critiquer un manque de rigueur dans la démarche ou dans la présentation de certaines analyses, et quelques coquilles et erreurs d’édition sont à déplorer (par exemple, la fin du deuxième chapitre semble tronquée). Il reste que les questions soulevées sont pertinentes pour la pratique et l’enseignement de la traduction spécialisée et que les problématiques sont envisagées dans une optique discursive, en tenant compte des aspects communicatifs et textuels aussi bien que linguistiques. Par ailleurs, nous ne pouvons que saluer la publication d’un recueil d’études sur la traduction qui s’appuient, pour la plupart, sur des données authentiques.