Article body

Pour Hélène Valotteau

Longtemps non identifié dans les nomenclatures génériques, le portrait de pays apparaît pourtant bel et bien comme un genre à part entière[2]. Se distinguant du récit de voyage (il n’est pas le récit d’un périple) comme du guide touristique (il ne vise pas en priorité à fournir des indications d’ordre pratique), il a pour finalité principale de dépeindre de façon relativement synthétique un pays (ou une ville[3]). Sa production a bénéficié au xxe siècle du développement sans précédent d’une industrie touristique qui, dans ses modes de communication, joue régulièrement du ressort de la création d’une « envie du monde[4] », c’est-à-dire des désirs de découvrir des contrées plus ou moins étrangères et lointaines. Dès l’entre-deux-guerres et durant les Trente Glorieuses plus encore, sous forme imprimée — puisque le genre a connu des déclinaisons sous d’autres formes médiatiques : cinéma, télévision, radio[5]… —, outre les nombreux articles publiés dans des magazines ou des journaux, cette période de l’histoire du genre a été marquée par l’efflorescence de nombreuses collections d’albums illustrés de photographies.

Parmi les collections les plus en vue dans le domaine francophone, l’on peut penser à « Les beaux pays » (Arthaud, Grenoble), lancée au milieu des années 1920 et qui a été suivie par « Pays et cités d’art » (Nathan, Paris, 1947‑1972 : 34 livres), « Le monde en couleurs » (Odé, Paris, 1948-1958 : 20 livres), « Escales du monde » (Les Documents d’art, Monaco, 1951-1952 : 8 livres), les ouvrages de ce type publiés à La Guilde du livre sans être intégrés à une collection en tant que telle (Lausanne, 1950-1977, 49 livres), les « Albums des Guides bleus » (Hachette, Paris, 1954-1965 : 55 livres), « Petite planète » (Le Seuil, 1954-1981 : 71 livres), « Espaces » (La Baconnière, Neuchâtel, 1957-1960 : 4 livres), « Que j’aime… » (Sun, Paris, 1960-1980 : 29 livres), « L’atlas des voyages » (Rencontre, Lausanne, 1962-1969 : 71 livres), ou encore « Le monde en images » (Arthaud, Grenoble, 1963-1980 : 27 livres)[6]. Plusieurs de ces collections confient à des écrivains en vue les textes de ces livres qui, s’ils sont adressés à un lectorat adulte, pouvaient aussi, selon plusieurs témoignages convergents[7], servir de livres de prix dans le cadre scolaire.

Au demeurant, durant la même période, cette production éditoriale visant à faire connaître et à valoriser des pays et des villes propose également des formes spécifiquement destinées aux jeunes lecteurs. En effet, une production parallèle de portraits phototextuels de pays se développe et un éventail notable de collections dédiées au jeune public sont alors lancées, les éditeurs paraissant bien résolus à tirer parti de l’occasion que semble représenter cette tendance d’époque. Ainsi en va‑t‑il d’« Enfants du monde » (Nathan) ou encore de la collection « Connais-tu mon pays » (à l’intitulé curieusement dépourvu de point d’interrogation) publiée par Hatier, qui se signale en ce que les textes de chacun des 14 volumes parus — Paris, Israël, Écosse, Iran, Hollande, Grèce, Italie, Suède, Suisse, Espagne, Japon, Portugal, Australie, Finlande —, entre 1960 et 1969 (en incluant les rééditions de certains volumes)[8], sont signés par une seule et même autrice, Colette Nast (1913‑1975), dont rien n’indique, dans les volumes du moins, si elle est par ailleurs la directrice de la collection[9].

Dans le paysage éditorial de l’époque, cet ensemble place Colette Nast au rang des auteurs ayant signé le plus d’ouvrages de ce type[10]. Cette situation induit un projet de collection au sein duquel l’énonciation éditoriale se rapproche considérablement du projet auctorial. Si rien n’est spécifié concernant l’autrice dans les volumes qu’elle signe, selon la notice biographique concise qui lui est consacrée sur le site de la Bibliothèque nationale de France, elle fut « Professeur de lettres, psychologue clinicienne » et professa en « psychologie de l’enfant à l’École des psychologues praticiens de l’Institut catholique de Paris de 1969 à 1975 ». Rien de surprenant dès lors à ce que ce projet éditorial revête une dimension pédagogique, le portrait apparaissant comme un moyen d’acquisition de connaissances qui recoupe à certains égards celles du cadre scolaire. Pour ce faire, et comme pour se placer, comme on dit, « à hauteur d’enfant », la collection adopte un dispositif fréquent consistant à mettre en scène un jeune enfant local guidant les lecteurs à travers les réalités présentées, mais qui livre un savoir demeurant, en définitive, dispensé par des figures adultes, de parents et d’enseignants.

Un instrument de connaissance

Sur un plan formel, si l’appellation de « portrait » n’apparaît guère — sans doute moins encore que dans la littérature adulte —, le genre n’en opère pas moins de façon effective au sein de cette collection, ainsi qu’en témoigne la mise en avant des noms de lieux présentés dans les titres des collections de ce type[11]. Cet usage de titres « thématiques[12] », en l’occurrence très simplement « référentiels[13] », correspond au degré zéro des titres de portraits, qui repose sur la simple désignation du sujet portraituré, qu’il s’agisse d’un individu ou, comme dans le portrait de pays, d’une réalité territoriale. S’agissant du portrait de pays sous forme d’album, il se présente comme un ouvrage destiné à présenter un lieu, pays, région ou ville, qui permettra aux lecteurs d’en savoir davantage à son sujet. Plus ou moins prononcée, et bien évidemment marquée par une recherche d’adaptation au lectorat visé, la dimension documentaire de ce type de publications paraît déterminante, et revêt des formes particulières, aussi bien dans les connaissances présentées que dans la façon de leur donner corps.

Dans une collection de photolittérature jeunesse telle que « Connais-tu mon pays », la rhétorique intitulante adoptée — pour les titres des ouvrages comme pour celui de la collection — place l’ensemble de ce projet éditorial sous le signe de la quête de connaissance, en lui conférant de surcroît une inflexion interpersonnelle, voire intime. Ainsi les titres de chacun des volumes — formés sur le même patron — annoncent-ils non seulement le pays qui sera présenté aux jeunes lecteurs — dimension thématique du titre —, mais ils désignent également un enfant du pays, qui accompagnera ces lecteurs dans leur découverte (« En Australie avec Christopher », « En Espagne avec José »…) – dimension rhématique – et qui, à travers le nom de la collection — qui figure discrètement sur chaque couverture, juste au-dessus du titre logé dans un cadre noir (figures 1 et 2) —, paraît s’adresser directement à eux, instaurant une forme de connivence au moyen d’une interrogation touchant à la connaissance, avec la promesse implicite d’y répondre positivement.

Figure 1

Colette Nast, En Italie avec Giovanni, Paris, Hatier, coll. « Connais-tu mon pays », 1960.

-> See the list of figures

Figure 2

Colette Nast, En Suède avec Karin, Paris, Hatier, coll. « Connais-tu mon pays », 1962.

-> See the list of figures

Caractéristique des collections de ce type à l’époque, cette inclination documentaire se voit sous‑tendue par la fiction, fréquente dans les ouvrages du genre, d’une rencontre avec un enfant local[14]. Elle se traduit notamment dans le recours aux cartes du pays portraituré à l’entame et en clôture de chaque volume. Comme d’autres collections contemporaines — à l’instar de celles, destinées à un public adulte, que sont « Escales du monde » ou « Petite planète » —, chaque livre en présente une, en couleurs. Dans « Connais-tu mon pays », l’emplacement de ces cartes est toujours le même. En première instance, elles dispensent aux lecteurs une connaissance schématisée de la contrée à découvrir, en donnant à voir sa position dans une plus vaste géographie, sa conformation géographique, avec l’emplacement de ses principales villes, mais aussi sa faune et sa flore ou quelques monuments célèbres (figures 3 et 4). Ainsi ces cartes rencontrent-elles certaines des catégories coutumières d’appréhension de l’environnement (au sein des cours de géographie notamment), ce qui ne surprend guère pour des ouvrages publiés par une maison spécialisée dans ce secteur.

Par ailleurs, selon Christophe Meunier, la carte, dans les ouvrages de ce type, revêt des fonctions spécifiques selon l’emplacement qui lui est donné.

Située en début d’ouvrage, elle sert à installer le décor. La géographie physique de l’espace qui sera évoqué dans l’album est un préalable nécessaire à l’aventure. En fin d’ouvrage, la carte remplit la fonction de conclusion. Elle est là en guise de « résumé » du voyage effectué dans l’ouvrage. Elle est la carte de synthèse de la leçon de géographie qui vient d’être livrée aux lecteurs[15].

Les cartes de « Connais-tu mon pays » figurent sur les pages de garde, à l’identique, en début mais aussi en fin de volume, comme pour prendre le corps de l’ouvrage en sandwich. Stylisées, elles contribuent, en vertu de cette position double, aux seuils liminaire et terminal du livre, à renforcer la généricité portraiturale de l’ouvrage à travers cette forme particulière de portrait en quoi consiste fondamentalement une carte[16].

Figure 3

Colette Nast, En Espagne avec José, Paris, Hatier, coll. « Connais-tu mon pays », 1963, carte.

-> See the list of figures

Figure 4

Colette Nast, En Australie avec Christopher, Paris, Hatier, coll. « Connais-tu mon pays », 1961, carte.

-> See the list of figures

Chaque tome comporte en outre une page finale, qui suit directement la fin de la présentation du pays et précède la seconde occurrence de la carte. Y figurent une série d’informations factuelles, livrées de façon ramassée. Tout se passe comme s’il s’agissait d’achever le volume sur une note plus strictement informative et dépourvue de l’agrément du récit proposé dans le reste de l’ouvrage. Cette configuration des textes recoupe la distribution des matières qu’offrent à la même époque des collections destinées aux adultes telles que « Les albums des Guides bleus » ou encore « L’atlas des voyages » : alors que la première propose une préface d’un écrivain et des notes relatives aux photographies dues à des spécialistes et placées en fin de volume, la seconde présente en fin de volume un texte en plus petits caractères réunissant des informations factuelles et chiffrées. Ainsi en va-t-il dans « Connais-tu mon pays » du volume consacré à l’Australie, avec un texte qui n’est pas sans rappeler, à nouveau, les synthèses informatives qui ponctuent fréquemment les publications scolaires (figure 5) :

L’Australie est le continent le plus petit, le plus ancien et pourtant, historiquement, le plus jeune du monde. Occupée par les Britanniques en 1788 elle compte plus de dix millions d’habitants. Elle forme une fédération autonome de six états : l’Australie occidentale, l’Australie du Nord […].
Le long de la côte s’étendent des bois. Dans le sud poussent les eucalyptus, les arbres les plus caractéristiques de l’Australie. Au coeur du pays s’étendent les grands déserts.
Les deux rivières principales sont le Murray et le Darling […][17].

Figure 5

Colette Nast, En Australie avec Christopher, Paris, Hatier, coll. « Connais-tu mon pays », 1961, dernière page.

-> See the list of figures

La couleur de l’intégralité des photographies présentées dans ces volumes participe également de l’entreprise documentaire qui anime leurs concepteurs. Si la photographie couleur a fait relativement tôt son apparition dans l’histoire du médium, avec les autochromes dès le début du xxe siècle, elle connaît au sortir de la Seconde Guerre mondiale une diffusion et une démocratisation sans précédent, notamment dans la presse (des publications d’actualité à la mode en passant par la publicité), ainsi qu’au cinéma et à la télévision. D’une part, alors que le noir et blanc apparaît, au sein de cette configuration, comme le signe de prétentions artistiques, la couleur est plutôt appréhendée comme un vecteur de témoignage et une meilleure garantie de rendu du réel[18]. D’autre part, elle se diffuse progressivement auprès d’un large public, une firme comme Kodak tirant parti de « l’identification de la couleur à une réalité séduisante, idéalisée et résolument optimiste[19] », en particulier auprès d’un public voyageur, désormais accoutumé à la couleur pour des ouvrages de ce type.

Dans les termes de la théorie de l’analyse des textes de Jean-Michel Adam, le portrait de pays se caractérise par une « dominante » descriptive[20] puisqu’il vise à proposer une image d’un lieu. À la faveur de sa combinatoire intitulante — titre de la collection combiné à celui de chaque volume —, conjuguée à des éléments encadrants – cartes, synthèse finale – affichant l’objectif de connaissance de l’entreprise, « Connais-tu mon pays » déploie une généricité portant un objectif documentaire marqué au coin d’une préoccupation pédagogique affichée. Pour autant, ces ouvrages ne sont pas seulement descriptifs : d’autres types de séquences, textuelles et iconographiques, sont mises en oeuvre, relevant en particulier de l’ordre du narratif, qui enchâsse le dispositif textuel de chacun des volumes. Toutefois, le portrait, dans ces ouvrages, se trouve livré à la faveur d’un récit qui, dans ce contexte éditorial, paraît avoir pour fonction essentielle de prétexte à l’exposé de connaissances relatives à la contrée portraiturée.

Des portraitistes en culottes courtes

« Connais-tu mon pays » se présente comme une « collection sur les enfants de tous les pays du monde », selon le texte qui figure dans le bas de page de faux-titre de chaque volume. La collection met ainsi en oeuvre l’un des traits les plus frésquents de bien des portraits de pays destinés aux jeunes publics, avec un intitulé de collection qui, doublé par la connivence inscrite dans la formule titre récurrente « En [nom du pays] avec [nom d’un enfant] », affiche une forme de familiarité. De nombreuses collections de ce type se fondent sur la mise en scène d’un enfant, qui sert, en quelque sorte, sinon de guide, du moins d’intermédiaire dans la découverte d’un pays dont il est profilé comme un enfant « typique[21] ». À l’instar d’un succès de librairie de la Troisième République comme Le tour de France par deux enfants, où la découverte du territoire passe par le récit des aventures des deux enfants mentionnés par le titre[22], la plupart des volumes de « Connais-tu mon pays » décrivent les réalités constitutives du pays qu’ils présentent à travers un alter ego fictif du lecteur, soit un enfant de sa tranche d’âge, et une narration mise au service d’une logique descriptive.

Certes, l’interpellation du titre de la collection ne se traduit pas systématiquement au sein de ces volumes. Ceux consacrés à l’Italie et à la Suède donnent ainsi à entendre une voix narrative, extradiégétique, qui interpelle les jeunes lecteurs et décrit la vie quotidienne de bambins (Giovanni et Karin, respectivement). Celui sur le Portugal joue d’une voix intradiégétique évoquant la relation entre la narratrice « parisienne » et Carlito, tandis que ceux sur l’Espagne et Israël rapportent, à travers une voix extradiégétique, les échanges entre, d’une part, José et Dan et, d’autre part, leurs petits visiteurs français. Ces livres proposent ainsi la découverte d’un pays par intermédiaire interposé, qu’un personnage français (ou francophone) soit incarné ou non dans la diégèse. Conjoint à une voix narrative identifiée comme française (et même « parisienne » dans le volume sur le Portugal), le procédé consiste à mettre en scène un intermédiaire, censément familier en ce qu’il présente des traits communs avec le jeune lecteur, l’âge a minima, systématiquement accompagné d’une structure familiale traditionnelle (papa, maman, frères et soeurs).

Poussé au terme de sa logique, ce dispositif semble prendre corps en particulier dans les ouvrages au sein desquels un narrateur enfantin s’adresse directement aux lecteurs, à l’instar de celui consacré à la Hollande, dans lequel le petit Hans adopte la fonction de narrateur tout en se présentant, et en commençant, ce faisant, à présenter son pays :

Lourdement chargée la péniche « Amsterdam » revient d’Allemagne et descend doucement le cours du Rhin. Cette péniche, c’est notre maison. Nous y vivons avec nos parents qui transportent des marchandises d’Allemagne au grand port d’Amsterdam. J’ai dix ans. Je m’appelle Hans. Ma soeur Marie a six ans. Mon frère Piet, quatre ans. Quel voyage merveilleux nous faisons !
Regardez sur la carte au début du livre : de Lobith qui est une petite ville sur la frontière germano-hollandaise, nous gagnons Tiel et Wijk bij Duurstede. Là nous quitterons le Rhin et nous nous dirigerons vers la capitale par le canal d’Amsterdam au Rhin[23].

Accompagnant la découverte de leur pays, ces jeunes guides donnent corps à l’une des inclinations majeures du genre du portrait, celle consistant à se présenter comme des autoportraits. Cette aspiration repose sur le principe en vertu duquel le portrait a pour finalité de se substituer au sujet qu’il dépeint en son absence. Permettant de jouer du ressort d’une connaissance intime des réalités à décrire, dans le cadre du portrait de pays, les habitants apparaissent comme une voix possible du pays dont ils sont issus. Cela explique que les éditeurs tendent soit à confier ces ouvrages à des personnes originaires du pays ou y ayant vécu, soit à faire parler celles-ci au sein de l’ouvrage, notamment à travers des dialogues. Ainsi se voient mobilisées des figures dotées d’un « capital d’autochtonie[24] », qui doit garantir une meilleure connaissance des lieux à présenter. Cette tendance repose sur l’idée selon laquelle rien ne surpasserait une expérience de première main : censées mieux parler du pays parce qu’elles le connaîtraient intimement, ces figures incarnent dans le même temps leur pays, en vertu d'un principe métonymique.

Cette logique se voit accentuée par plusieurs portraits de ces jeunes portraitistes disséminés au sein des livres. Le premier d’entre eux figure quasi systématiquement sur la couverture du livre[25], avec des photographies qui suggèrent que l’enfant représenté (il s’agit exclusivement de jeunes garçons, à l’exception de Karin pour l’album consacré à la Suède) est celui qui assume dans l’album une fonction d’hôte et de guide, qu’il soit ou non le narrateur effectif du récit. Sur deux des volumes — celui sur la Grèce et celui sur l’Espagne —, l’enfant placé au centre du récit présente un regard caméra, comme une sorte d’accroche avec le lecteur qui fait pendant à la façon dont le titre de la collection et la narration s’adressent directement au lecteur (figures 6 et 7).

Figure 6

Colette Nast, En Grèce avec Périclès, Paris, Hatier, coll. « Connais-tu mon pays », 1961.

-> See the list of figures

Figure 7

Colette Nast, En Espagne avec José, Paris, Hatier, coll. « Connais-tu mon pays », 1963.

-> See the list of figures

L’ensemble des autres ouvrages donne plutôt à voir sur l’image de couverture des enfants dont le regard se porte sur une réalité du pays dépeint, parfois située hors champ, comme s’il s’agissait plutôt de les présenter dans une position de découverte analogue à celle d’un lecteur qui peut, ainsi, peut-être plus commodément, s’identifier à eux. Les deux options témoignent de la double inclination des volumes publiés au sein de cette collection : le récit, porté par un enfant vivant sur place, le portrait. Toutefois, la dominante qui se dégage donne à penser que la principale finalité n’est pas tant la rencontre avec un enfant de papier que les connaissances que ces livres se mettent en devoir de dispenser (figures 8 et 9).

Figure 8

Colette Nast, En Hollande avec Hans, Paris, Hatier, coll. « Connais-tu mon pays », 1960.

-> See the list of figures

Figure 9

Colette Nast, Au Portugal avec Carlito, Paris, Hatier, coll. « Connais-tu mon pays », 1960.

-> See the list of figures

Figure 10

Colette Nast, En Australie avec Christopher, Paris, Hatier, coll. « Connais-tu mon pays », 1961.

-> See the list of figures

Dans certains volumes, lorsque la corrélation entre l’enfant qui endosse le rôle de guide et celui qui figure sur la couverture peut sembler n’être pas suffisamment évidente, elle se trouve explicitée par le narrateur, comme dans celui consacré à l’Australie (figure 10) : « Bonjour. Je m’appelle Christopher. Christopher Read de la Sunny Sheperd, la bergerie du soleil. Pour que nous fassions vite connaissance, je te montre tout de suite ma photo[26]. » Manière de proposer le portrait du portraitiste conjointement à celui qu’il livre de son pays, comme dans l’ensemble des volumes, que la narration soit ou non prise en charge par l’enfant placé au centre du dispositif. Ainsi en va-t-il également dans celui consacré à la Grèce, avec une nouvelle identification de lui-même par le sujet photographié :

Périclès ? Mon nom t’étonne peut-être ? Et pourtant il est aussi habituel en Grèce que Pierre ou Paul en France. J’habite le petit village d’Arakhoba, non loin de Delphes, sur la route qui conduit à Thèbes. Dominées par une tour au toit aplati, les maisons blanches s’étagent au versant de la colline.
J’habite tout en haut du pays avec mes parents et mon frère Dimitrios. Nous sommes photographiés, tous les deux, sur la page de couverture. Dimitrios est à gauche sur la photo. Nous nous amusions beaucoup, ce jour-là, parce que nous avions mis, pour toi, notre costume national[27].

Ressemblant à bien des égards à des lettres de correspondants étrangers, ces incipit donnent le la de volumes qui, en réalité, se bornent à gommer une strate énonciative, celle de l’autrice/narratrice. Cette dernière, dans les volumes qui n’obéissent pas à cette amorce corroborant la formule titre — elle est par ailleurs la plus fréquente au sein de la collection —, délègue constamment la parole relative à son pays à l’enfant dont le nom figure dans le titre du livre. Cette recherche de proximité entre le lecteur et son alter ego étranger trouve une autre déclinaison encore dans l’ouvrage consacré à Israël en se plaçant sous le signe de l’amitié, et de ce qu’elle peut permettre en termes d’apprentissage. Dans un ouvrage qui revêt, comme l’ensemble des portraits de ce pays à cette époque, une forte charge de légitimation de l’existence du tout jeune État[28], Dan va tenir lieu de guide à Patrice, qui, en tant que Français, occupe au sein du livre une fonction analogue à celle du lecteur.

Dan et Patrice regardent, dans le port d’Haïfa, un grand bateau, le « Theodor Herzl ». Dan est Israélien. Patrice arrive de France. Il a tout à apprendre de son nouvel ami[29].

Tout se passe comme s’il s’agissait de motiver les connaissances et préoccupations de nature parfois peu enfantine que dispensent ces guides en culottes courtes. Ainsi, les premiers mots d’En Espagne avec José rapportent l’échange de ce dernier avec Philippe et Odile. Leur jeune hôte, bien décidé à remplir sa mission, administre une leçon d’étymologie à ces « deux Français de douze et quatorze ans qui visitent l’Espagne et écoutent avec joie les explications de José », en leur indiquant que « Pamplona, ou Pampelune, existait à l’époque romaine et elle doit son nom à Pompée[30] ». Et José de poursuivre : « Au viiie siècle […], Charlemagne aida les Navarrais à chasser les Maures. […] En 1521, c’est à Pampelune, au cours d’un siège, que fut blessé Ignace de Loyola. » Devant tant de connaissances, formulées à travers une rhétorique de manuel d’histoire, l’un des interlocuteurs français de José manifeste un bien légitime étonnement :

– Bravo Joselito, s’écrie Philippe, comme tu es savant ! As‑tu appris par coeur l’histoire d’Espagne ?
José rit gentiment.
– Avant votre arrivée, avoue-t-il, j’ai beaucoup travaillé. Je voulais vous faire bien connaître mon pays[31].

À l’évidence, le projet de la collection consiste à portraiturer ces pays à l’attention d’enfants relativement jeunes, qui ne semblent pas avoir encore acquis de connaissances fermes en ces matières. Le tout manifeste un souci de savoirs de facture passablement scolaire, dont on doute tout de même un peu qu’il puisse réellement correspondre à la teneur de préoccupations enfantines en dehors de tout cadre pédagogique. En réalité, si dans la narration ils demeurent présents tout au long du livre (hormis dans la dernière page informative), en revanche, sauf dans les volumes consacrés à l’Australie et, dans une moindre mesure, au Portugal, les enfants chargés de ces récits disparaissent parfois presque complètement des images présentées, tout se passant comme s’il s’agissait de mettre l’accent non sur eux, mais bien plutôt sur le pays dont il est question à travers eux (figures 11 à 14).

Figure 11

Colette Nast, Au Portugal avec Carlito, Paris, Hatier, coll. « Connais‑tu mon pays », 1960, n. p.

-> See the list of figures

Figure 12

Colette Nast, Au Portugal avec Carlito, Paris, Hatier, coll. « Connais‑tu mon pays », 1960, n. p.

-> See the list of figures

Figure 13

Colette Nast, En Grèce avec Périclès, Paris, Hatier, coll. « Connais-tu mon pays », 1961, n. p.

-> See the list of figures

Figure 14

Colette Nast, En Grèce avec Périclès, Paris, Hatier, 1961, coll. « Connais-tu mon pays », n. p.

-> See the list of figures

Le fait est que ces livres, dont les textes ont tous été écrits par la même autrice, et dont les photographies sont présentées comme ayant été « prises d’après le texte de : Colette Nast », demeurent sous-tendus par un point de vue adulte, en dépit d’une scénographie énonciative qui s’emploie à se situer « à hauteur d’enfant », selon l’expression consacrée. Mais si certains volumes délèguent bien la voix narrative aux jeunes hôtes qui incarnent leur pays, le point de vue adulte ne s’estompe jamais qu’en apparence. Outre que Colette Nast demeure l’autrice des textes, elle ne cesse de mettre en scène dans ces récits des relations de transmission de connaissances d’adultes vers les enfants, qu’il s’agisse de leurs parents ou de figures d’enseignants.

Une ventriloquie en couleurs

En vertu de sa position particulière dans le champ de la production éditoriale et des pratiques de lecture, la littérature jeunesse est tenue de naviguer entre les impératifs de l’éducation et de la récréation, pour reprendre les deux piliers sur lesquels une part de l’édifice éditorial de Pierre-Jules Hetzel s’est édifiée au xixe siècle. S’agissant des portraits de pays destinés à de jeunes lecteurs, la dimension documentaire du genre induit une inclination éducative prononcée. Il n’en reste pas moins que, comme souvent dans le cadre de catégorisations qui paraissent en opposition, il s’agit pour les auteurs de ce type d’ouvrages de conjuguer les injonctions en jeu de façon aussi harmonieuse que possible. Ces productions sont à cet égard incitées à répondre à une demande d’éducation sans trop réduire la dimension de récréation, tout se passant comme si l’idéal du genre, s’agissant de ce type de public, se devait de résoudre la tension possible (ou simplement supposée) entre les attentes prêtées aux enfants et celles qui sont attribuées à leurs parents ou éducateurs.

En l’occurrence, Colette Nast signe dans « Connais-tu mon pays » des volumes qui s’inscrivent pleinement dans les visées du portrait de pays, à une époque qui est à la fois celle du développement du tourisme de masse et celle de la démocratisation de l’accès à la culture en Europe occidentale. La collection propose des récits dont la dimension narrative semble essentiellement un prétexte ou un alibi au service d’une démarche portraitiste à vocation, en réalité, principalement documentaire. Sur le plan de la mise en scène des populations locales, dès l’entame des livres, l’enfant qui fait les honneurs de son pays se trouve présenté sous une forme qui s’assimile à un portrait ou à un autoportrait condensé. Mais, bien évidemment, la population en jeu ne se réduit pas à ce personnage, peu représentatif de l’intégralité d’une société, ne fût-ce que du fait de son âge. Afin sans doute d’élargir la représentativité des personnages présentés, les enfants de « Connais-tu mon pays » le sont avec les membres de leur famille.

Dans cette collection, le modèle de la cellule familiale (avec un prototype constant : papa, maman et leurs enfants) sous-tend l’appréhension de la population du pays dans son intégralité, en vertu d’un caractère représentatif jamais explicitement affirmé, mais plutôt sous-entendu. Les activités professionnelles et domestiques des uns et des autres constituent à cet égard le levier par lequel la narration documentaire fait prendre connaissance d’un certain nombre d’habitudes de vie locales, de la confection de l’huile d’olive en Grèce (figure 15) à la tonte des moutons en Australie (figure 16) ou aux danses traditionnelles en Israël (figure 17).

Figure 15

Colette Nast, En Grèce avec Périclès, Paris, Hatier, coll. « Connais-tu mon pays », 1961, n. p.

-> See the list of figures

Figure 16

Colette Nast, En Australie avec Christopher, Paris, Hatier, coll. « Connais-tu mon pays », 1961, n. p.

-> See the list of figures

Figure 17

Colette Nast, En Israël avec Dan, Paris, Hatier, coll. « Connais-tu mon pays », 1964, n. p.

-> See the list of figures

Cette transmission de connaissances prend corps à travers l’évocation de relations de transmission de savoirs des adultes vers les enfants. Ainsi du père et de la mère du petit Hans (même si, au passage, le père dispense son savoir à son épouse) :

– Savez-vous, demande papa, quelles sont les trois caractéristiques de la Hollande ?
– Les canaux, les bicyclettes et les moulins, dit maman en riant.
– Très juste[32].

Cette attention à la transmission des adultes aux enfants détermine également celle de la connaissance de leur histoire nationale par ces derniers. Ainsi Christopher interroge-t-il son père concernant les figures importantes de l’histoire australienne :

– Quels sont les grands hommes qui ont fait la fortune de notre pays ?
– Cook, le gouverneur Philipp, John Mac Arthur qui venait d’Écosse, Edward Hammont Hargraves qui trouva une pépite d’or.

Et plus loin :

L’Australie est une jeune nation, la plus jeune du monde. En 1642 Abel Tasman, chef d’une expédition hollandaise, atteignit la « Terra Australia Incognita », il traversa la grande baie australienne et mit pied à terre sur une île que nous appelons, à cause de ce vaillant marin, Tasmanie.
En 1770 James Cook, commandant du navire l’Endeavour, atteignit Botany Bay, sur la côte est de la Nouvelle Galles du Sud près du lieu où se trouve actuellement Sydney, notre capitale. Autour de ce port naturel s’étendaient des prairies vertes, des montagnes boisées[33].

L’histoire telle qu’elle est livrée dans ces ouvrages n’est cependant nullement toujours aussi distanciée de la vie des protagonistes. À de multiples reprises, Colette Nast ne laisse pas de mettre en évidence son caractère personnel, comme lorsqu’elle évoque les cours suivis par Giovanni et ses camarades, originaires de la bourgade de Sperlonga, ou lorsque leur enseignant relate le passé de leur village : « Sperlonga a dû se défendre autrefois contre les pirates et ce sont les pêcheurs qui ont pris les armes pour les repousser. Tonio et Giovanni relèvent la tête tout fiers d’être fils et petits-fils de pêcheurs[34]. » Autre cours d’eau, mais aspiration à s’inscrire fièrement dans une lignée analogue s’agissant de Hans et de la péniche sur laquelle il vit avec sa famille et se déplace durant le récit à la faveur duquel le jeune garçon présente son pays, la Hollande :

À l’arrière de notre bateau, notre drapeau national rouge, blanc, bleu claque dans le vent. J’ai de la joie au coeur en le regardant. […] Je songe au jour où je serai, moi aussi, Hans Zandvoort, le patron d’une péniche, où je continuerai l’aventure de mes ancêtres, ces Hollandais courageux qui jour après jour, pendant des siècles ont lutté contre la mer pour maintenir et agrandir leur patrie[35].

Activant le trope de neutralisation de l’historicité fréquent dans les portraits de pays pour adultes, notamment dans une mise en valeur des attraits d’une contrée pour le tourisme culturel, une telle conclusion affiche une continuité supposée entre le passé et le présent[36] qui constitue le ressort de la relation entre enfants et adultes dans ces livres. La fonction de guide qu’incarnent pour leurs jeunes lecteurs les enfants placés au centre de ces récits prend parfois corps à travers une figure effective de guide. Ainsi, dans le volume consacré à la Grèce, par un hasard bien fait, « Nikos Siamêtrou », le père du jeune Périclès, « est chauffeur d’un autocar de Delphes et transporte des étrangers en excursion à travers la Grèce. Il les conduit à Athènes, à Corinthe, à Olympie… », ce qui permet à son rejeton de connaître et de pouvoir dépeindre certaines des réalités de son pays, d’un intérêt touristique essentiellement, à la faveur des connaissances que lui a transmises son père.

Le soir, il me raconte ses voyages. Il connaît toute l’histoire ancienne et j’aime l’entendre raconter les aventures d’Ulysse ou me parler des travaux d’Hercule.
Parfois je pars avec lui. Ainsi, la semaine dernière j’ai visité cette église de style byzantin qui se trouve sur la route d’Athènes à Delphes.
L’art byzantin est un art chrétien qui date des premiers siècles après J.C. Il se caractérise par des églises à coupoles, comme celles que vous voyez sur la photo[37].

S’écartant du discours à la première personne qui régit l’essentiel du texte, cette brusque bascule de l’évocation des relations avec son père à un discours affichant les signes de l’érudition va de pair avec l’adoption d’un ton quelque peu professoral qui paraît relever de celui du Guide bleu. Elle correspond au projet affiché par la collection, mais sied tout de même peu à un enfant de l’âge de celui qui figure sur les photographies du livre. Elle a beau être motivée par les récits du père évoqués par son fils, on ne peut s’empêcher d’admirer les facultés vulgarisatrices de ces enfants qui se font historiens en herbe, d’une façon si peu naturelle que l’autrice éprouve manifestement la nécessité de justifier ces connaissances… Il en va de même s’agissant de Peter, qui explique, dès la seconde page du récit, que « [s]on père, Médard Bumann, est guide. Il aime la montagne. Il la connaît. C’est le meilleur guide de la région[38] », tout comme le père de Christopher qui, s’il n’est pas guide à proprement parler, se révèle un puits de connaissances en raison de sa fréquentation d’une école durant son enfance :

– Quels sont les grands hommes qui ont fait la fortune de notre pays ?
– Cook, le gouverneur Philipp, John Mac Arthur qui venait d’Écosse, Edward Hammont Hargraves qui trouva une pépite d’or.
– Comment sais-tu tout cela, papa ?
Mon père éclate de rire devant mon cri d’admiration. « J’ai été à l’école, à Sydney, pendant des années et j’ai eu un bon maître qui m’a appris à connaître mon pays. Toi, Christopher, sais-tu autre chose que conduire les tracteurs et trier la laine ? Voyons, dis-moi d’où vient le nom d’Australie? » Je réponds très vite. « D’un mot latin “auster”, qui signifie vent du sud. Littéralement, l’Australie est donc le pays du Sud. » — « Bien Christopher [39]! »

Les motivations des connaissances exposées dans les livres de « Connais-tu mon pays » sont parfois enracinées dans des relations un peu moins personnelles, qui relèvent du contexte scolaire local, maintes fois mis en scène dans les livres de Colette Nast. Ainsi en va-t-il des petits Italiens présentés dans En Italie avec Giovanni, qui sur les bancs d’école apprennent l’histoire glorieuse de leur pays (figure 18) :

Voici la classe de Giovanni. Il est assis au troisième rang à côté de Tonio. Il porte sur sa blouse noire un noeud élégant aux trois couleurs nationales, vert, blanc et rouge.
Tous les garçons écrivent avec application. Leur maître, Mr. Olivieri, leur raconte l’histoire merveilleuse de l’Italie alors que Rome dirigeait le monde. […]
Lorsqu’on veut comprendre la vie de nos ancêtres, explique Mr. Olivieri, il faut visiter Pompéi et Herculanum […][40].

Figure 18

Colette Nast, En Italie avec Giovanni, Paris, Hatier, coll. « Connais‑tu mon pays », 1960, n. p.

-> See the list of figures

De manière générale, les enfants fort savants mis en scène dans ces livres ne cessent de renvoyer à des figures d’adultes, dont ils tiennent leur savoir ou qui le valident, qu’il s’agisse de membres de la sphère familiale (le père le plus souvent) ou de l’environnement scolaire. Ce dernier est presque systématiquement présenté à un moment ou à un autre de ces volumes, par exemple au sujet du jeune Australien Christopher, qui suit les cours à distance (« Quand mes devoirs sont finis, je les envoie à l’école par correspondance en les glissant dans cette boîte où je les retrouve quelques jours après, corrigés[41] »), ce qui permet de mesurer la conformation géographique du pays et les contraintes qu’elle impose à ses habitants, ou encore s’agissant de Peter, qui a la chance d’assister à « la classe » de « Mr Otto […], toujours vivante » (figure 19) :

Il a fait ses études à Sion et il nous parle souvent des villes qu’il a visitées. Les cours de géographie surtout m’enchantent : nous avons chacun une carte sous les yeux et nous devons découvrir nous-mêmes les noms des montagnes et des villes des cantons[42].

Figure 19

Colette Nast, En Suisse avec Peter, Paris, Hatier, coll. « Connais-tu mon pays », 1960, n. p.

-> See the list of figures

À l’instar des jeunes lecteurs de ces livres, qui disposent, eux aussi, d’une carte des pays que chaque volume de la collection les invite à découvrir… De ce point de vue, que ces livres, façonnés de façon à répondre à certaines attentes convergeant avec l’apprentissage scolaire et certaines de ses catégories coutumières, semblent y avoir à l’occasion trouvé place, ne surprend nullement. En témoigne l’un des volumes recueillis pour mener à bien cette étude, celui sur l’Espagne : il porte sur la deuxième de couverture, au niveau de la carte du pays, une mention au crayon « S.C. La Perverie Cl. Elémentaire », école fondée à Nantes en 1838 et désormais un lycée (figure 20).

Figure 20

Colette Nast, En Espagne avec José, Paris, Hatier, coll. « Connais-tu mon pays », 1963.

-> See the list of figures

Une collection à vocation pédagogique

Comme d’autres ouvrages de ce type, les volumes de « Connais-tu mon pays » conjuguent une ambition documentaire et un dispositif narratif fictionnel qui met en scène de jeunes enfants dont la fonction de guide sous-tend le geste de portraiture. Dans le paysage des collections de portraits phototextuels de pays destinées aux jeunes lecteurs qui lui sont contemporaines, les albums publiés par Colette Nast chez Hatier se singularisent non seulement par l’adoption de la couleur pour leurs images — ce qui n’était pas le cas, par exemple, d’« Enfants du monde » qui privilégiait le noir et blanc —, par le fait qu’ils sont signés d’une seule autrice – Colette Nast, alors que la plupart des collections de ce type font appel à différents auteurs –, par la relative brièveté d’existence de la collection (1964-1969) — comparativement, encore une fois, à une collection comme « Enfants du monde » (1952-1975) —, mais aussi et surtout par leur manière de faire passer le portrait par la mise en scène de moments d’apprentissage, les connaissances paraissant constituer la principale finalité de ces livres.

Bien qu’ils mettent en avant des figures enfantines dont la fonction est de requérir l’attention des lecteurs en leur tendant un miroir, ces volumes portent la marque des préoccupations pédagogiques de leur autrice, Colette Nast. Cette dimension pédagogique — en vertu de laquelle le caractère narratif de ces livres est subordonné à la finalité descriptive et foncièrement documentaire qui sous‑tend la collection — se trouve parfois prise en charge par l’enfant qui tient lieu de guide à ses amis français, qu’ils soient eux-mêmes enfants ou qu’il s’agisse de Colette Nast elle-même. Mais elle se trouve, plus encore, placée au coeur du propos de façon récurrente à travers la mise en scène de relations de transmission de connaissances entre enfants et adultes, leurs parents en première instance, mais aussi leurs professeurs, à la faveur de l’évocation, par les textes aussi bien que par les images, du contexte scolaire dans lequel certains de ces jeunes enfants se trouvent eux-mêmes placés et qui n’est pas sans recouper la relation que ces livres tendent à instaurer avec leur jeune lectorat.