Dans cet ouvrage audacieux, David Tombs, titulaire d’une chaire en théologie et santé publique à l’Université d’Otago, en Nouvelle-Zélande, plonge dans les abysses des récits de torture anciens et contemporains pour interroger la crucifixion de Jésus sous un jour radicalement différent. En juxtaposant la brutalité des exécutions romaines avec la dignité souvent attribuée aux martyrs dans la mémoire collective, Tombs explore la tension inhérente entre la glorification posthume et l’infamie délibérée visée par la crucifixion. La thèse centrale de l’ouvrage repose sur l’idée que la crucifixion était conçue pour être une forme d’exécution si répugnante qu’elle rendait inconcevable toute mort noble ou héroïque de la victime, visant non seulement à ôter la vie mais aussi à effacer l’honneur et la mémoire de l’individu. Tombs s’appuie sur les écrits de Paul et l’épître aux Hébreux pour illustrer comment la crucifixion était perçue comme un scandale dans l’Antiquité, mettant en exergue l’ignominie plutôt que la douleur physique. Il souligne comment cette notion de honte, profondément ancrée dans la tradition chrétienne, semble s’estomper dans la perception contemporaine, où les images traditionnelles du crucifix ne suscitent plus le même sentiment de déshonneur. En abordant la crucifixion de Jésus comme le parcours d’un prisonnier politique, Tombs utilise des témoignages de torture contemporains pour approfondir la compréhension du scandale de la croix, intégrant la dimension de violence sexualisée dans son analyse. Cette approche, bien que dérangeante, est guidée par la conviction de l’importance du texte biblique et de la nécessité de confronter les différentes formes de violence, en particulier la violence sexuelle, dans l’interprétation des Écritures. Le chapitre 1 débute l’ouvrage par une exploration comparative entre les pratiques de torture anciennes et modernes, en se focalisant sur le cas emblématique d’Abu Ghraib pour réévaluer le traitement infligé à Jésus durant sa crucifixion. Tombs analyse le témoignage de Sabrina Harman pour illustrer comment les actes d’humiliation et de dénudation pratiqués à Abu Ghraib trouvent un écho dans les récits bibliques de la Passion, suggérant une réinterprétation de ces derniers comme instances de violence sexuelle. L’auteur met en lumière la difficulté de reconnaître cette dimension dans les textes sacrés et invite à une prise de conscience de la violence inhérente à la crucifixion. Le chapitre 2 se penche sur la scène de la moquerie de Jésus dans le prétoire, souvent traitée de manière superficielle dans les commentaires traditionnels. En appliquant une lecture attentive et critique des récits évangéliques à la lumière des pratiques de torture, l’auteur ouvre la possibilité à des actes de violence sexuelle « too indecent to be recorded » (p. 40). En effet, la scène décrite dans Matthieu 27,31, où Jésus est entouré, dépouillé, moqué, et finalement crucifié, présente des similitudes troublantes avec l’épisode de la concubine violée dans Juges 19. Les soldats se moquent de Jésus : le même verbe est présent en Juges 19,25 (dans la traduction grecque de la Septante : empaïzeïn) pour évoquer l’action de violer. Ce chapitre vise à briser le silence autour des violences potentielles subies par Jésus et à questionner les limites de ce que les textes évangéliques choisissent de révéler. Le chapitre 3 explore la possibilité que la crucifixion romaine ait parfois inclus ou coïncidé avec l’empalement, s’appuyant sur des sources historiques telles que les observations de Sénèque et les témoignages de Josèphe. Il examine également des représentations artistiques anciennes pour évaluer la présence de violences sexuelles dans l’imaginaire de la crucifixion. « Roman use of impalement either occurred alongside crucifixion or as part of crucifixion » (p. 57). L’auteur conclut sur l’incertitude entourant les détails de la crucifixion de Jésus mais souligne l’importance d’envisager la …
David Tombs, The Crucifixion of Jesus. Torture, Sexual Abuse, and the Scandal of the Cross. Abingdon, New York, Routledge, Taylor & Francis Group (coll. « Rape culture, religion and the Bible »), 2023, vi-94 p.[Record]
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François Doyon
Université Laval, Québec