Maurice Blain appartient à la cohorte des intellectuels des années qui séparent la génération du Refus global (1948) de celle de la Révolution tranquille, considérée souvent comme son aboutissement. Figure effacée, voire quasi oubliée de ces années de profonde transformation, il fait néanmoins partie d’un groupe de penseurs qui ont depuis longtemps acquis le statut d’intellectuels exemplaires sur le chemin qui a conduit le Québec de l’après-guerre à la modernité. Il suffit de citer les noms de Jean Le Moyne ou d’André Laurendeau pour prendre la mesure d’une génération qui a posé les fondements du Québec moderne. Dans son dernier essai, Yvan Lamonde, qui avait déjà présenté la pensée de Blain dans ses importants travaux d’histoire de la modernité au Québec, revient sur un aspect de sa contribution, la question de la laïcité, pour laquelle Blain s’impose comme un pionnier. La biographie de Maurice Blain mériterait qu’on lui consacre une monographie, mais tel n’est pas le propos de l’essai de Lamonde. Même s’il adopte une perspective résolument chronologique dans l’exposé de l’oeuvre, l’essentiel est ici de cerner à la fois le contexte d’émergence et les thèmes centraux de la réflexion sur la laïcité, dans une société marquée par l’autorité ecclésiastique. Inscrit à treize ans, en 1938, à l’externat classique Sainte-Croix de Montréal, très tôt le jeune Blain fait montre d’un talent certain pour les études et se passionne pour la littérature et le théâtre. Sa formation, conforme à tous égards au parcours proposé dans les collèges classiques, nous met en présence d’un esprit ouvert sur la critique et contestataire de l’autorité établie. Sa bibliographie, méticuleusement reconstituée par Lamonde, nous montre en effet Maurice Blain engagé dans les activités du journalisme étudiant, où il publie à partir de 1944 une série d’articles de critique littéraire et d’essais humanistes sur la vie intellectuelle de la jeunesse. Cette activité se poursuivra alors qu’il sera étudiant en droit à l’Université de Montréal, où il deviendra un collaborateur régulier du Quartier latin. Quand Maurice Blain entreprendra de réunir ses principaux essais, dans un livre publié en 1970 sous le titre Approximations, il voudra juxtaposer à ses essais culturels et politiques ses principales contributions sur le théâtre et la littérature, incluant de beaux portraits d’Anne Hébert et d’Alain Grandbois. Lecteur de Paul Valéry, mais aussi d’André Gide, dont il critique le nihilisme, mais qu’il défend résolument lors de l’attribution du prix Nobel en 1947, Maurice Blain se montre attentif à tout ce qui chez Gide relève de la liberté de la conscience, de la sincérité et de l’imagination créatrice. Yvan Lamonde note avec justesse l’importance, chez lui comme chez son contemporain Jacques Lavigne, du thème de l’inquiétude, signe d’une interrogation, voire d’une distance à l’égard de l’orthodoxie régnante. La proximité intellectuelle avec la pensée de Lavigne trouve confirmation dans un important essai de Blain sur les intellectuels de sa génération, publié dans Le Devoir (6 mai 1950), faisant écho à l’absence de maîtres et de « cause profane ou sacrée ». Il écrit : « […] l’inquiétude religieuse ne se pose pas autrement qu’en fonction d’une vivante réalité de l’esprit. » Dans les textes de ces années de transition, Lamonde constate que « l’éthique commence à remplacer la croyance » (p. 37). Comme plusieurs intellectuels de sa génération, notamment ceux de la Nouvelle Relève (1941-1948), Blain demeure sensible à l’influence des grands penseurs catholiques français, notamment Jacques Maritain et Emmanuel Mounier, mais son engagement dans les causes que défend Cité libre à partir de 1951 témoigne de sa résolution à aller plus loin dans la critique du pouvoir de l’Église. Lamonde insiste sur l’importance du …
Yvan Lamonde. Émonder et sauver l’arbre : Maurice Blain, la laïcité et la transition intellectuelle après Borduas, Montréal, Leméac éditeur, 2021, 163 p.[Record]
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Georges Leroux
Université du Québec à Montréal