Perspective

De la religion, à l’Esprit, à l’esprit, ou comment l’esprit s’est laïcisé au Québec[Record]

  • Yvan Lamonde

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  • Yvan Lamonde
    Université McGill

Cette étude n’est ni une monographie ni un essai. C’est l’analyse d’un historien de longue durée qui a travaillé sur un sujet sur la longue durée avec l’intention de construire une compréhension de l’histoire intellectuelle du Québec sur deux siècles. Au commencement était le goût de la synthèse. D’une synthèse appréhendée de l’intérieur des sujets historiques, des consciences historiques qui s’étaient exprimées. Ni monographie, car je ne reviendrai pas sur les fondements du sujet mis en place. Ni essai, au sens d’un genre où l’auteur s’essaie et explore un sujet. S’il y a exploration ici, c’est celle d’un objet connu scruté d’une certaine hauteur et sur la longue durée. Il s’agit bien d’histoire intellectuelle, de l’histoire d’une idée – disons l’esprit – considérée dans le temps et dans le lexique évolutif de cette idée. C’est parce que je me suis intéressé à la laïcité que j’ai cherché à comprendre et compris, à ma façon, la religion en amont et en aval. L’histoire commence de façon explicite après 1930, après la secousse intellectuelle et spirituelle de la crise financière, économique, sociale et politique de la décennie. Avant les années 1930, l’esprit ne pouvait être que le Saint-Esprit et la pensée, que la servante de la Philosophie, qui était la servante de la Théologie. Au Québec, c’est l’histoire qui a rapproché l’Église de l’État. L’Église était alliée à l’État déjà sous le régime colonial français, mais avec le régime colonial britannique, le rapprochement prit un autre sens. Ayant perdu son statut légal au profit de la religion anglicane qui ne fut pas pour autant religion d’État, le catholicisme fut identifié au papisme, à son allégeance romaine. Pour assurer sa survie et celle de la religion qu’elle représentait, l’Église catholique a dû développer un rapport avec le pouvoir politique colonial et lui témoigner son loyalisme. Une même adhésion à la monarchie, donc à une même vision du pouvoir – monarchie absolue, puis constitutionnelle – facilita les choses. Tout obligée qu’elle fût, l’alliance des deux pouvoirs se façonna. Après la révolution américaine, la révolution de l’ex-mère patrie en 1789 consolida la ferveur monarchique de l’Église catholique canadienne, mais surtout la rapprocha de Rome tout en l’éloignant de la France, la rapprocha de l’ultramontanisme – au-delà des monts (les Alpes) – tout en l’éloignant du gallicanisme, qui cherchait, en contexte révolutionnaire, à organiser l'Église catholique française de façon autonome par rapport au pape. C’est ainsi que l’histoire construisit des relations inédites entre le gouvernement anglais, protestant et anglican et l’Église canadienne catholique romaine d’origine française mais de fidélité romaine. L’histoire façonna un rapprochement qui dût se maintenir, se renforcer pour des raisons qui prévalaient de part et d’autre. L’opposition aux idées républicaines états-uniennes et françaises alimenta les mêmes intérêts. Pour tout dire dès maintenant, bien avant que la papauté n’officialise l’ultramontanisme et ne consacre le rapport des Églises nationales à Rome, l’Église catholique canadienne avait battu le sentier en cherchant sa propre voie. Il fallait expliquer les rapports entre le gouvernement et l’Église catholique pour voir se façonner le rapport entre le religieux et le civil ou le politique. Il faut encore expliquer l’arrimage du spirituel et du temporel et en voir la première forme concrète. Le gouvernement colonial confie en 1801 à l’évêque anglican Jacob Mountain la responsabilité de la mise sur pied des écoles royales, avec le projet tout à fait attendu d’angliciser et de protestantiser la population majoritairement francophone et catholique du Bas-Canada. L’initiative fait long feu devant l’indifférence de la population francophone et l’opposition des curés. En 1824, le gouvernement, la Chambre d’assemblée et l’Église catholique s’entendent sur une loi des …

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