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Introduction

Vers la fin du mois de juillet de l’année 2002, alors que nous terminions la traduction du Ruhnama (Lettre à l’esprit turkmène, pour reprendre ici le titre proposé), un ouvrage rédigé par Saparmourat Turkmenbashi, le chef d’État du Turkménistan, l’idée nous est venue de faire part de certaines difficultés rencontrées lors de notre travail. Plus nous pénétrions dans les profondeurs du texte original, mieux nous comprenions la querelle des théoriciens de la traductologie.

Les facteurs les plus importants qui influent sur l’acte de traduire sont sans aucun doute d’ordre historique, sociologique, économique et idéologique. Tout comme la notion sausurienne du signe (Saussure 1968), qui joue un rôle déterminant lors de la traduction, les approches historisante, psychologisante et sociologisante (Meschonnic 1982) sont aussi des facteurs d’importance qui se dressent entre le traducteur et l’ouvrage à traduire. En effet, étant donné que le texte est le produit d’une époque, l’intention de l’auteur du texte original et le milieu social dans lequel est publié l’ouvrage, ou bien le milieu social auquel il renvoie, jouent un rôle déterminant lors de l’opération traduisante.

Dans cette introduction, quelques informations très brèves s’imposent donc sur l’histoire du Turkménistan et sur le Ruhnama afin de mieux comprendre le texte et l’intention de l’auteur.

Ancienne République de l’URSS, le Turkménistan proclame son indépendance le 27 octobre 1991. Chef d’État du Turkménistan depuis son indépendance, M. Saparmourat répète à plusieurs reprises qu’il a rédigé cet ouvrage dans le but de retracer l’histoire des Turkmènes (de son origine jusqu’à nos jours) afin de prouver aux Turkmènes qu’ils posèdent des origines très anciennes (c’est- à-dire une identité) dont ils ont à être fiers. Par conséquent, grâce à cet ouvrage, dit-il, chaque Turkmène devrait s’attacher solidement à son nouvel État et oublier l’ancienne U.R.S.S. Par ailleurs, l’auteur rappelle, à travers des légendes et des poésies, la bravoure et l’héroïsme de son peuple sans oublier d’évoquer, à tout moment dans l’ouvrage, les traditions et les habitudes turkmènes qui étaient sur le point de disparaître en raison des pressions communistes de l’époque. Finalement, il donne des leçons de morale en définissant ce que doit être une famille turkmène et il rappelle à tout moment que le Ruhnama devrait être le deuxième livre « sacré » des Turkmènes après le Coran. Placé dans son contexte historique, psychologique et sociologique, voilà donc brièvement le contenu du texte original.

Étant donné que le Turkménistan et la Turquie, comme les autres républiques turques, ont une longue histoire, une culture et des légendes communes, il nous semblait que nous nous heurterions, au moment de l’opération de décodage et de transcodage, uniquement à des problèmes linguistiques et interculturels qui consistaient à faire ressortir les mêmes images et la même saveur dans la langue et la culture d’arrivée. Pourtant, nous nous apercevions bien vite que, « comprendre et connaître, voire la compréhension et la connaissance », pour reprendre les termes de Schumaer (1973 : 310), étaient deux choses totalement différentes.

Cet article se propose donc, de faire part de quelques difficultés rencontrées et des solutions apportées lors de la traduction de l’ouvrage cité, et parallèlement d’attirer l’attention sur les problèmes intraculturels au sein d’une même langue, mais aussi entre deux langues de la même famille, comme celles du Turkménistan et de la Turquie.

Obstacle intraculturel lors de la rédaction en langue de départ

La transmission d’une image, voire l’art de faire ressortir une certaine saveur lors de l’acte de traduire, que Ladmiral qualifie de rencontre du « Même » avec l’« Autre », est un des plus grands problèmes du traducteur. Parallèlement, nous pouvons remarquer, et c’est le cas pour les pays où cohabitent des citoyens d’origines et de cultures différentes, que cette rencontre du « Même » et de l’« Autre », et les problèmes qu’elle entraîne, apparaît bien avant la rencontre des langues et des cultures 1 et 2. En effet, dans certains cas, c’est tout au long de la rédaction même du texte de départ que se posent les obstacles intraculturels au niveau sémantique et lexical.

Prenons l’exemple de la Turquie où des différences sociales très marquées existent entre les différentes régions du pays. Dans son oeuvre intitulée Paranın Cinleri, Murathan Mungan, un écrivain contemporain célèbre en Turquie, explique ainsi ses premières démarches d’écrivain :

La première fois que j’ai décidé d’écrire une pièce de théâtre, j’étais à l’école primaire. C’est lorsque j’ai essayé de définir le décor de la salle de théâtre […] que j’ai remarqué la difficulté de définir les aspects d’un « tabouret » […] propre à cette région de la Turquie où j’habitais […]. C’est ainsi que j’ai renoncé à écrire cette pièce […]. En effet, dans la région où j’habitais ce genre de tabouret s’appelait « kürsiyye ». Comment allais-je interpréter cela en turc ? […]. C’est ainsi que j’ai remarqué la difficulté de faire passer un message entre les cultures différentes d’un même pays.

1999 : 15

Murathan Mungan se heurte au problème signifiant/signifié. Même au sein d’une même langue, le signifiant peut signifier autre chose que ce qu’il signifie socialement dans une autre région. La difficulté de cet écrivain, qui renonce à écrire (en langue de départ), dans une même « société », craignant de ne pas obtenir l’effet voulu en remplaçant un mot par un synonyme de la même langue, souligne combien la tâche du traducteur est encore plus difficile. Il s’agit ici d’un cas où l’obstacle intraculturel préexiste à l’obstacle interculturel. Il est à rappeler que ce mot n’est pas incompréhensible pour une personne parlant le turc, mais le mot « kürsiyye » (kürsî, kürsü) utilisé dans les régions de l’Est et du Sud-Est de la Turquie, représente une image différente de ce même mot utilisé dans la partie Ouest de la Turquie. De même, ce mot représente une image, une saveur, voire un exotisme différent pour un habitant de l’Est et pour un autre de l’Ouest de la Turquie, c’est-à-dire entre les habitants d’un même pays. Cet exemple, nous montre que la relation signifiant/signifié pourrait être brisée à deux reprises à l’intérieur d’une même langue. Premièrement par l’écrivain qui remplacerait le mot « kürsiyye » par un autre équivalent qui ne reformulerait pas exactement son « vouloir dire » et deuxièmement par certains lecteurs de ce même système de langage, dès leur contact avec cette substitution lexicale. Et si cette oeuvre, et en particulier ce passage, devaient être traduits en langue et culture cibles, la relation signifiant/signifié serait brisée une fois de plus.

Comme nous le remarquons, la traduction est aussi bien intralinguale/intraculturelle qu’interlinguale/interculturelle. Ainsi, pour compléter Yuan Xiaoyi, qui écrit dans son intéressant article « Fidélité ou recréation » :

Le traducteur prend contact avec le texte tout d’abord comme un lecteur, il brise la relation signifiant et signifié et l’interprète selon sa compréhension. Quand il commence à le traduire, il s’efforce de reconstituer une nouvelle relation entre signifiant et signifié dans la langue d’arrivée. Ce qui distingue le traducteur de l’écrivain, c’est qu’il joue deux fois sur l’arbitraire de la relation entre signifiant et signifié et surtout dans deux systèmes de langage.

1999 : 62-77

Nous ajouterons que la relation signifiant et signifié peut être brisée deux fois aussi dans un seul système de langage, lors de la rédaction du texte de départ, par un écrivain vivant dans un pays où les « sous-cultures » sont très différentes.

Exemples de quelques problèmes rencontrés lors de la traduction de Ruhnama

Difficultés rencontrées sur le plan lexical

Lors de la lecture du Ruhnama que nous avons évidemment faite avant d’en entreprendre la traduction, nous avons remarqué que l’écrivain, tout en retraçant l’histoire des Turkmènes, utilisait tout au long de l’ouvrage le nom des « beylicats » (souverainetés) turcs tels que : « Tuluniler, Ihsidiler, Karahanlılar, Gazneliler, Harzemsahlar, Memluklar, Halaciler, Safeviler, Avsarlar, Kaçarlar, etc. » Trouver les équivalents de ces « beylicats » en utilisant un dictionnaire du domaine est possible, bien sûr, mais c’est une perte de temps énorme pour le traducteur qui est souvent engagé dans une course contre la montre.

Nous le savons, l’Internet est un outil très efficace non seulement pour se documenter, mais aussi pour approfondir ses connaissances sur le plan lexical et sémantique sur un sujet quelconque. Une simple recherche concernant l’Empire Seldjoukide ou l’Empire Ottoman sur Internet offre des centaines de textes donnant non seulement les équivalents en français des beylicats cités plus haut (les Tulunides, les Ikshidides, les Karakhanides, les Ghaznévides, les Kwarezms, les Mamelouks, les Khaldjis, les Séfévides, les Afchars, les Kadjars, etc.), mais aussi une idée sur le choix discursif du langage.

Malheureusement, même s’il facilite l’accès aux informations, Internet possède aussi ses inconvénients. Il peut tout aussi bien entraîner une perte de temps énorme en raison des centaines d’informations qu’il présente. La personne qui fait des recherches doit être capable de trier le plus rapidement possible les informations et les textes dont elle a besoin et se limiter à quelques textes pour ne pas se perdre dans ce vaste réseau.

Difficultés rencontrées sur le plan historique, psychologique et idéologique

Quand il s’agit de raconter/d’imposer ses idées concernant l’unité dans le pays, Saparmourat Turkmenbashi a souvent recours aux termes ekmek (pain) et sofra (table). Le pain et le sofra (dans le contexte sociologique turkmène : une table autour de laquelle on se réunit pour manger, voire pour partager les richesses de Dieu) sont deux éléments qui ont une image, voire un signifiant et un signifié très différents pour le monde turkmène comme d’ailleurs pour le monde islamique. Le pain est tellement sacré qu’il est fréquent d’entendre les personnes jurer sur le pain au lieu de jurer sur le Coran. Partager son pain ou son sofra, sa table à manger, avec une personne, signifie partager « son tout et son rien ». Ainsi, l’auteur renvoie souvent à ces deux éléments pour insister sur certaines valeurs politiques. Pour démontrer l’importance de l’unité territoriale turkmène ou celle de l’unité du peuple de ce nouvel état indépendant depuis peu, il fait des comparaisons avec le pain et la table, lesquels, bien entendu, ne signifieraient pas la même chose dans une culture occidentale. Nous allons l’illustrer par ces exemples que nous traduisons mot à mot vers le français et dont nous essayons d’interpréter le sens par la suite.

- « Les terres rouges du Turkmène sont aussi sacrées que le pain » (2001 : 165)

(se dresser contre son État reviendrait à manquer de respect au pain, voire serait un très grave péché).

- « La table (à manger) est le signe de l’union. C’est elle qui réunit le Turkmène autour d’elle, elle est le serment du Turkmène » (2001 : 153)

(il faut s’attacher à son État comme on se met/réunit en pleine unité, avec tous les membres de la famille, autour de la table à manger).

- « Le Turkmène se réfugie à sa terre comme s’il se mettait à table » (2001 : 29)

(l’État peut offrir « son tout et son rien », mais le Turkmène s’y réfugiera quand même – ne se dressera pas contre lui – car l’État est comme un sofra où on partage « son tout et son rien »).

Dans une culture où les personnes jurent sur le pain comme s’ils juraient sur le Coran et où, quand la table est dressée, personne ne peut s’en tenir à l’écart, l’effet psychologique et idéologique du « vouloir dire » de l’auteur se fait fortement sentir, mais il est très difficile de faire ressortir cet effet (la même sentence et la même idéologie) avec le même choix de mots dans la langue d’arrivée.

L’exemple qui suit concerne le support vestimentaire.

Racontant les exploits de « Köroglu » (héros réel ou imaginaire de l’histoire turque de Turquie, d’Azerbaïdjan, du Turkménistan, etc.), l’écrivain rappelle ce que Köroglu avait dit à un certain « Veli Hirtman » qui n’avait pas fait preuve de bravoure pendant une guerre : « Portez un voile sur la tête » (traduction littérale). Et plus loin, en évoquant une autre guerre qui se déroula dans l’histoire Turkmène, l’écrivain raconte que « le souverain Djelaleddin avait fait porter le voile aux soldats qui avaient déserté » (2001 : 170). C’est sur le mot « voile » que nous voulons attirer l’attention. À l’époque où ces événements se déroulent, le voile (dans son contexte vestimentaire et non religieux) est le support vestimentaire qui différencie l’homme de la femme, d’où le choix du mot « voile ». Pour rendre le même effet psychologique dans la langue et la culture d’arrivée, faudra-t-il garder le mot « voile » qui pousserait le lecteur dans le monde des coutumes de la société de l’époque où s’étaient déroulés les événements, ou faudra-t-il laisser de côté l’approche historique et sociologique et rendre le même effet psychologique et idéologique avec le mot « jupe » ?

Enfin, un dernier exemple concerne le nom propre « Köroglu », évoqué ci-dessus. En Turquie, pays qui partage une histoire et des légendes avec le Turkménistan, le nom propre « Köroglu » signifie en premier lieu « héroïsme ». Ainsi, un traducteur ou une personne quelconque qui se documenterait sur ce sujet aboutirait normalement aux informations générales suivantes :

  • personnage héroïque, réel ou imaginaire, ayant vécu au vie siècle,

  • poète réel ou imaginaire ayant vécu au xviie siècle,

  • personnage héroïque, réel ou imaginaire, ayant lutté contre le « Bey » de Bolu (un Bey ou Begh étant le souverain d’une région).

Ainsi, à la lumière de ces informations, un traducteur originaire/apparenté à la société A (connaissant ces informations) ou B (ayant trouvé ces informations) traduirait :

« Ben Köroĝlu’yum, mezarlardan korkmam » selon les exemples proposés qui suivent :

Je suis Köroĝlu, je n’ai pas peur des cimetières (traduction littérale).
Je m’appelle Köroĝlu, je n’ai pas peur de la mort (traduction libre).
On m’appelle Köroĝlu, la mort ne me fait pas peur (traduction libre), etc.

De fait, plusieurs traductions sont possibles. Dans l’exemple de la traduction libre, nous avons remplacé le mot « cimetière » par « mort ». Mais en réalité, en poussant un peu plus loin l’analyse, nous remarquons que le mot « cimetière » devrait continuer d’occuper sa place dans la phrase, car c’est un mot sur lequel joue l’écrivain. En effet, si nous ne nous contentons pas des informations trouvées ou connues auparavant, et coopérons avec un spécialiste de l’histoire turque connaissant plusieurs variantes de ses légendes (variantes du Turkménistan, de l’Azarba djan, du Kazakistan, etc.), nous découvrons que « Köro lu » peut signifier : fils né d’un cimetière. De fait, si nous décomposons le mot Köroĝlu, nous avons : kör (aveugle) + oĝlu (fils de ). Köroĝlu signifie donc : « fils d’(un) aveugle ». Quel rapport entre « fils d’un aveugle » et « fils né d’un cimetière » ? En quoi cette légende connue aussi bien en Turquie qu’au Turkménistan, pourrait-elle être différente ? C’est ici que la coopération avec un linguiste turkmène devient nécessaire. Au Turkménistan, « Gör » qui signifierait « cimetière » s’est transformé en « Kör » au fil des années, de là la forme « Köroglu ». « Comprendre et connaître », pour reprendre Schumaer, sont deux choses différentes surtout quand il s’agit des sciences sociales, et la connaissance devient très importante selon la situation ou bien le contexte. Ainsi, la phrase

« Ben Köro lu’yum, mezarlardan korkmam » : « Je suis Köro lu, je n’ai pas peur des cimetières »,

renvoie à des signifiants et signifiés différents d’un pays à l’autre (la Turquie et le Turkménistan) qui partagent pourtant la même légende. La phrase pourrait alors être interprétée de deux manières différentes :

Je suis Köro lu (je suis un héros) donc je ne recule devant aucun danger (pour un Turc ou un Turkmène).
Je suis Köro lu (je suis né d’un cimetière) donc je n’en ai pas peur (pour un Turkmène).

Ainsi quand l’écrivain dit (2001 :154) :

« Si Köro lu est né d’un cimetière, moi je suis né des ruines » (traduction littérale), il faut connaître non seulement la variante turkmène de la légende de « Köro lu », mais savoir aussi que celui qui énonce, tout en s’identifiant à ce héros réel ou imaginaire, est le seul de sa famille à avoir survécu au tremblement de terre survenu à Achgabat en 1948.

Difficultés rencontrées sur le plan des signes

Selon Pierre Guiraud (1983) – qui divise les signes en trois grandes catégories : les signes logiques et esthétiques marquant les relations qui existent entre l’homme et la nature et les signes sociaux montrant les rapports entre les hommes –, les signes sociaux comprennent les signes d’identité comme les noms, les uniformes, les armes, etc. Tous ces signes sociaux se retrouvent dans le style de l’écrivain du texte original et ont une influence sur lui, et nous pensons que le traducteur doit en tenir compte et les interpréter selon la situation et le contexte. En effet, ils représentent et fournissent des indices essentiels pour la traduction. Ainsi, plus la compréhension de ces indices sociaux est bonne, meilleure sera l’interprétation et, bien entendu, meilleure sera la traduction. Malheureusement, ce sont également eux qui posent les plus grands obstacles entre les langues 1 et 2.

Citons quelques exemples :

Les noms des animaux

Tout à long du Ruhnama, l’écrivain se sert de noms d’animaux pour renvoyer à des époques différentes : le taureau, le loup, l’aigle, le faucon, le cheval.

Le taureau est le symbole de la première période de l’histoire turkmène (de 5000 av. J.C. à 650), le loup, de la deuxième période (du viie au xe siècles), l’aigle, de la troisième période (du xe au xviie siècles) et le cheval, de la quatrième période (du xviiie au xxe siècles).

Les noms propres

Oĝuzhan, Alparslan, Ertuĝrul Gazi, Osman Bey, Dede Korkut, Deli Dumrul, Deli Garçar, Köroĝlu, Deli Metel, etc. Chacun de ces personnages renvoie à des époques différentes, à un signifiant et à un signifié différents et tous fournissent un indice différent pour la compréhension du texte. La difficulté lors de la traduction intervient lorsqu’ils sont évoqués sans mise en situation ni contexte.

Les dates

Les dates, également utilisées sans contexte ni situation, c’est-à-dire renvoyant à tout un pan d’histoire, peuvent aussi poser des problèmes sur le plan de la compréhension d’un public qui ne connaît pas l’histoire de la société A. C’est le cas, par exemple, de 1071 (l’entrée des Seldjoukides en Anatolie), de 1299 (la fondation de l’Empire ottoman), de 1453 (la prise de Constantinople par les Turcs) et d’autres dates encore qui renvoient à des conflits et à des guerres entre beylicats turcs, etc.

Que faut-il faire de ces signes, de ces indices évoqués hors situation et hors contexte ? Faut-il recourir à l’explication entre parenthèses, à la paraphrase ou à la note de bas de page pour mieux transmettre le « vouloir dire » de l’auteur ? Ce sont des solutions possibles, mais c’est évidemment au traducteur d’en décider selon le public visé, car « la traduction n’est pas seulement une opération d’ordre linguistique », comme le souligne Chevrel (1989 :18), « c’est aussi prendre une décision qui met en jeu un équilibre culturel et social ».

Conclusion

La responsabilité du traducteur apparaît évidente et énorme, elle va même jusqu’à lui poser un problème de conscience. Il a non seulement le devoir de comprendre, mais bien au-delà de la compréhension, il a celui de connaître jusqu’à faire sien le « vouloir dire », l’idéologie de l’auteur.

Son travail de transcodage devient une véritable investigation, qui lui permet de mesurer l’impact de l’histoire, de la sociologie, de l’économie et de l’idéologie sur un texte. Il se fait alors médiateur, non sans une certaine notion diplomatique, entre deux langues et parfois entre deux cultures au sein d’une même langue.

Une problématique de traduction intraculturelle, comme c’est le cas ici entre les Turcs et les Turkmènes, laisse supposer une problématique d’autant plus difficile à gérer dans une traduction interculturelle.

Le traducteur, informé et avisé, devrait alors choisir entre explication ou interprétation, car on le sait maintenant, et cela depuis la célèbre question posée par Georges Mounin, (Traduction fidèle, mais fidèle à quoi ?) qu’il a, de toute façon, un devoir de fidélité envers les deux langues.

C’est le lecteur cible qui déterminera son action. Sachant pourtant que, disposant d’un arsenal informatif abondant, le lecteur intellectuel du xxie siècle a presque le devoir de comprendre une lecture. Le traducteur peut choisir de lui faire confiance ou de lui parler avec la voix de l’auteur tout en faisant preuve d’une sensibilité propre.

Mais si l’auteur et le lecteur lui font confiance, ceci n’en reste pas moins une mise en garde.