Les collections de monographies illustrées de poche. Une fabrique collective du patrimoine littéraire (xixe-xxie siècles)[Record]

  • Mathilde Labbé and
  • David Martens

Au cours du xixe siècle, le développement du modèle éditorial de la collection suit la dynamique du marché du livre, qui connaît plusieurs périodes d’essor. Dans ce contexte, le monde de l’édition français est notamment marqué par l’apparition de séries d’ouvrages consacrés aux écrivains. Qu’il s’agisse de biographies, de recueils de portraits ou encore d’essais critiques, l’iconographie, qui se répand grâce aux nouvelles techniques d’impression, y joue un rôle de plus en plus important, à la faveur, notamment, de l’essor du paradigme critique dit de « l’homme et l’oeuvre ». Ces collections sont partie intégrante d’une vaste dynamique d’extension du lectorat. Participant des formes nouvelles de la célébrité et de la visibilité des écrivains, elles contribuent activement à la fabrique d’un patrimoine littéraire fondé sur l’évocation de figures présentées comme admirables et qui se voient, de ce fait, dotées d’une existence censément durable dans l’espace social. Au fil du temps, ces séries se sont multipliées, du lancement des « Grands écrivains français » par Hachette (1887) à la collection « Les Singuliers » (Les Flohic, 2000), en passant par « Poètes d’aujourd’hui » (Seghers, 1944), « Visages d’hommes célèbres » (Pierre Cailler, 1946), « Connaissance des lettres » (Boivin, 1950), « Écrivains de toujours » (Le Seuil, 1951), au sortir de la Seconde Guerre mondiale, « La Bibliothèque idéale » (Gallimard, 1958), « Génies et réalités » (Hachette, 1959), les « Albums de la Pléiade » (Gallimard, 1960), « Écrivains canadiens d’aujourd’hui » (Fides, 1963), plus tardivement, et, récemment, « Qui suis-je? » (La Manufacture, 1985) ou encore « Les Contemporains » (Le Seuil, 1988). Si elles ont indéniablement marqué la médiation de la littérature et son histoire – en particulier ce qui concerne l’image des écrivains –, et en dépit du succès notable de plusieurs d’entre elles, ces séries constituent une niche encore relativement peu étudiée du champ éditorial. Pendant longtemps, et aujourd’hui encore pour une part, les ouvrages figurant au sein de ces ensembles ont été utilisés de façon exclusive comme des sources critiques. Le fait est bien normal, dans la mesure où c’est en tant que tels que ces livres ont été conçus. Ils n’ont en revanche guère été envisagés pour eux-mêmes, en raison de leur appartenance à ce que Pascale Delormas appelle « l’espace d’étayage », soit « la fabrique de l’image auctoriale » produite en dehors de l’espace de l’oeuvre, « au sein de tout l’interdiscours, c’est-à-dire, par exemple, des commentaires critiques qui la promeuvent ou la discréditent et qui donnent lieu à la reconnaissance collective dont l’oeuvre a besoin pour exister ». En l’espèce, dans la mesure où les études littéraires ont eu pour tradition, presque exclusive jusqu’à récemment, de focaliser leur attention sur les oeuvres proprement dites, qui relèvent de ce que Dominique Maingueneau a appelé l’« espace canonique », ces séries n’ont guère suscité, à quelques rares exceptions près, qu’un intérêt limité à des études ponctuelles, fréquemment centrées sur un ouvrage particulier. L’incontestable appartenance de ces collections à l’espace d’étayage n’est cependant pas aussi simple qu’il y paraît. Au cours du temps, leurs fonctions au sein de la critique se sont diversifiées, ainsi que leur teneur, leur format et le public auquel elles s’adressent. En vertu de leur finalité – inviter à lire un auteur en manifestant la valeur de son oeuvre –, ces livres s’emploient autant que possible à intégrer une certaine part de textes relevant de l’espace canonique. Certaines de ces collections font ainsi une large place à l’oeuvre envisagée, en proposant des « morceaux choisis », qui sont parfois les parties les plus développées des ouvrages, comme dans …

Appendices