Abstracts
Résumé
Les nombreuses éditions modernes de L’Utopie de Thomas More présentent un visage très différent des premières éditions publiées au début du xvie siècle. On note, par exemple, que la plus grande partie de ce qu’on appelle les parerga – lettres d’humanistes, poèmes et gravures qui encadrent les éditions renaissantes –, a été presque systématiquement éliminée. Il en va de même pour les 194 notes marginales, attribuées à Érasme ou à Pierre Gilles. Ces coupures et reconfigurations des éditions originales paraissent extrêmement significatives : elles nous semblent étroitement liées à une lecture de L’Utopie qui paraît déformée par notre conception moderne du livre et de l’auteur. Une analyse attentive des quatre premières éditions nous permettra de mettre en lumière la structure textuelle et éditoriale beaucoup plus sophistiquée de cette oeuvre humaniste foncièrement « dialogocentrique », ce qui pourrait transformer radicalement notre lecture de ce livre utopique à plus d’un titre.
Abstract
The numerous modern editions of Thomas More’s Utopia are very different from the first editions published in the early sixteenth century. For example, all the material that constitutes what has been termed the parerga (the letters, poems and engravings contributed by other Humanists) has been almost systematically eliminated from these editions, as is also the case for the marginalia, the many annotations (written by Erasmus or Peter Giles). These “amputations” and reconfigurations of the early editions seem to be linked to our modern anachronistic conception of the book and the “author”. A closer look at the first four editions, however, reveals the sophisticated textual and editorial structure of this fundamentally “dialogocentric” Humanist work and how a more comprehensive outlook can radically transform our interpretation of this truly utopian book.
Article body
À l’approche de l’anniversaire du demi-millénaire de la publication de l’editio princeps de L’Utopie de Thomas More[1] – livre qui a fait l’objet d’une quantité infinie de traductions et d’éditions[2] et qui a donné naissance à un genre littéraire, à un concept crucial de la philosophie politique et même à un vocable du langage courant –, il importe de rappeler qu’il s’agit d’abord et avant tout de cela, c’est-à-dire d’un livre, d’un objet matériel qui, dans la configuration très particulière de ses éditions originales, pourrait posséder en soi, comme on le verra bientôt[3], une valeur utopique aussi, sinon plus importante que la description de la société utopienne qui fait l’objet du monologue de Raphaël Hythlodée au Livre II et qui a fait la renommée de l’ouvrage[4]. En d’autres mots, l’utopie de L’Utopie – au sens à la fois d’idéal et de non-lieu paradoxal – se trouverait moins, selon nous, dans l’île d’Utopie elle-même (qui n’existe pas) que dans cette tentative – foncièrement humaniste – de vaincre l’insularité du livre imprimé (qui, lui, existe bel et bien). La très vaste majorité des innombrables éditions modernes de L’Utopie présente cependant un visage très différent des premières éditions[5]. On remarque notamment que tous les éléments qui forment ce que la critique morienne appelle les parerga, à savoir les lettres des amis humanistes de More, les poèmes et les gravures qui encadrent diversement les éditions originales, sont systématiquement éliminés[6]. Et il en va de même pour les nombreuses annotations marginales[7], attribuées à Érasme ou à Pierre Gilles, qui n’apparaissent pas dans les éditions modernes[8]. Les nombreuses amputations et reconfigurations éditoriales des éditions originales de L’Utopie paraissent extrêmement significatives : elles nous semblent notamment liées à une mécompréhension de la conception différente du livre imprimé qui a prévalu dans les premières décennies de l’extension de cette technologie en Europe, tout particulièrement dans les cercles humanistes. Cette mécompréhension s’explique sans doute par l’émergence graduelle de la conception moderne, plus franchement visuelle, du livre; par « l’invention de l’auteur » (au sens moderne, plus individualiste et autonomiste); enfin, par les transformations qui en résulteront pour l’univers de ce qu’on appelait alors les « bonnes lettres ». Ces transformations sont notamment perceptibles dans l’évolution des lectures qu’on a faites de ce livre amputé et reconfiguré qu’est devenue L’Utopie après la Renaissance : on en proposera, en effet, le plus souvent, soit une lecture qui tendra à privilégier le monologue du personnage de Raphaël au Livre II de L’Utopie[9], que certains commentateurs ont lu comme une forme de manifeste sociopolitique représentatif de la pensée de l’auteur, soit des lectures plus relativistes qui considéreront l’ouvrage comme une oeuvre de fiction appartenant à ce qu’on appellera, bien plus tard, la « littérature ».
Ces interprétations anachroniques ne tiennent cependant pas compte du fait que ce livre, dans ses premières éditions, propose une dynamique de lecture très particulière, beaucoup plus paradoxale, dialogique, voire utopique, que ne le laissent entendre ces lectures centrées sur le contenu sociopolitique utopien du Livre II, ou sur sa prétendue appartenance au genre littéraire de l’utopie. Une analyse attentive des caractéristiques de ces premières éditions – celle de Thierry Martens à Louvain en 1516, celle de Gilles de Gourmont à Paris en 1517[10], mais surtout celles, plus achevées, de Johannes Froben en mars et en novembre 1518 à Bâle[11] – permettra de mettre en lumière cette dynamique de lecture rendue possible par la structure éditoriale et typographique sophistiquée du texte, structure quasi interactive – inspirée par ce que nous avons appelé la conception dialogocentrique du livre, et de l’homme, chez les humanistes de la Renaissance[12].
À l’aide de tableaux emboîtés les uns dans les autres, nous avons tenté ici de reproduire cette structure dialogique à plusieurs niveaux qui, comme on le verra bientôt, possède le pouvoir de renouveler la lecture qu’on peut faire de cette utopie faite livre.
Un tel tableau ne donne cependant qu’un aperçu bidimensionnel de la dynamique multidimensionnelle de lecture créée par les divers niveaux d’interaction que tente de reproduire dans ses pages ce livre multiforme. Il importe donc de décrire plus en détail les sept axes de « dialogue » que nous y avons identifiés.
Le dialogue éditorial « externe » de L’Utopie
Rappelons d’abord que L’Utopie s’inscrit elle-même dans une forme de dialogue éditorial externe plus vaste, du fait qu’elle constitue le second volet d’un diptyque amorcé quelques années plus tôt par le célèbre ami de More, Érasme, avec son Éloge de la folie, dédié à More. L’Utopie devait en effet constituer un éloge de la sagesse[13] en réponse au Moriae Encomium qu’Érasme avait rédigé chez More et publié la première fois à Paris en 1511 chez Gilles de Gourmont, éditeur de la deuxième édition de L’Utopie. Véritable « best-seller » européen, L’Éloge de la folie a fait l’objet de très nombreuses rééditions, incluant la très importante édition révisée et augmentée que propose Froben – éditeur des troisième et quatrième éditions de L’Utopie – en 1516, l’année même de la parution de L’Utopie chez Martens.
Ce premier niveau de dialogue entre ces deux livres et ces deux auteurs illustre, comme l’a montré l’historienne Lisa Jardine[15], que la publication de L’Utopie était un événement littéraire et éditorial planifié, le produit d’une forme prémoderne de mise en marché et de « réseautage social », comme l’indiquent d’ailleurs explicitement la correspondance entre ces auteurs, mais aussi le libellé initial quasi identique des titres des deux ouvrages[16], les dédicaces et contributions épistolaires et poétiques des nombreux amis humanistes impliqués dans le « coup » de L’Utopie, et même un autre diptyque, iconographique celui-là, commandé au peintre flamand Quentin Metsys et offert à More la même année[17].
À l’autre bout historique de ce dialogue éditorial « externe » au livre lui-même, il faudrait aussi prendre en compte la postérité de ce petit opuscule qui, comme on le sait, a donné lieu à une multitude de réponses, de rééditions, de traductions, d’adaptations, d’imitations, de commentaires, de débats et de relectures dans les années et les siècles qui suivront. Vouloir intégrer ce dialogue a posteriori, lié à la réception de l’ouvrage, sous-entendrait cependant une tâche colossale qui va au-delà des limites de cette étude, consacrée d’abord et avant tout aux dialogues que tente de susciter le livre à l’intérieur même de ses pages… et de la tête de son lecteur.
Le « métadialogue » épistolaire, poétique et iconographique des parerga
En fait, les premiers éléments textuels et iconographiques rencontrés par le lecteur des éditions originales de L’Utopie relèvent encore d’une forme d’extériorité même s’ils font partie intégrante du livre – quoi qu’en pensent les éditeurs modernes : il s’agit évidemment de ce fameux matériel textuel et iconographique, fourni par divers auteurs, artistes, poètes et érudits humanistes, qui témoigne à la fois du souci philologique et de l’esprit ludique des premiers humanistes. Ce matériel encadre, diversement selon les cas, le corps du texte dans les quatre premières éditions de l’ouvrage et crée ce que nous avons proposé d’appeler une forme de métadialogue avec le texte de L’Utopie lui-même : les clins d’oeil, l’ironie et les paradoxes s’y multiplient dans le jeu de miroirs que construisent les contributions de plusieurs membres de ce cercle international d’humanistes du Nord; dans la lettre, par exemple, du chef de file de ce cercle, le néerlandais Érasme, à l’imprimeur suisse-allemand Froben (lettre qui apparaît au seuil des troisième et quatrième éditions); dans la brillante lettre de l’helléniste français Guillaume Budé au jeune humaniste anglais Thomas Lupset (publiée pour la première fois dans la deuxième édition à Paris); dans la lettre paradoxale et virtuose de l’ami néerlandais de More, Pierre Gilles, à l’homme d’État des Pays-Bas Busleyden[18]; dans la lettre de ce même Busleyden à More; dans le poème du pseudo-poète Anemolius (More) qui place L’Utopie dans le sillage de la République de Platon; dans l’alphabet utopien (conçu par Pierre Gilles) et le sizain qui le suit; dans la carte de l’île d’Utopie, gravée par un « peintre éminent » non identifié dans la première édition, puis par Ambroise Holbein dans les deux éditions de 1518; dans les poèmes des humanistes néerlandais que sont Geldenhauer et Shrivjer; dans les gravures, intégrées aux deux dernières éditions, de l’artiste allemand Hans Holbein, etc.[19]
Il est très important de souligner que tout ce matériel n’a pas qu’une fonction publicitaire de recommandation. Au-delà de la logique de la dédicace et des éloges de l’auteur et de son ouvrage, les auteurs des parerga s’amusent à jouer diversement sur les paradoxes de ce non-lieu qu’est l’île d’Utopie, comme sur ceux du texte et du personnage ambigu qui prétend en faire la description. Ainsi, tout ce matériel paratextuel, constitué principalement de lettres – « dialogues in absentia » comme on les désigne dans la tradition classique – crée l’impression que le livre de L’Utopie rédigé par More s’insère dans une conversation plus large, comme s’il ne s’agissait que d’un énoncé dans une discussion internationale[20] instaurée par la communauté qui forme la République des lettres européenne à l’époque, ce qui laisse aussi entendre que l’idéal de la République d’Utopie décrite dans le Livre II a sans doute quelque chose à voir avec cette république de lettrés, à laquelle le lecteur semble invité à se joindre – s’il a eu à tout le moins la chance d’avoir accès à ce matériel habituellement absent des éditions modernes…
Le dialogue avec le lecteur dans la lettre-préface de More à Pierre Gilles
La position privilégiée du lecteur dans ce dialogue humaniste est confirmée par la lettre-préface de More, qui doit être considérée comme ayant un statut à part des parerga. En effet, contrairement aux autres contributions des humanistes, cette lettre fait manifestement partie du corps du texte de L’Utopie, car, hormis le fait qu’elle a été écrite par l’auteur lui-même, certains indices de nature éditoriale viennent confirmer qu’elle joue un rôle distinct de celui des autres contributions épistolaires (incluant la deuxième lettre de More qui n’a été publiée que dans l’édition de Paris en 1517) : on note, par exemple, que les annotations marginales, sur lesquelles nous reviendrons bientôt, omniprésentes dans le Livre I et plus encore dans le Livre II de L’Utopie, commencent à apparaître dès le début de cette lettre, alors qu’elles sont absentes des marges de toutes les pages des autres contributions aux parerga. De plus, dans les deux éditions Froben de 1518, la présentation matérielle du livre contient une autre caractéristique significative à ce titre : l’incipit de cette lettre est inséré dans une gravure de Hans Holbein, la même gravure qui se trouve sur la page frontispice de ces éditions.
Enfin, comme l’a bien montré l’analyse magistrale d’Elisabeth McCutcheon[21], cette lettre adressée à Pierre Gilles peut être lue à la fois comme un éloge personnel de l’amitié humaniste et comme une forme publique de « mode d’emploi » pour l’ami lecteur[22], que l’auteur semble vouloir préparer pour l’étourdissant périple intellectuel et moral qui l’attend dans la suite de l’ouvrage, et ce, en usant d’une rhétorique extrêmement sophistiquée et pleine de paradoxes, ainsi qu’en stigmatisant à l’avance les attitudes interprétatives des mauvais lecteurs. En mettant ainsi en relief, dès l’abord, le jeu paradoxal et plein de faux-semblants de son ouvrage, l’auteur, comme le souligne encore McCutcheon, laisse entendre qu’il ne vise pas à tromper son lecteur mais à le divertir, tout en l’exhortant à littéralement participer à l’exploration de l’Utopie et au dialogue qu’il souhaite instaurer autour de ses nombreux enjeux[23].
Le dialogue du Livre I entre « More », « Giles » et Raphaël Hythlodée
Mais, avant d’atterrir sur l’île d’Utopie, le lecteur est invité à prendre part à un autre dialogue préparatoire, celui du Livre I de L’Utopie, que certains commentateurs, particulièrement ceux qui s’intéressent à la philosophie politique de l’ouvrage, ont parfois[24] eu tendance à négliger.
Le dialogue du Livre I constitue certainement un des avatars les plus intéressants de l’immense corpus du dialogue, un genre qui, comme les recherches des deux dernières décennies[25] l’ont montré, occupe une place prépondérante chez les auteurs de la Renaissance. La gravure d’Ambroise Holbein, qui figure en tête du Livre I dans les éditions Froben, illustre d’ailleurs éloquemment la scène du dialogue, topos humaniste typique du sermo convivialis que le grand historien Johan Huizinga considère comme emblématique de la Renaissance[26]. La lecture de ce dialogue paraît donc fondamentale si l’on veut comprendre le statut, foncièrement équivoque, du long monologue de Raphaël Hythlodée qui suit au Livre II. Même s’il est impossible d’entrer ici dans le détail de l’analyse de ce dialogue extrêmement riche et polysémique[27], il importe à tout le moins de souligner que c’est d’abord à travers les yeux du narrateur et personnage « Thomas More », flanqué de son ami le personnage « Pierre Gilles », que l’on rencontre le fameux Raphaël, personnage de marin-philosophe entièrement fictif, à la fois « guide » (comme l’archange Raphaël) et « diseur de sornettes » (comme le laisse entendre l’étymologie de son patronyme Hythlodaeus), avec qui les deux amis humanistes vont amorcer un long dialogue polémique (qui s’étend sur plus de 50 pages dans l’édition Froben), dialogue qui portera sur diverses questions sociales et politiques reliées à la situation contemporaine de l’Angleterre et de l’Europe, mais surtout sur la question épineuse du conseil des princes – la critique anglo-saxonne de L’Utopie identifie d’ailleurs ce passage comme le « Dialogue of counsel ».
Au risque de résumer un peu grossièrement ce dialogue complexe, on peut dire que Raphaël y défend la position plus idéaliste (platonicienne) d’un humanisme chrétien qui dénonce la futilité de toute tentative d’influencer le prince et affirme la nécessité de rompre avec toute forme d’hypocrisie à ce titre, tandis que les personnages de « Gilles » et surtout de « More » développent le point de vue plus pragmatique (cicéronien) de l’humanisme civique qui croit encore pouvoir avoir une influence positive sur le prince, fût-ce en empruntant des voies indirectes et plus théâtrales, si l’on peut dire. Fait intéressant, ce dialogue, typique des débats rhétoriques et dialectiques de type pro et contra, ainsi que de la disputatio in untramque partem des dialogues cicéroniens, demeure foncièrement irrésolu à la fin du Livre I. Ainsi, le lecteur, après avoir été exposé au dialogue épistolaire plus public des parerga et de la lettre-préface paradoxale de l’ouvrage, est invité à devenir à la fois spectateur, juge et peut-être même participant dans cette conversation érudite, représentée dans la sphère apparemment plus privée du jardin de « More » – locus amoenus typique des dialogues renaissants[28] – à son domicile temporaire d’Anvers.
Le dialogue mis en abyme de Raphaël à la cour du cardinal Morton
Un autre niveau d’interaction dialogique se trouve d’ailleurs inséré au coeur même du dialogue du Livre I : ce dialogue d’une vingtaine de pages mis en abyme, rapporté par le personnage de Raphaël et censé s’être déroulé à la cour du cardinal Morton quelques années plus tôt, met en scène le débat un peu bouffon du marin-philosophe avec des courtisans présents à la cour du cardinal, qui était alors chancelier d’Angleterre.
Ce long dialogue est utilisé par Raphaël pour appuyer sa thèse concernant l’inutilité de conseiller les princes, sauf que, s’il n’est pas distrait par le contenu du dialogue lui-même, le lecteur perspicace notera que la dynamique même de l’échange rapporté tend au contraire à démontrer qu’il est en fait tout à fait possible de discuter avec un homme d’État comme Morton! Il s’agit donc là d’un nouvel élément paradoxal et dialogique – il ne faut pas comprendre Raphaël au premier degré – qui vient préparer, et perturber, la lecture du Livre II.
Le « monologue » de Raphaël au Livre II
Dans les premières éditions de L’Utopie, ce n’est donc qu’au bout de ce long parcours de lecture incluant plusieurs niveaux d’interaction et de dialogue (dont seuls les deux ou trois derniers stades sont conservés dans les éditions modernes) que le lecteur sera enfin invité à fouler la terre d’Utopie que décrit Raphaël au Livre II, passage souvent considéré comme le coeur véritable de l’ouvrage et dont nous ne commenterons pas ici la substance déjà amplement discutée au cours des cinq derniers siècles[30]. Il importe plutôt de préciser que ce long monologue de 92 pages[31] possède lui aussi une dimension quelque peu dialogique du fait qu’il emprunte la forme du genre rhétorique de la déclamation, sur le modèle de L’Éloge de la folie d’Érasme – qui est aussi un « éloge paradoxal[32] » – auquel cet ouvrage est censé répondre en opposant la sagesse à la folie. Ainsi, le discours de Raphaël est ponctué d’adresses au public et de plusieurs pronoms à la deuxième personne.
De plus, du point de vue de la structure d’ensemble de l’ouvrage, cet oratio (discours), devenu fort significativement, comme le note André Prévost[33], un sermo (dialogue) dans la deuxième édition Froben, ne constitue qu’un énoncé prononcé par le personnage de Raphaël dans le dialogue encadrant amorcé au Livre I. Évidemment, par certains côtés, le début de ce monologue est en nette rupture avec le dialogue du Livre I, comme en témoignent à la fois la franche césure éditoriale entre les deux livres et l’image fort révélatrice du roi Utopus qui aurait, explique Raphaël, fait disparaître l’isthme qui reliait auparavant l’île d’Utopie au continent.
Mais il n’en demeure pas moins qu’à la fin du long monologue décrivant la société utopienne, le lecteur se voit ramené sur le continent, c’est-à-dire à la scène du dialogue initial dans le jardin, par le narrateur More dont le monologue intérieur vient jeter un sérieux doute sur la crédibilité du long discours que le lecteur vient de lire :
[...] un bon nombre de questions se présentèrent à mon esprit; il y avait dans les moeurs et les lois de ce peuple, des pratiques qui m'apparaissaient complètement absurdes : non seulement leur façon de conduire la guerre, leurs cultes et leur religion et plusieurs autres de leurs institutions, mais surtout, ce qui constitue le fondement suprême de toutes leurs institutions, la vie commune et la communauté des moyens d'existence sans aucun échange de monnaie[35].
Ce passage, véritable reductio ad absurdum comme le note Elizabeth McCutcheon[36], paraît saper les fondements mêmes de tout le discours qui précède, et ce, même si la suite plus manifestement ironique[37] de ce même passage vient immédiatement jeter un doute sur le sérieux de ces mêmes commentaires critiques! Et la situation ne s’améliore pas, du fait que « More » choisit de ne pas répondre au discours de Raphaël (notamment parce qu’il n’est « pas suffisamment sûr qu'il pouvait supporter qu'on ne fût pas de son avis ») et de le prendre plutôt par la main pour l’amener manger à l’intérieur, « non sans avoir dit d'abord qu'il [leur] faudrait trouver un autre moment pour réfléchir plus profondément à ces questions et en conférer plus abondamment avec lui. Si seulement cela pouvait se produire un jour[38]! » Enfin, l’excipit du Livre II ne permet pas non plus de parvenir à une lecture plus univoque de tout ce qui précède :
D'ici là, autant il m'est impossible d'accorder mon assentiment à toutes les paroles de cet homme, bien qu'elles fussent l'expression incontestable de l'érudition la plus riche et en même temps de la plus vaste expérience des choses humaines, autant il m'est facile d'avouer que, dans la République des Utopiens, il existe un très grand nombre de dispositions que je souhaiterais voir en nos Cités : dans ma pensée, il serait plus vrai de le souhaiter que de l'espérer [optarim verius, quàm sperarim][39].
Ces passages extrêmement ambigus ont donné naissance à une quantité phénoménale de commentaires et de débats interprétatifs – exceptionnellement contradictoires! – auxquels il est impossible de rendre justice ici[40]. Notons seulement, pour les besoins de notre argumentation, que la nature ouverte et ambivalente de cette conclusion – qui nous ramène par ailleurs à l’indécidabilité du dialogue du Livre I –, ainsi que la volonté du narrateur de différer sa réponse et la suite du débat, nous mettent sur la piste d’une autre lecture de ces mêmes passages, car il est permis d’en déduire que c’est aussi certainement le lecteur lui-même qui est pris par la main à la fin de l’ouvrage et invité à « réfléchir » – ainsi qu’à « conférer » à l’intérieur de lui-même – sur les idées présentées dans le monologue de Raphaël Hythlodée, marin et philosophe, à la fois guide et diseur de sornettes.
Le « paradialogue » des marginalia
Enfin, le septième et dernier axe du dialogue multiforme de la lecture que paraît vouloir susciter ce livre se trouve marqué plus explicitement dans la disposition typographique, et donc la matérialité même, des éditions originales de L’Utopie : ce nouvel axe est constitué par les marginalia, 194 annotations marginales[41] qui auraient été rédigées par Érasme[42] ou par Pierre Gilles[43], ou encore par ces deux auteurs[44], et qui instaurent ce que j’ai proposé d’appeler un paradialogue avec le corps du texte[45]. À ce titre, la présence beaucoup plus grande des marginalia dans le Livre II – 170 annotations contre seulement 16 dans les marges du Livre I et 8 pour la lettre-préface – paraît significative : selon McKinnon, en effet, les annotations deviennent plus importantes au Livre II justement parce qu’elles constituent le seul moyen, une fois les personnages de « More » et « Gilles » réduits au silence, d’insérer des réactions – et donc une forme de dialogue – sans contrevenir à la forme du monologique du Livre II[46].
Ces annotations marginales, presque toujours absentes des éditions modernes (incluant la toute nouvelle édition prétendument « intégrale » chez Folio), paraissent cependant avoir plusieurs fonctions. Elles permettent souvent de simplement souligner un passage du corps du texte (« Prends note de ceci, lecteur[47]! ») ou encore de l’expliquer (en en identifiant par exemple les sources, souvent classiques[48], ou en en soulignant la signification[49]). Or, il s’agit aussi parfois d’énoncés plus ambigus, voire ironiques, qui témoignent du fait que l’auteur ou les auteurs de ces annotations ont voulu, comme l’a montré Dana McKinnon, créer un véritable personnage doté d’un ethos, d’une « personnalité[50] » singulière qui se distingue de celle de l’auteur[51] du corps du texte de L’Utopie. Par exemple, nombre de remarques enthousiastes envers les moeurs utopiennes[52] (ou la qualité du discours de Raphaël[53]) jouent ici un rôle paradoxal : leur caractère souvent dithyrambique contraste avec la réaction beaucoup plus mesurée qu’aura le personnage de « More » à la fin du discours de Raphaël. De même, en voulant constamment souligner la vraisemblance de la fiction – c’est-à-dire en traitant comme une « histoire vraie » le récit de Raphaël –, les annotations en révèlent, d'autre part, et avec force clins d’oeil, la nature manifestement fictive. Ainsi, en tant que premier lecteur, interne, de L'Utopie, ce personnage de commentateur-lecteur introduit un dialogue parallèle paradoxal avec le dialogue du texte lui-même et, par là, crée des effets de réfraction et de diffraction qui, simultanément, guident et perturbent la lecture du lecteur externe de ces éditions.
Le fait que ces notes marginales, tout comme les artefacts épistolaires, poétiques et iconographiques qui constituent les parerga, soient absents de la très vaste majorité des éditions modernes de L’Utopie paraît significatif à plus d’un titre. On pourrait notamment reprendre ici l’hypothèse déjà suggérée que cet état de fait résulte de l’évolution graduelle, à partir surtout de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècles[54], de la conception du livre comme un médium essentiellement visuel, détaché de l’univers oral-aural[55], et attribué le plus souvent à un « auteur » individuel et autonome qui s’adresse à un « public » de lecteurs placés en quelque sorte en position de spectateurs ou de destinataires relativement passifs ou, à tout le moins, en position asymétrique par rapport à l’auteur. Il semble que cette conception du livre n'avait pas encore cours dans les premières décennies de l'ère du livre imprimé, tout particulièrement dans les publications des auteurs humanistes dominées par une conception paradoxale de la communication écrite et du livre[56], conception ancrée dans une haute valorisation de l’oralité, du dialogue et de la rhétorique. Le processus de composition de L’Utopie témoigne d’ailleurs du fait que More et ses amis humanistes, Érasme et Gilles surtout, mais aussi tout un réseau de correspondants européens et d’intervenants dans les milieux des « bonnes lettres », de l’imprimerie et de l’édition, ont cherché à transformer la lecture de ce livre en une expérience qui se situe à la fois en deçà et au-delà de la conception moderne individualiste/visuelle du livre, qui prédominera à partir du XVIIe siècle et qui commence à être remise en cause. En effet, malgré l’absence de manuscrits originaux datant de cette époque, certains commentateurs[57] ont pu faire des hypothèses assez convaincantes sur la genèse de l’ouvrage. Ainsi, il est établi que More a d’abord rédigé la déclamation du Livre II – en réponse, comme on l’a vu, à L’Éloge de la folie de son ami néerlandais – alors qu’il se trouvait en mission diplomatique dans les Pays-Bas en 1515 (ce premier état du texte s’intitulait encore Nusquama). Il ajoutera ensuite la fiction du marin-philosophe Raphaël et l’introduction narrative du Livre I, alors que le narrateur « More » relate sa rencontre avec Raphaël, que lui présente le personnage de « Gilles ». Dans une troisième phase, il ajoutera, entre cette introduction narrative en style indirect et le début du discours de Raphaël, le fameux dialogue en style direct du Livre I (incluant le dialogue mis en abyme qui y est enchâssé), comme en témoigne la « couture » textuelle encore perceptible dans le texte qui nous est parvenu[58]. La prochaine étape de la composition sera constituée de la rédaction par More de la lettre-préface adressée à Gilles. Les marginalia ont été ensuite ajoutées par Gilles et/ou Érasme pour l’édition de Thierry Martens à Louvain en 1516, avec une partie des matériaux des parerga que produiront divers membres du cercle d’humanistes érasmiens et qui subiront ensuite des modifications relativement importantes – ajouts et suppressions – dans les éditions subséquentes de Gilles de Gourmont à Paris et de Froben à Bâle en mars et novembre 1518.
L’intérêt principal de cette reconstitution du processus de composition de L’Utopie réside dans l’orientation sous-jacente qu’on peut identifier dans la généalogie même de l’oeuvre. Brian O’Brien, par exemple, note que cette évolution témoigne d’une « tendance générale » qui va franchement à l’encontre de l’énonciation directe et vers « une ambiguïté et une absence de direction croissantes[59] », puisque chaque nouvelle phase de la généalogie ajoute une couche supplémentaire de matériel paradoxal, dialogique, ironique, voire typographique, qui semble vouloir forclore toute possibilité de lecture univoque du discours de Raphaël.
En ce qui me concerne, j’ai plutôt proposé de voir l’évolution du processus de composition comme témoignant d’une dialogisation croissante, car il me semble manifeste que l’ajout des dialogues du Livre I, du paradialogue des marginalia et du métadialogue épistolaire, poétique et iconographique des parerga qui encadrent diversement le corps du texte, témoigne du souci de l’auteur et de ses amis et collaborateurs humanistes de reproduire, par la configuration même de ces pages imprimées et la structure énonciative du texte, une expérience de lecture modelée sur l’idéal humaniste dialogocentrique du dialogue familier entre amis – « apud amiculos in familiari colloquio » comme l’appelle le personnage de « More » au Livre I – auquel le lecteur est invité à se joindre, prenant place aux côtés de ceux qui ont contribué au riche dialogue éditorial de l’ouvrage. Car il semble que, pour des humanistes comme More et Érasme, la lecture d’un livre imprimé devait tenter de recréer la dynamique d’un dialogue, et ce, dans un sens qui se voulait plus que métaphorique[60]. En fait, les objectifs des auteurs humanistes paraissent même franchement « métamorphiques », comme l’atteste l’« Exhortation » d’Érasme, adressée à l’« excellent lecteur » au seuil de sa traduction du Nouveau Testament – publiée chez Froben à Bâle la même année[61] que la première édition de L’Utopie –, où l’humaniste fait l’éloge d’une « éloquence qui, au lieu de caresser seulement les oreilles d’un plaisir vite évanoui, laisse dans les coeurs des auditeurs de durables aiguillons, qui entraîne, qui transforme, qui renvoie l’auditeur tout différent de ce qu’il était à son arrivée[62] ». En témoigne aussi la traduction controversée de l’incipit de l’Évangile de Jean par Érasme dans ce même ouvrage, alors qu’en lieu et place du traditionnel In principio erat Verbum – « Au commencement était le Verbe » – de la Vulgate, il propose un étonnant In principio erat sermo : « Au commencement était le dialogue [63]. »
De la même manière, les éditions originales de L’Utopie semblent conçues pour créer sur et autour de leurs pages imprimées une chorégraphie textuelle et iconographique dont la rhétorique paradoxale, la structure éditoriale et typographique sophistiquée, ainsi que les nombreux niveaux de dialogues, ont pour but avoué de littéralement transformer l’« ami lecteur » qui a osé poser le pied – ou l’oeil – sur ce territoire livresque proprement utopique. Voilà pourquoi il est permis de se demander si ce livre, né de la première République des lettres, avant que ne se fixe la conception moderne, plus visuelle et autonome, du livre et de l’auteur, ne possède pas en lui-même un caractère plus utopique – et potentiellement plus fécond – que l’insulaire société utopienne décrite dans le Livre II pour les lecteurs « postgutenberguiens » que nous sommes devenus… ou en voie de devenir.
Appendices
Note biographique
Jean-François Vallée enseigne au Département de lettres du Collège de Maisonneuve. Il est chercheur au Centre de recherches intermédiales sur les arts, les lettres et les techniques de l’Université de Montréal (CRIalt). Il a coédité un ouvrage collectif sur le dialogue à la Renaissance (Printed Voices. The Renaissance Culture of Dialogue, University of Toronto Press, 2004) et un volume de contributions récentes en littérature comparée (Transmédiations. Traversées culturelles de la modernité tardive, Presses de l’université de Montréal, 2012). Il a participé à plusieurs conférences internationales et est l’auteur d’articles et de comptes rendus dans diverses revues savantes au sujet d’écrivains, d’éditeurs et d’imprimeurs de la Renaissance, du xviie et du xxe siècles, ainsi qu’à propos de divers genres (le dialogue, l’utopie, la lettre, le roman). Ses recherches plus récentes s’intéressent à certains enjeux de la culture de l’imprimé en relation avec l’émergence des nouveaux médias numériques.
Notes
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[1]
Thomas More, Libellus vere aureus nec minus salutaris quam festivus de optimo reip. statu, deque nova Insula Utopia, Louvain, Thierry Martens, 1516.
-
[2]
Pour ne donner qu’un exemple, on notera que la bibliographie partielle publiée sur Internet par Romuald Ian Lakowski en 1995 compte pas moins d’une douzaine de versions différentes de la première traduction en anglais (de Ralph Robynson en 1551) et une douzaine d’autres traductions modernes qui ont chacune connu un nombre incalculable d’éditions. Il y a eu en français aussi au moins six traductions différentes et une multitude d’éditions de l’ouvrage de More. Et il en va évidemment de même dans plusieurs autres langues européennes et non européennes; Romuald Ian Lakowski, « A Bibliography of Thomas More's Utopia », Early Modern Literary Studies, 1.2, 1995, 6.1-10, http://extra.shu.ac.uk/emls/01-2/lakoutop.html#BCH3 (15 octobre, 2012).
-
[3]
Une première version de ces recherches a été présentée au congrès annuel de la Renaissance Society of America à Montréal (24-26 mars 2011) dans une communication intitulée « The Utopian Book ».
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[4]
Il existe même certaines éditions qui ne reproduisent que le livre II de L’Utopie, comme en témoigne la première traduction (en allemand) dès la première moitié du xvie siècle : Thomas More, Von der wunderbarlichen Innsel Utopia genant das ander Buch, traduction de Claudius Cantiuncula, Bâle, 1524.
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[5]
Seules les éditions « critiques » – celles de Yale en anglais par exemple, ou encore la magnifique édition de l’abbé Prévost en français (que nous utiliserons ici) – incluent tous les matériaux et reprennent la configuration des éditions originales : The Yale Edition of the Complete Works of St. Thomas More, Volume 4, « Utopia », éd. E. Surtz & J. H. Hexter, New Haven et Londres, Yale University Press, 1965 (avec fac-similé de l’édition de Bâle de mars 1518); L’Utopie de Thomas More, traduction et présentation d’André Prévost, Paris, Mame, 1978 (avec fac-similé de l’édition de Bâle de novembre 1518). Malheureusement ces éditions sont peu accessibles au public des lecteurs non spécialistes de par leur coût prohibitif et leur taille rédhibitoire (l’édition de Prévost, par exemple, avec son introduction et ses nombreux commentaires et notes critiques, compte près de 800 pages!).
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[6]
Sauf, généralement, la lettre de More à Pierre Gilles qui sert de préface à l’ouvrage.
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[7]
Quelques-unes de ces annotations sont parfois intégrées dans le corps du texte comme intertitres.
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[8]
Même l’édition toute récente de Guillaume Navaud, chez Folio, qui prétend offrir au grand public le « texte intégral » de L’Utopie avec ses multiples « paratextes » – « qui jouent [admet l’éditeur] un rôle crucial dans la mise en place de la fiction du récit de voyage » (p. 221) –, se contente seulement de placer ces fameux paratextes dans les « annexes » à la fin plutôt que dans leur position originale; voir Thomas More, L’Utopie, édité par Guillaume Navaud, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 2012. Même la fameuse lettre de More à Gilles qui, en tant que préface, fait pourtant partie intégrante du corps du texte de L’Utopie se retrouve en annexe dans cette édition. L’éditeur choisit aussi de ne pas publier les annotations marginales, car, selon lui, « elles n’apportent pas de lumières décisives sur la réception et l’interprétation de l’oeuvre » (p. 224).
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[9]
Il existe même certaines éditions qui n’incluent que le Livre II – et ce, dès la première traduction allemande : Von der wunderbarlichen Innsel Utopia genant das ander Buch, trad. Claudius Cantiuncula, Bâle, 1524.
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[10]
Ad lectorem. Habes Candide Lector opusculum illud vere aureu[m] Thomae Mori no[n] min[us] vtile [quam] elega[n]s de optimo reipublic[ae] statu, de[que] noua Insula Utopia…, Paris, Gilles de Gourmont, 1517.
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[11]
De optimo reip[ublicae] statu deque nova insula Utopia libellus vere aureus, nec minus salutaris quàm festivus, clarissimi disertissimeque viri Thomae Mori inclytae civitatis Londinensis civis & Vicecomitis. Epigrammata clarissimi disertissimque viri Thomae Mori, pleraque e Graecis versa. Epigrammata Des[ideri] Erasmi Roterodami, Bâle, Johannes Froben, mars et novembre 1518.
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[12]
Voir notamment mon article « The Fellowship of the Book. Printed Voices and Written Friendships in More’s Utopia », dans Dorothea Heitsch et Jean-François Vallée (dir.), Printed Voices. The Renaissance Culture of Dialogue, Toronto, University of Toronto Press, 2004, p. 42-62.
-
[13]
À ce sujet, voir André Prévost, « Avant-propos », L'Utopie de Thomas More, Paris, Mame, 1978, p. 64-68.
-
[14]
Toutes les reproductions des pages de l’édition de L’Utopie dans cet article proviennent de la version numérique de l’édition Froben de novembre 1518 publiée en ligne par la bibliothèque de l’université de Bielefeld en Allemagne (Universitätsbibliothek Bielefeld). Thomas More, De optimo reipublicae statu, deque nova insula Utopia…, Bâle, Froben, 1518. http://www.ub.uni-bielefeld.de/diglib/more/utopia/ (15 octobre 2012). Nous remercions les responsables de la bibliothèque de nous avoir accordé la permission d’utiliser ces images. Rappelons que le frontispice de la page titre de cette édition, différente de l’édition de mars, a été gravée par Hans Holbein.
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[15]
Lisa Jardine, Erasmus, Man of Letters. The Construction of Charisma in Print, Princeton, Princeton University Press, 1993.
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[16]
Le début de l’édition Froben de 1515 de L’Éloge de la folie (Moria encomium) se lit comme suit : Stulticiae laus, libellus vere aureus, nec minus eruditus, & salutaris, quam festivus [...] (C’est moi qui souligne). Tandis que le titre de l’édition de Louvain de L’Utopie commence ainsi : Libellus vere aureus nec minus salutaris quam festivus […]. Seule l’absence de l’« érudition » distingue donc le livre de More de celui de son ami Érasme…
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[17]
Jardine propose une brillante analyse historique et iconographique de la correspondance et des circonstances entourant la réalisation du fameux diptyque de Quentin Metsys qui représente les amis de More, Érasme et Pierre Gilles : « When the panels [of the painting] are united, we have a fresh composition—a teacher and his pupil, a pair of friends, a letter writer and one of his familiar correspondents. Now the representation is of amicitia (friendship), in the deepened, classical sense—a relationship of intimacy, trust, and mutual service, captured in the literary heritage with the stories of Theseus and Pirithous, Pylades and Orestes. The graphic representation of intimate friendship is bestowed in friendship on the third member of the trio—Thomas More—as a token of friendship—testifying to the ‘most distant ages’ the friendship of Erasmus. And at the center of this testament to friendship rests a book. »; Lisa Jardine, Erasmus, Man of Letters. The Construction of Charisma in Print, Princeton, Princeton University Press, 1993, p. 38.
-
[18]
More tenait à avoir un « homme politique parmi les dédicataires de l’ouvrage. Dans une lettre à Érasme, il insiste en effet pour que son ouvrage soit élégamment lancé (« handsomely set off ») par les plus hautes recommandations tant d’« intellectuels » que d’« hommes d’État » (by the « highest of recommendations » from « both intellectuals and distinguished statesmen »); Thomas More, Selected Letters, éd. Eliszabeth Frances Rogers, New Haven, Yale University Press, 1961, p. 76.
-
[19]
Ajoutons que, dans les deux éditions Froben de 1518, le texte de L’Utopie est suivi, dans le même volume, de deux livres d’épigrammes de More et d’Érasme, livres qui sont également accompagnés de lettres de dédicace (dont une qui fait référence à L’Utopie). Bien que ces livres semblent avoir une existence autonome – avec un colophon pour chaque et une date d’impression distincte, décembre plutôt que novembre par exemple dans la deuxième édition –, ils semblent avoir été conçus comme faisant partie intégrante de cette même édition, puisque les numéros de pages s’inscrivent en continuité avec la numérotation des pages de L’Utopie.
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[20]
C’est d’ailleurs aussi en termes de « discussion », de « conversation » et de « dialogue » qu’un spécialiste de ce matériel paratextuel, Peter Allen, décrit les parerga: « With the first letter we move into a world of scholarly discussion. Everyone knows everyone else; the names in the group recur throughout. A letter from a Dutch scholar to a German-Swiss printer appears next to one from a French Hellenist to an English student; the letters thus foreshorten space and, in their one language, create the sense of a small, friendly group of humanists, whose conversation revolves around the central subject of Utopia. [...] [the book] ends with further dialogues and leads us on to yet another letter and two more poems. Thus the world of Utopia becomes an incident in a long discussion; it is not a separate book but the central subject of the conversation—a rather lengthy anecdote told to a group of humanists, all of whom listen to it and comment on it. Not only does the atmosphere begin outside Utopia and penetrate into it, but the story itself penetrates into real life and spreads out through the rest of the book. »; Peter R. Allen, « Utopia and European Humanism: the Function of the Prefatory Letters and Verses », Studies in the Renaissance, n° 10, 1963, p. 100. C’est moi qui souligne. Andrew McLean propose aussi de lire l’ajout des parerga autour du corps du texte de L’Utopie comme le dernier stade de la « dialogisation » de l’ouvrage : « [The] prefatory letters draw the reader into the ironic point of view which is the foundation of Utopia and they are, in effect, a final refinement of the dramatic and dialogic techniques initiated by the declamatio of Book 2. »; Andrew McLean, « Thomas More’s Utopia as Dialogue and City Encomium », Acta Conventus Neo-Latini Guelpherbytani, S.P. Revard, F. Radle & M. Di Cesare éd., Binghamton, Medieval & Renaissance Texts & Studies, 1988, p. 94.
-
[21]
Elisabeth McCutcheon, ‘My dear Peter’: the Ars Poetica and Hermeneutics for More’s Utopia, Angers, Moreanum, 1983.
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[22]
« But at the same time that More addresses one dear friend in his prefatory letter, and indirectly addresses another even better friend, Erasmus, he addresses other potential readers of the Utopia. So this letter is more public and less personal than it appears to be. »; Elisabeth McCutcheon, ‘My dear Peter’: the Ars Poetica and Hermeneutics for More’s Utopia, Angers, Moreanum, 1983, p. 16.
-
[23]
« The work signals its own duplicities, then, and More is not, finally, trying to deceive us but to delight us at the same time that he startles us into inquiry, inviting us to discover his own art and to participate in an ongoing dialogue which he initiates. »; Elisabeth McCutcheon, ‘My dear Peter’: the Ars Poetica and Hermeneutics for More’s Utopia, Angers, Moreanum, p. 51.
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[24]
Fort heureusement, dans les dernières décennies, plus de commentateurs ont commencé à prendre en compte les dialogues du Livre I dans leur interprétation du discours utopique du Livre II. Un des commentateurs les plus intéressants à ce titre est Quentin Skinner (voir notamment son « Sir Thomas More's Utopia and the Language of Renaissance Humanism », The Languages of Political Theory in Early-Modern Europe, éd. A. Pagden, Cambridge, Cambridge University Press, 1987, p. 123-157).
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[25]
Sur l’importance cruciale du genre dialogique, voir entre autres : Anne Godard, Le dialogue à la Renaissance, Paris, Presses Universitaires de France, 2001; Eva Kushner, Le dialogue à la Renaissance. Histoire et poétique, Genève, Droz, 2004; Dorothea Heitsch et Jean-François Vallée (éd.), Printed Voices. The Renaissance Culture of Dialogue, Toronto, University of Toronto Press, 2004.
-
[26]
« The whole Renaissance cherished that wish of reposeful, blithe, and yet serious intercourse of good and wise friends in the cool shade of a house under trees, where serenity and harmony would dwell. »; Johan Huizinga, Erasmus of Rotterdam, trad. F. Hopman, Londres, Phaidon Press, 1952, p. 104.
-
[27]
Pour une analyse approfondie, voir notamment le chapitre de ma thèse qui porte sur L’Utopie (Jean-François Vallée, « Les voix imprimées de l’humanisme. Un dialogue entre L’Utopie de Thomas More et le Cymbalum mundi de Bonaventure Des Périers », thèse de doctorat, Montréal, Université de Montréal, Département de littérature comparée, 2001, p. 336-421), ainsi que l’article précité (Jean-François Vallée, « The Fellowship of the Book. Printed Voices and Written Friendships in More’s Utopia », dans Dorothea Heitsch et Jean-François Vallée (dir.), Printed Voices. The Renaissance Culture of Dialogue, Toronto, University of Toronto Press, 2004, p. 42-62).
-
[28]
Sur la fonction de ces lieux typiques du dialogue renaissant, tels que le jardin, voir Eva Kushner, « Le rôle structurel du locus amoenus dans les dialogues de la Renaissance », Cahiers de l'Association internationale des études françaises, no 34, Paris, mai 1982, p. 39-57.
-
[29]
On notera que, comme pour la plupart des livres de l’époque, la mise en page du corps du texte est « tout d’un bloc », tandis que les éditions modernes ajoutent habituellement des sauts de paragraphe, des tirets et des guillemets pour représenter les changements de locuteurs dans ces mêmes scènes dialoguées. On pourrait faire l’hypothèse que, dans les éditions de la Renaissance, c’est le dialogue lui-même qui crée le rythme et le découpage du texte. D’ailleurs, peut-être que l’importance cruciale du dialogue à l’époque s’explique, en partie, par cette nécessité de scander, de découper, de rythmer, etc. un texte par trop monolithique dans sa présentation graphique.
-
[30]
Pour avoir une idée de l’abondante littérature secondaire sur ce sujet, voir notamment les sections « II.e. Humanism, Ethics, Philosophy and Religion » et « II.h. Marxism and Literary Theory » de la bibliographie de Romuald Ian Lakowski : « A Bibliography of Thomas More's Utopia », Early Modern Literary Studies, 1.2, 1995, 6.1-10, http://extra.shu.ac.uk/emls/01-2/lakoutop.html#BCH3 (15 octobre, 2012).
-
[31]
Selon nos calculs, ce passage forme donc plus de 50 % des éditions Froben (du moins si l’on ne compte pas les deux livres d’épigrammes de More et d’Érasme qui sont ajoutés à L’Utopie dans ces éditions).
-
[32]
Sur le genre très particulier de l’éloge paradoxal, voir notamment Patrick Dandrey, L'Éloge paradoxal de Gorgias à Molière, Paris, Presses universitaires de France, collection « Écriture », 1997.
-
[33]
« Ce n’est qu’à la quatrième édition que More en a fait disparaître la trace [de l’oratio] en remplaçant Oratio discours par Sermo conversation, dialogue. »; André Prévost, « Avant-propos », L’Utopie de Thomas More, Paris, Mame, 1978, p. 71, n. 3.
-
[34]
Le passage souligné en vert dans l’édition reproduite ici raconte justement comment le roi Utopus, qui a donné son nom à ce pays après l’avoir conquis, « fit creuser les quinze mille d’un isthme qui reliait leur pays au continent, et amena la mer tout autour du territoire. »; L’Utopie de Thomas More, Paris, Mame, 1978, p. 630.
-
[35]
L’Utopie de Thomas More, Paris, Mame, 1978, p. 630.
-
[36]
Elizabeth McCutcheon, « Thomas More, Raphael Hythlodaeus, and the Angel Raphael », Studies in English Literature 1500-1900, vol. IX, n° 1, 1969, p. 37.
-
[37]
« […] or, ce principe [celui de la « communauté des moyens d’existence »], à lui seul, ruine de fond en comble toute espèce de noblesse, de magnificence, de splendeur, de majesté, ce qui fait selon l’opinion publique, la gloire et l’ornement véritables d’un État »; L’Utopie de Thomas More, Paris, Mame, 1978, p. 630. Même si certains commentateurs ont lu ce passage au premier degré, il paraît évident ici que More se veut ironique, comme en témoignent notamment l’attribution de cette opinion au « public » et l’affirmation selon laquelle l’État tiendrait toute sa gloire des attributs liés à la richesse et à l’ostentation. Il va de soi ni le personnage-narrateur « More », ni l’auteur More n’auraient partagé cette opinion « commune ».
-
[38]
L’Utopie de Thomas More, Paris, Mame, 1978, p. 630.
-
[39]
L’Utopie de Thomas More, Paris, Mame, 1978, p. 633.
-
[40]
À ce sujet, je me permets de renvoyer encore à ma thèse : « Les voix imprimées de l’humanisme. Un dialogue entre L’Utopie de Thomas More et le Cymbalum mundi de Bonaventure Des Périers », thèse de doctorat, Montréal, Université de Montréal, Département de littérature comparée, 2001, p. 336-421.
-
[41]
Dans la dernière édition de L’Utopie, on trouve 8 annotations dans les marges de la lettre-préface de More, 16 dans celles du Livre I et pas moins de 170 au Livre II.
-
[42]
C’est du moins ce que laisse entendre l’intitulé de l’édition Gourmont à Paris en 1517: « [...] on y trouve des annotations d’Érasme » (Erasmi annotationes). Un fac-similé du frontispice de cette édition est reproduit à la page 227 de l’édition de Prévost, L’Utopie de Thomas More, Paris, Mame, 1978, p. 226 (pour la traduction).
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[43]
C’est ce que prétend Gilles lui-même dans sa lettre à Busleyden : « j’ai aussi ajouté dans les marges quelques petites annotations » (tum adiectis ad margines aliquot annotatiunculis); L’Utopie de Thomas More, Paris, Mame, 1978, p. 338. Ainsi, il est possible que l’attribution des notes à Érasme en 1517 ait été motivée par des intentions purement « promotionnelles », ou encore que Giles et Érasme aient tous deux contribué à celles-ci, comme le suggère André Prévost.
-
[44]
C’est la conclusion, impossible à démontrer, de Prévost : « Gilles revendique la paternité des annotations marginales [...]. Lupset, dans l'édition de Paris [...], les attribue à Érasme. Il faut donc conclure que les deux humanistes auraient travaillé à la rédaction de ces notes. »; L’Utopie de Thomas More, Paris, Mame, 1978, p. 655, n. 7.
-
[45]
Andrew McLean parle aussi en termes de dialogue pour décrire cette interaction : « the marginal glosses which accompany the Utopia carry on a dialogue with the text »; Andrew McLean, « Thomas More’s Utopia as Dialogue and City Encomium », Acta Conventus Neo-Latini Guelpherbytani, éd. S. P. Revard, F. Radle & M. Di Cesare, Binghamton, Medieval & Renaissance Texts & Studies, 1988, p. 94.
-
[46]
« More’s shift from the dialogue form of Book I to the monologue form in book II allows for, or even necessitates, the shift in the nature of the glosses and the function of the commentator. In Book I the characters of More and Giles converse with Hythloday [...], but throughout Hythloday’s long monologue on Utopia in Book II, they, of course, remain silent. Thus during their silence, the commentator’s role becomes more important and serious as he alone provides reactions [...] without violating the monologue form. » Dana G. McKinnon, « The Marginal Glosses in More’s Utopia: The Character of the Commentator », Renaissance Papers, 1970, p. 14.
-
[47]
L’Utopie de Thomas More, Paris, Mame, 1978, p. 625. On notera ici en passant que l’adresse au lecteur vient jouer simultanément sur deux axes d’interaction : avec le corps du texte, ainsi qu’avec son lecteur.
-
[48]
L’auteur des notes marginales se constitue par là un ethos d’humaniste érudit, parfois jusqu’à la caricature : il fait référence à Tite-Live, à Horace, à Crassus, à l’Isthme de Corinthe, à Platon, à Virgile, aux stoïciens, et utilise parfois même le grec.
-
[49]
Plusieurs annotations au Livre II, par exemple, viennent souligner la « ressemblance » entre certains traits de la société et du pays d’Utopie et l’Angleterre contemporaine : « Par ce trait, Londres ressemble à Amaurote »; ou « Même phénomène sur la Tamise chez les Anglais »; L’Utopie de Thomas More, Paris, Mame, 1978, p. 625.
-
[50]
Selon l’auteure de l’étude la plus systématique de ces annotations, même si la personnalité de ce commentateur demeure assez homogène tout au long de l’ouvrage, des aspects différents de cette même personnalité sont mis de l’avant dans les diverses parties de l’ouvrage : « While the commentator’s character is consistent throughout the work, a different facet of his personality dominates each book. [...] The six glosses in the prefatory letter from More to Giles and the eighteen glosses in Book I primarily reveal him as a somewhat pedantic humanist-scholar. [...] On the other hand, the 170 glosses in Book II primarily reveal the humanist-teacher. »; Dana G. McKinnon, « The Marginal Glosses in More’s Utopia: The Character of the Commentator », Renaissance Papers, 1970, p. 13-14.
-
[51]
Comme le note fort justement André Prévost, le « ton de ces remarques révèle nettement les réactions d’un lecteur et non celles d’un auteur »; L’Utopie de Thomas More, Paris, Mame, 1978, p. 655, n. 7.
-
[52]
« Ô République sainte que même les chrétiens devraient imiter! »; ou encore : « Ô combien les Utopiens sont plus sages que le vulgaire des chrétiens! »; L’Utopie de Thomas More, Paris, Mame, 1978, p. 497 et p. 510.
-
[53]
« Admirable comparaison », par exemple; L’Utopie de Thomas More, Paris, Mame, 1978, p. 354 et, à nouveau, à la p. 433.
-
[54]
Pour un exemple de cette transformation du rapport entre l’auteur et le lecteur au seuil de la modernité, voir notamment mon analyse du cas de l’auteur et épistolier français Jean-Louis Guez de Balzac dans les années 1620 : « Les lettres nouvelles de Jean-Louis Guez de Balzac dans le recueil Faret à l’aune de la tradition épistolaire humaniste », Politiques de l’épistolaire au XVIIe siècle, études réunies par Mathilde Bombart et Éric Méchoulan, Paris, Classiques Garnier, 2011, p. 97-110.
-
[55]
Pour avoir un aperçu du complexe processus de transition qui mène à ce changement de perspective dans la deuxième moitié du XVIe siècle, voir surtout Walter J.Ong, Ramus : Method, and the Decay of Dialogue. From the Art of Discourse to the Art of Reason, Cambridge, Harvard University Press, 1958.
-
[56]
Sur les paradoxes de la conception de l’écriture chez les humanistes, au regard tout particulièrement de leur usage du genre dialogué, voir le texte de ma communication « Paradoxes of Orality and Literacy: The Curious Case of the Renaissance Dialogue » publiée dans Proceedings of the 10th Annual Convention of the Media Ecology Association, Saint Louis University, St. Louis, MO, June 18–2, 2009, Paul Soukup (dir.), 2010. http://www.mediaecology.org/publications/MEA_proceedings/v10/8_Paradoxes.pdf (19 octobre 2012).
-
[57]
Voir notamment la lecture du processus de composition que propose André Prévost dans son « Avant-propos » à L’Utopie de Thomas More, Paris, Mame, 1978, p. 64-68.
-
[58]
C’est le critique J. H. Hexter qui le premier, en 1952, identifie cette « couture » (the « seam ») qui permet de confirmer la présence de cette phase distincte de composition juste avant que le Livre I prenne la forme d’un dialogue (« just before the point where Book I assumes its characteristic form of a dialogue »). Il note aussi le passage du style indirect au style direct : « In fact, there is also some dialogue in the original introduction to Book I, but, significantly, it is narrated indirectly by the character « More », whereas the rest of the dialogue in Book I is in the dramatic (i.e., direct) mode. »; More’s Utopia : The Biography of an Idea, New York, Harper & Row, Evanson & London, 1965 (première édition : Princeton University Press, 1952), p. xix.
-
[59]
« The general tendency of these revisions is away from direct statement and towards increasing ambiguity and indirection »; Brian O’Brien, « J. H. Hexter and the Text of Utopia: A Reappraisal », Moreana, vol. XXIX, n° 110, juin 1992, p. 28.
-
[60]
Sur la métaphore de la lecture comme dialogue, voir notamment Marie Cusson, « La lecture est-elle un dialogue? », Protée, vol. 27, n° 2, automne 1999, p. 7-13.
-
[61]
Germain Marc’Hadour a d’ailleurs décrit cette année qui voit, entre autres, la publication du Novum instrumentum d’Érasme (en mars) et de Utopia de son ami More (en décembre) comme un véritable « annus mirabilis » pour l’humanisme du Nord; L’univers de Thomas More, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1963, p. 227.
-
[62]
« Exhortation » (Paraclesis), Le Nouveau Testament, dans Érasme, Oeuvres choisies, présentation, traduction et annotations de Jacques Chomarat, Paris, Le Livre de poche classique, p. 447.
-
[63]
Sur le caractère extrêmement controversé de cette traduction, voir notamment Marjorie O'Rourke Boyle, « A Conversational Opener: The Rhetorical Paradigm of John 1:1 », A Companion to Rhetoric and Rhetorical Criticism, éd. Walter Jost et Wendy Olmsted, Oxford, Blackwell, 2004, p. 58-79.
Bibliographie
- Érasme, Moriae encomium, Bâle, Johannes Froben, 1515.
- Thomas More, Libellus vere aureus nec minus salutaris quam festivus de optimo reip. statu, deque nova Insula Utopia, Louvain, Thierry Martens, 1516.
- Thomas More, Ad lectorem. Habes Candide Lector opusculum illud vere aureu[m] Thomae Mori no[n] min[us] vtile [quam] elega[n]s de optimo reipublic[ae] statu, de[que] noua Insula Utopia…, Paris, Gilles de Gourmont, 1517.
- Thomas More, De optimo reip[ublicae] statu deque nova insula Utopia libellus vere aureus, nec minus salutaris quàm festivus, clarissimi disertissimeque viri Thomae Mori inclytae civitatis Londinensis civis & Vicecomitis. Epigrammata clarissimi disertissimque viri Thomae Mori, pleraque e Graecis versa. Epigrammata Des[ideri] Erasmi Roterodami, Bâle, Johannes Froben, mars 1518.
- Thomas More, De optimo reip[ublicae] statu deque nova insula Utopia libellus vere aureus, nec minus salutaris quàm festivus, clarissimi disertissimeque viri Thomae Mori inclytae civitatis Londinensis civis & Vicecomitis. Epigrammata clarissimi disertissimque viri Thomae Mori, pleraque e Graecis versa. Epigrammata Des[ideri] Erasmi Roterodami, Bâle, Johannes Froben, novembre 1518.
- Thomas More, Von der wunderbarlichen Innsel Utopia genant das ander Buch, traduction de Claudius Cantiuncula, Bâle, Bebelius, 1524.
- Thomas More, L’Utopie de Thomas More, traduction et présentation d’André Prévost, Paris, Mame, 1978.
- Thomas More, The Yale Edition of the Complete Works of St. Thomas More, volume 4, « Utopia », éd. E. Surtz & J. H. Hexter, New Haven et Londres, Yale University Press, 1965.
- Thomas More, L’Utopie, éd. Guillaume Navaud, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 2012.
- Thomas More, Selected Letters, éd. Elizabeth Frances Rogers, New Haven, Yale University Press, 1961.
- Peter R. Allen, « Utopia and European Humanism: the Function of the Prefatory Letters and Verses », Studies in the Renaissance, n° 10, 1963, p. 91-107.
- Patrick Dandrey, L'Éloge paradoxal de Gorgias à Molière, Paris, Presses Universitaires de France, collection « Écriture », 1997.
- Anne Godard, Le dialogue à la Renaissance, Paris, Presses Universitaires de France, 2001.
- Dorothea Heitsch et Jean-François Vallée (éd.), Printed Voices. The Renaissance Culture of Dialogue, Toronto, University of Toronto Press, 2004.
- Johan Huizinga, Erasmus of Rotterdam, trad. F. Hopman, Londres, Phaidon Press, 1952.
- Lisa Jardine, Erasmus, Man of Letters. The Construction of Charisma in Print, Princeton, Princeton University Press, 1993.
- Eva Kushner, « Le rôle structurel du locus amoenus dans les dialogues de la Renaissance », Cahiers de l'Association internationale des études françaises, no 34, Paris, mai 1982, p. 39-57.
- Eva Kushner, Le dialogue à la Renaissance. Histoire et poétique, Genève, Droz, 2004.
- Romuald Ian Lakowski, « A Bibliography of Thomas More's Utopia », Early Modern Literary Studies, 1.2, 1995, < http://extra.shu.ac.uk/emls/01-2/lakoutop.html#BCH3 >.
- Elizabeth McCutcheon, « Thomas More, Raphael Hythlodaeus, and the Angel Raphael », Studies in English Literature 1500-1900, vol. IX, n° 1, 1969, p. 21-38.
- Elisabeth McCutcheon, ‘My dear Peter’: the Ars Poetica and Hermeneutics for More’s Utopia, Angers, Moreanum, 1983.
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- Andrew McLean, « Thomas More’s Utopia as Dialogue and City Encomium », Acta Conventus Neo-Latini Guelpherbytani, S.P. Revard, F. Radle & M. Di Cesare éd., Medieval & Renaissance Texts & Studies, Binghamton, 1988, p. 91-97.
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