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Il peut paraître contradictoire que l’interprétation en milieu social, celle que l’on pourrait appeler la « doyenne des pratiques langagières », fasse l’objet depuis quelque temps d’une espèce d’engouement. En effet, au Canada, on vient d’y consacrer une conférence internationale, à Vancouver ; la série de conférences internationales Maillon essentiel/Critical Link se transportera à Birmingham l’an prochain ; on assistait en 2005 à la deuxième conférence internationale consacrée au sujet, à Alcalà (d’où sont inspirés les textes qui composent le collectif de Valero-Garcés et Martin) ; finalement, autrefois hermétiquement fermées à cette possibilité, certaines associations professionnelles canadiennes songent maintenant à demander aux gouvernements provinciaux la permission de protéger le titre d’interprète communautaire agréé. Certes, il y a loin de la coupe aux lèvres, et ce n’est pas demain la veille que des interprètes en milieu social seront agréés au Canada. Toutefois, il ne fait aucun doute que l’interprétation en milieu social intéresse et préoccupe de plus en plus. Or, on peut se demander ce que nous vaut ce regain de popularité.
On peut supposer que cette « mode » s’explique par la reconnaissance accrue des droits des minorités, ou du moins l’intensification des débats sur le sujet, et du fait que la reconnaissance des droits et libertés s’accompagne de devoirs et de responsabilités.
On notera aussi qu’avec l’Europe des 27, les mouvements de migration ne se limitent plus aux seuls pays d’immigrants comme le Canada, l’Australie et les États-Unis, mais c’est l’Europe tout entière qui s’éveille à ce phénomène. De pays d’émigrants, les membres de la Communauté européenne sont maintenant des pays d’immigrants, ce qui fait que les problèmes auxquels le Canada, le Royaume-Uni et l’Australie étaient, et sont, confrontés depuis des décennies frappent de plein fouet le vieux continent. La relative prospérité économique attribuable à une monnaie forte et à un énorme marché commun rend plus qu’attrayants certains pays hôtes qui, jusqu’à tout récemment, étaient de simples pays de transit. On pensera ici à l’Italie et à l’Espagne, entre autres. Ce n’est sans doute pas une coïncidence que les directrices de ce nouveau collectif sont rattachées à des universités espagnoles.
En dépit de son titre, l’ouvrage que proposent Valero-Garcés et Martin porte presque exclusivement sur le rôle de l’interprète en milieu social. En effet, dans chacun des chapitres, qu’il soit question d’interprétation en milieu médical, d’interprétation judiciaire, ou encore d’interprétation en langue gestuelle, c’est en fait du rôle de l’interprète dont il est question. L’interprète doit-elle se porter à la défense des personnes avec lesquelles elle travaille ? Dans quelle mesure l’aspect culturel doit-il faire partie de la tâche de l’interprète ? etc. Ce sont là autant de questions et, plus rarement, de réponses qui témoignent d’une pratique (peut-on ici parler d’une profession ?) en profonde réflexion, d’une pratique qui tente de s’expliquer, d’abord à elle-même puis à ceux et celles qui la pratiquent, mais aussi à ceux et celles qui ont recours à ce genre de services.
Le chapitre-préface de Pöchhacker, intitulé « Interpreting as Mediation », cherche à démythifier les perceptions à l’égard de l’interprétation. D’interprétation marginale, cette pratique langagière a sans doute souhaité se définir comme étant foncièrement différente de toute autre forme d’interprétation. C’est ce qui explique sans doute la pléthore d’appellations servant encore à désigner le travail de l’interprète en milieu social, et l’objet de son intervention : en français, on trouve médiation culturelle, interprétation communautaire, interprétation en milieu social, interprétariat, et l’anglais n’est pas en reste, utilisant cultural broker, cultural interpreter, community interpreter, public service interpreter, cultural mediator, etc. Cela ne peut que contribuer à semer la confusion parmi ceux et celles qui pratiquent ce travail et, a fortiori, ceux et celles qui utilisent leurs services. C’est certainement ce qui a amené les directrices à recentrer le thème de l’ouvrage sur la définition du rôle de l’interprète plutôt que sur la notion de médiation, comme l’annonçait le thème du congrès ayant donné lieu à l’ouvrage.
Pöchhacker parvient à synthétiser et à apporter un bon nombre de nuances fort utiles. Par exemple, il explique comment la notion de « médiation » comporte trois aspects distincts et complémentaires, soit l’aspect cognitif (révéler ce qui peut être inconnu), l’aspect linguistico-culturel (les relations interculturelles à proprement parler) et l’aspect dit « contractuel » (les relations sociales entre les deux parties). Il distingue par la suite la médiation interculturelle (dans son sens conciliatoire) et l’interprétation en milieu social, et met en garde quiconque tenterait de vouloir les assimiler. Les deux pratiques, selon Pöchhacker, peuvent coexister et évoluer parallèlement.
Le chapitre de Giambruno présente un volet historique de l’interprétation en milieu social, soit le rôle de l’interprète dans les colonies espagnoles du Nouveau Monde, aux xvie et xviie siècles. L’auteure procède parfois un peu par raccourcis, notamment lorsqu’elle relate la « création » de l’École de Tolède, ou encore lorsqu’elle indique que « [t]he French depended upon interpreters for their exploration of what is today the northern and southern fringes of the United States » (p. 29), ce qui n’est pas sans froisser le lecteur canadien que nous sommes. On laisserait passer la bévue si l’on ne trouvait pas tout de suite, quelques lignes après, « […] the Spanish and Portuguese, the great explorers, conquerors and settlers of the New World in the fifteenth to eighteenth centuries […] » (p. 29). Ce genre d’affirmations (douteuses) à l’emporte-pièce ternit son travail et enlève au chapitre un peu de sa crédibilité. Après cinq pages de rappel historique où la question de l’interprétation est à peine effleurée, l’auteure aborde finalement la question du statut de l’interprète à l’époque de la conquête espagnole. Toutefois, l’auteure perd rapidement le fil de son propos et traite de la terminologie juridique de l’époque, vraisemblablement pour présenter les quelques articles de loi portant sur les compétences, le travail, le rôle et le traitement des interprètes. À ce sujet, elle ne présente pas moins de 15 articles de loi datant d’aussi loin que de 1529. Ces articles constituent autant de fenêtres sur la perception que les Espagnols de l’époque avaient des « Indiens » du Nouveau Monde, et des préoccupations à l’égard de la neutralité des interprètes. Ce qui est remarquable dans ces articles de loi, c’est que les choses semblent avoir peu changé depuis cette époque : les prescriptions témoignent certes d’un souci du bien-être de l’interprète, mais aussi d’une méfiance à l’égard de celui-ci.
Le troisième chapitre, consacré à la professionnalisation de l’interprétation en langues gestuelles, traite également du rôle de l’interprète et de la multiplicité des perspectives face à la place de l’interprétation et des conceptions de ce que devraient être les « pratiques exemplaires » ou « best practices », concept relatif s’il en est. Les auteures passent effectivement en revue les diverses conceptions associées au travail de l’interprète en langues signées, c’est-à-dire l’interprète en tant que helper, conduit, communication facilitator, bilingual-bicultural specialist et co-participant. Chaque modèle ou chaque conception propose un type d’intervention de la part de l’interprète, intervention à laquelle peut être associée une marge de manoeuvre plus ou moins grande. Par exemple, si l’on prend l’interprète communication facilitator, on comprend que son rôle se limitera à permettre la communication entre deux parties n’ayant pas de langue en partage. Toutefois, si l’on prend le concept de conduit, l’interprète se fera le simple porte-voix (dans une autre langue) des intervenants, s’interdisant de modifier de quelque façon que ce soit le contenu du message, peu importe si cette fausse rigueur fait achopper la communication. Paradoxalement, les auteures ne présentent pas clairement quel modèle elles préconisent, mais on sent bien qu’elles tendent vers l’ouverture et la visibilité, c’est-à-dire vers le modèle de l’interprète participant à l’acte de communication. Cependant, si le but de l’article est de préciser les pratiques exemplaires, les auteures ne vont pas jusqu’à prescrire l’approche qu’elles préfèrent.
Le chapitre 4, oeuvre de Holly Mikkelson, une des chercheures les mieux connues dans le domaine, est consacré à l’interprétation judiciaire. Il est à noter que, dans quelques pays, comme au Canada, l’interprétation judiciaire jouit du même statut juridique que la traduction, l’interprétation de conférence et la terminologie et, partant, ne fait pas partie de ce qu’on appelle l’interprétation en milieu social. C’est toutefois plutôt l’exception que la règle, ce qui explique la place qu’occupe l’interprétation judiciaire dans le discours sur l’interprétation en milieu social. Mikkelson passe en revue les définitions du rôle de l’interprète tel qu’on le conçoit actuellement, en faisant un rappel sinon historique, du moins épistémologique. On n’échappe pas à une brève incursion du côté de la notion de « fidélité », où l’on évoque pour une énième fois les dichotomies « cibliste » et « sourcier », « lettre » et « sens ».
Mikkelson défend sa thèse sur la visibilité de l’interprète, thèse reprise d’ailleurs par d’autres, comme Angelelli (dont il sera question plus loin), et précise que, loin d’être invisibles, les interprètes ont un effet sur la communication, en milieu judiciaire comme ailleurs. On peut d’ailleurs se demander s’il s’agit encore d’interprétation dès lors que l’interprète assume un rôle de médiation entre les deux cultures. Mikkelson n’est pas la seule à soutenir qu’il est peut-être venu le temps de redéfinir le rôle de l’interprète et d’assumer sa part de « visibilité » (donc son rôle d’agent) dans l’acte de communication. Toutefois, ce que Mikkelson oublie de mentionner, c’est que la formation de l’interprète communautaire est déjà insuffisante. S’il faut que l’on alourdisse la tâche de l’interprète en lui confiant un rôle allant au-delà de celui de l’interprétation au sens strict, sans le préparer en ce sens, les risques sont grands.
Mikkelson traite de la formation des interprètes mais, pour une raison qui nous échappe, elle insiste sur l’enrichissement de la formation en langue cible. Or, l’interprète judiciaire ne doit-il pas travailler dans les deux sens ? Si Mikkelson sous-entend qu’il faille perfectionner ses deux langues de travail (chaque langue étant une langue cible, selon le tour qu’on interprète), elle ne l’explique pas très clairement. Finalement, elle conclut sur l’évolution des codes de pratique de certains pays qui ont été mis à jour pour refléter et orienter la pratique. Dans l’ensemble de l’ouvrage, les notions de « code de déontologie » et « code de pratique professionnelle » auraient gagné à être mieux distinguées, les auteurs les utilisant parfois de manière interchangeable, alors que les deux codes sont très différents, l’un étant un code « moral » (comment faire le bien) et l’autre un code de travail (comment bien le faire).
Au chapitre 5, Sandra Hale reprend le thème de l’interprétation judiciaire pour se concentrer sur la controverse entourant la définition du rôle de l’interprète judiciaire. Ce serait, selon l’auteure, la méconnaissance du rôle de l’interprète qui contribuerait au manque de reconnaissance professionnelle de l’interprète, et la variété de définitions du rôle de l’interprète qu’on trouve dans l’ouvrage ne laisse pas présager que le problème est sur le point d’être résolu. Hale explique cette confusion en indiquant qu’il y aurait autant de façons de faire que de praticiens, étant donné le manque de formation et de normes. Elle ajoute que le problème entraîne une crise d’identité professionnelle, en plus des abus de la part des usagers et d’un manque de confiance chez les interprètes.
Pour synthétiser, Hale classe les interprètes en cinq catégories définies en fonction du rôle qu’ils adoptent, allant du défenseur jusqu’à l’interprète au sens strict qui se contente de transmettre fidèlement et intégralement les messages de part et d’autre de la barrière linguistique. Elle agrémente ses descriptions d’exemples extraits de transcriptions véritables. Pour conclure, Hale précise qu’étant donné l’importance de la langue dans les causes judiciaires, l’interprète y occupe une place importante. Le rôle que l’interprète assume peut avoir des conséquences considérables sur les procédures judiciaires. Selon Hale, le rôle d’interprète au sens strict du terme est le seul qui s’applique au milieu judiciaire ; il ne faudrait pas pour autant y associer une pratique mécanique, mais plutôt une connaissance éclairée à l’issue d’une formation poussée. Tenante de la théorie sociale, Hale précise également que le travail de l’interprète est tributaire du cadre de travail, et que les conditions de travail ne sont pas sans avoir de conséquences sur la qualité de l’interprétation.
Le chapitre 6, qui porte sur l’interprétation en milieu parajudiciaire, c’est-à-dire dans les services de police espagnols, a pour objet l’analyse de la perception des interprètes et des fournisseurs de services quant au rôle de l’interprète. Sur un fond d’affirmations souvent mal ou nullement étayées, qui semblent néanmoins vraisemblables, les auteurs présentent la diversité linguistique en Espagne et son impact sur les services policiers. Après avoir expliqué la méthodologie et l’échantillon utilisés pour leur enquête, les auteurs procèdent à l’analyse. Aucun représentant des forces policières n’a répondu au questionnaire, contre quatre interprètes. On apprend donc peu de choses, sinon, fait étonnant, que le débat « discours direct/discours rapporté » serait au coeur des préoccupations des interprètes, que les interprètes tendent à résumer les interventions sans en informer les intervenants, et qu’ils évitent de donner suite aux cas de comportement raciste dont ils sont témoins, sous prétexte que leur mandat est de faciliter la communication, non d’alimenter les conflits. La conclusion – doit-on s’en étonner ? – pointe vers un manque flagrant de formation et l’absence de critères de sélection adéquats.
Le chapitre 7 nous entraîne ensuite dans le milieu des soins de santé. En effet, Claudia Angelelli se penche sur la question du lien entre la pratique et la recherche, et de l’évolution du rôle de l’interprète, rappelant que le modèle de l’interprète « invisible » d’autrefois tend à faire place de plus en plus à l’interprète « agent » de l’acte de communication. Donc, l’interprète aurait de plus en plus voix au chapitre. Toutefois, la recherche s’intéresse à la pratique, mais elle ne parvient toujours pas à l’influencer, comme en font foi les nombreux codes de déontologie créés selon le modèle descendant. Comment peut-on expliquer ce clivage entre la pratique et la recherche ? Une des raisons qu’avance Angelelli serait que, conformément à la théorie sociale, il faut se garder de faire abstraction du cadre lorsqu’on se penche sur un objet en particulier, dans ce cas-ci l’interprète et sa pratique. Donc, le cadre de pratique pourrait influer sur la façon de s’acquitter d’une tâche. Angelelli postule que les écoles de traduction et d’interprétation forment des praticiens et non des chercheurs, et que les chercheurs d’autres disciplines s’intéressent peu à la question de la langue, et que finalement il est difficile d’avoir accès à des données primaires lorsqu’on veut faire de la recherche sur l’interprétation dans les établissements de santé. Elle propose donc, pour favoriser le dialogue, que l’on fasse davantage appel aux établissements de santé et aux associations professionnelles, et conclut en soulignant le besoin de fonder toute recommandation ultérieure sur des recherches solides, de faire appel aux associations professionnelles et aux formateurs, et finalement d’inclure le rôle social des interprètes dans les modèles d’évaluation des interprètes en milieu médical.
Après les propositions prescriptives de notre collègue californienne, on trouve, toujours pour les interprètes en milieu médical, au chapitre 8, le cas des « trained intermediaries », ou intermédiaires formés. L’étude que proposent les auteurs cherche à déterminer s’il existe véritablement un fossé entre la formation des intermédiaires et ceux qui utilisent leurs services. Les résultats démontrent que les étudiants tentent de demeurer, dans la pratique, à l’intérieur des limites qu’on leur a inculquées durant leur formation ; que personne ne sait vraiment comment travailler avec un « intermédiaire » ; et que la formation prépare mal à la pratique. On propose d’enrichir la formation à l’aide de matériel inspiré de la pratique réelle, en plus de consacrer davantage de temps au travail sur les registres linguistiques, y compris sur les jargons spécialisés.
Le débat entourant le rôle de l’interprète médical ne semble connaître de cesse outre-Atlantique. C’est ainsi qu’en Belgique, on se demande si la médiation interculturelle ne serait pas la panacée tant attendue. Le chapitre 9 porte sur la mise en oeuvre d’un programme d’assurance-qualité visant à améliorer l’efficacité et l’efficience du travail de l’interprète médical. Après un bref historique de la profession, l’auteur passe en revue la tâche du médiateur interculturel, qui comprend notamment l’interprétation, mais comprend également les visites de courtoisie, la diffusion d’information et l’aide pratique, et le soutien émotif aux patients. L’auteur a mené une étude auprès des professionnels de la santé travaillant dans des établissements où l’on trouve ces médiateurs. Selon l’auteur, les trois intervenants sont tous présents à seulement 40 % des interventions. Les médiateurs seraient mal préparés à interpréter, et les professionnels de la santé ne seraient pas pleinement conscients du rôle des médiateurs. Le programme nécessite donc un grand nombre d’ajustements si le but est de contribuer à l’amélioration de la santé des personnes immigrantes.
On revient ensuite en Espagne, où l’on a demandé aux interprètes, tant médicaux que judiciaires, de décrire comment ils perçoivent leur rôle. On leur a demandé de réfléchir à leur rôle surtout par rapport à ses limites quant aux questions comme l’ajout et l’omission d’information, l’explicitation de références culturelles et de termes. En plus de déplorer leur manque de formation, les interprètes avouent avoir été mal préparés à la tâche qui les attendait et se sentir libres d’ajouter de l’information ou d’adapter. Ils en arrivent intuitivement sinon à comprendre, du moins à interpréter leur rôle. Malgré cela, ils réclament davantage de soutien et souhaiteraient que leurs services soient intégrés aux autres services internes.
Le chapitre 11 est consacré à la langue gestuelle, plus particulièrement aux exigences conflictuelles quant au rôle des interprètes. On y apprend que, traditionnellement, on s’attend à ce que les interprètes en langue gestuelle soient capables de passer du rôle de confident à celui de collègue de travail, en passant par celui de défenseur. On comprend facilement que ces attentes puissent créer chez l’interprète des sentiments de confusion, de culpabilité, voire d’anxiété et de frustration. Les auteurs s’intéressent surtout aux implications théoriques et pratiques que ces attentes traditionnelles peuvent avoir. Notamment, on peut lire que la neutralité est virtuellement impossible. Plutôt que de tenter de parvenir à la neutralité, ce qui tiendrait de l’utopie, on encourage plutôt les interprètes à faire preuve de sincérité et de chercher à composer ouvertement avec leur parti pris, dans la mesure où les intervenants sont conscients de cet état de cause.
Le douzième chapitre nous amène en Italie, où l’on nous explique pourquoi on préfère plutôt parler de médiateurs linguistiques dans ce pays, où le rôle du médiateur serait plus large que celui de l’interprète, bien que les auteures omettent de le décrire. Elles soulignent toutefois qu’il varie à l’égard des attentes, des besoins, de la formation, de l’expérience de migration, du rôle, etc. On peut lire qu’en Italie, jusqu’à tout récemment, les immigrants étaient surtout des réfugiés. C’est ce qui expliquerait l’attitude que les organismes italiens auraient à leur égard, soit cette tendance à vouloir aider et à se porter à leur défense face à l’État et aux services publics. L’appellation « médiateur culturel » découlerait de l’appellation de la licence qu’on confère aux langagiers, celle de « médiateur linguistique ». Le médiateur culturel répondrait bien aux besoins des nouveaux arrivants, qui le considèrent un peu comme un « guichet unique » où il est possible de trouver toute l’information dont ils ont besoin. Les auteures font parfois preuve d’une certaine naïveté, notamment lorsqu’elles avancent que le recours aux médiateurs culturels ne sera plus nécessaire dès que les générations d’immigrants qui suivront pourront se prévaloir de l’aide de ceux et de celles qui les auront précédés. En fait, elles semblent mal comprendre les mouvements migratoires et ignorer complètement les obligations et les devoirs sociaux. Finalement, en ce qui concerne leur code de déontologie, les médiateurs considèrent qu’il est appliqué de façon assez souple. Cette « souplesse » quant à l’interprétation du code de déontologie ne serait pas problématique si les médiateurs bénéficiaient tous d’une formation suffisante et adéquate, ce qui ne semble pas le cas.
L’ouvrage se termine finalement sur un chapitre consacré aux résultats d’une recherche empirique exploratoire sur la façon dont les interprètes se perçoivent. Un questionnaire composé de questions ouvertes a permis de révéler que les interprètes sont d’avis que leur rôle est important, mais que l’importance de leur travail ne leur attire pas tout le respect ni la reconnaissance qu’ils mériteraient. La formation serait ce qui importe le plus, encore plus que l’agrément et la reconnaissance professionnelle. Finalement, on déplore qu’en Flandre, là où l’étude a été menée, le code de déontologie ait été élaboré unilatéralement par les fournisseurs de services d’interprétation et les agences gouvernementales, ce qui pourrait expliquer l’attitude des interprètes face à ce code.
Cet ouvrage consacré en bonne partie à l’interprétation en milieu social contient peu de nouveautés et trahit en fait une espèce de naïveté de la part de certains chercheurs qui commencent à s’intéresser à un sujet relativement nouveau dans les pays où les mouvements migratoires étaient, jusqu’à tout récemment, des mouvements d’émigration. Le lecteur au fait du sujet pourrait être déçu par le contenu, mais soulignons que certaines contributions, telles que celles de Pöchhacker, de Hale et d’Angelelli, méritent qu’on s’y attarde tout de même le temps d’une lecture approfondie.