De façon ponctuelle ou plus durable, individus et groupes humains se sont de tout temps déplacés, mus par le désir ou la nécessité de découvrir le monde qui les entourait. Depuis deux siècles au moins, cet attrait pour les périples et l’ailleurs n’a pas manqué de se décupler, à la faveur des transformations des conditions de transport et du développement des industries ferroviaire, automobile et aéronautique. Ainsi le voyage a-t-il touché de plus en plus de monde, parallèlement au développement du tourisme de masse, dans le monde occidental tout d’abord. Et s’il est vrai que tout le monde ne partage pas nécessairement cette curiosité pour l’ailleurs au point d’aller effectivement y voir (ou n’est pas en mesure d’assouvir ce désir), il est toujours loisible de découvrir le monde en passant par la profusion de représentations dont il a fait l’objet. Variées, dans leurs formes (écrites, orales, iconographiques…) comme dans leurs finalités, elles peuvent tenir lieu du voyage, mais aussi le préparer, en renseignant au sujet des contrées à visiter, ou encore permettre de se le remémorer. Bien connus, récits et journaux de voyage ont au cours des siècles permis à bien des lecteurs de découvrir telle ou telle partie du monde par procuration, sans qu’ils aient à se lever de leur fauteuil. Mais il est un autre genre, tout aussi ancien sans doute que les relations viatiques, et qui a contribué à la connaissance des lieux. Le portrait de pays ou de ville se veut essentiellement descriptif. Il ne consiste pas en un récit, pas plus qu’il ne se concentre sur des indications pratiques pour les voyageurs, à l’instar du guide moderne. Il se donne plutôt pour mission de faire connaître des lieux déterminés, de cerner leur identité, et éventuellement de favoriser le désir de les découvrir, en dépeignant non seulement l’apparence géographique de pays, régions ou villes, mais aussi les réalisations humaines qui contribuent à leur physionomie (monuments, architecture vernaculaire, aménagement du territoire…), ainsi que les modes de vie, us et coutumes de leurs habitants, tous ces éléments donnant, avec d’autres, également accès à l’histoire des lieux ainsi portraiturés, sous diverses formes, parmi lesquelles le livre. Au sein de l’écosystème des représentations du monde et des genres qui se répartissent le domaine de la littérature viatique au sens large, le portrait de pays, forme relativement simple au premier abord, a longtemps échappé aux nomenclatures génériques. Tout se passe comme s’il se situait dans un angle mort des cartographies génériques en la matière, comme s’il se trouvait pris en écharpe par d’autres genres, mieux connus — le récit de voyage sous ses différentes formes et les guides touristiques en particulier —, avec lesquels il a été et demeure fréquemment confondu, et qui lui ont longtemps ôté toute visibilité et toute possibilité d’être identifié et décrit. Cette méconnaissance du genre est d’autant plus surprenante que le portrait de pays semble aussi remarquablement ancien qu’éminemment diversifié, dans ses formes et dans ses finalités, et omniprésent dans la palette de nos représentations des territoires, composée de genres plus clairement identifiés. Sans doute est-ce en raison même de sa banalité et de son apparente simplicité que le portrait de pays semble n’avoir guère retenu l’attention et être demeuré méconnu comme tel, aussi bien auprès de ceux qui s’y sont livrés et en ont produit qu’auprès du monde de la recherche, qui n’a pas perçu la spécificité du genre. S’agissant des auteurs et des autrices de portraits de pays, cette méconnaissance peut s’expliquer en ce qu’elle ne leur est pas absolument nécessaire, car ils et elles disposent à l’évidence d’une « raison pratique » qui …
Portraits phototextuels de pays (xixe-xxie siècles). Généalogie et mutations d’un genre polymorpheIntroduction[Record]
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David Martens
Université de Louvain — KU Leuven