Cet ouvrage revendique dès le sous-titre, « épistémologie élémentaire d’une discipline », son terrain de réflexion. Pour l’auteur, il est clair que la discipline a besoin qu’on fasse le point pour poser les bonnes questions relatives aux domaines, aux méthodes et aux applications qu’on peut faire des travaux des linguistes. Aucune facette n’est omise : linguistique descriptive, linguistique théorique, linguistique générale, philosophie du langage, linguistique historique, linguistique appliquée, linguistique « stylistique ». L’auteur aurait pu mener également sa réflexion sur la base des découpages reconnus au sein de la discipline : phonétique, phonologie, morphologie, syntaxe, sémantique, analyse du discours, etc. ; il a préféré à cette approche celle qui situe la réflexion à un niveau beaucoup plus élevé, lui permettant ainsi d’englober ces derniers domaines dans sa présentation. Tous les domaines sont évoqués avec des illustrations suffisamment abondantes pour que le non-spécialiste saisisse les vrais enjeux de cette discipline. Il serait difficile de rendre compte des mérites de cet ouvrage qui peut être considéré déjà comme un classique dans la matière. Nous nous contenterons de les ramener à trois : la limpidité de l’expression, la profondeur de la réflexion et la densité de la matière. L’aspect terminologique est traité dans tout l’ouvrage avec une grande élégance qui attire l’attention sur la difficulté à en déterminer les contours avec précision et l’exigence à en faire un usage le plus précis possible. On a réellement du plaisir à lire certains passages où l’auteur marque un recul qui manque le plus souvent aux linguistes quand ils présentent le fruit de leurs travaux : qu’on prenne l’exemple de la détermination du nombre des unités minimales que comporte un énoncé comme Il a épluché les pommes de terre (p. 20-23), ou celui de la variété des logiques descriptives (p. 51-52), on succombe à chaque fois au plaisir de voir le linguiste qui cherche à partager ses préoccupations avec les autres, en montrant que les exemples les plus simples sont parfois très délicats à traiter. L’élégance du style se voit également dans la vérité du ton : Robert Martin écrit comme il parle avec un naturel et un humour d’une extrême légèreté et plein d’allusions et de recul qui aident à mieux apprécier les enjeux de la discipline. La sérénité qui transparaît à travers cet ouvrage va de pair avec une vision globale complètement détachée des partis pris théoriques. Tous les collègues consultés dans plusieurs pays l’ont déjà programmé dans leurs cours ; leur argument est simple : Robert Martin a situé la réflexion à un niveau rarement atteint dans des ouvrages qui s’adressent à la fois au grand public et à un public averti. C’est un texte qui se prête à des lectures différenciées selon le degré d’approfondissement qu’on désire atteindre. Les théories sont évaluées entre autres sur leur pouvoir explicatif et leur capacité de prédictibilité. L’auteur choisit des exemples pour illustrer les deux exigences. Pour la prédictibilté combinatoire, il fournit l’exemple de l’emploi d’éléments tels que quoi que ce soit, peu et l’ordre des clitiques (p. 60-64). La prédiction inférentielle est un autre exemple de prédictiblité illustré par les emplois du verbe savoir et celui de la conjonction bien que (p. 66-67). Le pouvoir explicatif d’une théorie se vérifie au degré de généralisation et de l’étendue des aspects qu’une théorie prend en charge. L’explication de l’emploi du subjonctif par la logique dite des mondes possibles fournit un bon exemple où l’évolution et le perfectionnement des explications avancées sont remarquables (p. 70-72). Le tout est mis dans la perspective d’un « relativisme épistémologique tout à fait salutaire » (p. 76). D’autres pans de la …
Martin, R. (2004) : Comprendre la linguistique, 2e édition, Paris, PUF, 206 p.[Record]
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Salah Mejri
Université Paris 13, Paris, France