Le Soi et l’Autre sont des concepts éminemment relatifs. S’incarnant de différentes manières, ils sont au coeur du présent numéro. Intermédiaires, médiateurs, entre un Soi (l’auteur) et un Autre (le récepteur), où se situent le traducteur, l’interprète ? La séparation inévitable du Soi et de l’Autre devient le lieu obligé des problématiques liées à l’identité et, partant, au pouvoir, à l’idéologie, et à la manipulation, autant de concepts susceptibles, eux aussi de s’incarner de façons variables, positives ou négatives. La maîtrise du discours constitue un pouvoir, car celui qui en détient la clé exerce une influence sur le récepteur. Dans plusieurs articles se trouve l’idée que le traducteur ou l’interprète, dans leur rôle de médiateurs, doivent négocier leur pouvoir, soit avec eux-mêmes, s’ils exercent leur libre arbitre pour en déterminer l’application et les limites, soit avec un Autre, susceptible de l’influencer ou de le contrôler. On ne peut évoquer l’idée de pouvoir sans aussitôt penser aux états et à leurs gouvernements. Meylaerts évoque la nécessité d’une relation saine entre le pouvoir démocratique d’un pays multilingue et ses citoyens, dans une perspective d’équité. La traduction se fait alors le moyen de garantir l’égalité de tous et l’accessibilité aux instances étatiques. Dans une idéologie de type démocratique, la traduction devient le moyen de médiation entre différents avatars de l’Autre – celui qui immigre ou qui vit dans un même pays que soi, mais qui n’a pas la même langue, ou la même culture d’origine. Un gouvernement peut vouloir orienter le comportement de ses citoyens et vouloir garder la maîtrise sur son image véhiculée à l’extérieur du pays. Le Soi est ici national avant tout, et maîtriser la manière dont il est traduit revient à exercer une influence sur sa perception par l’Autre. Tout se passe comme si l’émetteur se chargeait lui-même de l’épreuve de l’étranger. Zhong présente le cas de la traduction officielle, du mandarin vers l’anglais, des préceptes émis par le gouvernement chinois, entreprise qui mobilise des traducteurs chinois adhérant à l’idéologie en place et à des pratiques s’inscrivant, par ailleurs, dans une tradition de longue date. De fait, Wang souligne que la traduction « centrifuge », c’est-à-dire la traduction depuis la langue maternelle (ici le chinois) vers la langue de l’Autre, a une histoire remontant à près de 900 ans, et que la question de la directionnalité telle qu’elle est conçue en Occident n’est apparue que très récemment. Il est vrai que le traducteur ou l’interprète qui travaillent, eux, vers leur langue maternelle – s’emparent du texte source et, d’une certaine manière, le dépouillent du pouvoir exercé initialement par l’auteur ou ce qui en tient lieu. Kruger, citant Schiavi, souligne que ce que le lecteur de la traduction reçoit, c’est en fait le résultat de l’amalgame des présuppositions de l’auteur et du traducteur. La question sous-jacente est celle de l’allégeance première du médiateur : à ce qui est perçu, par rapport au texte source, comme le Soi – d’où la nécessité d’avoir recours à une traduction « centrifuge » – ou à l’Autre, le destinataire – auquel se substitue temporairement le médiateur puisqu’il en partage les présupposés culturels, voire idéologiques. Ce jeu du Soi et de l’Autre peut se révéler complexe et déconcertant : le cas des Chinois de Singapour est un cas d’école. Selon Lee, une certaine idéologie du langage les amène à considérer l’anglais comme langue utilitaire, tandis que le mandarin reste le dépositaire de la culture. Lee définit ainsi une éthique positive, selon laquelle ils se perçoivent comme Autres en tant que Chinois anglophone, par opposition à une éthique …
Présentation[Record]
- Sylvie Vandaele
Online publication: July 11, 2012
A document of the journal Meta
Volume 56, Number 4, December 2011, p. 739–742
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