Mémoires du livre
Studies in Book Culture
Volume 4, Number 1, Fall 2012 Écrire ensemble : réseaux et pratiques d’écriture dans les revues francophones du XXe siècle Writing ensembles: Network and Writing Practices in Twentieth-Century Francophone Journal Guest-edited by Michel Lacroix and Jean-Philippe Martel
Traductrices : Michelle Ariss et Héloïse Duhaime
Table of contents (11 articles)
Articles
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La revue de création littéraire acadienne éloizes : au laboratoire de la modernité
Benoit Doyon-Gosselin and David Bélanger
AbstractFR:
La revue éloizes a joué, dans le paysage littéraire acadien, un rôle déterminant : tant dans l’émergence d’une parole littéraire que dans la constitution d’un véritable discours sur la littérature en Acadie, cette revue a été un vecteur de légitimation. Elle a, en outre, permis l’éclosion d’une véritable communauté littéraire acadienne, laquelle s’étendait à des auteurs amis de l’Acadie et à des littératures cousines, issues de contextes francophones minoritaires. La revue éloizes participa ainsi à l’histoire littéraire acadienne, en tant que sismographe des tensions de l’époque, mais aussi en tant que laboratoire des nouvelles pratiques. Il s’agit donc de présenter dans cet article la quête de légitimité double à laquelle a travaillé la revue tout au long de son existence : autonomiser la littérature acadienne du contexte social et communautaire acadien et la différencier des autres littératures, et légitimer la revue elle-même en tant qu’objet littéraire pour, par-delà, légitimer toute la littérature dont elle est issue.
EN:
The publication éloizes has played a crucial role in the Acadian literary landscape. In both the emergence of a literary language and in the creation of a veritable literary discourse concerning Acadian literature, this journal has been a site of literary legitimization. Among other things, it allowed the emergence of a true Acadian literary community which embraced friends of Acadian authors as well as related literatures produced in other Francophone minority settings. Evidently, éloizes was an important participant in Acadian literary history, acting as a seismograph recording tensions of the time, and as a laboratory for new practices. This article sheds light on the quest for legitimacy sought by this journal throughout its existence: empowering Acadian literature within the social and cultural Acadian community; differentiating it from other literatures; legitimizing the publication itself as a literary object and by doing so consistently legitimizing all the literature it published over the years.
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Institution du savoir et construction de la valeur dans Voix et images. Éléments pour une épistémologie de l’histoire littéraire
Alex Gagnon
AbstractFR:
L’enjeu du présent article consiste à analyser le « savoir » comme un genre de discours. D’abord émise à titre d’hypothèse de travail, cette proposition permet ensuite, sans emprunter d’emblée les voies habituelles de l’analyse des médiations littéraires, de jeter un éclairage latéral sur le fonctionnement de la revue Voix et images. Dans le cadre de cette épistémologie, ici à peine esquissée, l’histoire littéraire se trouve en quelque sorte retournée sur elle-même : il s’agit bien d’analyser la place et la fonction de la revue dans l’histoire littéraire québécoise, mais en examinant la construction discursive de cette histoire telle qu’elle s’élabore dans la revue elle-même. Ici, la « littérature québécoise » est une notion construite et l’« histoire littéraire », une représentation. Mais loin de se constituer comme démarche exclusive, cette perspective « épistémologique » doit être envisagée comme perspective complémentaire. Elle ne prétend à aucune spécificité, ni d’objet ni de méthode, mais vise simplement à mettre en lumière une autre dimension des objets couramment pris en charge par les sociologies de la littérature.
EN:
In this analysis of the Québécois literary journal Voix et images, an attempt is made to consider the category of “knowledge” as a specific discourse genre. Initially presented as a working hypothesis, this approach sheds lateral and complementary light on the role of Voix et images, and purposely avoids the usual ways of analyzing literary media coverage. Within the framework of this epistemology, outlined briefly, literary history is seen as turning in on itself. The approach used does indeed offer an analysis of the place and role of the journal in Quebec’s literary history, but it does so by examining the discursive construction of this history as it is put forward in the journal itself. Here, “Québécois literature” is a syntagm and “literary history”, a representation. However, far from being an exclusive process, this epistemological contribution introduces the possibility of articulating the insight that it brings into methods most common to today’s sociology of literature.
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Coopération, réseautage et Liaison. « Servir » la littérature québécoise par le recours à l’Argentine
Michel Nareau
AbstractFR:
La revue Liaison est parue de 1947 à 1950 sous la direction de Victor Barbeau à partir d’une formule éditoriale originale. En effet, les animateurs de la revue optent pour une diffusion restreinte, limitée qu’aux abonnés, qui se trouvent pour la plupart membres d’un réseau de coopération nommée « Servir ». Être lecteurs de la revue, dans ces conditions, c’est participer à son développement éditorial et esthétique. Dans cet article, j’étudie la singularité de ce mode d’organisation d’une revue, le rôle attribué au lectorat dans la conception de la revue, mais surtout ce qu’implique dans ce contexte éditorial singulier le recours fréquent à des écrivains argentins et plus largement hispano-américains. Ce détour argentin est significatif dans la longue durée de l’autonomisation littéraire québécoise et dans l’essor d’une pensée continentale. L’analyse de ce réseau à plusieurs branches participe d’une certaine réception de l’Amérique latine au Québec des années 1940.
EN:
Liaison is a review magazine that was published in Montréal from 1947 to 1950 under the direction of Victor Barbeau according to an original publication formula. In fact, only those who subscribed to the review could receive it. Moreover, subscribers had to be part of a cooperative association named “Servir.” To be a reader of Liaison was to participate in its editorial and esthetical choices. In this paper, I address this unusual organizational arrangement and the role it attributes to readers in the production of the magazine, but I focus on the implications of the magazine’s frequent recourse to Argentinean and Latin-American writers within this unique editorial context. The detour into Argentinean literature represented an important component in Quebec literature’s lengthy progression towards autonomy and in the development of a continental identity. The study of this multi-faceted network contributes to a larger reception of Latin America in the 1940s in Quebec.
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« Je ne partage évidemment aucune de tes conceptions de ce que sera le ton de la revue ». Andrée Maillet et Amérique française, 1947-1951 : un combat pour l’autonomie de la création littéraire
Pascale Ryan
AbstractFR:
La fin des années 1940 est souvent présentée comme un moment de transition dans le champ littéraire canadien-français, illustré, entre autres, par la querelle de « La France et nous ». La vie interne des revues littéraires, en explorant les relations intimes qui unissent ou séparent ceux qui « écrivent ensemble », peut aussi servir d’observatoire de ces moments de rupture. C’est le cas de la revue de création littéraire Amérique française, qui fait l’objet d’une intense discussion épistolaire entre Corinne Dupuis-Maillet, la nouvelle propriétaire, et sa fille Andrée Maillet. L’exploration de cette correspondance montre comment Andrée, en opposant sa vision de la création littéraire à celle de sa mère, se trouve à exposer ses propres idées sur l’autonomie de la littérature, qui la guideront lorsqu’à son tour, elle prendra la tête de la revue en 1951 et lui redonnera son prestige d’antan.
EN:
The end of the 1940s is regularly portrayed as a transition period in the French Canadian literary world, often illustrated by the famous episode of “La France et nous.” The internal life of literary magazines is a rich source of insight into these transitional moments. A study of the relationships that unite or separate those who “write together” can also serve as an observation point from which to consider such moments of rupture. Amérique française, a literary publication of that era and the focus of epistolary exchanges between Corinne Dupuis-Maillet, the new director, and her daughter Andrée Maillet, is a case in point. An analysis of their correspondence shows how, while she is opposing her mother’s literary point of view, Andrée Maillet is in the process of defining her own vision concerning the creation process and concerning literature itself, as well as the principles which will guide her when she herself becomes director of the publication in 1951, and succeeds in returning to Amérique française the prestige that it once enjoyed.
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L’échec de La Revue juive d’Albert Cohen
Alain Schaffner
AbstractFR:
La création de La Revue juive est un épisode assez mal connu dans l’histoire de la formation d’Albert Cohen. Conçue à partir de 1923, sous l’impulsion des mouvements sionistes dont Cohen fait partie, et publiée par la NRF en 1925, La Revue juive ne vivra que pendant un an, et ne publiera que six numéros avec des collaborateurs pourtant prestigieux comme Einstein et Freud. La raison de cet échec reste assez mystérieuse car nous avons très peu d’informations sur cette période et que les correspondances de Cohen à cette époque ne nous sont pas accessibles : défaut de financement sioniste, difficulté de fidéliser un lectorat, absence d’une véritable équipe éditoriale, contradiction entre l’engagement et les aspirations littéraires de Cohen? Il s’agit en tout cas pour lui d’un laboratoire de création artistique (il y publie plusieurs textes) et d’une importante expérience intellectuelle au cours de laquelle le futur auteur de Solal forge sa personnalité d’écrivain.
EN:
There is not much known about the creation of La Revue Juive at the beginning of Albert Cohen’s career. The young Cohen began working for it in 1923 under the influence of Zionist movements he then belonged to. The review was published by the NRF in 1925. In spite of very famous contributors such as Einstein and Freud, La Revue juive lasted barely one year. The reasons for this failure remain largely unknown, mostly because we have very little information about this period, and Cohen’s correspondence during those years is not accessible : a lack of money from the Zionist movement, difficulty in creating a pool of loyal readers, absence of a true editorial team around Cohen, contradictions between his commitment to Zionism and his literary aspirations? In any case, La Revue juive was for him a laboratory for artistic creativity where the future author of Solal shaped his writing personality.
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La revue Estuaire : de la bouche des poètes à l’embouchure éditoriale
Jacques Paquin and Marie-Pier Laforge-Bourret
AbstractFR:
Cet article étudie les circonstances et les motifs qui ont mené à la fondation de la revue de poésie Estuaire dans la ville de Québec, en 1976. Nous nous attardons plus particulièrement aux années 1976-1980, pendant lesquelles Jean Royer a été responsable de la revue, ainsi qu’aux principaux changements de discours et de comités éditoriaux qui se sont succédé au cours de ces années. Estuaire apparaît comme un collectif qui, tout en manifestant un esprit d’ouverture, ne propose pas de ligne esthétique nette, de sorte que la revue a occupé un espace relativement restreint dans le champ poétique québécois. Par ailleurs, l’article montre que l’éclectisme dont a fait preuve Estuaire a sans doute contribué à sa pérennité, contrairement aux revues d’avant-garde.
EN:
This article examines the circumstances and motives that led to the founding of the poetry journal Estuaire in Quebec City in 1976. We focus particularly on the years 1976-1980, when Jean Royer was in charge of the journal. We also study the main shifts in discourse and in the sequence of editorial committees during that period. Estuaire appeared to be a collective which, while demonstrating a spirit of openness, did not put forward a definitive aesthetic, and therefore occupied a relatively restricted space in the field of Québécois poetry. Furthermore, this article shows that the eclectic nature of Estuaire no doubt contributed to its endurance, as opposed to the lifespan of more avant-garde journals.
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Fondation et production de la revue Mainmise (1970-1978)
Jean-Philippe Warren
AbstractFR:
Mainmise (1970-1978) a représenté dans les années 1970 un lieu important de définition pour la jeunesse québécoise. La revue se voulait une sorte d’almanach du village global dans les pages duquel le lecteur trouvait des renseignements sur une variété de sujets, dont l’incontournable trilogie du rock, de la sexualité et de la drogue. Cependant, plutôt que de s’intéresser au contenu idéologique de la revue, le présent article cherche à comprendre le contexte d’apparition de Mainmise et ses conditions de production. Dans un premier temps, il s’agit de retracer les origines de cette publication contre-culturelle montréalaise dans des expériences de publication alternatives antérieures d’ici et d’ailleurs (dont Georgia Straight, Logos, Le Voyage) afin de saisir à quel point Mainmise s’insérait dans un important réseau nord-américain. Dans un deuxième temps, cet article s’attache à décrire les défis (souvent financiers) que les collaborateurs de Mainmise devaient relever pour assurer la continuité de leur projet.
EN:
In the 1970s, Mainmise (1970-1978) was an important forum for self-identification for Quebec’s young people. The periodical sought to be a sort of almanac of the global village in which readers would find information about a variety of topics, including the inescapable trilogy of rock music, sex, and drugs. However, rather than interrogate the periodical’s ideological content, this paper attempts to explain the context in which Mainmise appeared and its conditions of production. First, it traces the origins of this Montreal counter-culture publication back to previous alternative publishing experiences in Quebec and elsewhere (including Georgia Straight, Logos, and Le Voyage) in order to understand the extent to which Mainmise was part of an important North American network. Second, this paper describes the challenges (often financial) that Mainmise’s collaborators had to overcome in order to ensure the survival of their project.
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Les Hussards à la revue de La Table Ronde (1948-1952). Une jeune écriture périodique
Jean-Philippe Martel
AbstractFR:
Cet article se penche sur la contribution des écrivains Antoine Blondin, Jacques Laurent et Roger Nimier à la revue de La Table Ronde, entre sa fondation en janvier 1948 et le mois de décembre 1952, alors que Bernard Frank les réunit sous le terme de « Hussards » dans un article de la revue concurrente Les Temps Modernes. Étudiant d’abord les conditions qui ont rendu cette collaboration possible, il examine ensuite de quelle(s) manière(s) Blondin, Laurent et Nimier se sont inscrits dans les sommaires de La Table Ronde, qui se présente largement comme la gardienne de la liberté de l’esprit, contre les dérives de l’engagement. Enfin, cet article interroge la place et la fonction des textes donnés à La Table Ronde en regard de la trajectoire individuelle de chacun des Hussards, de façon aussi bien à saisir les linéaments de leur « écriture collective » que leur mode d’adhésion spécifique au littéraire.
EN:
This article analyses the contribution to the monthly literary magazine La Table Ronde of French writers Antoine Blondin, Jacques Laurent and Roger Nimier from the founding of the revue in January 1948 to the publication of an article in December 1952 by the young critic, Bernard Frank. In Les Temps Modernes, a concurrent publication, Frank grouped the three writers together, referring to them as “Hussards.” After a brief study of the conditions which made the Blondin, Laurent and Nimier collaboration possible, this article examines their impact on the La Table Ronde’s tables of contents, engaged as the journal was in a war with other periodicals and literary groups over the notion of “liberté de l’esprit” (freedom of thought). Finally, the role of texts written by the Hussards and published in La Table Ronde is interrogated in terms of their “collective writing” and of their specific manner of adhering to the literary.
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Sociopoétique des revues et l’invention collective des « petits genres » : lieu commun, ironie et saugrenu au Nigog, au Quartanier et à La Nouvelle Revue française
Michel Lacroix
AbstractFR:
Tenter de cerner les zones et degrés de partage ou de dissension entre voix singulière et écriture collective, telle pourrait être l'ambition d'une sociopoétique des revues, dont le présent article esquisse le programme à partir d'un survol des travaux antérieurs sur les revues, en France et au Québec. Une étude de trois cas de « petits genres » respectivement élaborés dans La Nouvelle Revue française, Le Nigog et Le Quartanier, en entreprend la mise en oeuvre, et montre comment des sociopoétiques « locales », partagées par un nombre restreint de collaborateurs, offrent des lieux d’invention littéraire plus marqués, plus nettement « signés » de la griffe collective de la revue que d’autres rubriques, où ce sont les signatures individuelles qui priment.
EN:
How do literary journals resolve the tensions between the individual and collective aspects of their enterprise? A sociopoetics of periodicals could give itself the task of investigating those tensions on an institutional, media and textual level. This article calls for the creation of such a field of research and explains its characteristics and goals via a survey of previous studies of periodicals in France and in Québec. The proposed method is illustrated through a study of three literary journals each of which invented new “minor genres.” In La Nouvelle Revue française, Le Nigog, and Le Quartanier, we see a limited number of collaborators create a “local” sociopoetics, embodying the collective spirit of each journal with more expressiveness and creativity than other titles, where individual signatures dominate.
Varia
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“we can all meet, be it soon or late”: E. A. Petherick and his scholarly and publishing social network
Alison Rukavina
AbstractEN:
Between 1870 and 1895, Australian bookseller Edward Petherick was an active member of the Royal Geographical Society, Hakluyt Society, and other groups interested in colonial trade and history, as well as increasingly an important figure in the developing international book trade. His surviving correspondence is the physical remnants of his social network and the many connections and exchanges he facilitated, including the sale and distribution of the explorer Richard F. Burton’s Arabian Nights in the colonies. Petherick considered it a privilege to engage with his correspondents and help individuals because knowledge did not flow in one direction in a social network. As Petherick assisted others who wanted to sell books overseas and learn about the colonies, he also benefited and gained knowledge that furthered his own interests and scholarly work.
FR:
Entre 1870 et 1895, le libraire australien Edward Augustus Petherick, membre actif de la Société royale de géographie, de la Société Hakluyt et d’autres groupes intéressés par l’histoire et le commerce dans les colonies, joue un rôle important dans l’essor du marché international du livre. Sa correspondance témoigne aujourd’hui d’un réseau de relations qu’il a su exploiter à bon escient, se posant souvent comme intermédiaire, notamment pour la vente et la distribution des Mille et une nuits de Richard F. Burton dans les colonies. Petherick privilégiait les échanges avec ses correspondants : en aidant les autres à vendre des livres à l’étranger ou à en apprendre davantage sur les colonies, il enrichissait ses propres connaissances et faisait ainsi avancer ses recherches.