« Chaque siècle a son esprit qui le caractérise ; l’esprit du nôtre semble être celui de la liberté », écrivait Diderot. Dans cet esprit, les écrits carcéraux du comte de Mirabeau, qui fut prisonnier de Vincennes sous Louis XVI puis représentant du tiers état à la Révolution, vont nourrir une révolte qui s’ouvre à la fin du xviiie siècle. Cet aristocrate, dont la jeunesse libertine est tout entière « [marquée] par des lettres de cachet », fera en effet de ce système le symbole de l’arbitraire. Condamné à mort par contumace pour rapt et adultère, il est emprisonné à la demande de son père. Ses trois années de détention (mai 1777-décembre 1780) sont néanmoins l’occasion de nouer une correspondance avec son amante, Sophie de Monnier, enceinte et recluse dans un couvent. La lettre écrite en prison constitue alors aussi bien le lieu d’un épanchement pathétique qu’un outil de contestation de l’autorité. Cette correspondance met en scène le caractère incommensurable du pouvoir institutionnel, et par là même les stratégies d’écrasement de l’individu captif. La peinture que le comte dresse de ses modalités d’incarcération fait de son expérience une torture physique et psychologique : les conditions matérielles de détention, et particulièrement le linge trop rare, la mauvaise qualité de la nourriture, de même que la vermine perpétuellement présente dans les cachots, avilissent le prisonnier. L’inconfort mais encore le secret absolu permettent aux autorités de manifester sans discontinuer leur emprise sur l’existence voire la survie du détenu. C’est ainsi que se révèle le pouvoir institutionnel de punir. Il s’agit ainsi de comprendre dans quelle mesure l’écriture en prison participe à la dénonciation de l’institution carcérale : comment en effet Mirabeau présente-t-il les modes de contrôle institutionnel qui s’exercent à Vincennes ? Quelles sont les stratégies du prisonnier pour échapper à la surveillance pénitentiaire ? Nous considèrerons par conséquent la lettre comme support d’une stratégie de lutte contre l’oppression : malgré la vigilance des autorités, le courrier permet la préservation d’un espace de liberté et la dénonciation d’une « institution totale » arbitraire. Cette correspondance témoigne tout d’abord du contrôle exercé sur les détenus à Vincennes : privé de toute communication libre avec l’extérieur, Mirabeau présente assurément les effets dévastateurs de la surveillance. Ensuite, les contraintes carcérales s’exercent tout particulièrement sur le courrier, dévoilant ainsi l’avarice et même l’omniscience de l’institution. Enfin, les stratégies épistolaires de contournement de la règle font la preuve d’une résistance de l’écrivain. À Vincennes, Mirabeau est presque absolument coupé du dehors et de sa vie passée : l’architecture écrasante du donjon, de même que le système de surveillance, privent le détenu de toute communication libre avec ses proches. La prison, pour l’ensemble de ces détenus, se fait sépulcre : la privation de liberté et de communication avec l’extérieur réduit le citoyen au néant. Mirabeau résume les procédés de mortification destinés à exclure le prisonnier de la vie civile, l’anaphore soulignant avec force les douleurs du manque : « Nulle correspondance, nulle société, nul éclaircissement de son sort, nulle distraction au présent, nulle connaissance de l’avenir… quelle effroyable mutilation de l’existence ! » Cette exclusion confine alors à la « mort civile ». L’enfermement chez Mirabeau, à l’instar de tout individu soumis aux pouvoirs de l’institution totale, fait particulièrement rupture dans une vie saturée de plaisirs. Ce contraste apparaît dans l’isolement concret et inexpugnable dressé par l’architecture carcérale entre l’intérieur et l’extérieur. En proie à l’insalubrité et au manque de confort, le prisonnier est ainsi totalement oppressé et mutilé, non seulement par les règles qui lui sont imposées, mais aussi par l’espace carcéral lui-même. L’épaisseur des murs et …
Mirabeau sous le sceau du secret : l’écriture épistolaire à l’épreuve de la surveillance pénitentiaire[Record]
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Sophie Rothé
Université de Tours