La société de Fanny de Beauharnais pendant la Révolution française : réseaux et mondanité au service de l’homme de lettres[Record]

  • Chanel de Halleux

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  • Chanel de Halleux
    Université libre de Bruxelles

S’intéresser au devenir d’un salon parisien durant la décennie 1789-1799 peut sembler paradoxal, tant la période révolutionnaire a longtemps été associée à la disparition de cette forme de sociabilité. Nombreux sont en effet les historiens à avoir défendu la thèse d’une extinction de la culture salonnière au profit d’espaces sociables éminemment masculins dont les musées et les clubs étaient les archétypes. Confortés par les témoignages de contemporains exprimant leur nostalgie d’un « esprit de société » prétendument révolu et influencés par le prisme idéalisant du xixe siècle auquel les frères Goncourt donneront sa forme la plus achevée, ces chercheurs ont contribué à façonner le mythe d’une fracture historique de la mondanité, qui relève davantage de l’orientation idéologique que de la recherche objective. Le récent intérêt porté aux sociabilités politiques et intellectuelles a, certes, permis d’esquisser un renouvellement des perspectives sur l’histoire des sociétés mondaines après 1789, mais force est de reconnaître que ce chantier historiographique demeure largement en friche. Le rôle des salons et des réseaux de mondanité dans l’espace littéraire pendant la Révolution n’a, par exemple, pas encore fait l’objet d’une analyse globale. Une telle approche pourrait pourtant fournir des résultats pertinents afin de sonder l’influence sociale et culturelle de cette pratique de sociabilité au tournant des Lumières. Les recherches d’Antoine Lilti ont permis de mettre en lumière la prévalence des jeux de recommandation et des relations de patronage aristocratique dans la structuration du champ littéraire tout au long du xviiie siècle. Il apparaît légitime de s’interroger sur l’éventuelle continuité de cette dynamique à la période révolutionnaire, durant laquelle s’opère un renversement brutal de l’édifice institutionnel, social et symbolique qui ordonnait au préalable la carrière des écrivains. La politique des premières années de la Révolution – prévoyant l’abolition des privilèges, la libéralisation de la presse et du théâtre, la destruction des Académies et du système des pensions royales – entraîne une réorganisation radicale du champ culturel. Face à cette perte subite de repères, les hommes de lettres ont-ils continué à considérer leur appartenance à la sociabilité mondaine comme une ressource de choix ? Pour traiter cette problématique, le salon de la comtesse de Beauharnais se révèle un objet privilégié. Celui-ci connaît, tout d’abord, une longévité et une constance rares. Malgré quelques interruptions temporaires entre 1789 et 1792 et un arrêt complet sous la Terreur, le cercle parisien de Marie-Anne Françoise Mouchard (1737-1813), dite Fanny, se maintient du début des années 1760 jusqu’à la mort de l’hôtesse sous le Premier Empire. En outre, cette dernière, en tant qu’auteure et académicienne, est personnellement impliquée dans les réseaux lettrés. La double qualité de femme de lettres et de femme du monde, tout à fait exceptionnelle à l’époque, concourt à faire de sa société le lieu de prédilection de nombreux littérateurs et, partant, un cas d’étude idéal pour appréhender l’évolution des rapports de la mondanité et de la vie littéraire pendant la Révolution, le Consulat et l’Empire. La décennie révolutionnaire, loin de précipiter sa fermeture, a en effet renforcé certains enjeux qui entouraient la fréquentation du salon sous l’Ancien Régime. Les premiers sont d’ordre idéologique : les littérateurs assimilent dans sa société les principes et les codes esthétiques mondains, qui leur permettent de se positionner au sein du débat polémique visant alors à redéfinir le rôle social et le statut des hommes de lettres. Les seconds enjeux sont d’ordre matériel : l’instabilité financière, induite par les événements et à laquelle de nombreux écrivains sont subitement confrontés, accentue les dispositions de la maîtresse de maison à mobiliser des réseaux de protection en leur faveur. Afin d’étayer ce postulat, il convient d’examiner tant …

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