
Mémoires du livre
Studies in Book Culture
Volume 12, Number 2, Fall 2021 Refuser d’oublier. Dans un monde d’hommes. Femmes, archives et histoire de l’imprimé Refusing to Forget. Amongst Men. Women, Archives and Studies in Print History Guest-edited by Marie-Pier Luneau and Marie-Andrée Bergeron
Table of contents (12 articles)
Propositions
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De la travailleuse de l’ombre à la femme d’exception : réflexion sur la présence des femmes dans l’histoire du livre au Québec
Josée Vincent
pp. 1–21
AbstractFR:
Le Dictionnaire des gens du livre au Québec comprend près de 400 notices, dont une cinquantaine sont consacrées à des femmes. Dans le cadre de cet article, le corpus des femmes est analysé afin de rendre compte de leur présence et de montrer les conditions dans lesquelles elles ont évolué. L’analyse porte sur les caractéristiques socioprofessionnelles, soit l’âge, le lieu de naissance, le milieu familial, le niveau de scolarité, le statut civil, le nombre d’enfant, les seconds métiers et les fonctions qu’elles remplissent dans le monde du livre, auxquelles s’ajoutent quelques considérations concernant les communautés religieuses. L’article se termine par une réflexion sur les critères et les sources mobilisées dans le cadre de ce projet, et sur de nouvelles perspectives de recherche sur les femmes du livre.
EN:
The Dictionnaire des gens du livre au Québec consists of almost four hundred entries, about fifty of which are devoted to women. In this article, the corpus of women is analyzed in order to account for their presence and to reveal the conditions in which they evolved. The analysis focuses on socio-professional characteristics, namely age, place of birth, family milieu, level of schooling, marital status, number of children, secondary occupations and functions that they fulfilled in the world of the book, in addition to some considerations regarding religious communities. The article ends with a reflection on the criteria and the sources that were called upon within the framework of this project, and on new research perspectives on women of the book.
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La contribution de Joséphine Marchand et de L’Oeuvre des livres gratuits à la lecture publique au Québec : une analyse féministe
Marie D. Martel
pp. 1–27
AbstractFR:
Les études menées pour mettre en lumière l’héritage des femmes à la bibliothéconomie québécoise ont récemment permis de révéler dans ses marges une autre trame historique : celle de l’émergence de services pour les publics jeunesse. L’étude actuelle s’intéresse à la contribution de pionnières de ce secteur telle que Joséphine Marchand dont l’engagement en lecture publique, par le biais de l’Oeuvre des livres gratuits, puise dans des idéologies en tension au sujet de la place des femmes dans la société, leur rôle dans le développement de l’éducation, le souci des enfants, les normes culturelles liées à certains genres littéraires et la place de la censure.
EN:
Studies carried out to shed light on the heritage of women in Quebec librarianship have recently revealed another historical thread in its margins: that of the emergence of services for young audiences. The current study focuses on the contribution of pioneers in this sector such as Joséphine Marchand, whose engagement in public reading, through the Free Books Work, draws on ideologies in tension about the place of women in society, their role in the development of education, concern for children, cultural norms linked to certain literary genres and the place of censorship.
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Signer, négocier, publier. Le travail souterrain des autrices de la collection « Le Roman canadien » des Éditions Édouard Garand (1923-1926)
Caroline Loranger
pp. 1–24
AbstractFR:
Durant l’entre-deux-guerres, les Éditions Édouard Garand développent le créneau du roman populaire à diffusion de masse avec la collection « Le Roman canadien ». La maison d’édition lance de fréquents appels à manuscrits inédits auxquels répondront un grand nombre de femmes. L’étude des correspondances de la maison d’édition pour la période 1923-1926 permet d’interroger la posture de ces autrices, qu’elles soient finalement publiées ou non, et met au jour l’important travail de négociation réalisé par ces femmes lors de la signature des contrats d’édition et de leurs pourparlers avec Édouard Garand.
EN:
During the interwar period, Édouard Garand developed the niche of popular novels for mass distribution with the "Le Roman canadien" collection. The publishing house launched frequent calls for unpublished manuscripts, to which a large number of women responded. The study of the correspondence of the publishing house for the period 1923-1926 allows us to question the position of these women authors, whether or not they were finally published, and brings to light the important work of negotiation carried out by these women during the signing of publishing contracts and their negotiations with Édouard Garand.
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« Au final, je me suis bien amusée » : Claire Martin, présidente de la Société des écrivains canadiens
Catherine Parent
pp. 1–19
AbstractFR:
Reconnue en tant qu’écrivaine et traductrice, aucune étude ne s’est encore penchée sur la participation de Claire Martin à l’histoire du livre au Québec. Cet article retrace la trajectoire de la présidence de Claire Martin à la Société des écrivains canadiens de 1962 à 1964. Plus spécifiquement, l’analyse des archives qui témoignent du mandat de l’autrice permet de mettre au jour les façons par lesquelles le contexte particulier du milieu du livre des années soixante et le genre sexué de l’écrivaine influencent sa présidence.
EN:
Recognized as a writer and translator, no study has yet looked at Claire Martin's participation in the history of the book in Quebec. This article traces the trajectory of Claire Martin's presidency at the Society of Canadian Writers from 1962 to 1964. More specifically, the analysis of the archives of the Society reveals the ways the particular context of the mid-sixties book and the gender of the writer influence her presidency.
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« Désormais, nous parlons et nous écrivons pour nous‑mêmes » : la prise de parole autochtone dans Kanatha (1974‑1977)
Élise Couture‑Grondin and Marie‑Hélène Jeannotte
pp. 1–34
AbstractFR:
Durant les années 1970, alors que s’opèrent un développement culturel et une mobilisation politique importante dans le monde autochtone, des centaines de périodiques autochtones voient le jour. Kanatha, une de ces revues autogérées, est créée en 1974 comme l’organe du Centre socio‑culturel amérindien Kondiaronk au Village‑Huron (Wendake). En opération jusqu’en 1977, Kanatha, fera paraitre sept numéros. La fondatrice du Centre et de la revue, Éléonore Sioui, femme‑médecine, écrivaine et activiste wendat, devenue docteure en philosophie et spiritualité amérindienne en 1988, vise ainsi à rejoindre les communautés autochtones du pays pour les conscientiser sur les enjeux politiques, sociaux et culturels qui les concernent. Comment s’inscrit l’histoire de Kanatha en lien avec la trajectoire de Sioui comme femme wendat? Kanatha a misé sur la prise de parole politique, l’auto‑représentation et la résurgence des cultures autochtones, et nous offrent une fenêtre sur les visions décoloniales de l’époque.
EN:
During the 1970s, in the context of First Peoples’ cultural development and political mobilization, hundreds of Aboriginal periodicals were created. Kanatha, one of these self‑managed journals, was created in 1974 as the organ of the Kondiaronk Amerindian Socio‑Cultural Centre in Village‑Huron (Wendake). In operation until 1977, Kanatha will publish seven issues. The founder of the Centre and of the magazine, Éléonore Sioui, a Wendat healer, writer and activist, who became a doctor of philosophy and Amerindian spirituality in 1988, thus aims to reach the country's Aboriginal communities in order to raise their awareness about the political, social and cultural issues that concern them. How does the history of Kanatha relate to Sioui's trajectory as a Wendat woman? Kanatha focused on political voice, self‑representation, and the resurgence of Indigenous cultures, and provide a window into decolonial visions of the time.
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Une collaboratrice en crinoline dans un monde de pantalons. Parcours et contributions de Georgiana Charlebois à la presse des années 1860-1870
Julie Roy
pp. 1–32
AbstractFR:
Georgiana Charlebois signe, sous le pseudonyme de Graziella, ses premiers billets dans le Le Nord, Le Messager de Joliette et le Courrier de Saint Hyacinthe au milieu des années 1860. Dans les années 1870, elle apparaît sur la liste des collaborateurs de L’Album de la Minerve et du Foyer domestique et publie également dans La Gazette d’Ottawa. Bien connue dans le milieu littéraire et celui de la presse, son nom a aujourd’hui disparu de l’histoire littéraire. Cet article propose une exploration de son parcours, de ses écrits et de son impact sur le milieu de l’édition et plus largement sur le phénomène des premières collaboratrices de la presse dans les années 1860 et 1870. Comment Georgiana Charlebois a t elle fait sa place dans cet univers masculin? Quelle est la nature de sa contribution? Quelle incidence son parcours a‑t‑il eu sur ses consoeurs et celles qui viendront créer des pages et des journaux féminins au cours des décennies subséquentes?
EN:
In the mid‑1860s, Georgiana Charlebois signed her first contributions to Le Nord, Le Messager de Joliette and Le Courrier de Saint Hyacinthe under the pseudonym “Graziella.” In the 1870s, she appeared on the list of contributors to L’Album de la Minerve and Le Foyer Domestique and also published occasionally in La Gazette d’Ottawa. Well known in literary circles and in the press, today her name has disappeared from literary history. This article explores her career, her writings and her impact on the literary milieu and, more generally, on the phenomenon of official collaborators of the press in the 1860s and 1870s. We look beyond Charlebois’ obvious privileging of a particular female culture in her writings and examine the role played by women in periodicals during these pivotal years for women’s literary history in Québec. How did Georgiana Charlebois carve out a place for herself in this masculine universe? What is the nature of her contribution? What impact did her career have on those women who would create women’s pages and feminine newspapers in subsequent decades?
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Typique et exceptionnelle : Odette Oligny et la place des femmes dans la presse canadienne‑française (1922-1962)
Marie-Andrée Bergeron and Jean‑Philippe Warren
pp. 1–37
AbstractFR:
Le présent article vise à explorer la situation des femmes journalistes avant la Révolution tranquille à partir du cas à la fois typique et exceptionnel d’une figure encore très peu étudiée, celle de la journaliste Odette Oligny (1900‑1962). Il s’agira de montrer que les chemins escarpés qu’elle a dû gravir ne l’ont pas empêchée ni de faire du journalisme une carrière ni de formuler en filigrane de ses textes un propos parfois assez progressiste sous des dehors plutôt convenus. En tant qu’actrice importante du champ journalistique et plus largement médiatique de son époque, Oligny est intéressante en ce qu’elle tente de négocier une ligne mouvante entre les sujets et les attitudes discursives acceptables pour les femmes et ceux qui ne le sont pas (en termes de rhétorique ou d’éthos, ainsi que de style et de ton). Notre contribution combine une analyse du champ journalistique montréalais à l’époque où Oligny vécut, une analyse de la trajectoire professionnelle de celle ci, de même qu’une brève étude de sa conception des « pages féminines » et de la place de la femme en société.
EN:
Our article studies the situation of women journalists before the Quiet Revolution. We focus on Odette Oligny (1900‑1962), an at once typical and exceptional but to date relatively unexamined case. Our aim is to show that the obstacles she had to overcome did not prevent her from making a career out of journalism, nor from formulating, in a more or less subtle way, sometimes quite progressive and bold statements under a rather conventional guise. As a major player in the journalistic and broader media field of her time, Oligny is interesting in that she attempted to negotiate a shifting line between which topics and discursive attitudes were acceptable for women and those which were not (in terms of rhetoric or ethos, as well as style and tone). Our contribution combines an analysis of the Montreal journalistic field during Oligny’s lifetime, an analysis of her professional trajectory, and a brief study of her conception of the “women’s pages” and of women’s place in society.
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Par des femmes pour des femmes. Se dévouer mais aussi survivre : Françoise Gaudet‑Smet et la revue Paysana (1938‑1949)
Valérie Bouchard and Jocelyne Mathieu
pp. 1–27
AbstractFR:
Constatant le peu d’attention accordé aux femmes rurales dans les revues et les journaux et motivée par la lettre d’une agricultrice, Françoise Gaudet-Smet lance en 1938 la revue Paysana. Cette revue, destinée à ces femmes est aussi essentiellement portée par des femmes. Or, dans le monde de l’imprimé où les hommes demeurent majoritaires, Françoise et ses collaboratrices doivent redoubler d’efforts pour assurer le succès de la revue : il faut se dévouer, mais aussi survivre. Cet article explore les stratégies ayant permis la création, la diffusion et la survie de Paysana. Il aborde, à partir des revues elles-mêmes, l’apport de proches collaboratrices de même que l’esprit de communauté qui se développe en ses pages et qui s’étend au lectorat de Paysana. Il s’intéresse également à la manière dont Françoise Gaudet-Smet cherche à assurer un revenu à son entreprise, malgré la volonté d’aider qui la guide dans ce projet comme ailleurs.
EN:
After witnessing how magazines and newspapers paid little regard to rural women and confronted by a letter from a reader, Françoise Gaudet-Smet launches, in 1938, her new magazine, Paysana, with them in mind. Intended for women, this publication was also created and supported by women. In the publishing world, however, where men remain in power, Françoise and her team must overcome extra challenges in order to keep the magazine afloat, striking the right balance between devotion and survival. This article explores the strategies that supported Paysana’s creation, diffusion and survival as reflected in the magazine itself. It examines how close contributors helped sustain the magazine as well as the sense of community that developed among its readers. It also analyses how Françoise Gaudet-Smet seeks to ensure the magazine’s financial stability, despite being guided by a spirit of helping women in this project as in the whole of her career.
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« Ce n’est pas tous les jours qu’une étudiante a la chance d’écrire à un auteur » : lettres d’admiratrices et d’admirateurs dans les archives de Marie‑Claire Daveluy (1880-1968)
Louise Bienvenue
pp. 1–29
AbstractFR:
Le fonds d’archives de Marie-Claire Daveluy, conservé à Bibliothèque et Archives Canada (BAC), atteste de l’important rayonnement de cette femme de lettres et historienne, mais aussi du lien qui la rattachait à ses lecteurs et lectrices. Découvertes dans le fonds grâce à la précision du travail d’indexation archivistique, des lettres d’admirateurs et admiratrices permettent d’introduire la notion vedettariat dans l’analyse de cette trajectoire littéraire. Ces lettres, rédigées entre 1935 et 1966, donnent un rare accès à la voix des jeunes lecteurs et lectrices et favorisent une meilleure compréhension de leur rapport au livre et à la lecture. Dévoilant les motifs de l’admiration qu’on vouait à Daveluy, ce sous-corpus nous éclaire aussi sur les conditions de cristallisation de son vedettariat auctorial dans le contexte particulier des années 1940 où elle est présente dans différents médias de communication. Enfin, s’agissant de l’enjeu du genre, les lettres permettent d’entrevoir le travail d’identification des jeunes lectrices à cette demoiselle qui avait su se tailler une place dans un monde d’homme.
EN:
The Marie‑Claire Daveluy archives, held at Library and Archives Canada (LAC), attest to the important influence of this historian and woman of letters, but also to the bond that connected her to her readers. Discovered in the archives thanks to precise archival indexing, letters from admirers, both male and female, invite the idea of stardom into the analysis of her literary trajectory. Written between 1935 and 1966, the letters give rare access to the voice of young readers and contribute to a better understanding of their rapport with books and with reading. Revealing the reasons for the devoted admiration of Daveluy, this sub‑corpus also illuminates for us the conditions that enabled the crystallization of her auctorial stardom in the particular context of the 1940s, a time when she is present in various communication media. Finally, with regard to the issue of gender, these letters provide insight into ways young female readers identified with this unmarried woman who knew how to carve out a place for herself in a man’s world.
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« La plus adorable des éditrices » : Simone Bussières au service des lettres québécoises
Adrien Rannaud
pp. 1–29
AbstractFR:
L’article vise à faire le portrait des activités et stratégies d’une éditrice québécoise des années 1980, Simone Bussières, en lisant et en interprétant sa correspondance avec les écrivains et écrivaines qui figurent au catalogue de la collection littéraire « Le choix de… ». Avec cette collection, Bussières se donne pour objectif de rendre accessible à un lectorat étudiant et enseignant des oeuvres majeures de la littérature québécoise. Pour ce faire, elle demande à chaque écrivain ou écrivaine de sélectionner et d’ordonner les textes les plus représentatifs de sa production. À partir de l’analyse des lettres envoyées et reçues par la présidente des Presses laurentiennes, l’article montre que cette collaboration particulière entre Simone Bussières et des écrivains et écrivaines comme Félix Leclerc, Clément Marchand, Simone Routier et Benoît Lacroix se construit sur la base d’une amitié et d’une affection réciproques qui font le lit de l’éthique professionnelle de l’éditrice.
EN:
This paper draws a portrait of a Quebecois female publisher in the 1980s, Simone Bussières, by interpreting her correspondence with the writers related to the literary collection “Le choix de…”. With this collection, Bussières aims to make Quebecois masterworks accessible to students and school teachers. To do this, she asks writers to select and order the most representative texts of their work. Through content analysis of letters, the article demonstrates that this collaboration between Simone Bussières and writers such as Félix Leclerc, Clément Marchand, Simone Routier and Benoît Lacroix is established on the basis of a friendship and affection that is a work ethic for the publisher.
Varia
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Making Red Books: The Popular Collections of the Mexican Left (1934–1940)
Sebastián Rivera Mir
pp. 1–27
AbstractEN:
This article analyzes the mechanisms and methods that some Mexican leftist publishers used to build a market for their publications during the presidency of Lázaro Cárdenas (1934–1940). These publishers believed that the strategy of creating popular collections would allow them to acquire new readers, expand their catalogues, and professionalize the field of publishing. Following Roger Chartier, this paper reconstructs a part of Mexican publishing history that has seldom been addressed. I argue that the efforts of leftist publishers in this period explain the preponderance of Marxism in the Mexican publishing industry for most of the twentieth century.
FR:
Cet article propose une analyse des stratégies déployées par des maisons d’édition mexicaines de gauche, sous la présidence de Lázaro Cárdenas (1934-1940), afin de bâtir un marché pour leurs publications. Ces maisons comptaient développer un nouveau lectorat par la création de collections populaires et, ce faisant, enrichir leur catalogue, dans une optique de professionnalisation du champ de l’édition. Dans une démarche analogue à celle de Roger Chartier, nous nous intéressons à un pan de l’histoire de l’édition au Mexique peu exploré jusqu’ici. Nous soutenons que l’activité des éditeurs de gauche de l’époque permet de comprendre la place prépondérante du marxisme dans le monde de l’édition de ce pays durant une bonne partie du XXe siècle.