Dans l’étude qui nous est proposée, Jonathan Livernois entreprend d’observer sur une durée relativement longue les usages du littéraire dans le parlementarisme entre 1763 et 1936. Au moyen de seize chapitres qui, à partir du quatrième, suivent un ordre chronologique, il montre comment homme de lettres et homme d’État sont liés dans un premier temps et comment ils se séparent quand la culture humaniste devient moins nécessaire pour ébaucher l’image d’un « bon gouvernement ». Passant en revue un corpus relativement aride, constitué des débats parlementaires, de comptes rendus journalistiques, de mémoires politiques et de textes programmatiques, comme Esquisse sur le Canada de Joseph-Charles Taché, Livernois donne à lire un intertexte littéraire à même ces documents de valeur très inégale. Il entreprend, dès lors, comme il l’écrit en conclusion, de faire « une sorte de généalogie de la figure de l’homme politique doublé d’un homme de lettres et […] de comprendre l’usage des fictions politiques au Bas-Canada » (p. 341). Le politique, dans son mode parlementaire, comporte une « identité feuilletée ». Conçue à partir d’un jeu de mots, l’identité feuilletée est à la fois une identité assignée à la feuille, une identité écrite, et une identité multiple, comportant plus d’une couche. Cette notion qui revient à maintes reprises (p. ex. p. 186, 191, 277) permet de complexifier la dimension biographique de ces hommes formés pour devenir hommes d’État, composée de strates qui proviennent de différents régimes discursifs : littérature, droit, politique, journalisme. Car « plusieurs de ces hommes politiques ont aussi voulu utiliser la littérature comme un cadre, une structure narrative, un répertoire d’archétypes et de tropes nécessaires à la composition de ce que j’appellerai, […] des “fictions politiques”. » (p. 23) Le deuxième objectif consiste à « mieux comprendre ce que sont ces fictions politiques, des premières mises en récit du début du parlementarisme au xviiie siècle à l’élaboration d’une des principales fictions à partir du milieu du xixe siècle : le récit de la colonisation » (p. 23). Ce sont ces deux grands axes qui seront développés tout au long de l’ouvrage. Ce faisant, l’auteur nous rappelle en quelque sorte, mais sur une autre scène, comment, finalement, les compétences des politiciens d’aujourd’hui sont davantage mises en valeur dans des émissions de variétés que lorsqu’ils font montre de leur culture lettrée en citant Cicéron ou La Fontaine. Cette étude vise ainsi à montrer la culture changeante des parlementaires, qui sont un peu comme des athlètes de la parole. Dans le contexte d’une histoire discursive du Québec et dans la ligne de fuite ouverte par le littéraire, il apparaît fort important de prendre en considération le parlementarisme afin de configurer la mise en place d’un sujet collectif qui produit des actes de discours. En effet, le parlementarisme, surtout après 1791, présuppose l’apprentissage langagier et formel d’un code basé sur l’enseignement des humanités, qui conduira à la culture politique nécessaire à la fondation du Parti canadien en 1806 et du Parti patriote en 1827. Mais Livernois ne s’arrête pas là et observe les différentes moutures d’un parlementarisme qui évolue au rythme des situations constitutionnelles, politiques et identitaires. Outre certaines figures auxquelles il s’attarde comme Chauveau, Mercier et David, deux éléments ressortent de la trajectoire suivie par Livernois. La première tient à la formation dispensée dans les collèges classiques. Ainsi, le chapitre 8 montre l’intrication de deux sphères, le juridique et le littéraire, qui se conjuguent pour construire une tradition et une origine relevant de l’identité de la nation. S’inscrivant dans l’idéologie de la survivance, très bien décrite par Fernand Dumont (1993), l’intérêt pour le Code civil que Livernois …
Jonathan Livernois. Entre deux feux : parlementarisme et lettres au Québec (1763-1936), Montréal, Éditions du Boréal, 2021, 384 p.[Record]
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Daniel Vaillancourt
University of Western Ontario