Milscent et son journal Le Créole patriote s’insèrent dans les dynamiques transatlantiques qui concernent la Révolution française et la Révolution de Saint-Domingue/Haïti. Deux révolutions qui aboutirent à la première abolition de l’esclavage en France, ratifiée par le décret du 16 pluviôse an II (4 février 1794), sous la Convention montagnarde. Le décret représente un des moments politiques les plus significatifs pas seulement parmi les conquêtes juridiques de la période révolutionnaire mais aussi, dans une perspective de longue durée, par rapport aux questions abolitionnistes du xixe siècle. Le biquotidien Le Créole patriote (1792-1794) est rédigé par Claude Louis Michel Milscent De Mussé, dénommé Milscent, un homme libre de couleur et petit colon de Saint-Domingue, qui est venu vivre dans la mère-patrie après l’éclatement de la Révolution française. Milscent est une des figures « marginales » de la Révolution, en incarnant le point de contact entre colonie et métropole. Grâce à sa mobilité et aux échanges épistolaires il contribua à informer l’opinion publique sur les nouvelles de Saint-Domingue. Milscent et son journal incarnent parfaitement – pour reprendre une expression de Lynn Hunt – la fusion entre « action » et « innovation » de la période révolutionnaire. L’article s’inscrit chronologiquement à partir de l’insurrection des esclaves – éclatée dans la nuit du 22 août 1791 – au décret d’abolition de l’esclavage du 16 pluviôse an II. La première abolition de l’esclavage met en évidence plusieurs problématiques concernant les liens qui unissent la mère patrie et la colonie. La première problématique concerne la contribution réelle du courant antiesclavagiste de la Révolution française comme moteur du soulèvement des esclaves et comme fondement théorique du décret abolitionniste. La deuxième porte sur la dimension globale de la Révolution de Saint-Domingue : le soulèvement des esclaves qui est – au début – un événement de portée locale, s’insère après dans des dynamiques atlantiques entre la France et les puissances de la contre-révolution. Penser la Révolution de Saint-Domingue comme un chapitre de la Révolution française est erroné du point de vue méthodologique puisque dans la colonie française éclate une révolution spécifique. En même temps il est fondamental de reconnaitre un pont entre les deux révolutions parce qu’elles ont en commun un même rythme et un même arc chronologique : Par conséquent reconnaître la contribution de la Révolution éclatée dans la mère patrie sur l’éclatement de la Révolution coloniale et considérer la révolte des esclaves comme accélératrice des événements dans la métropole n’est pas contradictoire. D’un côté, on a l’approche éclairante de l’historien D.P. Geggus : « the colonial revolution as an autonomous force that helped radicalize the French Revolution rather than being merely a reflection of it ». D’un autre côté, l’énergie jaillie du processus révolutionnaire français a démonté l’immuable société coloniale pour créer un climat politique favorable à l’éclatement de l’insurrection des esclaves. Du point de vue politique, la révolte des esclaves accélère, au-delà des principes révolutionnaires, la prise de décision de la mère patrie sur le problème de l’esclavage. La Révolution de Saint-Domingue acquiert officiellement à partir du février 1793 une dimension internationale : l’occupation de la Reine des Antilles devient un objectif pour les puissances de la contre-révolution, l’Espagne et l’Angleterre. Les liens métropole-colonie et colonie-métropole manifestent que les deux processus révolutionnaires ne sont pas totalement indépendants. Du point de vue historiographique, Milscent a été découvert grâce aux études de Yves Bénot. Il existe aussi un article de Jean-Daniel Piquet et plus récemment il y a une reconstruction détaillée de son parcours et de ses oeuvres dans l’article « Milscent créole historien de la Révolution de Saint-Domingue 1790-1794 » de Sophie Piollet, Nathalie …
Le Créole patriote (1792-1794) : un pont entre deux Révolutions[Record]
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Giulia Bonazza
ÉHÉSS
Université Ca’ Foscari