Mémoires du livre
Studies in Book Culture
Volume 6, Number 1, Fall 2014 Diffuser la science en marge : autorité, savoir et publication, XVIe-XIXe siècle Fringe Science in Print: Authority, Knowledge, and Publication, 16th-19th century Guest-edited by Marie-Claude Felton
Table of contents (11 articles)
Articles
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Ni savants, ni populaires : la stratégie éditoriale des « Trésors de médecine » à la Renaissance
Anne Réach-Ngô
AbstractFR:
Les ouvrages de médecine qui s’intitulent « Trésor » constituent un corpus fécond pour qui s’intéresse à la participation des milieux éditoriaux à la transmission des connaissances et expériences héritées, durant la Renaissance. Envisagée comme un produit éditorial visant à rassembler en de petits ouvrages commodes d’emploi les écrits les plus célèbres des autorités en la matière, la catégorie des « Trésors de médecine » tire sa valeur aussi bien de la reconnaissance accordée à ces écrits, à la fois théoriques et pratiques, que du souci de les transmettre au plus grand nombre. Le choix de la langue vernaculaire, les nombreuses aides à la lecture, le coût modéré de ces ouvrages contribuent à inscrire ces publications dans la vaste entreprise de vulgarisation des savoirs née du développement de l’imprimé, tout en promettant à leurs lecteurs, par la rhétorique titulaire et préfacielle des « Trésors », des ouvrages d’exception.
EN:
Medical books entitled « Trésor » provide a fertile corpus for those interested in the role of editorial networks in transmitting to the Renaissance the knowledge and experience inherited from the past. The reason why they can be considered an editorial product that aims to assemble in small guidebooks the most famous writings of authorities on the subject is because of the principal characteristics of the “Trésors de medicine.” Their value is due to the fame of these theoretical and practical writings, and to the concern that they reach the greatest number of readers. The use of vernacular language, the numerous reading aids, and the moderate cost of these books helped to make them part of the vast effort to popularize knowledge that had its genesis in the development of printing, all the while promising readers exceptional works, “Treasures,” through their titular and prefatory rhetoric.
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La littérature alchimique (1550-1715) : écriture et savoir à la marge?
Véronique Adam
AbstractFR:
La littérature alchimique du milieu du xvie au début du xviiie siècle manifeste une tension entre une marginalisation subie, notamment politique et sociale, et une marginalisation voulue, induite par les choix d’écriture et d’anonymat de son auteur. Certains ouvrages alchimiques se servent de cette marginalisation, imposée ou volontaire, pour instaurer leurs propres autorités, soit en les cautionnant par des modèles institués, soit en leur donnant une apparence acceptable et légitime et en les dotant d’une polyvalence capable d’englober les autres savoirs. La persona de l’auteur se construit alors comme un passeur de savoir, conférant, en particulier au livre qui expose la genèse légitime mais merveilleuse de son savoir, une fonction symbolique qui permet de lire dans sa matérialité le signe de l’adéquation entre l’apparence du discours alchimique et le contenu qu’il révèle.
EN:
Alchemical literature from the end of the 16th century until the beginning of the 18th century featured a tension between a subtle politically and socially-motivated marginalisation and an intentional marginalization induced by the authors’ writing choices and by their desire for anonymity. The literature took advantage of this marginalisation to establish its own authorities either by validating them according to institutionalized models, or by giving them the appearance of being acceptable and legitimate, and by offering them a versatility that would allow them to include the other sciences. The persona of the author was presented as a conveyor of knowledge and he attributed to the book in which the legitimate but fabulous genesis of his science is exposed in particular, a symbolic function that enabled reading into its materiality the mark of appropriateness between the appearance of alchemical discourse and the contents that it revealed.
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From Practice to Print: Women Crafting Authority at the Margins of Orthodox Medicine
Margaret Carlyle
AbstractEN:
This article analyzes how a category of women possessing medical secrets known as “femmes à secrets” entered commercial medicine in mid- to late-xviiith-century Paris. It reads sources including remedy patents and printed publicity with a view to exploring women’s agency in producing and peddling medical products and services within the burgeoning marketplace. It shows how this form of “fringe” practice provided a unique forum where women cultivated their authority outside of learned medicine while also interacting with it. In doing so, the article displaces traditional narratives which position charlatans and quacks as the primary practitioners who colonized the margins of medical practice. Instead, it provides an account of women as examples of the dynamic “fringe” practitioners who strove to prove their genuine authority across a variety of domains. By bringing their practice to print, enterprising women succeeding in staking out their claim to expertise in a growing and increasingly consumerist, legislated, and policed medical milieu, where the boundaries between “expert” and “amateur” knowledge traditions were becoming increasingly blurred.
FR:
Cet article analyse le développement d’une tradition de détentrices de remèdes dites « femmes à secrets » au sein du commerce médical dans le Paris des Lumières. À l’aide de brevets officinaux et de la publicité imprimée, il retrace le rôle des femmes dans le florissant marché médical, où elles ont inventé et vendu une variété de produits et de services. Cet aspect marginal de la pratique médicale a en effet fournit aux femmes un important forum où elles ont cultivé leur autorité en marge et en dialogue avec la médecine traditionnelle. L’article remet en question l’histoire des « marges » médicales dans lesquelles les praticiens frauduleux se sont inscrits comme acteurs principaux. Il offre plutôt l’histoire d’une médicine « marginale » dynamique et animée par des femmes qui n’ont cessé de faire leurs preuves dans divers domaines. Entre la pratique et la publicité médicale, ces femmes se sont d’abord présentées en tant qu’expertes dans un milieu médical de plus en plus consumériste, réglementé et policé, où la limite entre l’expert et l’amateur médical était à peine évidente.
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Charles Sorel et la légitimité de La science universelle
Marie-Florence Sguaitamatti
AbstractFR:
Dans le premier volume de La science universelle, paru en 1634, Charles Sorel situe son projet encyclopédique de manière polémique par rapport aux autorités contrôlant les « paroles » et les « choses ». En même temps, Sorel définit l’auctorialité dans le contexte de l’opposition entre ouvrages de « divertissement » et ouvrages « sérieux » ‒ opposition dont il montre comment elle pourrait être utilisée pour mettre en question son projet encyclopédique. Cet article étudie la manière dont Sorel allie la réflexion sur l’auctorialité et le discours sur le renouveau de la science pour évoquer le caractère insolite de son entreprise encyclopédique, tout en définissant un contexte dans lequel son ouvrage pourrait légitimement s’insérer.
EN:
In the first volume of La science universelle (1634), Charles Sorel positioned his encyclopaedia project in a polemical fashion in relation to authorities deciding over “words” and “matters.” At the same time, Sorel defined auctoriality in the context of the opposition between works of entertainment, and serious works, an opposition which, he argued, could be used by his opponents to question the legitimacy of his encyclopaedic project. This article examines the way in which Sorel combines his considerations of auctoriality with the discourse on the renewal of science in order to affirm the extraordinary nature of his undertaking, whilst defining a context in which his work could legitimately find its place.
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La diffusion de la science linnéenne à travers la Philosophie botanique
Sandra Moreau
AbstractFR:
Carl von Linné (1707-1778), naturaliste suédois, dévoile son système en 1735. À l’époque de cette publication, il n’est pas un naturaliste reconnu. L’évocation de son simple nom ne confère pas à son oeuvre une autorité telle qu’elle puisse expliquer son succès. De plus, la diffusion de son travail crée de profondes polémiques. Dans ces conditions, par quelles stratégies Linné diffuse-t-il son système et s’impose-t-il lui-même dans la cohorte des naturalistes de renom? Cette question en appelle une autre : quelles sont les modalités du succès qu’il connaît en quelques années et jusqu’à quel point son oeuvre vise-t-elle et atteint-elle un large public de scientifiques, mais aussi d’amateurs? Nous étudierons ces questions pour le seul cas de la botanique, dans un ouvrage de 1751, la Philosophie botanique, qui reprend ou compile l’ensemble des principes développés par Linné dans ses ouvrages précédents.
EN:
In 1735, the Swedish naturalist Linnaeus (1707-1778) presented his Systema Naturae. At the time of its publication, Linnaeus was not a well-known naturalist. The simple mention of his name conferred no authority to his work that might explain his success. Moreover, the publication of his work incited major debates. Given these conditions, how did Linnaeus succeed in disseminating his ideas and in making a name for himself in the world of botanists? And how was his work received by professional botanists as well as by amateurs? We seek to answer these questions by exploring one of Linnaeus’ major books, his Philosophia botanica (1751), which takes up or assembles the entire principles developed by Linnaeus in his previous works.
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Vulgariser la science pour réaffirmer son rôle de savant. L’Essai philosophique sur les probabilités de Laplace
Claudio Grimaldi
AbstractFR:
Scientifique parmi les plus célèbres de la fin du xviiie siècle et du début du xixe siècle, Pierre-Simon de Laplace se veut un grand vulgarisateur de ses découvertes. Son Essai philosophique sur les probabilités témoigne de l’importance attachée par le savant à ce domaine, que les philosophes, à son époque, considèrent souvent en marge des autres savoirs scientifiques. À travers cet ouvrage, Laplace essaie, d’une part, d’établir sa puissance institutionnelle et auctoriale et, de l’autre, de convaincre aussi bien les savants que les non-scientifiques de la validité de ses théories. Nous nous proposons d’analyser ici les dynamiques de vulgarisation des savoirs mises en oeuvre par Laplace dans cet ouvrage afin de démontrer, notamment au moyen des réflexions portant sur des choix discursifs et linguistiques, que celles-ci n’ont que l’apparence d’une vulgarisation, réaffirmant plutôt les enjeux institutionnels et auctoriaux liés au pouvoir, à l’époque laplacienne.
EN:
Pierre-Simon de Laplace, a scientist among the most famous of the late 18th century and early 19th century mathematicians, astronomers and physicists, and a member of the Royal Academy of Sciences since 1773, served as a great populariser of his own discoveries, especially those in astronomy and in the calculation of probabilities. His Essai philosophique sur les probabilités (1814) reflects the degree of importance that the scientist attributed to this field, one which philosophers at the time often considered separate from other scientific knowledge. It is through this work that Laplace tried, on the one hand, to demonstrate its institutional and authorial power and, on the other, to convince, “without the help of Analysis,” both the scholars and the non-scientists of his time of the validity of his theories. By paying particular attention to his discursive and linguistic choices, we propose to analyze the dynamics of the efforts by Laplace to popularize science that are evident in this work in order show that such choices not only reveal “apparent” popularisation dynamics, but also reaffirm the institutional and auctorial powers at stake during the Laplacian era.
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Sociabilité épistolaire et stratégies éditoriales : mobilisation d’un réseau social dans la réédition du Poème sur l’Astronomie chez Gudin de La Brenellerie
Chantal Grenier
AbstractFR:
En 1801, Paul Philippe Gudin de La Brenellerie publie un poème didactique intitulé L’Astronomie, poème en 3 chants (qu’il rééditera en 1810). Édité d’abord en province, à Auxerre, l’ouvrage passe à peu près inaperçu. À cette époque, le goût pour la poésie didactique a amorcé un déclin puisqu’une séparation s’est lentement installée entre les lettres et les sciences et que, dans son processus d’autonomisation, la littérature a vu son champ se rétrécir. Malgré cela, dans les années qui suivront la première édition de son poème, Gudin s’armera de stratégies pour faire valoir son ouvrage auprès de diverses instances de légitimation du milieu savant en vue d’une réédition plus prestigieuse. L’article proposé portera sur les stratégies employées par l’auteur pour exploiter son réseau social dans le double objectif de bonifier son ouvrage, puis d’en diffuser la seconde édition. Nous nous appuierons en particulier sur la correspondance entre Gudin et Pierre Samuel Dupont de Nemours, Nicolas Ruault et Constance de Theis.
EN:
In 1801, Paul Philippe Gudin de La Brenellerie published the didactical poem L’Astronomie, poème en 3 chants (republished in 1810). First published in the provincial city of Auxerre (France), his work went almost unnoticed. The taste for didactical poetry was in decline at the time because of a movement that was slowly dividing the practice of science and letters. In its search for independence, literature had lost ground. Despite this, in the years that followed the first edition of L’Astronomie, poème en 3 chants, Gudin elaborated a number of strategies to valorize his work in several legitimization proceedings of scientific circles, in view of a second, and more prestigious, edition of his poem. This article will examine the strategies used by Gudin to appeal to his social network with the dual objective of improving and disseminating his work. This argument draws on epistolary sources, particularly on letters exchanged between Gudin and Pierre Samuel Dupont de Nemours, Nicolas Ruault and Constance de Theis.
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Qui veut dire l’homme dit la bête : Alphonse Toussenel et sa zoologie passionnelle : stratégies éditoriales et enjeux épistémologiques
Élisabeth Plas
AbstractFR:
Alphonse Toussenel est un naturaliste français atypique, marginal sociologiquement et philosophiquement dans le champ institutionnel des savoirs du xixe siècle. Son projet de « zoologie passionnelle », tel qu’il le développe dans L’Esprit des bêtes, publié en 1847, se construit à rebours de la doxa scientifique de son époque. D’édition en édition, une entreprise de légitimation se fait jour, du côté de la production comme de la réception du texte, alors même que Toussenel consolide un éthos auctorial offensif. À partir d’une étude du paratexte, cet article s’intéresse aux stratégies éditoriales parfois contradictoires qui ont accompagné la publication de cette oeuvre inclassable, et dont l’évolution semble révélatrice d’une progressive recomposition du champ des savoirs. Après avoir tenté de hiérarchiser les divers processus de marginalisation dont L’Esprit des bêtes a fait l’objet, nous avancerons l’hypothèse d’un Toussenel anachronique, en nous appuyant notamment sur l’enthousiasme de Baudelaire pour la théorie analogique qu’il développe.
EN:
Alphonse Toussenel, an atypical French naturalist, was on the social and philosophical margins of the institutional fields of 19th century knowledge. His “zoology of passions” project, as he developed it in his 1847 L’Esprit des bêtes [the Spirit of Animals] was at odds with the scientific doxa of his time. From one edition to the next, a validation enterprise emerged on the part of the production as well as the reception of the text, even as he was consolidating an offensive auctorial éthos. Through a study of the paratext, this article considers the sometimes contradictory editorial strategies that accompanied the publication of this unclassifiable work, whose evolution might be revealing of a progressive mutation of the epistemological landscape. After attempting to understand and rank the various marginalization processes that L’Esprit des bêtes underwent, and by building on Baudelaire’s enthusiasm for Toussenel’s theory of analogies in particular, we hypothesize that Toussenel’s work was, in many ways, anachronistic.
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La Société royale de Botanique de Belgique (1862-1875) : tourments identitaires et éditoriaux d’une jeune société savante
Denis Diagre-Vanderpelen
AbstractFR:
Cette contribution décrit un aspect particulier de la vie de la Société royale de Botanique de Belgique, durant ses 14 premières années d’existence. Née en 1862, cette société savante spécialisée se voulait, au contraire de l’élitiste Académie royale de Belgique, un lieu de sociabilité ouvert à tous les botanistes, amateurs comme professionnels, en rendant accessibles aux moins aguerris d’entre eux les pages de son Bulletin. Rapidement « capturée » par les professionnels de la science − ou aspirants tels − et par leurs ambitions, la société s’éloigna des amateurs, un « en bas scientifique » indispensable à sa survie financière, et une tension gagna la politique éditoriale du Bulletin. Certains en voulaient hausser le niveau, d’autres y voulaient laisser une place aux auteurs plus modestes. Rôle des personnalités dans les sociétés savantes, bottom-up science, vulgarisation et professionnalisation des sciences, sont autant de thèmes qui se donnent à voir dans cette étude.
EN:
This contribution deals with the early editorial activities of the Royal Botanical Society of Belgium (1862-1875). Founded as a place where both professional scientists and even the least seasoned amateur members could share views and publish papers, the scientific society and its Bulletin were in direct contrast to the high standards of the Royal Academy. However, it did not take long for professional and would-be professional botanists to “capture” the Bulletin in order to satisfy personal or institutional ambitions. Since this change threatened the original statute of the society and its own survival, editorial strategies were devised to retain the lay members whose fees kept the society alive. This case study deals with topics like bottom-up science, popularization and professionalization of the sciences in the context of scientific societies and the role of individuals.
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“What is the cocoon but a dark cabinet?”: Benjamin O. Flower, Print Culture and the Legitimisation of Fringe Science in the 1890s
Jean-Louis Marin-Lamellet
AbstractEN:
This study examines how Boston editor and publisher Benjamin O. Flower used print culture to circulate and legitimise fringe science in the 1890s. Using evolutionary theory as a template for progress, he considered hypnotism and spiritualism – what he called “psychical research” ‒ as the natural extension of environmental meliorism from the visible to the invisible. This article examines the transatlantic dimension of the idea of a “science of mind” and how it led Flower to formulate a spiritual and materialist conception of the influence of print. It describes the rhetorical strategies, the scientific procedures and institutionalisation policies he adopted in his quest to naturalise the invisible and subject it to the purview of methodological naturalism. Finally, it explores the epistemological foundations of Flower’s redefinition of the boundaries of legitimate science.
FR:
Cet article analyse la manière dont Benjamin O. Flower, journaliste et éditeur à Boston, usa de la culture de l’imprimé pour diffuser et légitimer la science en marge, dans les années 1890. Se saisissant de la théorie de l’évolution comme d’une matrice du progrès, il considérait l’hypnotisme et le spiritisme – ce qu’il appelait la « recherche psychique » ‒ comme le prolongement naturel, du visible à l’invisible, du méliorisme environnemental. L’article met en lumière la dimension transatlantique de l’idée d’une « science de l’esprit », et la façon dont elle conduisit Flower à formuler une conception spirituelle et matérialiste de l’influence de la culture de l’imprimé. Il décrit les stratégies rhétoriques, les procédés scientifiques et les politiques d’institutionnalisation qu’il adopta dans sa quête pour naturaliser l’invisible et le faire entrer dans le cadre du naturalisme méthodologique. Enfin, il explore les fondements épistémologiques de la redéfinition des frontières de la science que Flower appelait de ses voeux.