Du 16 au 19 octobre 2019 s’est tenu à l’hôtel Château Laurier à Québec le 45e congrès annuel de la Société canadienne d’étude du dix-huitième siècle (SCEDHS), organisé conjointement avec la Northeast American Society for Eighteenth-Century Studies (NEASECS). Le thème en était « Éthique(s) des Lumières ». Si le mot « éthique » est aujourd’hui omniprésent dans le discours public – qu’il soit scientifique, juridique, économique, politique ou encore philosophique – et semble avoir supplanté celui de « morale » dans les interrogations sur les rapports du sujet à ses actions, ce n’est certes pas le cas au siècle des Lumières. De fait, au xviiie siècle, le mot signifie « morale et n’a d’usage que dans le didactique », dans la mesure où il renvoie surtout à l’une des parties de la philosophie aristotélicienne qui était enseignée dans les collèges jésuites ou à l’Université. Aussi, à l’entrée « éthique », la quatrième édition du Dictionnaire de l’Académie française (1762) donne-t-elle pour exemple les trois grandes parties de la philosophie qu’étaient « la logique, l’éthique, la physique » ; quant aux Éthiques d’Aristote, elles désignent ses « ouvrages moraux ». C’est ainsi qu’au xviie siècle, le philosophe français Scipion Dupleix (1569-1661) – conseiller du roi Henri IV et maître des requêtes de Marguerite de Valois – compose et publie pour son élève, le comte de Moret, le premier cours de philosophie en langue française, intitulé Cours de philosophie contenant la logique, la physique, la métaphysique et l’éthique (1623), attestant une fois de plus l’usage essentiellement didactique et scolaire du terme « éthique » à l’époque moderne. Près d’un siècle plus tard, l’Encyclopédie (1751-1772) de Diderot et d’Alembert définit « l’éthique » comme la « science des moeurs », précisant par ailleurs que le mot « n’est plus usité » et ne « sert que très rarement pour désigner certains ouvrages comme l’Éthique de Spinoza ». Ainsi, comme le constate Jean-Pierre Cléro, dans l’un des articles de ce numéro de Lumen, les « xviie et xviiie siècles se déroulent en francophonie dans une ignorance à peu près totale de la notion d’éthique », les penseurs français lui préférant largement celle de « morale ». Atteste également de cette préférence une recherche bibliographique dans le catalogue de la Bibliothèque nationale de France (BnF), qui n’est sans doute pas exhaustive, mais qui semble corroborer le constat de J.-P. Cléro. Entre 1700 et 1799, le catalogue de la BnF ne recense aucun titre français comprenant le mot « éthique », alors que, pour la même période, il dénombre 1645 titres de textes imprimés et livres numériques comprenant celui de « morale », avec une augmentation significative de ces titres à compter de 1780 (229 titres entre 1780 et 1789, 320 entre 1790 et 1799, contre une moyenne de 161 pour les décennies précédentes). L’événement historique majeur que constitue la Révolution française en cette fin de siècle explique sans doute cette recrudescence d’imprimés à vocation morale, la Nation française, ses législateurs et ses penseurs s’efforçant alors d’asseoir les fondements de la République naissante sur des principes de « régénérescence morale ». Dès lors, le mot « morale », s’il apparaît à l’époque moderne comme l’exact synonyme d’« éthique », semble avoir bien plus la faveur que ce dernier chez les penseurs français du xviiie siècle, qui multiplient les ouvrages sur cette question. Pour ne citer que quelques exemples parmi les plus connus, mentionnons l’Essai de philosophie morale (1749) de Maupertuis, La Morale universelle, ou les Devoirs de l’homme fondés sur sa nature (1776) du baron d’Holbach, …
Introduction [en français][Record]
- Charlène Deharbe and
- Stephen Ahern
Online publication: Nov. 3, 2021
A document of the journal Lumen
Volume 40, 2021, p. v–xvii
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