Le comte Andrei Petrovitch Chouvalov est sans doute le plus fameux des écrivains francophones russes des Lumières. Au sein de la République des Lettres, l’auteur de l’Epître à Ninon de l’Enclos dialogue avec Voltaire, La Harpe, Dorat ou encore Parny et Saint-Lambert. Cependant ses contacts avec le beau monde parisien, cet arbitre rigoureux du bon goût, sont peu explorés. Pour rétablir le réseau de relations du comte Chouvalov, pour comparer sa réputation littéraire avec celle qu’il se fait dans les grands salons de Paris, il serait utile de se référer aux rapports de la police qui se veut omnisciente. Les enquêtes du contrôle des étrangers permettent de voir et d’entendre ce qui se passe et ce qui se dit au sein de l’assemblée diplomatique, pendant les dîners privés ou les spectacles. C’est le travail des inspecteurs Buhot, Lechenetier Delongpré ou Bossonet qui notent une fois par semaine toutes les apparitions mondaines des diplomates, donnent des portraits succincts des étrangers de haut rang. À leurs rapports très souvent secs et factuels s’ajoutent ceux du département des moeurs, riches en détails piquants, présentant un large panorama du demi-monde. Très probablement, dans les années 1770-1780, les inspecteurs de la partie des étrangers et de la partie des moeurs collaborent pour surveiller les grands personnages venus d’ailleurs dont Andrei Petrovitch Chouvalov. Nous allons aussi présenter une pièce de vers « oubliée » signée par le comte Chouvalov. Malgré son caractère stéréotypé, cette poésie fugitive peut en dire long sur les relations mondaines de son auteur. Les documents en question datent du troisième séjour parisien du seigneur russe qui dure de novembre 1777 à juillet 1781. Les deux autres visites (1756-1758 et 1764-1766) préparent sa future gloire mais ne laissent pas beaucoup de traces. À la fin des années 1770, le comte Andrei Chouvalov est déjà plus qu’un des élèves de Voltaire. Chambellan, sénateur, directeur de la Banque d’État des assignats, il est aussi une figure marquante des lettres européennes francophones. Ses poésies vantent en premier lieu les progrès de la Russie en sciences, en métiers et en arts. Parmi ces derniers, « l’art de plaire » est l’un des plus importants et, selon Dorat, le comte Chouvalov en est maître. Comment fait-il pour mériter ce titre flatteur ? Lorsque le comte Andrei Chouvalov arrive à Paris pour la première fois, il est encore adolescent, et ses manières, ses connaissances, son français lui valent d’emblée l’attention particulière et la sympathie générale. Il est présenté au roi et au dauphin, il est reçu chez l’abbé de Bernis, la marquise de l’Hôpital et des ministres étrangers. D’après le témoignage du chargé d’affaires russe Fedor Dmitrievitch Bekhteev, toute la bonne société parisienne est d’accord que le jeune comte Chouvalov « est un homme fait » et « qu’il est charmant ». En 1764, il revient à Paris avec sa femme, ce qui ne l’empêche pas de prendre connaissance du monde galant où « la demoiselle Clairon, ex-actrice du Théâtre Français, guida ses premiers pas ». On doit cette déclaration ultérieure à un inspecteur de police et nous ne pouvons ni la prouver ni la contester. Les fameux rapports sur les femmes galantes destinés à Louis XV taisent la liaison éventuelle entre le comte Andrei Chouvalov et la belle Clairon. Cependant ils mentionnent à quelques reprises un certain « M. Choaloffe » qui courtise les demoiselles Robbe, Grécourt et Dangeville en 1765, et la marquise de Bellegarde en 1766. Tout porte à croire qu’il s’agit d’Ivan Ivanovitch Chouvalov, l’oncle de notre héros, un personnage très bien connu à Paris à cette époque. En ce qui concerne le neveu, …
« Maître en l’art de plaire » ou « bel esprit » ? Le comte Andrei Chouvalov vu par la police et le beau monde de Paris en 1777-1781[Record]
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Dzianis Kandakou
Université d’État de Polotsk