Que l’aventure entretienne un lien étroit avec le monde de l’imprimé, voilà l’évidence placée au coeur du Petit manuel du parfait aventurier (1920) de Pierre Mac Orlan. Le type que l’écrivain nomme l’« aventurier passif » est un lecteur et un romancier d’aventures; « c’est pour lui, pour lui seul, que cet ouvrage est écrit », précise Mac Orlan. L’aventurier passif oppose son imagination et sa fréquentation livresque des équipées dangereuses à l’aventure réelle de « l’aventurier actif », moins désirable. Intervenant au lendemain de la Grande Guerre, cette définition de l’aventure, en tant qu’imaginaire infiniment plus séduisant que la discipline militaire et que la réalité des morts sur les champs de bataille, donne forme, intuitivement, à ce que Sylvain Venayre a depuis décrit comme une « mystique moderne ». En effet, l’historien appuie son étude de l’aventure sur les sources imprimées qui l’ont « chantée ». Un tel projet relève de l’histoire culturelle, de l’histoire des sensibilités et des représentations. Son objet réside dans le « désir d’aventure » et repose sur les supports qui accompagnent son évolution. C’est en s’inscrivant dans cette filiation que le présent dossier se propose d’étudier l’imaginaire de l’aventure et du voyage en lien avec l’histoire de l’imprimé. Ce faisant, il s’agit de déceler les traces discursives, narratives et poétiques de l’aventure et du voyage dans une multiplicité de supports et de genres, du roman vernien aux rubriques d’un pulp américain. Mais il est également question d’étudier la circulation réelle des voyageurs et des imprimés dans l’espace atlantique, colonial, européen ou mondial, au gré des réseaux de communication, de transport et de commerce. Les articles qui suivent convient ainsi à une histoire double, celle, immatérielle, d’aventuriers de papier, et celle, matérielle, des trajectoires réelles de voyageurs et d’imprimés. Tissant entre elles ces deux dimensions, l’approche en termes de poétique du support, soit l’interrogation de la manière dont un support détermine les caractéristiques poétiques et génériques des textes et discours qu’il véhicule, donne corps aux modulations de l’imaginaire de l’aventure et du voyage. Au lien entre aventure et imprimé s’ajoute une seconde évidence, qui constitue le fil conducteur thématique de ce dossier : la prégnance du motif des moyens de transport dans l’imaginaire de l’aventure. Ceux-ci occupent une place de choix dans le roman d’aventures, laquelle s’accroît encore dans certaines de ses déclinaisons, comme le « roman de machines », où se croisent représentation des moyens de transport et anticipation technique. De manière générale, toute aventure est ponctuée par l’intervention des moyens de transport. Ils en marquent souvent le seuil; parfois, par voies de ballon, avion, dirigeable, sous-marin, radeau, navire à vapeur, train, automobile, etc., ils relient les péripéties romanesques. Pour les écrivains et médiateurs de l’aventure, que l’on pense aux romanciers populaires, aux voyageurs et reporters qui ont produit des récits de voyages, aux auteurs et éditeurs de guides et de périodiques destinés à accompagner les voyageurs, les moyens de transport constituent un motif attendu, un topos, un thème incontournable, voire l’emblème d’un monde fictionnel ou d’un média. Le moyen de transport forme même le noyau du fonctionnement discursif d’un imprimé comme le Journal de l’Atlantique, étudié par Joël Langonné : publié à bord d’un paquebot le temps de sa traversée, le journal est tout entier orienté par les conditions du voyage maritime qui en justifient l’existence. Parce qu’il conditionne le voyage, réel ou fictionnel, le moyen de transport est à la fois l’un des facteurs déterminant la production d’imprimés et l’un des motifs intervenant dans l’écriture de l’aventure. Il est lui aussi un objet double, matériel et immatériel. Si les caractéristiques techniques …
Appendices
Bibliographie
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- Pierre Mac Orlan, Petit manuel du parfait aventurier, Paris, Éditions de La Sirène, coll. « Les tracts », 1920.
- Jacques Noiray, Le romancier et la machine. L’image de la machine dans le roman français (1850-1900), tome ii, Jules Verne – Villiers de l’Isle-Adam, Paris, José Corti, 1982.
- Guillaume Pinson, « Milestones in the History of “Aerial Literature”: the Case of Air France Revue (1930-1970) », Nacelles. Passé et présent de l’aéronautique et du spatial, no 5, automne 2018 (à paraître). http://revues.univ-tlse2.fr/pum/nacelles/index.php?id=88.
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- Christophe Studeny, L’invention de la vitesse. France, xviiie-xxe siècle, Paris, Gallimard/NRF, coll. « Bibliothèque des Histoires », 1995.
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- Sylvain Venayre, La gloire de l’aventure : genèse d’une mystique moderne 1840-1950, Paris, Aubier, coll. « Historique », 2002.
- Sylvain Venayre, Panorama du voyage. 1780-1920, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Histoire », 2012.
- Sylvain Venayre, « “MM. les voyageurs sont invités à replacer la planchette et le journal à l’endroit qui leur est assigné dans la voiture” : la littérature de la route et le journal gratuit », Médias 19, dans Guillaume Pinson et Marie-Ève Thérenty (dir.), Les journalistes : identités et modernités, mis à jour le 17 mars 2017. http://www.medias19.org/index.php?id=22702.
- Robert Wohl, A Passion for Wings: Aviation and the Western Imagination, 1908-1918, Yale University Press, New Haven, 1994.