Écrire ensemble : réseaux et pratiques d’écriture dans les revues francophones du xxe siècle[Record]

  • Michel Lacroix and
  • Jean-Philippe Martel

Vecteurs privilégiés des prises de positions esthétiques et idéologiques, tout au long du xxe siècle, de leur dissémination et déconstruction, association et déliaison, par le biais des poèmes, récits, essais, comptes rendus et illustrations, les revues informent notre compréhension de l’histoire. Elles disent l’histoire, la dévoilent, la font. Elles peuvent en ce sens être envisagées comme documents — espaces de débats et témoins de luttes particulières entre différents acteurs — aussi bien que comme monuments littéraires, oeuvres à part entière, pour reprendre la leçon de Foucault. Oeuvres globales et éclatées, elles enchaînent et unissent, article par article, numéro par numéro, sous une même enseigne et dans le cadre d’un « livre périodique », une variété de genres, thématiques, tons et propos, un carrousel de signatures. Cependant, une revue n’est pas qu’une réunion de contributions individuelles, juxtaposition anthologique que nul trait ne permettrait de circonscrire comme ensemble spécifique : c’est un travail collectif, un grand texte écrit, volontairement, à plusieurs mains. Par suite, elle exige, fait et défait un réseau de collaborateurs plus ou moins hétéroclite, lance le défi d’une parole collective, met en jeu le pouvoir de cette parole au sein de la collectivité englobante. Depuis une vingtaine d’années, les travaux qui mobilisent les notions de sociabilités intellectuelles et littéraires, de réseaux et de lieux se multiplient. Au carrefour de plusieurs approches, ils permettent une lecture du xxe siècle aussi bien historiographique, basée sur l’étude de parcours individuels ou collectifs, que sociologique, fondée sur la notion de « champ » intellectuel, culturel ou littéraire, fonctionnant selon ses propres règles et selon une logique de positionnement, elle-même régie par un ensemble de stratégies de légitimation et de consécration (P. Bourdieu). L’étude des revues s’est en ce sens avérée un terrain de recherches particulièrement fécond (P. Poirrier). On a examiné le rôle des revues littéraires dans la vie intellectuelle francophone, en regard des courants idéologiques qui l’informent, tant en Europe (M. Winock, J.-F. Sirinelli, P. Ory et les chercheurs de l’Institut d’histoire du temps présent) qu’en Amérique (A. Fortin, P. Ryan, J.-P. Warren, etc.); on a interrogé leurs conditions de succès et de déclin à partir de la théorie des champs littéraires et culturels (A. Boschetti, G. Sapiro, etc.); enfin, on a offert des relectures de l’histoire littéraire centrée sur certaines d’entre elles (A. Anglès, T. Loué, etc.). Mais il y a plus, car l’étude des revues dans une perspective littéraire incite à prendre en compte, aussi, des modes d’écriture, sans les rabattre uniquement sur des singularités individuelles. Les développements récents des travaux sur le journal s’avèrent à cet égard très inspirants. M.-È. Thérenty et A. Vaillant, dans la foulée d’une relecture globale des interactions entre journalisme et littérature, elle-même encadrée par l’examen des transformations culturelles, économiques et sociopolitiques suscitées par le passage à une ère médiatique, ont examiné la presse en tant qu’oeuvre globale, périodique et collective, générant des « poétiques journalistiques » spécifiques dont les effets se font ressentir dans plusieurs genres contemporains. Leur approche, essentiellement appliquée à l’analyse des journaux du xixe siècle, mérite d’être prolongée en direction des revues littéraires du xxe siècle, comme ont pu le faire, à leur manière, les collectifs sous la direction de B. Curatolo. On peut signaler, à ce sujet, le diptyque qui vient de paraître de P. Suter, dans lequel il s’est intéressé, d’une part, à l’intégration de procédés empruntés à la presse dans la fiction, et, d’autre part, à la figuration de la presse — engageant de cette manière un véritable dialogue poétique avec les périodiques et leur rôle dans la création littéraire. Une autre contribution significative …

Appendices