Les secrets plaisirs de la voyeuse au temps des Lumières[Record]

  • Florence Fesneau

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  • Florence Fesneau
    Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

À la veille de la Révolution, dans ses Nuits de Paris, Restif raconte que son spectateur nocturne se voit proposer par un « Falot » un « lit de passade » dans un hôtel borgne. Mais la nuit qu’il devait passer avec deux jeunesses est interrompue par la querelle de ses voisins de chambre qu’il observe incognito en soulevant un tableau, tandis que lui-même est soumis aux regards inquisiteurs de deux voyeurs (Fig. 1). L’illustration qui accompagne ce texte met en exergue – ici de manière comiquement caricaturale – une activité souvent dépeinte dans la peinture de genre au xviiie siècle ; celle du voyeur. C’est sur l’illustration de ce voyeurisme que la présente étude souhaite s’interroger et plus particulièrement sur les rapports entre l’activité bien connue du voyeur et celle – moins souvent étudiée – de la voyeuse. Cette voyeuse – telle que décrite et illustrée au travers de la gravure des nouvelles ou dans la peinture – se définit-elle de manière identique ou différente de son équivalent masculin ? Et que peut-elle nous révéler du statut de la femme au xviiie siècle ? Mais peut-être faut-il commencer par un point de vocabulaire pour souligner que si les tableaux et gravures du xviiie siècle sont hantés par la figure du voyeur, celui-ci n’existe pas. Tout du moins en tant que nom désignant une personne qui aime regarder les choses et les gens et, par extension, quelqu’un qui aime observer l’intimité des autres à leur insu. Le Dictionnaire universel de Furetière et celui de Richelet ne connaissent que le « Voyer ». Ce mot proche à l’oreille de celui de « Voyeur » – le Dictionnaire de Trévoux met d’ailleurs en garde contre cette prononciation abusive – se rattache étymologiquement à la voirie, la charge de Grand Voyer de France ayant été créée pour Sully. Le terme de « Voyeur », au sens où on l’entend aujourd’hui, sera utilisé pour la première fois par Alphonse Daudet en 1898 et le « Voyeurisme » ne fera son entrée lexicale que tardivement, en 1955, sous la plume du psychologue Henri Piéron. En revanche la « Voyeuse » existe bel et bien au xviiie siècle. Mais il s’agit d’un siège représenté sur la planche XIV consacrée au « Tapissier » dans l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert. La planche est ainsi légendée : « Voyeuse, espèce de chaise pour s’asseoir à cheval & s’accouder sur le dossier pour voir jouer. » La voyeuse, aussi appelée « voyeuse à genou », est souvent placée dans les salons de jeux pour permettre aux spectateurs de suivre, par-dessus l’épaule des joueurs, les parties de cavagnole, de papillon ou de pharaon. Les spectateurs et spectatrices s’installent sur une voyeuse, soit à genoux – comme sur un prie-Dieu – en prenant appui sur l’accoudoir rembourré, soit à califourchon, position néanmoins réservée exclusivement aux hommes. Repérer la figure du voyeur ou de la voyeuse dans les tableaux et gravures qui les mettent en scène, n’est donc pas toujours chose aisée puisqu’ils ne sont pas nommés et que, de plus, ils se cachent souvent à l’arrière-plan, jusqu’à tenter d’être indétectables. Cependant le voyeur – qui s’ignore encore comme tel – peut alternativement être qualifié d’indiscret, de curieux ou de lorgneur. Avant de procéder plus avant, il est nécessaire de voir si ces notions ont une valeur similaire à celle de voyeur et de s’assurer de l’intérêt qu’elles suscitent. On rappellera que le xviie siècle a plutôt une approche dépréciative de la curiosité. Dans ses Réflexions, l’abbé de Bellegarde fustige l’indiscrétion et observe : …

Appendices