Abstracts
Résumé
Face à des élèves qui cumulent les formes de vulnérabilités, les acteurs du lycée professionnel (LP) conçoivent des dispositifs éducatifs innovants, notamment pour l’évaluation. Aussi, cette recherche participative et pluridisciplinaire autour de l’enseignement de l’anglais en CAP s’articule autour de deux axes : 1) l’impensé d’une évaluation diagnostique comme objet frontière et 2) l’évaluation des effets de la recherche participative sur les membres du collectif (enseignants, inspecteurs, chercheurs). Une méthodologie qualitative de recueil de données et d’analyse de contenus a été mise en oeuvre. Les résultats montrent le besoin exprimé de (re)mobiliser les acteurs (enseignants et élèves), en partie à travers des interactions entre enseignants, ainsi qu’avec les chercheurs, autour des pratiques d’évaluation. Les enseignants verbalisent leur développement professionnel grâce aux temps de coopération sur l’objet frontière. Les valuations émergent tant par la recherche que par la coconception de l’évaluation, au sein d’une communauté de pratique pluricatégorielle.
Mots-clés :
- évaluation diagnostique,
- lycée professionnel,
- objet frontière,
- recherche participative
Abstract
Faced with students who accumulate forms of vulnerability, those involved in vocational high schools (VHS) are devising innovative educational systems, particularly for assessment. This participatory, multi-disciplinary research project on the teaching of English in vocational training is structured around two axes: 1) the unthought of diagnostic assessment as a boundary object ; 2) the evaluation of the effects of participatory research on the members of the collective (teachers, inspectors, researchers). A qualitative methodology of data collection and content analysis was used. The results show an expressed need to (re)mobilize stakeholders (teachers and students), partly through interactions between teachers, as well as with researchers, around assessment practices. Teachers verbalize their professional development thanks to time spent cooperating on the boundary object. Valuations emerge both through research and through the co-design of assessment, within a multi-category community of practice.
Keywords:
- boundary object,
- diagnostic assessment,
- participatory research,
- vocational high school
Resumo
Perante os alunos que acumulam formas de vulnerabilidade, os atores do Liceu Profissional (LP) concebem dispositivos educativos inovadores, nomeadamente para a avaliação. Assim, esta investigação participativa e pluridisciplinar em torno do ensino do inglês no CAP articula-se em dois eixos: 1) o impensado de uma avaliação diagnóstica como objeto fronteira e 2) a avaliação dos efeitos da investigação participativa sobre os membros do coletivo (professores, inspetores, investigadores). Foi implementada uma metodologia qualitativa de recolha de dados e de análise de conteúdos. Os resultados mostram a necessidade expressa de (re)mobilizar os atores (professores e alunos), em parte através de interações entre professores, bem como com os investigadores, em torno das práticas de avaliação. Os professores verbalizam o seu desenvolvimento profissional graças aos tempos de cooperação sobre o objeto fronteira. As avaliações emergem tanto pela investigação quanto pela coconceção da avaliação, no seio de uma comunidade de prática pluricategorial.
Palavras chaves:
- avaliação diagnóstica,
- investigação participativa,
- Liceu Profissional,
- objeto fronteira
Article body
Introduction
Les élèves des lycées professionnels (LP) français subissent une forme de relégation et sont souvent en situation d’échec scolaire face à une évaluation discriminante. C’est particulièrement vrai pour les élèves qui sont orientés vers le certificat d’aptitude professionnelle (CAP), premier diplôme à vocation professionnelle du système éducatif français. Cette réalité est décrite par les sociologues et les historiens de l’éducation (Jellab, 2019 ; Maillard, 2017 ; Troger et al., 2016), qu’il s’agisse des élèves en situation de décrochage ou des enseignants. Ces mêmes auteurs décrivent les difficultés qu’ils rencontrent dans leur métier, les conduisant parfois à une forme de désengagement. En dehors de telles approches, ces situations commencent à être étudiées par les sciences de l’éducation, tant du côté des enseignants (David, 2021) que des élèves et des apprentissages (Flavier et al., 2017). Dans ce contexte, nous présentons une recherche participative qui a vu le jour quand des chercheurs ont été associés à une démarche de conception d’un dispositif d’évaluation : une évaluation diagnostique pour des élèves dans le cadre de l’enseignement de l’anglais en CAP, coproduite avec des inspecteurs et par des enseignants. Cela a conduit à une première problématisation avant la cosituation propice à la coopération (Younès & Faidit, 2020) : quel consensus est possible sur l’évaluation dans un cadre sensible où les élèves sont en échec ? Et, parce qu’il y a eu cosituation, puis coopération, une seconde problématisation a été posée : la force de l’impensé de l’évaluation sur les apprentissages. Notre problématique est la suivante : comment une recherche participative contribue-t-elle, par la coconception d’une évaluation diagnostique en soutien aux apprentissages (Pasquini, 2020), à s’émanciper d’une évaluation de sanction ou de contrôle et à participer au processus de transformation (valuation) des parties prenantes ? Il s’agit, dans un premier temps, par une analyse a posteriori, de mettre à jour les défis et les obstacles rencontrés lors de l’utilisation d’un dispositif d’évaluation. Dans un second temps, l’analyse souligne les impensés en matière d’évaluation et, par conséquent, les difficultés et les avancées d’une coproduction.
Après une présentation du contexte spécifique de l’enseignement en classe de CAP et de la question de l’évaluation, le cadre conceptuel de l’étude est développé, à savoir une recherche participative portant sur un objet frontière (Monod-Ansaldi et al., 2019) : l’évaluation diagnostique en classe de CAP. La méthodologie mise en oeuvre repose sur une recherche participative qui suppose une coconception du dispositif de recherche. Le recueil de données est constitué d’entretiens et de groupes de discussion (focus groups) avec les enseignants. Les résultats présentent particulièrement les groupes de discussion et les échanges entre pairs autour de l’analyse des pratiques d’évaluation et des supports d’évaluation. La discussion est orientée vers la manière dont ses membres prennent part à l’émergence d’une communauté de pratique avec, pour effet, la valuation de l’évaluation et de la recherche. La conclusion présente une synthèse des différentes strates de la recherche participative en vue de proposer des perspectives tant pour la recherche elle-même, quand celle-ci est associée à un cadre institutionnel, que pour la formation et pour le développement professionnel de toutes les parties prenantes.
Contexte
Le lycée professionnel en France
Bien que le lycée professionnel (LP) accueille environ 40 % des jeunes au sortir du premier cycle du secondaire, en France, il a été peu investigué par les recherches en éducation, hormis en sociologie ou en histoire de l’éducation. Il constitue cependant un contexte de recherche tout à fait particulier et cristallise les plus grands défis de notre système éducatif : la surreprésentation des jeunes d’origine sociale modeste, la surreprésentation des jeunes aux acquis scolaires fragiles, les jeunes en décrochage scolaire, etc.
Dans le système éducatif français actuel, la réussite académique est le principal critère pris en compte (Troger et al., 2016) pour évaluer les élèves. La valorisation des savoirs académiques place de fait la formation professionnelle dans une position seconde, voire de relégation vis-à-vis de l’enseignement général (David, 2021). C’est pourquoi Jellab (2005) affirme que « le LP occupe une place dominée dans l’institution scolaire » (p. 295). Une évolution de l’offre scolaire à destination des élèves de LP encourage ces derniers à poursuivre leurs études (Troger et al., 2016). Mais cela est réservé aux bacheliers. Cela sous-entend que les jeunes qui entrent dans le CAP[2] sont plutôt mis de côté, voire rendus invisibles par le système qui ne les associe pas à cette évolution.
Les élèves et les enseignants de CAP
Le baccalauréat professionnel a été instauré en 1985 en poursuite du brevet d’études professionnelles (BEP). Ces diplômes ont contribué à la transformation de l’enseignement professionnel pour répondre à la massification de la scolarisation et à son allègement, avec un effet collatéral immédiat sur les élèves en difficulté (Maillard, 2017) : la dévalorisation de l’image véhiculée par la filière en lien avec la survalorisation des savoirs académiques. Selon Troger et al. (2016, p. 157) : « Il en résulte une forte dévalorisation des savoirs pratiques, toujours soupçonnés de ne fournir qu’une vision dégradée de la connaissance ».
La réforme du baccalauréat en trois ans a accéléré une dualisation déjà bien présente au sein des LP entre élèves de CAP et élèves de baccalauréat (Bernard & Troger, 2015). Comme le montre le schéma (figure 1), le CAP est un diplôme de même niveau CITE que le baccalauréat professionnel mais il ne donne pas accès directement à d’éventuelles poursuites d’études supérieures.
Pour poursuivre des études, les élèves doivent passer par le bac professionnel parce que le CAP « donne une qualification d’ouvrier ou d’employé qualifié dans un métier déterminé »[3]. Face à un public qui cumule une expérience scolaire mauvaise, une orientation mal choisie, voire imposée, dont le taux d’absentéisme est le plus élevé du système éducatif (Christofoli, 2015), les enseignants de LP doivent développer des stratégies qui conduisent à créer une rupture pédagogique (Auxire, 2017), c’est-à-dire à changer leurs pratiques pour les inscrire dans des paradigmes différents et même opposés à ce que les élèves ont précédemment connu.
Au même titre que les élèves, les professeurs qui interviennent en CAP font face à une forme de disqualification et peuvent ressentir un sentiment de relégation (Jellab, 2005, 2017a, 2017b). Les professeurs des disciplines professionnelles, principalement, ont en commun avec leurs élèves une orientation non choisie dans cet enseignement. De leur côté, les enseignants des disciplines générales font face aux enjeux de la professionnalisation promise par le diplôme.
Malgré cet état des lieux, le LP est considéré comme un terreau favorable aux innovations. Depuis une trentaine d’années, il est : « […] un laboratoire d’innovation pédagogique sur de nombreux sujets qui sont aujourd’hui à l’agenda du reste du système éducatif en matière d’évaluation, de pluridisciplinarité, de démarche de projet, etc. » (Buisson-Fenet & Rey, 2016, p. 100). L’innovation consisterait ainsi à favoriser le travail en équipe, à intégrer les usages du numérique dans de nouvelles tâches (organiser, communiquer, par exemple) et dans le traitement de l’information, à développer l’ouverture culturelle (Calvez et al., 2018). Si les textes de référence laissent une certaine marge de manoeuvre aux enseignants, dans les faits, la mise en oeuvre des innovations sous forme de micro-ajustements (Lantheaume et al., 2009) semble se heurter à plusieurs obstacles. Par exemple, face aux défis de persévérance scolaire et d’accès à l’emploi chez les élèves de CAP, les enseignants ont parfois beaucoup de difficulté à mettre en oeuvre des pratiques évaluatives efficaces et porteuses de sens pour ces élèves. De plus, pour des enseignants de disciplines générales, la légitimité de leur action dans cette visée de professionnalisation reste une réelle difficulté.
Problématique
Les élèves de LP n’adhèrent pas à la forme scolaire. Face à ce constat, les enseignants de LP souhaitent mettre en avant des contenus utiles et professionnels via une pédagogie inductive. De plus, certains enseignants peuvent percevoir l’évaluation comme renvoyant aux traumatismes passés, alors qu’elle pourrait avoir une finalité réconciliatrice :
Les modes d’évaluation des élèves s’inscrivent dans l’objectif de les « réconcilier avec l’école », et prennent souvent l’aspect d’une sur-notation lors des premières semaines de scolarité. […] En général, cette évaluation indulgente accompagne des exigences cognitives et procédurales à la portée des élèves.
Jellab, 2005, p. 309
Les équipes éducatives de LP ont développé des pratiques d’évaluation dites bienveillantes ou indulgentes, surtout à l’entrée en seconde. Cette indulgence serait davantage marquée chez les élèves de CAP que l’enjeu de l’évaluation, au sein d’une scolarité difficile, rend particulièrement sensibles aux verdicts scolaires. Découragés par des évaluations sommatives les confinant parfois à l’humiliation dans une accumulation de déconvenues durant leurs parcours scolaires (Merle, 2015), ils tendent à intérioriser l’échec comme une fatalité (Jellab, 2019).
S’il semble exister une pédagogie propre au LP, il faut toutefois souligner des formes d’hétérogénéité chez les enseignants du LP dans les pratiques, notamment du point de vue des matières enseignées. En effet, si les enseignants de matières générales évaluent les élèves sur des compétences appartenant à des savoir-faire transversaux, Jellab (2005) rappelle qu’il est plus intuitif pour eux d’évaluer selon des critères plus généraux, par la difficulté de mettre en perspective une activité professionnelle évaluable empiriquement.
L’évaluation dans la réforme du LP : entre bonnes intentions et effets incontrôlés
Depuis septembre 2018, tous les élèves entrant au LP sont soumis à un test de positionnement à fonction diagnostique. Ceux qui suivent un CAP doivent réaliser deux tests de 40 minutes : l’un en littératie (compréhension de l’écrit, principalement) et l’autre en numératie (nombres, géométrie, etc.)[4]. L’objectif est de pallier les éventuelles difficultés décelées dans les apprentissages effectués durant les deux années de formation. Les effets de cette évaluation des compétences ne sont pas indiqués dans les programmes officiels d’enseignement : il n’existe pas de standards pour apprécier les compétences dans le cadre de cette évaluation diagnostique. De la même façon, le contrôle en cours de formation (CCF) qui existe depuis 1992 en CAP, et qui a été instauré progressivement à tous les niveaux de formation du LP[5], semble une innovation pédagogique aux yeux des acteurs du système éducatif. En effet, il instaure une modalité certificative alternative aux épreuves ponctuelles d’examen par l’évaluation des compétences et des connaissances en s’appuyant sur l’état de préparation des élèves à l’épreuve[6].
En réalité, le CCF est une évaluation ponctuelle nécessitant une organisation interne qui alourdit le fonctionnement des établissements et qui ne contribue pas à améliorer les performances scolaires des élèves. Il conduit même à accroître les ruptures éducatives sous plusieurs formes : décrochage sur place, absentéisme au CCF et multiples stratégies de fuite (Flavier et al, 2017). Paradoxalement, les textes des réformes successives des programmes du LP n’informent pas sur les modalités d’évaluation d’un point de vue organisationnel, bien qu’elles puissent avoir un caractère innovant (Buisson-Fenet & Rey, 2016). Or, actuellement, les élèves reçoivent un bulletin trimestriel ou semestriel, avec des notes, des moyennes chiffrées et des commentaires sur leurs résultats. À nouveau, le LP est repéré comme lieu d’innovation mais il s’agit ici d’une conception très relative de l’innovation, basée sur une comparaison avec un système ordinaire. En réalité, il s’agit d’expérimentations permanentes imposées par la complexité des situations non identifiées par la structure éducative. On peut dire que l’usage du qualificatif « innovant » pour donner aux modalités d’évaluation en LP un air d’extraordinaire est un abus de langage.
La question est de savoir sur qui ou sur quoi repose la dimension innovante des évaluations. Cette question est d’autant plus cruciale qu’un rapport sur la voie professionnelle (Calvez et al., 2018) rappelle l’importance de l’évaluation des compétences transversales dans l’enseignement général. Lopez et Sido (2016) précisent :
Au sein du LP, la responsabilité incombe souvent à l’enseignant de réconcilier l’élève avec l’école, de proposer des situations innovantes et motivantes qui font sens, des démarches pédagogiques adaptées et différenciées afin d’assurer à tous l’acquisition de connaissances et compétences minimales nécessaires à la réussite au diplôme et à l’intégration sociale et professionnelle.
p. 58
Il revient donc à la recherche participative et à ce qu’elle peut apporter d’innovation (Cros, 1997), d’aller comprendre avec le terrain comment les enseignants travaillent dans ces conditions. En effet, ils doivent faire face à une prescription institutionnelle peu accommodante et modérément incitative alors que le discours commun invoque le LP comme un parangon d’innovation pédagogique y compris dans les méthodes d’évaluation.
Afin de saisir les éventuelles difficultés rencontrées lors des pratiques pédagogiques d’évaluation du public spécifique des élèves de CAP, un groupe expérimental constitué d’enseignants d’anglais a été réuni à l’initiative du corps d’inspection (un inspecteur et un enseignant chargé de missions d’inspection). Ce groupe, composé de 16 enseignants travaillant dans 15 établissements d’une même académie, a pour objectif de faire évoluer leurs pratiques professionnelles. L’équipe de recherche pluridisciplinaire (sciences de l’éducation, socioéconomie de l’éducation, linguistique et didactique des langues), initialement sollicitée par le corps d’inspection pour lui apporter un regard extérieur, a été progressivement intégrée au groupe d’enseignants et est devenue coconceptrice des moments de formation et d’échanges sur l’évaluation[7]. Un nouveau collectif a donc été créé et impliqué dans la recherche participative, composé des seize enseignants, des deux inspecteurs et des quatre chercheurs. Les réflexions communes ont porté sur les spécificités du dispositif, sur les perceptions des enseignants sur leur métier, sur les problèmes posés par l’accès des élèves aux compétences linguistiques et transversales ainsi que sur la compréhension du réel niveau de compétence langagière des élèves. La recherche participative a pris place dans ce contexte et autour de cette préoccupation commune, autrement dit, dans une cosituation (Desgagné & Bednarz, 2005 ; Younès & Faidit, 2020). Ainsi, la problématique porte sur la contribution de cette recherche participative à la coconception d’une évaluation diagnostique par l’étude des défis, des obstacles et des impensés d’un dispositif d’évaluation. Ce travail se situe dans le cadre d’une recherche orientée par la conception (design-based research) telle que décrite par Sanchez et Monod-Ansaldi (2015). Elle vise la compréhension par une analyse a posteriori de deux niveaux de conception : 1) un dispositif d’évaluation diagnostique, ou artefact, qui suppose d’en situer les connaissances tant du point de vue de son usage dans les apprentissages que dans le dispositif de recherche participative et 2) un dispositif de conception collaborative de cette évaluation diagnostique qui suppose de clarifier la place et le rôle de chaque partie prenante.
Cadre conceptuel
L’évaluation diagnostique comme objet frontière de la recherche participative
Il faut pouvoir interroger le rapport des enseignants à la notion d’évaluation pour tenter de cerner leur positionnement vis-à-vis des différentes caractéristiques décrites précédemment. Parce qu’il y a des impensés et des brouillages institutionnels sur la place de l’évaluation en LP, il est nécessaire d’expliquer le défi de travailler sur un dispositif d’évaluation diagnostique coconstruit dans le cadre d’une recherche participative. En ce sens, l’objectif de cette recherche est de faire de l’évaluation « un objet dont l’étude permettra d’accroître [sa] légitimité » (Nizet, 2020, p. 2). Les recherches collaboratives, dont les recherches participatives (Mattei-Mieusset et al., 2019), sur l’objet de l’évaluation mettent notamment en évidence l’évaluation comme objet impensé, un allant de soi qu’il n’aurait pas été nécessaire d’investiguer. C’est ce que Mottier Lopez (2020) souligne en situant dans les pratiques éducatives, d’un côté, les multiples maux de l’évaluation qui contrôle, juge, sanctionne, punit, exclut et, d’un autre côté, l’évaluation aliénante, parce qu’elle semble être un objet difficile, voire menaçant, à partager entre partenaires d’une recherche collaborative. Pour autant, dans le contexte des recherches collaboratives, les démarches évaluatives peuvent être mises en oeuvre de manière formelle ou informelle mais ont toujours une place centrale dans l’activité enseignante (Nizet, 2020).
Plus généralement, Mottier Lopez (2015a, 2017) propose quelques caractéristiques générales de l’évaluation :
-
la fonction pédagogique de soutien à l’apprentissage à des fins d’amélioration de l’enseignement et, plus généralement, du système éducatif ;
-
la construction du sens et la valorisation des apprentissages ; et
-
la fonction formative de développement à l’évaluation des apprentissages.
Pour cette auteure, il faut distinguer « l’évaluation pensée essentiellement à travers les caractéristiques et les qualités de la mesure » de « l’évaluation comme moyen d’apprentissage pour les élèves et moyen d’enseignement pour les enseignants » (Mottier Lopez, 2017, p. 30). Or, les enseignants sont régulièrement au coeur de ces deux logiques entendues comme un dilemme (Younès & Faidit, 2020), car ils ont pour mission de reconnaître et de valider les compétences acquises tout en ayant comme objectif premier l’apprentissage (Mottier Lopez, 2015b). Le fait de travailler ce concept dans le cadre d’une recherche collaborative (et donc également dans le cadre des recherches participatives) permet de faire évoluer les professionnels sur leurs perceptions si et seulement si leur participation « se pense et s’organise, notamment en termes de responsabilités et prises de décision vis-à-vis des pratiques en classe et du dispositif de la recherche et de sa mise en oeuvre » (Mottier Lopez, 2015b, p. 14).
Ici, le dispositif d’évaluation diagnostique à destination des élèves de CAP qui apprennent l’anglais est perçu comme une évaluation soutien (Mottier Lopez, 2015b ; Pasquini, 2020). Plus précisément, l’enseignant peut concevoir une évaluation diagnostique dans sa classe, pour sa classe. En effet, il connaît ses élèves et adapte sa collecte de données pour réguler les apprentissages avec les possibles biais liés à de nombreux facteurs, dont la trop grande proximité avec les apprenants. Une évaluation diagnostique peut être réalisée à l’échelle d’un système éducatif, auquel cas elle conduit à une récolte de données éloignée des enjeux pédagogiques, des problèmes rencontrés dans le contexte de la classe (Marcoux & Béland, 2016) parce que le but visé est de modifier ou de faire évoluer ce système. Une telle modification passe par un jugement qui conduit à une prise de décision sur ce qu’il convient de faire.
D’autre part, dans le cas d’une évaluation diagnostique, l’élève sait qu’il passe un test (Marcoux & Béland, 2016, p. 100) : « les formes d’énoncés proposés et les formats de réponses sollicités orientent l’action de l’individu et interfèrent avec la possibilité d’observer la compétence. Cette position est tenable si l’objet de l’évaluation est d’observer les compétences de l’individu ». Les diagnostics communiquent des informations qui conduisent vers des pistes didactiques à travailler. C’est de ce type d’évaluation diagnostique dont il est question ici : une évaluation pensée par un groupe d’enseignants pour des classes qu’ils connaissent, en vue de collecter des données pour adapter leurs pédagogies (la prise de décision fondée sur un jugement). Dans ce sens, une recherche participative peut contribuer à étudier le rapport d’un collectif en situation de coconception à la notion d’évaluation pour tenter de cerner le positionnement des parties prenantes vis-à-vis des différentes caractéristiques décrites précédemment.
Une recherche participative sur un objet frontière lié à l’évaluation
Une telle recherche est dite participative (Mattei-Mieusset et al., 2019) parce qu’elle a été faite « avec » les enseignants plutôt que « sur » les enseignants (Desgagné & Bednarz, 2005). En effet, la recherche participative s’inscrit dans une visée compréhensive ayant pour objectif d’être pertinente à la fois pour le monde de la recherche et pour celui de la pratique. Elle porte sur le développement professionnel des acteurs engagés dans la collaboration par des activités réflexives au service de la formation continue (Mattei-Mieusset et al., 2019 ; Morrissette et al., 2017). Par conséquent, les chercheurs et l’équipe éducative mettent en oeuvre une démarche de coconception autour d’un même objet à investiguer, que l’on appelle l’objet frontière (Star & Griesemer, 1989), soit « un objet qui permet à différentes personnes (chercheur.es et enseignant.es) d’amorcer un travail collaboratif sans consensus préalable » (Nizet et al., 2019, p. 4).
L’objet frontière investigué, ou artefact, est une évaluation de type diagnostique en anglais, résultat d’une ingénierie de formation pour coconcevoir ce dispositif d’évaluation pensé par et avec le corps d’inspection des professeurs de CAP de la discipline (un travail parfois parallèle des inspecteurs seuls et parfois croisé avec les enseignants). Les inspecteurs passent la commande aux chercheurs en proposant un atelier sur le thème de l’évaluation. En ce sens, si la présence des inspecteurs s’impose par le mode de financement de la recherche, il s’impose aussi par la nécessité d’assurer une pérennisation du développement professionnel visé. Autrement dit, il ne sert à rien d’entamer une recherche participative si les effets de celle-ci sont contredits par les cadres de l’institution, in fine. Les recherches collaboratives, de façon générale, ne peuvent donc pas faire l’économie des conditions institutionnelles de leur mise en oeuvre (Perez-Roux, 2017 ; Redondo et al. 2022). Ainsi, sur les plans éthique et déontologique, la clarification du rôle des dispositifs de recherche sur le développement professionnel des enseignants dans une institution fortement encadrée impose de prendre en compte les interactions entre cet encadrement et toutes les parties prenantes impliquées.
Cet atelier permet non seulement d’observer les pratiques de conception collective du groupe d’enseignants et de leurs encadrants mais aussi de participer au processus. Ces temps d’observation, d’entretiens et de participation aux temps de réflexion sur la conception du dispositif lui-même sont un espace et des moments partagés autour de l’objet frontière « évaluation ». Les membres d’une recherche participative prennent part, apprécient, évaluent. Ils reçoivent, prennent et apportent leur part. Il s’agit du processus de valuation par transformation réciproque et collective de tous les participants (Aldon et al., 2020).
La figure 2 est présentée pour synthétiser le cadre conceptuel de cette recherche. L’objet frontière recouvre trois réalités et s’étend sur cinq étapes. Tout d’abord, on trouve l’évaluation des élèves de CAP en LP, comme cadre de l’étude, son contexte et ce qui précède la cosituation (décrite plus haut). Il y a la cosituation au sein d’une commande institutionnelle. La coopération, espace de la recherche participative, est mise en place pour conduire à la coproduction de l’artefact finalisé en vue d’une mise en oeuvre institutionnelle.
L’artefact est pris au sens du produit de la coconception par les parties prenantes, c’est-à-dire l’évaluation diagnostique comme dispositif d’évaluation. La coproduction conduit bien à un savoir sur l’évaluation qui ne fait pas l’objet d’une publication scientifique mais d’un outil pédagogique à finalité évaluative.
Cadre méthodologique
La recherche participative est orientée par la conception. Elle se situe au sein d’un dispositif inscrit dans l’institution éducative en vue de développer professionnellement une équipe pédagogique. Elle est mise en place, à la demande d’inspecteurs, par des chercheurs sur les questions d’évaluation en LP.
La figure 3 montre de quelle manière la recherche participative a pris naissance (début de la cosituation autour de la coconception d’une ingénierie de formation) et a été mise en oeuvre sous forme d’activités collectives, pour déboucher sur une coproduction interrompue par la pandémie.
Avec ce schéma, on peut voir l’emboîtement, les successions et les valuations réelles depuis le moment où la cosituation a pris place, conduisant à la coconception, puis à la phase de coproduction de l’artefact au sens du produit conjoint des communautés de pratique réunies. Dans le cadre de cet écrit, nous nous focalisons sur un dispositif développé par le collectif impliqué dans la recherche participative. Nous questionnons les liens entre professeurs, mais également les relations chercheurs-enseignants et les relations chercheurs-inspecteurs. Le lien enseignants-inspecteurs n’est pas traité ici, car ces derniers se sont mis en retrait à ce moment du projet pour favoriser les autres relations. Cependant, celle-ci existe et est bien développée dans le cadre du projet général.
Le défi méthodologique de la coconception d’un dispositif d’évaluation dans une ingénierie de formation : vers une communauté de pratique
Nous l’avons vu précédemment : l’objet frontière se manifeste à travers deux dispositifs emboîtés. Le premier est le dispositif d’ingénierie de formation coconçu par les inspecteurs et par les chercheurs, dont l’objectif est de permettre aux enseignants de coconcevoir avec les chercheurs le second dispositif, celui de l’évaluation diagnostique. Nous nous intéressons dans cet article au dispositif de recherche associé visant à comprendre ce qui est en jeu en matière d’évaluation à destination d’un public d’élèves en difficulté, à partir de ce que la littérature en dit.
L’ingénierie de formation est envisagée comme une stratégie de changement pour résoudre et pour transformer des situations professionnelles (Artigue, 2002). Notre étude s’appuie sur l’approche méthodologique de la conception, entendue ici comme une coconception par l’ensemble des acteurs, et sur les cinq caractéristiques fondamentales (Sanchez & Monod-Ansaldi, 2015) qui lui sont associées.
-
Le pragmatisme : tous les aspects de la faisabilité du projet basés sur les praxéologies des enseignants.
-
L’enracinement (dans l’espace institutionnel avec les inspecteurs) : la connaissance que les enseignants ont du public auquel s’adresse le dispositif d’évaluation et du cadre dans lequel ils vont le mettre en oeuvre.
-
L’interaction, l’itération et la flexibilité (dans l’espace partagé) : la communauté de pratique interagit régulièrement, répète le travail jusqu’à validation du modèle d’évaluation conçu et s’adapte aux contraintes fortes des situations des enseignants et de leur encadrement, d’un côté, des chercheurs, de l’autre (il s’agit d’une coconception).
-
L’intégration : l’évaluation doit, par exemple, ici, répondre aux contraintes du cahier des charges et être fonctionnelle.
-
La contextualisation : la prise en compte du terrain de mise en oeuvre.
Le processus de coconception s’appuie sur l’émergence d’une nouvelle communauté de pratique, c’est-à-dire d’un espace partagé de significations entre les divers acteurs impliqués (Wenger, 2000). Parce que ces communautés existent déjà (d’un côté, la communauté de pratique des chercheurs et, de l’autre, celle des équipes éducatives), la recherche participative conduit les deux institutions à partager un même espace qui serait donc une nouvelle communauté de pratique, avec des praxéologies d’acteurs distinctes mais complémentaires, en vue d’investiguer un même objet frontière, négocié en apportant chacun sa part. Spécifiquement du point de vue de l’évaluation, le processus de coconception vise aussi, implicitement, à construire des consensus selon plusieurs dimensions (Mottier Lopez, 2015b) vues comme des dimensions partagées entre communautés, pouvant être légitimement différentes (différences admises et acceptables) et portant un désaccord social (différences de pratiques contestées par le collectif).
La figure 4 propose une modélisation de l’analyse a posteriori de l’expérience de recherche à la lumière de la collaboration dans l’approche orientée conception. Les valuations sont à préciser comme résultats de la recherche participative.
Selon Morrissette (2013), la dualité classique entre théorie et pratique disparait dans les recherches collaboratives au sens large. C’est le cas dans ce dispositif de coconception. En effet, les consensus au sein de la communauté de pratique se partagent autour des savoirs : savoirs d’expérience, d’une part, savoirs théoriques, d’autre part. Au sein de ce collectif, les chercheurs ne sont pas les seuls contributeurs des savoirs théoriques sur l’évaluation, car les enseignants, accompagnés des inspecteurs avec lesquels ils travaillent, concourent à consolider le savoir sur le sujet. Par ailleurs, les enseignants et leurs encadrants ne sont pas les seuls contributeurs des savoirs d’expérience sur le dispositif qu’ils conçoivent, car les chercheurs mettent à disposition leurs approches pragmatiques (groupes de discussion, entretiens, etc.) pour faciliter l’émergence de ce savoir. La communauté de pratique nécessite qu’il y ait une forme de valorisation de la circulation des savoirs sur l’évaluation et sur la conception de dispositifs qui facilitent ou favorisent l’évaluation, peu importe le détenteur initial de ce savoir.
Le recueil de données
Une méthodologie qualitative de recueil de données a facilité la mise en oeuvre de cette pluralité à travers une analyse de l’activité et du discours des acteurs engagés dans la recherche. Cette analyse a été réalisée a posteriori par les chercheurs sur les temps de réflexion du collectif engagé dans la recherche participative. Cela a permis de questionner les défis de la mise en place du dispositif d’évaluation diagnostique en classe de CAP et, ainsi, de cosituer le problème.
Au niveau méso, le premier volet qualitatif recueille les discours des différents acteurs du LP. Des entretiens à visée compréhensive (Kaufmann, 2008 ; Matthey, 2005) ont été réalisés avec le corps d’inspection (n = 2) pour comprendre sa réalité et son quotidien. D’autres entretiens ont été menés ensuite avec certains des enseignants engagés dans la communauté de pratique (n = 11).
Enfin, un deuxième volet représentant le niveau micro se focalise sur les pratiques des enseignants. Il est composé d’observations participantes faites lors de sessions de formation autour de la conception d’évaluations diagnostiques dans le cadre de réunions de travail avec les inspecteurs et de groupes de discussion (Mead et al. 2017 ; van Katwijk et al. 2019) avec les enseignants travaillant en équipe à la réalisation d’évaluations diagnostiques.
Les entretiens avec les équipes de terrain, notamment avec les prescripteurs du dispositif innovant (le corps d’inspection) et avec les enseignants, ont eu lieu après les groupes de discussion alors que la coconception de l’artefact avait débuté. Ils ont permis d’obtenir des informations sur les pratiques, sur leurs perceptions autour des questions d’évaluation et, plus globalement, sur l’intérêt pour eux d’interagir et d’échanger dans le cadre d’une recherche collaborative.
Les entretiens avec les inspecteurs ont d’abord porté sur la genèse du projet ainsi que sur son inscription dans l’enseignement des langues face au public de CAP. Par la suite, ils n’étaient pas directement interrogés sur l’évaluation mais plutôt sur le dispositif de formation mis en place pour permettre aux enseignants de concevoir un dispositif ayant pour objet la coconception d’une évaluation diagnostique. Le thème de l’évaluation est donc apparu à plusieurs reprises, notamment contextualisé à la situation de formation. Les groupes de discussion ont porté sur la conception de cette évaluation par les différents participants : décrire la tâche, expliciter les différentes étapes et l’organisation ayant permis d’atteindre le résultat et envisager les pistes de modification ou d’amélioration.
Les méthodes d’analyse
Nous avons réalisé une analyse de contenu des différentes données récoltées pour faire émerger du discours des enseignants « leur perception des principales caractéristiques d’évolution des situations de travail » (Grosstephan, 2015, p. 6). Cette analyse a été faite à partir de la théorie de la pertinence « qui n’est pas seulement de reconnaître qu’il n’y a d’analyse de l’expression qu’en fonction d’une analyse de contenu, mais qui entend également imposer que le contenu et l’expression existent l’un et l’autre de façon distincte avant la formalisation linguistique que permet leur analyse » (Badir, 2001, p. 11).
Résultats
La présentation des résultats débute sur le sujet de la (re)mobilisation des élèves et des enseignants, par un besoin de distanciation des acteurs par rapport à leur propre pratique, à travers le discours des inspecteurs. Dans un second temps, l’analyse du discours des enseignants fait ressortir la verbalisation d’un développement professionnel, lors des temps de coopération. La perception qu’ont les enseignants de l’évaluation est abordée, ainsi que l’évolution de ces perceptions au regard des échanges entre pairs.
Un besoin de (re)mobilisation
Les deux inspecteurs partagent un engagement professionnel important et souhaitent, par la mise en place de ce dispositif, favoriser le raccrochage des élèves de CAP. Ils veulent également remobiliser les enseignants confrontés à ce public difficile. Selon eux, il est important d’évaluer le dispositif qu’ils mettent en place. Par exemple, ils ont réalisé des enquêtes auprès des enseignants pour mesurer leur positionnement vis-à-vis de leur participation à celui-ci, sur leur ressenti vis-à-vis de leur implication dans l’expérimentation, et font le parallèle avec la démarche qualité.
Même s’ils disent ne pas être formés et ne pas avoir forcément d’indicateurs fiables, les inspecteurs expriment le besoin de se décentrer de leur pratique et de prendre une certaine distance par rapport à leur propre investissement dans le dispositif. C’est d’ailleurs l’un des points qui a motivé leur intérêt à collaborer avec la recherche, qu’ils perçoivent comme un outil de distanciation en ayant un regard extérieur au groupe concepteur. Ils attendent des indicateurs significatifs et des mesures d’impact pouvant amener cette évaluation par le regard objectivé des scientifiques. Selon eux, il y a l’évaluation de soi (auto-évaluation) et l’évaluation par les autres. L’un d’eux attend du collectif un positionnement similaire de remise en question et de distanciation de sa propre pratique. Le second relève une différence entre le discours prononcé lors de la formation, révélant une évolution des pratiques, et le rendu final dont certaines propositions se sont révélées, selon lui, contradictoires avec les discussions précédentes.
De l’intérêt des enseignants pour la coopération à la verbalisation du développement professionnel
Dans les entretiens réalisés avec les enseignants, ces derniers disent leur intérêt d’interagir sur ces questions d’évaluation des élèves et sur leurs pratiques. En outre, la coopération avec l’équipe de recherche dans leurs réflexions sur les pratiques spécifiques d’évaluation auprès des élèves de CAP a été plébiscitée, parce qu’elle correspond à un besoin, ainsi que l’apport du temps de coconception de l’évaluation diagnostique : les lignes de la cosituation ont bougé en déplaçant la conception vers un échange entre enseignants et chercheurs.
Et j’adore en fait le travail des chercheurs parce que ça leur permet de faire un travail de fourmis et du coup d’aller nous donner des réponses qu’on va qu’on n’a jamais vues en fait- non non mais c’est vrai sur le [LP] il y a très peu de travaux qui ont été faits et euh c’est beaucoup de travaux sur les élèves très peu sur les profs et leur manière d’enseigner donc j’espère que vous allez apporter cette fin.
Si on peut commencer à les évaluer et encore une fois pas qu’une évaluation diagnostique pour une évaluation diagnostique, savoir ce qu’on en fait après, quel est le retour pour nous mais pour les élèves aussi.
Ils soulignent également un besoin d’échanger entre pairs sur leurs pratiques, ce qui peut les enrichir en donnant de nouvelles idées, en débattant de pratiques communes ou différentes.
Bon le travail de groupe de toute façon ça me(.) ça me plaît tout le temps parce que (-) ça nous fait sortir de notre bulle et(.) et voir autre chose et entendre euh ce que font les collègues, [CC : oui ?] et comment ils s’y prennent etc., c’est toujours très intéressant.
Je trouve que c’est toujours très enrichissant de(.) de savoir comment les autres s’y prennent, quels sont les obstacles qu’ils rencontrent, comment ils les ont contournés, comment ils les ont supprimés, ça c’est toujours très intéressant.
Certains expriment également le besoin d’avoir un retour sur leur propre pratique.
En fait, c’est essentiellement ça, qu’on ait réfléchi et qu’on ait un regard extérieur, pas que prof parce que votre regard, le regard d’inspecteur c’est quand même très intéressant, d’ailleurs M. est assez incroyable là-dessus, il arrive à nous faire sortir des pépites, donc euh c’est vrai que c’est ça moi qui m’intéresse.
Une autre enseignante verbalise un développement professionnel. Elle évoque un changement de posture vis-à-vis de ses élèves, changement déclenché par le dispositif mis en place avec la recherche.
J’ai senti que pour que mon élève puisse se sentir bien il fallait que je ne sois pas le prof et ça a été mais capital, c’est-à-dire que j’ai compris que dans votre manière d’avoir dirigé les choses, vous nous avez donné un élan tel qu’on a fait plein de choses.
Avec les autres profs euh on avait envie de débattre on avait envie d’aller plus loin, on avait envie de d’échanger.
Les interactions dans les pratiques d’évaluation (niveau micro) : intérêt des groupes de discussion et des échanges entre pairs
Les groupes de discussion se sont déroulé au milieu de la période consacrée à la coconception et avant la coproduction des documents d’évaluation destinés aux élèves (figure 3). Plus précisément, ils ont fait suite à plusieurs rencontres d’équipe (enseignants, chercheurs et inspecteurs) et de formation dans le cadre de la mise en oeuvre des évaluations diagnostiques pour les élèves de CAP. Les enseignants ont alors travaillé à l’élaboration de plusieurs supports devant servir à l’évaluation diagnostique. Les groupes de discussion portaient sur la conception de l’évaluation (description et explicitation des choix du groupe et des différentes étapes) et ont été l’occasion d’interroger les enseignants sur le sens donné à l’évaluation, plus particulièrement à l’évaluation diagnostique, ainsi qu’à la façon dont, selon eux, les élèves de CAP perçoivent l’évaluation.
Certains témoignent immédiatement du fait qu’ils ne comprennent pas l’apport de l’exercice, s’interrogeant aussi sur le sens qu’ils donnent à la notion d’évaluation diagnostique. Ils pensent également à la façon dont les élèves pourraient la percevoir. D’autres considèrent que la finalité d’une évaluation diagnostique est de pointer du doigt ce que les élèves ne savent pas, et de les mettre en grande difficulté s’ils n’arrivent pas à répondre. Dans ce contexte, ils ne voient pas l’intérêt de réaliser cette activité, qui leur semble vouée à l’échec en raison du niveau supposé très faible des élèves.
B : Ça ne ressemble plus à la façon de faire les cours en fait quoi, en CAP.
A : Et ça c’est plus une finalité. [B : mhm] peut être qu’effectivement ça, ça a plus son(.) ça a plus lieu d’être en fin d’année (.) qu’en début. Où on risque en plus de(.) de le rebuter, de lui rappeler qu’il sait pas faire.
B : Ça rappelle beaucoup ce qu’ils faisaient peut-être au collège. On va leur donner ça en début d’année. ( ) dire : ah ça y est on recommence, le texte, les questions [C : Oui!]
Groupe de discussion 2
Certains enseignants manifestent un rapport positif à l’évaluation quand d’autres en ont une perception négative. Pour ces derniers, l’évaluation rappellerait aux élèves leur histoire scolaire au collège et leur rapport difficile avec les enseignants, ce qui briserait le contrat de confiance instauré dès leur arrivée en LP.
Tu arrives tu te dis qu’en lycée pro normalement ça change parce que c’est ce qu’on leur dit : « Non mais vous inquiétez pas, tout ce que vous avez vécu en anglais c’est fini. On repart sur de nouvelles bases. » Ils arrivent, bim évaluation.
Ils associent à l’évaluation une action stigmatisante pointant les difficultés des élèves. Ils reconnaissent que la connotation négative est influencée par le mot « évaluation » et que si l’action était nommée différemment, la perception serait différente. Ils sont sceptiques sur ce que peut concrètement apporter une évaluation aux élèves mais également aux enseignants, ce qui représente une perte de sens vis-à-vis de cette activité.
Les enseignants qui en ont une perception positive insistent sur l’aspect valorisant de l’évaluation. Ils la voient comme un outil de positionnement permettant aux élèves d’identifier leur état de connaissances et de compétences et, surtout, de prendre conscience des progrès qu’ils réalisent. La différence se ferait dans le travail d’explicitation avec les élèves autour du sens de l’évaluation. Il s’agirait d’un construit au sein du groupe classe en précisant les raisons de l’existence de ces évaluations et de leurs finalités, pour les élèves et pour les enseignants. Les professionnels auraient donc la possibilité d’agir sur cette perception de l’évaluation par les élèves et de l’adapter à leurs propres besoins.
Les groupes de discussion ont permis de souligner la place de l’enseignant dans l’analyse du travail d’évaluation auprès des élèves de CAP. Ils ont notamment contribué à une évolution du discours des enseignants réticents vers une perception plus positive.
C : Et vous, vous avez utilisé l’expression : une évaluation valorisante(.)
E1 : Valorisante. Les deux termes en fait se contrarient un petit peu d’ailleurs. Évaluer, valoriser je(.) [E2 : Mhm] mais pourquoi pas [E3 : Pourquoi pas. Ouais pourquoi pas]
La confrontation, au sein d’un groupe de pairs, de points de vue différents sur l’une des activités principales de leur métier peut faire évoluer les discours des professionnels.
L’objet frontière : les différentes formes de l’artefact évaluation diagnostique
L’évolution constatée dans les groupes de discussion n’a pas concerné seulement les discours mais semble avoir eu un écho dans les pratiques. En effet, pour répondre au besoin exprimé par le collectif de travailler sur l’évaluation diagnostique, les chercheurs ont mis au service de ce projet des outils de la recherche pour accompagner la réflexion et la mise en débat des idées des professionnels. À la suite des groupes de discussion, les enseignants ont retravaillé leur évaluation en tenant compte des échanges réalisés. Des modifications dans les groupes sont alors intervenues entre ces deux versions (arrivées et départs de personnes/groupes entre les deux premières étapes). Les chercheurs ont lissé la mise en forme de l’artefact (les évaluations produites) après le groupe de discussion. Le corps d’inspection a ensuite retravaillé formellement cette troisième version pour qu’elle corresponde aux attendus institutionnels. Cette partie du travail peut sembler non collaborative dans le sens où l’ensemble du collectif n’a pas réalisé toutes les étapes. Or, dans la coproduction en situation de conception, la réalisation de l’artefact ne peut pas échoir à la totalité du collectif. C’est d’ailleurs l’une des différences entre collaboration et coopération, avec la possibilité dans le premier cas d’avoir un but commun mais une répartition des tâches différentes. Ici, la finalisation et la mise en conformité institutionnelle de l’artefact a échu aux inspecteurs.
Il y a donc eu trois versions de l’évaluation dont nous proposons d’analyser l’évolution a posteriori, de façon non collaborative.
Dans les deux premières versions, figurent le support de travail (lien audio, texte illustré, etc.), les exercices demandés en fonction des compétences évaluées, parfois accompagnés d’une consigne et, chez certains, d’une description de l’évaluation. Entre la première et la deuxième version, une évolution du mode d’évaluation est constatée. Ainsi, les enseignants passent d’un mode directif de vérification de la compréhension orale ou écrite (QCM ou questions) à un mode qui laisse l’élève plus autonome en lui demandant d’exprimer ce qu’il a compris. Par exemple, dans le cas d’un exercice basé sur la compréhension de l’écrit via la description d’un hôtel sur un site de réservation de vacances, la consigne est basée, dans la première version, sur des questions comme : Quel est le type de document ? Qui écrit ? Où se trouve l’hôtel de Victor ? Quel est le sujet du document ? etc. Dans la deuxième version, la consigne a évolué dans le sens d’une vérification de la compréhension plutôt que d’une compétence langagière : Donnez en français un maximum d’informations sur le document. Par ailleurs, la deuxième version met l’accent sur le travail collaboratif en indiquant : Travail de groupe (Compétences évaluées : Écoute, Entraide, Prise d’initiative). Enfin, un groupe a accompagné son travail d’une grille d’évaluation des compétences transversales (prise de notes, écoute et respect des consignes, intégration dans un groupe de travail, etc.).
Les évaluations ont ensuite été soumises aux chercheurs. Les modifications n’ont porté que sur l’aspect visuel, pour harmoniser la présentation et la mise en forme, sans toucher au contenu (textes, images, …).
Les inspecteurs, quant à eux, ont réalisé des modifications pour que l’artefact (le support évaluatif) s’inscrive plutôt dans les textes institutionnels (ministère de l’Éducation nationale [MEN], 2019). Dans leur dernière version, les évaluations comportent une consigne détaillée accompagnée de conseils (certains sont proposés sous forme d’organigrammes ou par étapes chronologiques en fonction des tâches à accomplir) et d’outils d’aide à la réalisation de l’exercice. On y trouve par exemple des mots clés et des amorces de phrases pour compléter les illustrations fournies par les enseignants et, ainsi, aider les élèves à préparer leur production orale en continu.
Discussion
Dans notre étude, les niveaux d’intervention et d’actions individuelles des chercheurs sont croisés avec les niveaux d’interventions des acteurs de l’institution éducative. Seul l’espace partagé du dispositif innovant offre la possibilité d’associer les divers acteurs concernés autour de l’objet frontière (figure 3). Ainsi, lors de la lecture des résultats, certains croisements sont opérants. Par exemple, les entretiens individuels des enseignants valident les analyses des verbatim des groupes de discussion sur les craintes d’une évaluation diagnostique qui cacherait une évaluation sanction. C’est donc une approche qui permet une plus-value, par l’étude du système et l’enrichissement de plusieurs récoltes de données autour d’un même objet. L’évaluation et la validation des résultats temporaires de la recherche participative sont questionnées (Mottier Lopez, 2020).
L’émergence d’une communauté de pratique dans une recherche orientée par la conception : le développement professionnel par des activités réflexives
Cette recherche participative a permis la création d’une nouvelle communauté de pratique composée des chercheurs et des équipes éducatives, avec différents échanges autour de l’évaluation, à commencer par la coconception d’une évaluation diagnostique. En effet, tous les membres du collectif partageaient un même objectif, celui de clarifier les questions d’évaluation. Les échanges dans les groupes de discussion animés par un chercheur, ainsi que les entretiens, ont favorisé les activités réflexives préconisées par Morrissette et al. (2017) pour encourager le développement professionnel (Quel retour pour nous ? demande l’une des parties prenantes). Il n’y a pas eu, dans ces temps d’échanges, de dualité entre théorie et pratique, mais plutôt un accompagnement dans la mise en mots et dans la réflexion des enseignants. À la fin de cette collaboration, les enseignants ont transformé leur perception de l’évaluation (valuation), vers un soutien plutôt que vers une sanction, tandis que les chercheurs ont transformé leurs connaissances (valuation) sur la perception de l’évaluation des enseignants de LP.
Les groupes de discussion ont répondu à ce besoin d’accompagnement des enseignants, mais également au besoin d’échanges et de retour sur leur pratique, notamment pour donner des réponses sur ce qui a déjà été fait et, en ce sens, d’une évaluation entre pairs qui ne dit pas son nom. Ainsi, l’activité de coconception répond aux cinq caractéristiques fondamentales rappelées par Sanchez et Monod-Ansaldi (2015). En premier lieu, le pragmatisme, l’enracinement et la contextualisation ont été au coeur des échanges avec la question du réalisme, du réalisable et de l’adaptation du support créé pour le public spécifique des élèves de CAP (une préoccupation sous-jacente : quel est le retour pour les élèves ?). Les enseignants ont conçu de nouvelles évaluations grâce à des modifications apportées selon les sujets débattus collectivement : il y a eu ainsi une forme de résolution et de planification collective. Ces échanges ont permis de savoir, selon les dires d’un enseignant cité plus haut comment les autres s’y prennent, quels sont les obstacles qu’ils rencontrent, comment ils les ont contournés, comment ils les ont supprimés. Cela illustre le critère d’interaction, d’itération et de flexibilité dans l’espace partagé. Enfin, le dernier élément d’intégration, renvoyant à la nécessité de répondre aux contraintes du cahier des charges en étant fonctionnel, a été pris en charge par le corps d’inspection, par des modifications sur le rendu final. Le dispositif est innovant en ce qu’il détermine, sans le figer, le terrain des échanges des parties prenantes, des participations, des négociations.
L’objet frontière a permis, comme le propose Nizet (2020), d’accroître la légitimité de l’évaluation par l’étude qu’on en fait en tant que processus. Il a également rendu possible un travail collaboratif sans qu’il y ait nécessairement de consensus préalable. En effet, les échanges montrent que la posture vis-à-vis de l’évaluation est différente d’un enseignant à l’autre, mais également entre les inspecteurs. Cela s’est fait par l’émergence de cette nouvelle communauté de pratique où des praxéologies distinctes mais complémentaires ont pu circuler et où chacun, avec toute légitimité, a pu investiguer les questions d’évaluation, sans dualité mais bien avec complémentarité entre théories et pratiques.
La valuation autour de l’évaluation
La coconception porte sur une ingénierie de formation avec des inspecteurs (évaluer des élèves de CAP pour les soutenir dans leur engagement/réengagement dans les apprentissages) ainsi que sur un dispositif d’évaluation diagnostique avec une équipe d’enseignants d’anglais en CAP (réaliser en classe une évaluation diagnostique). Comment se positionnent-ils vis-à-vis de l’évaluation repérée ici comme objet frontière et dont on sait qu’il est un impensé, un « allant de soi » (Mottier Lopez, 2020) ? Les différents temps de la recherche collaborative ont mis en exergue des postures divergentes au sein du groupe d’enseignants, entre ceux qui ont qualifié l’évaluation de stigmatisante et ceux qui l’ont pensée valorisante. Cela renvoie aux deux logiques de l’évaluation (Mottier Lopez, 2017) avec, d’un côté, une perception plutôt négative de l’évaluation (l’évaluation comme mesure) et, de l’autre, l’évaluation comme un outil d’apprentissage et d’enseignement. Les enseignants expriment une volonté forte de réaliser une rupture pédagogique pour s’inscrire en opposition avec les pratiques pédagogiques du collège, qui ont mis en échec les élèves de CAP (Jellab, 2017a ; Troger et al., 2016). Les enseignants de LP se trouvent à accompagner des élèves dans leur reconstruction, à la suite de la « destruction » réalisée par le collège, décrit comme « une machine à broyer » (Jellab, 2005). L’évaluation, selon certains enseignants du collectif, est une marque de l’ancien système, dévalorisante voire destructrice. C’est incompatible avec leur volonté de rupture pédagogique. Ils entendent les arguments des autres enseignants, prônant une évaluation valorisante et seraient intéressés d’y adhérer. Mais pour respecter leurs élèves ayant une perception également négative et même traumatique de l’évaluation, ils souhaiteraient changer de terme en parlant, par exemple, de positionnement plutôt que d’évaluation, et de l’associer à un temps d’explicitation de ses finalités. Il est à noter que Charlot (1984), depuis longtemps, alerte sur le danger dans la perception que les enseignants ont de rénover leur pratique alors qu’ils reproduisent à l’identique les mêmes résultats. Pourtant, dans le cadre du LP, Troger et Ruano-Borbalan (2021) indiquent que la maternelle et le LP sont les seuls segments du système éducatif français à avoir réussi à opérer une véritable rupture pédagogique.
Ainsi, en conclusion de ce travail, nous constatons que des désaccords persistent et conduisent tous les acteurs à poursuivre l’approche réflexive sur l’évaluation afin d’atteindre une sorte de consensus au-delà des impensés, des allants de soi ou des implicites. Il s’agit, notamment, de mettre en place collectivement des stratégies de transformation des situations professionnelles. En ce sens, il faut poursuivre le changement des représentations que les enseignants peuvent avoir sur l’évaluation, entre autres pour s’éloigner de l’évaluation stigmatisante au profit d’une évaluation bienveillante (Jellab, 2019). Ceci suppose de travailler sur la dimension formative de l’évaluation, par exemple, apprendre à évaluer les compétences transversales.
La valuation autour de la recherche
Ce travail a également été l’occasion d’interroger les participants à la nouvelle communauté de pratique créée dans l’espace partagé autour de l’objet frontière sur l’intérêt et l’apport d’une recherche collaborative. Les résultats montrent ainsi plusieurs valuations dans les phases de recherche et dans le dispositif orienté par la conception. Ces points sont synthétisés dans la figure 5.
Dans un premier temps, on trouve le besoin des enseignants d’avoir un retour sur leurs pratiques et d’obtenir des réponses. Parce que leur développement professionnel est en jeu, ils éprouvent des difficultés à demander aux chercheurs des analyses expertes de leurs pratiques (Pesce et al., 2021). S’ils n’obtiennent pas de réponse, le risque est de créer des problèmes de pouvoir, des déséquilibres et même des inégalités. Une vigilance éthique est nécessaire pour limiter les effets de « hiérarchisation sociale des statuts des chercheurs et des participants » (Monceau & Soulière, 2017). Les enseignants identifient leur évolution actuelle ou potentielle pour donner suite aux actions menées avec la recherche (Mattei-Mieusset et al., 2019). Ils établissent également des parallèles avec la posture de leurs élèves en classe, au regard de leur propre posture professionnelle, les amenant à proposer des changements radicaux.
Dans un deuxième temps, la recherche est perçue comme un outil permettant une distanciation des acteurs vis-à-vis de leurs praxéologies sur l’évaluation. C’est le processus que Cadière (2013) décrit pour tout acteur s’engageant dans une recherche collaborative qui s’autorise à interroger « sa propre action, sa propre pratique et celle de son environnement. On questionne ses façons d’expliquer et de comprendre, sa façon de penser et on prend le risque de penser autrement par une réflexivité construite » (Cadière, 2013, p. 34). Les groupes de discussion et les entretiens individuels ont joué ce rôle, tout au long d’un processus de réflexion autour de l’objet frontière, permettant des allers-retours entre la verbalisation et l’action.
Enfin, la recherche devient un outil d’évaluation permettant, par cette distanciation, d’identifier des critères et des indicateurs pour analyser le dispositif et construire des savoirs nouveaux sur l’évaluation.
Conclusion
La recherche collaborative a permis, par les différentes modalités de recueil de données proposées, de créer, dans un espace partagé et autour d’un objet frontière négocié, les conditions d’un développement professionnel propre à chaque participant au sein du collectif de travail, une nouvelle communauté de pratique. La pluralité des actions produisant différentes valuations est l’une des originalités de ce projet. L’approche collaborative, inscrite dans une visée compréhensive, semble avoir atteint l’objectif d’être pertinente à la fois pour le monde de la recherche et pour celui de la pratique, en travaillant avec les enseignants plutôt que sur eux. Les travaux à venir viseront l’apport d’une méthodologie mixte dans le cadre d’une recherche collaborative pour mesurer les effets de ces choix méthodologiques.
Appendices
Notes
-
[1]
Ce projet de recherche a été financé par le rectorat d’Aix-Marseille, la fédération de recherche sur l’éducation d’Aix-Marseille Université (AMU), SFERE Provence (FED 4238), et par le pôle pilote de formation des enseignants et de recherche pour l’éducation, Ampiric (AMU).
-
[2]
Le CAP est un niveau 3 dans la Classification internationale type de l’éducation (CITE). La CITE est une nomenclature construite pour produire dans l’ensemble des pays des statistiques comparables sur l’enseignement et la formation. Elle a été conçue par l’UNESCO au cours des années 1970, puis a été révisée en 1997 et en 2011.
-
[3]
Définition donnée par le site éducation.gouv.fr : https://www.education.gouv.fr/reussir-au-lycee/le-certificat-d-aptitude-professionnelle-cap-9959
-
[4]
https://www.education.gouv.fr/reussir-au-lycee/le-test-de-positionnement-en-debut-de-lycee-7454
-
[5]
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000043798225/2022-05-10
-
[6]
https://eduscol.education.fr/785/controle-en-cours-de-formation
-
[7]
Le processus de financement dans lequel le projet présenté ici s’inscrit, a pour origine l’institution éducative. Il suppose que le rapprochement terrain-recherche vise le développement de la formation professionnelle : il implique les cadres de l’institution de manière constitutive (Redondo et al., 2022).
Liste des références
- Aldon, G., Monod-Ansaldi, R., Nizet, I., Prieur, M. & Vincent, C. (2020). Modéliser les processus de collaboration entre acteurs de l’éducation et de la recherche pour la construction de savoirs. Nouveaux cahiers de la recherche en éducation, 22(3), 89-109. https://doi.org/10.7202/1081289ar
- Artigue, M. (2002). Ingénierie didactique : quel rôle dans la recherche didactique aujourd’hui ? Les dossiers des sciences de l’éducation, 59-72. https://doi.org/10.3406/dsedu.2002.1010
- Auxire, N. (2017). Problème professionnel et construction de l’identité professionnelle enseignante. Spirale - Revue de recherches en éducation, (59), 137-150. https://doi.org/10.3917/spir.059.0137
- Badir, S. (2001). La sémiologie selon L. J. Prieto. Linx. Revue des linguistes de l’université Paris X Nanterre (44), 55-73. https://doi.org/10.4000/linx.1034
- Bernard, P.-Y. & Troger, V. (2015). Les lycéens professionnels et la réforme du bac pro en trois ans : nouveau contexte, nouveaux parcours ? Formation Emploi, (131), 23-40. https://doi.org/10.4000/formationemploi.4447
- Buisson-Fenet, H. & Rey, O. (dir.). (2016). Le lycée professionnel : relégué et avant-gardiste ? ENS Éditions.
- Cadière, J. (2013). Action, recherche-action, recherche. Dans J. Cadière (dir.), L’apprentissage de la recherche en travail social (p. 31-38). Presses de l’EHESP.
- Calvez, C., Marcon, R., Gavini, C., Lugnier, M. & Blanc, V. (2018). La voie professionnelle scolaire : viser l’excellence. https://www.education.gouv.fr/media/14861/download
- Charlot, B. (1984). L’échec scolaire en mathématiques et le rapport social au savoir. Bulletin de l’APMEP, (342), 117-124.
- Christofoli, S. (2015, février). L’absentéisme des élèves continue à être très élevé dans une partie des lycées professionnels (Note d’information no 5). Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance [DEPP] https://pmb.cereq.fr/doc_num.php ?explnum_id=2186
- Cros, F. (1997). L’innovation en éducation et en formation. Revue française de pédagogie, 118, 127-156. https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1997_num_118_1_1181
- David, P. (2021). Pratiques d’enseignement en formation professionnelle initiale : entre forme scolaire et socialisation professionnelle. Éducation et sociétés, 46(2), 77-93. https://doi.org/10.3917/es.046.0077
- Desgagné, S. & Bednarz, N. (2005). Médiation entre recherche et pratique en éducation : faire de la recherche « avec » plutôt que « sur » les praticiens. Revue des sciences de l’éducation, 31(2), 245-258. https://doi.org/10.7202/012754ar
- Flavier, É., Gaillard, J. & Ben Abid-Zarrouk, S. (2017). Entre ruptures éducatives et cloisonnements pédagogiques, Repenser la lutte contre le décrochage scolaire en lycée professionnel. Spirale - Revue de recherches en éducation, (59), 33-45. https://doi.org/10.3917/spir.059.0027
- Grosstephan, V. (2015). Accompagner la mastérisation de la formation des enseignants en France : un dispositif de régulation pour les formateurs des IUFM. Questions Vives, (24), 1786. https://doi.org/10.4000/questionsvives.1786
- Jellab, A. (2005). Les enseignants de lycée professionnel et leurs pratiques pédagogiques : entre lutte contre l’échec scolaire et mobilisation des élèves. Revue française de sociologie, 46(2), 295-323. https://doi.org/10.3917/rfs.462.0295
- Jellab, A. (2017a). Enseigner et étudier en lycée professionnel aujourd’hui. Éclairage sociologique pour une pédagogie réussie. L’Harmattan.
- Jellab, A. (2017b). La professionnalisation des enseignants du secondaire en France. Entre injonctions institutionnelles et approche sociologique. Éducation et socialisation. Les Cahiers du CERFEE, 46. https://doi.org/10.4000/edso.2669
- Jellab, A. (2019). Parier sur la bienveillance à l’école. Enjeux pédagogiques et éducatifs pour la réussite et l’émancipation des élèves. Tréma, (52). https://doi.org/10.4000/trema.5530
- Kaufmann, J.-C. (2008). L’enquête et ses méthodes. L’entretien compréhensif. Armand Colin.
- Lantheaume, F., Bessette-Holland, F. & Coste, S. (2009). Les inattendus des réformes : hybridation et construction de normes locales. Exemple des lycées professionnels. Spirale - Revue de recherches en éducation (43), 105-115. https://doi.org/10.3406/spira.2009.1186
- Lopez, M. & Sido, X. (2016). Entre culture scolaire et culture professionnelle, quelle identité disciplinaire en lycée professionnel ? L’exemple des mathématiques et du français. Dans H. Buisson-Fenet & O. Rey (dir.), Le lycée professionnel : relégué et avant-gardiste ? (p. 27-59). ENS Éditions.
- Maillard, F. (2017). Le baccalauréat professionnel de 1985 à nos jours : d’une singularité à l’autre. Revue française de pédagogie. Recherches en éducation, (198), 11-22. https://doi.org/10.4000/rfp.5228
- Marcoux, G. & Béland, S. (2016). Retour sur l’évaluation diagnostique. Mesure et évaluation en éducation, 39(3), 97-103. https://doi.org/10.7202/1040138ar
- Mattei-Mieusset, C., Emond, G. & Boudreau, P. (2019). Quel développement professionnel pour des enseignants associés dans une formation de type recherche-action participative ? eJRIEPS (45), 69-90. https://doi.org/10.4000/ejrieps.635
- Matthey, L. (2005). Éthique, politique et esthétique du terrain : cinq figures de l’entretien compréhensif. Cybergeo: European Journal of Geography, (312). https://doi.org/10.4000/cybergeo.3426
- Mead, R., Hejmadi, M. & Hurst, L. D. (2017). Teaching genetics prior to teaching evolution improves evolution understanding but not acceptance. PLOS BIOLOGY, 15(5), e2002255. https://doi.org/10.1371/journal.pbio.2002255
- Merle, P. (2015). L’élève humilié. L’école, un espace de non-droit ? (2e éd.). PUF.
- Ministère de l’éducation nationale. (2019, mai). Présentation générale des ressources pour l’accompagnement du programme de langues vivantes pour les classes préparant au baccalauréat professionnel et au certificat d’aptitude professionnelle, 2019 (publication n° MENE1911952A). https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000038489446/
- Monceau, G. & Soulière, M. (2017). Mener la recherche avec les sujets concernés : comment et pour quels résultats ? Éducation et socialisation, 45. Article 2525.https://doi.org/10.4000/edso.2525
- Monod-Ansaldi, R., Vincent, C. & Aldon, G. (2019). Objets frontières et brokering dans les négociations en recherche orientée par la conception. Éducation & didactique, 13(2), 61-84. https://doi.org/10.4000/educationdidactique.4074
- Morrissette, J. (2013). Recherche-action et recherche collaborative : quel rapport aux savoirs et à la production de savoirs ? Nouvelles pratiques sociales, 25(2), 35-49. https://doi.org/10.7202/1020820ar
- Morrissette, J., Pagoni, M. & Pepin, M. (2017). De la cohérence épistémologique de la posture collaborative. Phronesis, 6(1-2), 1-7. https://doi.org/10.3917/phron.061.0002
- Mottier Lopez, L. (2015a). Au coeur du développement professionnel des enseignants, la conscientisation critique. Exemple d’une recherche collaborative sur l’évaluation formative à l’école primaire genevoise. Carrefours de l’éducation, 39(1), 119-135. https://doi.org/10.3917/cdle.039.0119
- Mottier Lopez, L. (2015b). L’évaluation formative des apprentissages des élèves : entre innovations, échecs et possibles renouveaux par des recherches participatives. Questions Vives, (23), 2-17. https://doi.org/10.4000/questionsvives.1692
- Mottier Lopez, L. (2017). Évaluations formative et certificative des apprentissages. Enjeux pour l’enseignement. De Boeck
- Mottier Lopez, L. (2020). Quels rapports entre évaluations et recherches collaboratives en éducation ? La Revue LEeE (1), 1-7. https://doi.org/10.48325/rleee.001.07
- Nizet, I. (2020). Dossier thématique. Recherches collaboratives et évaluation : de l’objet au processus. Mesure et évaluation en éducation, 43(1), 1-5. https://doi.org/10.7202/1076963ar
- Nizet, I., Monod-Ansaldi, R., Aldon, G., Prieur, M. & Criquet, A. (2019). L’analyse de valuations dans une démarche collaborative de recherche. La Revue LEeE, 1. https://doi.org/10.48325/rleee.001.04
- Pasquini, R. (2020). Et si la recherche collaborative participait au développement de pratiques évaluatives sommatives cohérentes ? Mesure et évaluation en éducation, 43(1), 33-66. https://doi.org/10.7202/1076965ar
- Perez-Roux, T. (2017). Une forme de recherche collaborative impulsée par les praticiens : enjeux, démarche, déplacement(s) des acteurs. Éducation et socialisation, (45). https://doi.org/10.4000/edso.2494
- Pesce, S., Doublet, M. & Guillet, J. (2021). Dimension collaborative de la recherche. Dans S. Pesce, M. Doublet & J. Guillet (dir), Vers une pédagogie de l’engagement, p. 46-52. Champ social.
- Redondo, C., Artaud, M., Bernad, K. & Bonniol, V. (2022). La formation enseignante au prisme des politiques éducatives locales : le cas d’un projet de recherche-formation-terrain dans l’académie d’Aix-Marseille. Revue française de pédagogie, 215(2), 123-140. https://doi.org/10.4000/rfp.11888
- Sanchez, É. & Monod-Ansaldi, R. (2015). Recherche collaborative orientée par la conception. Un paradigme méthodologique pour prendre en compte la complexité des situations d’enseignement-apprentissage. Éducation & didactique, 9(2), 73-94. https://doi.org/10.4000/educationdidactique.2288
- Star, S. L. & Griesemer, J. R. (1989). Institutional Ecology, ‘Translations’ and Boundary Objects: Amateurs and Professionals in Berkeley’s Museum of Vertebrate Zoology, 1907-39. Social Studies of Science, 19(3), 387-420. https://www.jstor.org/stable/285080
- Troger, V., Bernard, P.-Y. & Masy, J. (2016). Le baccalauréat professionnel : impasse ou nouvelle chance ? PUF.
- Troger, V. & Ruano-Borbalan, J.-C. (2021). Histoire du système éducatif. PUF.
- van Katwijk, L., Berry, A., Jansen, E. & van Veen, K. (2019). “It’s important, but I’m not going to keep doing it!”: Perceived purposes, learning outcomes, and value of pre-service teacher research among educators and pre-service teachers. Teaching and Teacher Education, 86, 102868. https://doi.org/10.1016/j.tate.2019.06.022
- Wenger, E. (2000). Communities of Practice and Social Learning Systems. Organization, 7(2), 225-246. https://doi.org/10.1177/135050840072002
- Younès, N. & Faidit, C. (2020). Dynamiques évaluatives en jeu dans une recherche collaborative avec des enseignants et des enseignantes du second degré en France. Mesure et évaluation en éducation, 43(1), 67-94. https://doi.org/10.7202/1076966ar