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Bible et exégèse
1. Peter E. Lorenz, A History of Codex Bezae’s Text in the Gospel of Mark. Berlin, Boston, Walter de Gruyter GmbH (coll. « Arbeiten zur Neutestamentlichen Textforschung », 53), 2022, xvi-1 043 p.
Si l’on se fie à son titre, cet imposant ouvrage ne porterait que sur le texte de l’évangile de Marc tel qu’il apparaît dans le manuscrit bilingue gréco-latin, grec sur les pages de gauche et latin sur les pages de droite, dont l’humaniste et théologien réformé Théodore de Bèze (1519-1605) fit don à l’Université de Cambridge en 1581, d’où sa désignation comme le Codex Bezae Cantabrigiensis. Daté de la fin du ive ou du début du ve siècle, ce manuscrit donne, avec un bon nombre de lacunes, les évangiles (dans l’ordre Mathieu, Jean, Luc, Marc), la fin de 3 Jean (v. 11-15) et les Actes des apôtres. Il est désigné par le sigle D et porte le numéro 05 dans le répertoire Gregory-Aland des manuscrits du Nouveau Testament. Le manuscrit appartenait au monastère Saint Irénée de Lyon et il fut cité au concile de Trente en 1546. Le Codex Bezae se distingue par le type de texte des évangiles et des Actes qu’il contient, marqué par de nombreuses variantes par rapport aux autres formes textuelles, alexandrine ou byzantine, et plus développé que celles-ci. On a très tôt remarqué que le type textuel attesté par le Codex Bezae se retrouvait dans d’autres témoins manuscrits grecs et latins ou dans des citations de Pères de l’Église comme Cyprien, Tertullien et Irénée de Lyon, d’où l’appellation d’occidental que lui donnera l’érudit Johann Salomo Semler (1725-1791), qui situait son origine en Occident. L’importance du texte occidental a été diversement appréciée mais il a gagné en popularité ces dernières années, certains spécialistes estimant qu’il est antérieur aux autres types de texte. L’ouvrage de Peter Lorenz, résultant d’une thèse de doctorat soutenue à l’Université de Münster, revient sur toutes les questions disputées à propos du Codex Bezae et du texte occidental en prenant comme point de départ le texte de l’évangile de Marc, et en s’arrêtant plus spécialement aux passages de Marc dans le Codex Bezae où le grec et le latin partagent des leçons identiques pour lesquelles on ne trouve pas de parallèle ailleurs dans la tradition manuscrite.
Après une introduction développée où il revient sur l’importance du Codex Bezae, présente les « questions de recherche » auxquelles il s’efforcera de répondre, la méthode suivie, les données à examiner et la forme textuelle dominante (the mainstream text) qui servira de point de comparaison, et après avoir esquissé une histoire du texte du Codex Bezae dans l’évangile de Marc, l’auteur développe son argument en huit chapitres : 1. La date du texte grec du Codex Bezae ; 2. Le texte grec du Codex Bezae et la version latine ; 3. Le bilinguisme gréco-latin dans le contexte de production du Codex Bezae ; 4. La modélisation des changements textuels dans le développement du texte grec du Codex Bezae ; 5. Le contexte de production du texte grec de Marc du Codex Bezae ; 6. La couche latine (The Latine layer) du texte grec de Marc du Codex Bezae ; 7. Le texte grec de Marc du Codex Bezae et la tradition grecque ; 8. Vers une histoire textuelle du Codex Bezae dans Marc. Un premier appendice liste les 182 témoins grecs et les seize manuscrits vieux-latins qui ont été collationnés pour l’étude, et un second regroupe les manuscrits grecs en fonction de leur degré de convergence. Suivent la bibliographie, un index des auteurs et écrits anciens, et un index thématique.
Les seules dimensions de l’ouvrage indiquent que, dans l’examen de ces questions, l’auteur n’a pas laissé une pierre sans la retourner. De ce fait, cette monographie constitue une véritable somme sur le Codex Bezae et sur le texte occidental dont tous ceux qui s’intéressent à ces sujets apprécieront la richesse. Mais parler de somme est sans doute inadéquat pour un ouvrage qui ne se contente pas d’inventorier les acquis de la recherche. Peter Lorenz renouvelle en effet les perspectives et aboutit à des conclusions qui mettent à mal bien des certitudes acquises sur le Codex Bezae et le texte occidental. Notons surtout que Lorenz conteste le consensus actuel sur au moins deux points fondamentaux, le premier, que le texte grec du Codex Bezae représenterait une tradition ancienne qui aurait vu le jour au plus tard à la fin du deuxième siècle, le second, que ce texte grec représenterait essentiellement une tradition qui serait à la source de la version veille-latine. Si l’on se fie à la démonstration de Lorenz, les responsables de la production du Codex Bezae, plutôt que de découvrir une tradition ancienne, auraient travaillé dans les décennies qui ont précédé immédiatement la fabrication du manuscrit vers la fin du quatrième siècle et auraient été les créateurs d’une nouvelle tradition dont l’intention était de récupérer un texte grec ancien à partir de lectures considérées comme plus authentiques dans l’ancienne version latine, avec comme résultat que, par la suite, les critiques modernes, depuis l’époque des Lumières, ont vu à tort dans ce texte le type même de produit antique que les artisans du Codex Bezae aspiraient à produire. D’après Lorenz, la théorie dominante de la grande antiquité de la tradition du Codex Bezae repose sur une vision du texte tiré des apparats critiques plutôt que sur la considération de l’ensemble de celui-ci, ce qui fausse la perspective concernant l’importance des variantes du Codex Bezae et donne l’impression que son texte représenterait une paraphrase ou une reformulation de la forme textuelle dominante. En ce qui concerne la datation du Codex Bezae, Lorenz avance (p. 920) comme terminus post quem l’année 350, en raison, d’une part, de la dépendance manifeste du Codex de formulations latines de type italien, qui ne sont pas attestées avant le milieu du quatrième siècle, et, d’autre part, de l’appariement du texte grec du manuscrit avec un texte latin du même type. Par ailleurs, si l’on considère que le texte et le format bilingue du Codex Bezae seraient d’une certaine manière une réponse à la Vulgate, cette date pourrait être abaissée à 385 ou après, ce qui présenterait l’avantage de laisser suffisamment de temps pour la diffusion du texte de type italien dans l’Église latine. Quant au terminus ante quem, il est imposé par la date de fabrication du Codex Bezae, soit les environs de 400. D’où une fourchette chronologique raisonnable allant de 385 à 415.
Outre le thème sur lequel il porte spécifiquement, l’ouvrage aborde plusieurs sujets pour lesquels l’auteur fait d’utiles mises au point bien documentées. Mentionnons à titre d’exemples le recours aux nomina sacra pour dater un texte, les versions vieilles-latines des évangiles, le bilinguisme gréco-latin au ive siècle, le Codex Bezae et les écrivains du iie siècle (Justin, Ptolémée, Marcion), la διόρθωσις comme mécanisme de modification textuelle. Quoi qu’il en soit de la réception que les spécialistes feront aux hypothèses de l’auteur, cet ouvrage d’une grande érudition contribuera sans aucun doute à relancer la discussion autour du Codex Bezae et du texte occidental des évangiles.
Paul-Hubert Poirier
Judaïsme ancien
2. Étienne Nodet, Flavius Josèphe. Les Antiquités juives. Volume IX : Livres XX et Autobiographie. Texte, traduction et notes. Paris, Les Éditions du Cerf, 2022, li-138 p. (en pagination double).
Ce nouveau volume des Antiquités juives regroupe en fait deux ouvrages de Flavius Josèphe, le vingtième et dernier livre des Antiquités, et la Vie de Josèphe (Ἰωσήπου βίος) par lui-même ou l’Autobiographie. Ces deux oeuvres sont présentées l’une à la suite de l’autre parce que l’une serait la suite de l’autre. Le livre XX des Antiquités se termine en effet par deux conclusions, une première, aux paragraphes 259-266, qui annonce à la fois l’achèvement de l’oeuvre et le fait que Josèphe parlera brièvement de sa famille et des événements de sa vie, et une seconde, aux § 267-268, dans laquelle l’auteur affirme mettre un terme à ses Antiquités « comprenant vingt livres et soixante mille lignes » et déclare qu’il les fera suivre d’« un résumé de la guerre et des événements de notre histoire jusqu’au jour présent » — soit 93-94 — et d’« un ouvrage en quatre livres sur notre doctrine juive au sujet de Dieu et de sa nature, ainsi que sur nos lois », deux ouvrages soit jamais publiés soit perdus. Étienne Nodet pense que, lors d’une première édition, le livre XX des Antiquités s’achevait sur la première conclusion qui aurait été suivie de ce qui constitue aujourd’hui les première (§ 1-27) et troisième (§ 414-430) parties de la Vie, qui forment un récit continu et homogène, interrompu par un long excursus, totalisant 90 % du récit (§ 28-413), dans lequel Josèphe justifie en long et en large son activité militaire en Galilée. Cette hypothèse rend assez bien compte de la séquence Antiquités XX - Vie et justifie en tout cas de présenter les deux écrits l’un à la suite de l’autre sous une même couverture, tout comme Benedikt Niese, dans sa grande édition (1890) donnait la Vie à la fin des Antiquités. Après avoir ainsi, dans la première section de l’introduction, expliqué le passage des Antiquités à la Vie, Nodet aborde dans la deuxième les questions textuelles, c’est-à-dire essentiellement la présentation des manuscrits et la proposition de deux stemmas, l’un pour le livre XX des Antiquités et l’autre pour la Vie. Comme pour les précédents volumes des Antiquités juives, publiés par Nodet, celui-ci offre un texte grec renouvelé par rapport à celui de Niese. La troisième section de l’introduction porte sur le livre XX et présente les acteurs qui interviennent dans le récit, empereurs, légats de Syrie et autorités romaines en Judée, ainsi que les grands prêtres auquel Josèphe consacre un long développement (§ 224-251). La quatrième section de l’introduction est consacrée à la Vie. Nodet dresse tout d’abord un parallèle entre la Guerre des Juifs (livres II et III) et la Vie, pour montrer que, malgré leurs divergences, on y trouve deux récits parallèles des mêmes événements. Il présente ensuite les relations de Josèphe avec Rome, la Galilée romaine et le sentiment antiromain qui y dominait. Une brève cinquième section, intitulée « Josèphe et le Nouveau Testament », se résume à quelques rapprochements avec les Actes des Apôtres.
L’essentiel de l’ouvrage est occupé par l’édition du texte grec et son apparat critique, et la traduction française du livre XX des Antiquités et de la Vie. Une annotation abondante accompagne la traduction et facilite la lecture. Comme il est indiqué à la fin de la table initiale des chapitres, le livre XX couvre 26 ans, de l’envoi par Claude du premier procurateur romain, Fadus, en 44, à 70, année de la destruction du Temple. Mais, comme le récit de Josèphe se clôt sur la deuxième année de la procuratèle de Florus, donc en 66, certains manuscrits donnent 22 ans au lieu de 26, ce qui pourrait être une leçon secondaire destinée à faire correspondre la capitulation au contenu du livre XX.
Il convient de saluer la parution de ce nouveau volume du Flavius Josèphe des Éditions du Cerf et surtout de souhaiter une parution prochaine du ou des volumes qui couvriront les livres XV à XIX des Antiquités, encore manquants[1].
Paul-Hubert Poirier
3. Frédéric Chapot, éd., Les récits de la destruction de Jérusalem (70 ap. J.-C.) : contextes, représentations et enjeux, entre Antiquité et Moyen Âge. Turnhout, Brepols Publishers n.v. (coll. « Judaïsme ancien et origines du christianisme », 19), 2020, 402 p.
La destruction de Jérusalem en 70 de notre ère, à la suite de l’insurrection juive qui éclata en 66, fut un événement d’une portée considérable, tant sur le plan factuel que symbolique, aussi bien pour le judaïsme du Second Temple que pour le christianisme naissant. L’ouvrage collectif édité par Frédéric Chapot et réalisé pour l’essentiel par des chercheurs appartenant à des groupes de recherche de l’Université de Strasbourg, se propose d’explorer les traditions littéraires, juives et chrétiennes, du récit de la destruction de Jérusalem qui se sont développées dans l’Antiquité et le Haut Moyen Âge. Comme l’écrit l’éditeur en avant-propos, « notre approche s’intéresse moins aux événements qu’à la perception et à la mise en récit qu’ils ont suscitées. La démarche retenue consiste donc essentiellement à partir des textes, pour cerner les intentions qui ont présidé à leur rédaction, définir leur interprétation de l’événement, évaluer la portée qu’ils leur accordent » (p. 11-12). L’ouvrage se compose de deux parties. La première, « Jérusalem et la destruction des villes dans l’Antiquité : réalités historiques et mises en oeuvre littéraires », regroupe les contributions suivantes : Alain Chauvot, « La “destruction” de villes dans l’Antiquité romaine » ; Frédéric Chapot et Jean-Luc Vix, « Le motif littéraire de la destruction des villes » ; Régine Hunziker-Rodewald, « La ville-princesse en pleurs : l’art de la communication de la souffrance en Lamentations 1, 1-6 » ; Serge Bardet, « Le siège de Jérusalem selon Flavius Josèphe ». La seconde partie présente en cinq volets les « interprétations et réécritures » dont la destruction de la ville sainte a fait l’objet depuis le quatrième siècle et jusqu’au Moyen Âge : Hervé Huntzinger, « Eusèbe de Césarée et les ruines de Jérusalem » ; Gabriella Aragione, « Reconstruire Jérusalem au ive siècle : Constantin, Julien et les aléas d’une ville-symbole » ; Agnès Molinier-Arbo, « Une lecture romaine et chrétienne de la chute de Jérusalem : l’adaptation latine de la Guerre des Juifs attribuée à Hégésippe » ; Matthias Morgenstern, « Réflexions sur l’image et l’histoire du Temple de Jérusalem dans le Midrash Bereshit Rabba » ; Céline Urlacher-Becht et Rémi Gounelle, « Un développement littéraire médiéval : la “légende” de la Vindicta Saluatoris (Vengeance du Sauveur) ». Trois index (scripturaire, auteurs et textes anciens et médiévaux, noms propres) complètent l’ouvrage, ainsi qu’un « Thesaurus » des notions, sujets et thèmes.
Paul-Hubert Poirier
4. Walter Ameling, Hannah M. Cotton, Werner Eck, Avner Ecker, Benjamin Isaac, Alla Kushnir-Stein (†), Haggai Misgav, Jonathan Price, Peter Weiß, Ada Yardeni, dir., Corpus Inscriptionum Iudaeae/Palaestinae. Volume IV : Iudaea/Idumaea, Part 1 : 2649-3324 et Part 2 : 3325-2978. Editorial staff Marfa Heimbach, Dirk Koßmann, with the assistance of Eva Käppel, Christina Kaas, Ilia Rastrepin. Berlin, Boston, Walter de Gruyter GmbH, 2018, xlii-757 p. ; xii p. et p. 759-1 580.
Les deux ouvrages recensés sont les deux parties du quatrième volume du Corpus Inscriptionum Iudaeae/Palaestinae, un recueil multilingue d’inscriptions judéo-palestiniennes qui couvre la période chronologique allant de la domination gréco-romaine sur la région à la fin de la domination byzantine (environ 640). Ce corpus est l’initiative d’un groupe de chercheurs d’Israël et d’Allemagne oeuvrant à l’étude de la Judée/Palestine ancienne et des environs, qui, constatant l’absence de recueils rassemblant toutes les inscriptions retrouvées dans la région — toutes langues confondues —, décida de pallier cette lacune. L’espace géographique que couvrent les inscriptions recensées s’étend de la Méditerranée à l’ouest au Jourdain à l’est, et du désert du Néguev au sud au plateau du Golan au nord. Rappelons que les six volumes prévus couvriront chacun une région précise[2]. Les inscriptions sont rassemblées peu importe leurs langues de composition, que ce soit le grec, le latin, les langues sémitiques (principalement l’hébreu et l’araméen) ou celles du Caucase (l’arménien et le géorgien par exemple).
Les deux volumes dont il est question ici se concentrent sur les inscriptions retrouvées dans les importantes régions que représentent la Judée et l’Idumée. Les ouvrages recensés omettent cependant les ostraca, les éditeurs précisant que ceux-ci ont été retrouvés en une telle quantité qu’ils ne pouvaient raisonnablement les inclure. Deux volumes supplémentaires leur seront entièrement consacrés. Les quelque 1 500 inscriptions rassemblées (numérotées de 2649 à 3978) sont classées géographiquement en 170 sous-sections, qui vont du nord (Kefar Sirkin) au sud (Masada), auxquelles trois sous-sections supplémentaires ont été ajoutées : Yarma (une inscription), grottes de la mer Morte (une inscription) et origine inconnue (cinq inscriptions). Lorsque plus d’une localité occupent la même latitude, les inscriptions sont alors organisées d’ouest en est. Comme ces régions ont été occupées depuis le deuxième siècle de notre ère par de nombreuses communautés et villes, il était le plus souvent presque impossible pour les éditeurs d’identifier avec précision l’origine ancienne et première d’une inscription en particulier. C’est pourquoi le classement des inscriptions recueillies s’est principalement fait à partir du nom des localités modernes. Lorsque plusieurs inscriptions ont été retrouvées en un même endroit, les éditeurs ont alors opéré une subdivision thématique, selon le modèle des volumes précédents[3].
La méthode utilisée pour présenter chaque inscription n’a pas changé depuis la parution du premier volume. Après une explication des signes diacritiques employés, ainsi qu’un tableau de translittération de l’arménien, de l’araméen chrétien de Palestine, du géorgien ainsi que de l’hébreu et de l’araméen (ce qui donne une idée de la richesse linguistique des inscriptions recensées), le volume passe immédiatement aux inscriptions. Pour chacune de celles-ci figurent 1) un numéro unique (de 2649 à 3978 pour les deux volumes qui nous concernent) et un titre et, si possible, une date ; 2) une courte présentation ; 3) le lieu de sa découverte ; 4) le texte original, sa transcription, sa translittération (pour les langues mentionnées ci-dessus seulement) et sa traduction en anglais ; 5) un commentaire ; 6) une bibliographie (lorsqu’il y en a une, puisque plusieurs pièces sont des inédits) ; 7) le crédit photographique (lorsqu’il y a une photographie ; la plupart des inscriptions sont toutefois accompagnées d’une photographie en noir et blanc et/ou d’une reproduction). Comme pour les volumes précédents, les inscriptions provenant de sites plus significatifs, comme Jéricho, Emmaüs, Qumran, Bethléem, l’Hérodion, Éleuthéropolis, Hébron ou Masada, sont précédées d’une introduction qui présente le site (géographie et histoire, témoignages des anciens). Le volume se clôt sur un index des noms propres qui est cumulatif, c’est-à-dire qui inclut les noms des quatre volumes précédents (empereurs et rois en ordre chronologique, et autres noms), ainsi que sur des cartes présentant tous les sites recensés pour les deux volumes que nous présentons.
Les éditeurs et maîtres d’oeuvres du projet poursuivent avec ces deux volumes leur excellent travail. Ces volumes intéresseront encore une fois non seulement ceux et celles qui travaillent dans des domaines de recherche liés à la région palestinienne pour la période concernée (histoire du Proche-Orient ancien, du judaïsme, du christianisme), mais aussi les historiens de la région aux périodes hellénistique, romaine et byzantine. Ces volumes constituent certainement un modèle de clarté, de constance et d’exhaustivité à imiter.
Eric Crégheur
Origines chrétiennes
5. Martin Hengel, Anna Maria Schwemer, Die Urgemeinde und das Judenchristentum. Tübingen, Mohr Siebeck (coll. « Geschichte des frühen Christentums », II), 2019, xxiv-790 p.
Cet ouvrage consacré à la communauté primitive et au judéochristianisme est le deuxième volet d’une histoire du christianisme primitif entreprise par le grand exégète et historien allemand du judaïsme du Second Temple et des origines chrétiennes Martin Hengel (1926-2009). Le premier volume de cette histoire, intitulé Jésus et le judaïsme, a paru en 2007. Aucune traduction, en anglais ou en français, des deux ouvrages n’a encore paru. Comme ce fut le cas pour le premier volume, le deuxième a été achevé par une collaboratrice de Hengel, Anna Maria Schwemer, chercheure rattachée à l’Université de Tübingen. Le premier volume couvrait la période allant de l’entrée en scène de Jean le Baptiste, vers 27-28 de notre ère, à la crucifixion de Jésus, probablement au moment de la Pâque de l’an 30. Le deuxième volume va du soi-disant concile de Jérusalem, en 48-49, jusqu’à l’expulsion des judéochrétiens de Palestine au début du deuxième siècle. L’ouvrage compte dix-huit chapitres répartis en quatre grandes sections : I. La communauté primitive ; II. L’expansion de la communauté et les débuts de mission chez les païens ; III. La « lutte » pour la mission chez les païens ; IV. Le judéochristianisme palestinien. Avant son décès, Martin Hengel n’avait réussi à rédiger que les premiers chapitres de l’ouvrage. C’est donc dire que A.M. Schwemer a accompli un travail considérable pour en achever la rédaction et cela, même si elle a pu compter sur des travaux préparatoires et des Parerga publiés par Hengel lui-même, notamment dans les sept volumes de ses Kleine Schriften (Tübingen, Mohr Siebeck). L’ouvrage se termine par une ample bibliographie dans laquelle on est un peu surpris de ne pas voir mentionnés les titres de Daniel Boyarin sur le « parting of the ways » entre juifs et chrétiens. On trouve toutefois l’explication de cette absence à l’avant-dernière page du dernier chapitre (p. 610), où A.M. Schwemer écrit, en évoquant simplement en note le nom de Boyarin, que ses propres recherches sur les évangiles de Matthieu et de Jean, sur les textes rabbiniques plus tardifs et sur Justin l’ont amenée à conclure que c’est une fausse piste pour la recherche (« ein Irrweg der Forschung ») que de vouloir repousser le processus de séparation entre (judéo)chrétiens et juifs au ive siècle. Ce avec quoi je suis plutôt en accord !
Paul-Hubert Poirier
Histoire des doctrines et des religions
6. Matthew David Litwa, Carpocrates, Marcellina, and Epiphanes. Three Early Christian Teachers of Alexandria and Rome. Londres, New York, Routledge (coll. « Routledge Studies in the Early Christian World »), 2022, xi-243 p.
Selon la rhétorique habituelle de l’édition universitaire américaine, cet ouvrage n’est rien de moins que « the definitive study of the early Christian theologian Carpocrates, his son Epiphanes, and the leader of the Carpocratian movement in Rome, Marcellina » (p. i). Le temps dira si cette monographie s’imposera comme l’étude définitive de ces trois personnages, mais il s’agit sans aucun doute de la première monographie à leur être consacrée et, à ce titre, elle mérite notre attention. Rappelons tout d’abord que, si l’historien Hégésippe, cité par Eusèbe de Césarée (Histoire ecclésiastique IV, 22, 5), mentionne, au milieu du iie siècle, l’existence des « carpocratiens », à côté des marcionites, des basilidiens et des valentiniens, Irénée de Lyon est le premier à fournir un compte rendu circonstancié de la doctrine d’un certain Carpocrate, qu’il compte au nombre des ancêtres des valentiniens (Contre les hérésies I, 25). Clément d’Alexandrie, de son côté, cite de longs extraits d’un traité Sur la justice composé par le jeune fils de Carpocrate, Isidore, mort à dix-sept ans (Stromates III, 5-9). Contemporain de Basilide, Carpocrate était, d’après Clément et Théodoret de Cyr (Sommaire des fables hérétiques I, 5), un alexandrin et son activité se situe à l’époque d’Hadrien (117-138). Irénée rapporte en outre, en un peu plus de deux lignes (25, 6), qu’une partisane de la doctrine de Carpocrate, nommée Marcellina, vint à Rome sous Anicet (vers 154-169). Celse (cité par Origène, Contre Celse V, 62) mentionne pour sa part, sans donner d’autres précisions, des « Marcelliniens, disciples de Marcellina » et des « Harpocratiens, disciples de Salomé », appellation autrement inconnue et qui résulte peut-être d’une graphie fautive de « Carpocratiens ». Tertullien dans le De anima (23, 2 ; 35, 1-2.4), l’Elenchos (32) du Pseudo-Hippolyte, le Contre toutes les hérésies (3, 1) du Pseudo-Tertullien, le traité Sur diverses hérésies (35, 1) de Filastre de Brescia, le Panarion (27) d’Épiphane de Salamine, le De haeresibus (7) d’Augustin et le Sommaire des fables hérétiques (I, 5) de Théodoret de Cyr, reprennent à leur manière la notice d’Irénée sur Carpocrate ou s’inspirent d’autres sources, dont le Traité perdu contre toutes les hérésies de Justin (σύνταγμα), qu’Irénée lui-même exploitait, ou le σύνταγμα de 32 hérésies d’Hippolyte, également perdu. Il s’agit donc d’un dossier à tiroirs dans lequel M.D. Litwa, chercheur à l’Australian Catholic University et auteur prolifique, s’est efforcé de mettre de l’ordre.
L’ouvrage s’ouvre par une introduction qui retrace les principales étapes de l’histoire de la recherche consacrée à Carpocrate, son fils Épiphane et sa disciple Marcellina, et explicite la méthodologie et la « feuille de route » (roadmap) de l’étude. L’organisation de l’ouvrage, en trois chapitres suivis d’une conclusion, est justifiée par le fait que la documentation sur les trois personnages se partage en deux, d’une part une source directe, les citations par Clément du Sur la justice d’Épiphane, d’autre part les sources hérésiologiques mentionnées ci-dessus. À la fin de chacun des chapitres, comme de l’introduction et de la conclusion, sont reportées les notes et la bibliographie.
Le premier chapitre est donc dévolu aux citations du Sur la justice d’Épiphane par Clément d’Alexandrie au troisième livre des Stromates (3, 6-9). Pour autant que nous puissions en juger par ce qui reste de cet ouvrage, Épiphane prônait une conception de la justice qui rappelle à première vue les idées qu’exprime Platon dans la République (V, 457-471), mais en réalité dans une perspective différente. Le fils de Carpocrate pose en effet comme principe que la justice se manifeste essentiellement comme communauté des biens (κοινότης) : « C’est donc pour tous en commun, écrit-il, que Dieu avait tout créé pour l’homme, uni en communauté la femelle au mâle et accouplé de même tous les animaux : il révélait que sa justice est constituée par une mise en commun dans l’égalité » (II, 8, 1)[4]. Cette justice égalitaire originelle dispense de toute loi écrite car, en favorisant la propriété, les lois humaines rompent la communauté voulue par la loi divine : « Ce sont les lois qui ont introduit les notions de mien et de tien, en cessant de réserver à un usage commun les productions de la terre et des troupeaux, comme aussi l’accouplement » (III, 7, 3). Litwa partage les citations de Clément en quatre extraits, dont il donne le texte grec, la traduction et un commentaire : 1. la justice de Dieu, loi cosmique et divine basée sur une « certaine communalité avec égalité » (κοινωνία τις μετ’ ἰσότητος) ; 2. les lois humaines, source de corruption ; 3. l’égalité dans les relations sexuelles ; 4. critique de la loi mosaïque. Litwa situe ces passages dans le contexte citateur de Clément d’Alexandrie et commente chacun des extraits. Avec raison, il exonère Épiphane du grief de laxisme sexuel qui lui est fait en raison de la mise en commun des femmes qu’il aurait promue aux dires des hérésiologues. Litwa conclut qu’« en somme, selon Épiphane, les humains sont nés d’une pulsion sexuelle qui ne se règle pas sur les coutumes gréco-romaines et les coutumes chrétiennes modernes de la monogamie ; elle unit les gens dans une union corporelle pour produire une progéniture — tout cela serait considéré comme légitime. Cependant, Épiphane ne renonça pas ouvertement au mariage. Il proposait plutôt que le fait de confiner le désir sexuel à une relation monogame était en contradiction avec la loi naturelle et divine de préservation et de propagation de l’humanité » (p. 57).
Le deuxième chapitre du livre commente les témoignages hérésiographiques les plus anciens relatifs à Carpocrate. Litwa voit à l’arrière-plan de la notice d’Irénée de Lyon, non seulement le σύνταγμα de Justin, mais aussi des additions qui auraient été apportées au texte de celui-ci par un auteur inconnu et qu’Irénée aurait intégrées, hypothèse raisonnable mais difficile à établir. Litwa présente en synopse, texte grec et traduction, les passages des hérésiologues relatifs à la théologie carpocratienne, à la compréhension carpocratienne de l’imitation de Jésus, aux accusations de magie, à la transmigration, à l’éthique, au rituel et à la sotériologie.
Le troisième chapitre, intitulé « Carpocratianism in the Epistle to Theodore », est sans doute la partie la plus nouvelle de l’ouvrage. Elle porte en effet sur un document qui prétend véhiculer des informations sur les carpocratiens mais que d’aucuns, dont Litwa lui-même, considère comme un faux datant de la fin des années 1950. Le document en question est ce que l’on désigne comme « l’évangile secret de Marc », qui consiste en fait en deux citations contenues dans un extrait d’une lettre de Clément d’Alexandrie à un certain Théodore. Cet extrait, intitulé ἐκ τῶν ἐπιστολῶν τοῦ ἁγιωτάτου Κλήμεντος τοῦ Στρωματέως, « des lettres du très saint Clément, l’auteur des Stromates », fut découvert en 1958 par l’historien et exégète américain Morton Smith, copié par une main du xviiie siècle sur les pages de garde finales d’un exemplaire de l’édition des Epistulae genuinae S. Ignatii martyris d’Ignace Voos, parue à Amsterdam en 1646, exemplaire conservé dans la bibliothèque du monastère de Saint Sabas (à une vingtaine de kilomètres au sud-est de Jérusalem, vers Bethléem). Smith travaillait alors à dresser un catalogue de la bibliothèque du monastère. Il prit une photographie du manuscrit en question, mais, fait assez surprenant, ce n’est qu’en 1973 qu’il rendit publique sa découverte. Fait plus surprenant encore, presque personne depuis 1958, en dehors de Morton Smith, n’a pu avoir accès au manuscrit et l’étudier dans sa matérialité[5]. Dans cette lettre, Clément cite deux extraits d’une forme longue de l’Évangile canonique de Marc[6]. D’après la lettre, il aurait existé trois versions de l’Évangile de Marc : une première version, intitulée « Actes du Seigneur — Πράξεις τοῦ κυρίου », rédigée par Marc à Rome du vivant même de l’apôtre Pierre, contenant une sélection des faits de la vie de Jésus et est destinée à accroître la foi de « ceux qui reçoivent l’instruction » (πρὸς αὔξησιν τῆς τῶν κατηχουμένων πίστεως), qui serait l’évangile public ou exotérique de Marc, appelé à devenir le Marc canonique ; une deuxième version, composée à Alexandrie, où Marc s’était rendu après la mort de Pierre, plus complète et « plus spirituelle » (πνευματικώτερον εὐαγγέλιον) que la première, car l’évangéliste aurait ajouté à son oeuvre certains actes ou paroles de Jésus de caractère mystérieux, dont la lecture aurait été réservée aux seuls chrétiens avancés, que la lettre appelle « ceux qui se perfectionnent » (εἰς τὴν τῶν τελειουμένων χρῆσιν) ou « les initiés aux grands mystères » (τοὺς μυομένους τὰ μεγάλα μυστήρια) : c’est cette deuxième version que Clément désigne par l’appellation d’« évangile secret de Marc », en grec τοῦ Μάρκου τὸ μυστικὸν εὐαγγέλιον, ce qui, étant donné le sens de l’adjectif μυστικός, pourrait être traduit tout autant par évangile mystique, ou mystérique, que par évangile secret ; une troisième version de l’évangile de Marc, ou plutôt de l’évangile secret de Marc, celle qu’auraient volée et se seraient appropriée les carpocratiens pour en faire la source de leur doctrine. Étant donné la nature étonnante du document et la nature plus étonnante encore de l’hypothèse que Morton Smith a construite, il s’est vite trouvé des personnes pour penser que le document en question était une forgerie de celui qui l’avait supposément découvert[7]. Puisque la lettre mentionne les carpocratiens, Litwa ne pouvait faire l’économie de son examen. Il le fait sous la forme d’un commentaire de l’ensemble de la lettre, le premier à être tenté après celui, monumental, de Smith[8]. Il ne saurait être question de rendre compte ici du contenu de l’exposé de Litwa. Retenons sa conclusion à propos de la lettre à Théodore et de l’évangile secret de Marc, conclusion avec laquelle je suis tout à fait en accord :
Je suis moi-même persuadé qu’il s’agit d’un texte moderne, écrit par son « découvreur » Morton Smith. Smith était désireux de récrire et même d’accentuer des éléments des portraits hérésiologiques du carpocratisme — en particulier le libertinage et l’utilisation de rituels secrets « magiques ». En bref, le « Marc mystique » renforçait non seulement les portraits hérésiologiques standards, mais aussi les propres intérêts de recherche de Smith — comme cela apparaîtra plus clairement dans l’ouvrage ultérieur de Smith, Jesus the Magician[9].
p. 188
Plus précisément, Litwa caractérise la lettre et l’évangile secret comme un pastiche : « Un pastiche, tel que je le conçois, est […] une oeuvre littéraire créée dans le style d’une autre oeuvre, qui peut parfois exagérer le style imité pour obtenir un effet. De temps à autre, l’auteur de la lettre à Théodore reprend des phrases de Clément ou du Marc canonique pour les insérer dans sa nouvelle composition, mais dans l’ensemble, j’appellerais la lettre à Théodore une imitation stylistique de Clément et de l’auteur de l’évangile de Marc » (p. 187). Ces pages de Litwa consacrées au factum de Smith ne manqueront sûrement pas de raviver la discussion sur un sujet déjà passablement débattu.
L’ouvrage se termine par une conclusion étoffée : « Contextualizing Carpocrates, Epiphanes, and Marcellina : An Attempt at a Profile ». Dans le but de situer les trois protagonistes qui sont au coeur de cet ouvrage, Litwa propose d’abord un détour d’une douzaine de pages qui évoque le contexte alexandrin et les théologiens contemporains de Carpocrate : Basilide, Valentin et Prodicos, avant d’en venir à celui-ci, à son fils Épiphane et à Marcellina. Il synthétise les informations procurées par les sources analysées dans les chapitres précédents. Il en résulte un tableau très vivant dont on se demande toutefois si les contours n’outrepassent pas ce qu’on peut tirer des sources. Cela est particulièrement frappant dans le cas de Marcellina. Ce que les sources nous disent d’elle se ramène en tout et pour tout à ce qui suit : « Certains d’entre eux (sc. Carpocrate et ses disciples) marquent même leurs disciples au fer rouge à la partie postérieure du lobe de l’oreille droite. Au nombre des leurs était aussi (unde et) Marcellina, qui vint à Rome sous Anicet et causa la perte d’un grand nombre » (Irénée de Lyon, Contre les hérésies I, 25, 6) ; « Celse connaît encore les Marcelliniens disciples de Marcellina » (Origène, Contre Celse V, 62, 14-15) ; « Il est venu à notre connaissance, il y a quelque temps, une certaine Marcellina, qui, trompée par eux, en a corrompu beaucoup à l’époque d’Anicet, évêque de Rome, le successeur de Pie et des évêques qui l’ont précédé » (Épiphane de Salamine, Panarion 27, 6, 1) ; « De sa (sc. Carpocrate) secte, on rapporte qu’il y eut une certaine femme appelée Marcellina, qui vénérait des images de Jésus, Paul, Homère et Pythagore, les adorant et leur offrant de l’encens » (Augustin, De haeresibus 7). Sur ces quelques lignes, Litwa tisse (p. 224-228) une biographie de Marcellina qui la présente comme une enseignante et une initiatrice, et un personnage quasi apostolique, à l’instar de Salomé, Mariamme et Marthe que Celse évoque à la suite de Marcellina. Pour y parvenir, Litwa rapporte à Marcellina des données qui figurent dans l’environnement immédiat des passages cités mais qui ne concernent pas directement celle-ci, par exemple en lui appliquant l’expression homérique, reprise par Celse pour désigner globalement ceux qu’il dénonce, de « Sirène danseuse et séductrice », et en concluant que Celse « l’appelle une “sophiste” (σοφίστρια) » (p. 225, citant Contre Celse V, 64. 15-16). Il tire fréquemment argument e silentio, à propos, notamment, du statut marital de Marcellina (« Her husband is never mentioned, which probably indicates that she was unmarried », p. 227). L’ensemble de ces pages consacrées à Marcellina constitue un bon scénario pour un roman historique, mais elles sont peu instructives sur le personnage plutôt évanescent de Marcellina.
Cette critique ne saurait cependant entamer le mérite de l’ouvrage de David Litwa, destiné à servir désormais de point de départ obligé pour toute étude des personnages énigmatiques de Carpocrate et d’Épiphane, et de leurs doctrines.
Paul-Hubert Poirier
7. Samra Azarnouche, éd., À la recherche de la continuité iranienne. De la tradition zoroastrienne à la mystique islamique. Recueil de textes autour de l’oeuvre de Marijan Molé (1924-1963). Turnhout, Brepols Publishers n.v. (coll. « Bibliothèque de l’École des Hautes Études - Sciences religieuses », 193), 2022, 334 p.
Cet ouvrage rassemble les contributions présentées lors d’une journée d’étude intitulée « Entre le mazdéisme et l’islam », qui s’est tenue à Paris le 24 juin 2016 et qui était consacrée à l’oeuvre de Marijan Molé. Ce savant d’origine slovène, décédé tragiquement à l’aube de la quarantaine en 1963, avait rapidement fait sa marque dans le domaine des études iraniennes et de la mystique musulmane, et il s’était distingué par la publication, entre 1946 et 1963-1964, de cinq monographies et d’une soixantaine d’articles. Quelque six décennies après son décès, on a voulu faire le point sur le Nachleben de Marijan Molé. Dans son introduction, Samra Azarnouche, éditrice de l’ouvrage, rappelle les circonstances qui ont mené à l’organisation de cette journée d’étude et elle évoque les étapes les plus marquantes du parcours de Molé, qui l’a mené de l’Iran à l’Inde, ses relations parfois tumultueuses avec ses contemporains, dont Jacques Duchesne-Guillemin, la réception de sa thèse, soutenue en 1958 et parue en 1963 sous le titre de Culte, mythe et cosmologie dans l’Iran ancien (Paris, PUF), notamment de la part de Mary Boyce et de Gherardo Gnoli, et le soutien indéfectible que lui accordera l’iranisant français Jean de Menasce. Cette introduction est suivie de la chronologie de la vie de Molé et de sa bibliographie, établies par S. Azarnouche. Dans un texte intitulé « Souvenir de Marijan Molé », un obituaire paru originellement en italien, en 1963, Gianroberto Scarcia rappelle les circonstances de sa rencontre avec Molé, en 1955-1956, à Téhéran. Dans « Marijan Molé’s Early Works and his Study of Persian Epics », Anna Krasnowolska s’intéresse au passage de Molé à l’Université Jagellonne de Cracovie, de 1947 à 1950, en mentionnant les cours qu’il suivit, les professeurs avec lesquels il étudia, la rédaction de sa thèse et ses premières publications. La contribution de Jean Kellens, « 1956-1964 : Le printemps des études gâthiques », considère l’interprétation par Molé des Gāthās, ces poèmes ou hymnes liturgiques intégrés à l’Avesta et attribués par la tradition mazdéenne à Zarathushtra, tout en la comparant à celle de Helmut Humbach. Philippe Swennen (« Marijan Molé à l’aube du nouveau comparatisme indo-iranien ») montre comment les travaux de Molé anticipent les développements que connaîtra l’exégèse de l’Avesta. Dans « A Zoroastrian Anthropological Theology », Shaul Shaked revient, textes à l’appui, sur le traitement par Molé de la légende de Yima, le roi mythique de l’ancien Iran. Dans sa contribution intitulée « Le gētīg dans le mēnōg et le système chiliadique mazdéen selon la réflexion de Marijan Molé », Antonio Panaino montre comment Molé a abordé le problème de la double articulation des deux phases de la création, immatérielle (mēnōg) et matérielle (gētīg). Dans « Marijan Molé, ‘Azîz Nasafî et l’homme parfait », Pierre Lory aborde la mystique islamique et le rapport entre le soufisme et le chiisme à travers l’oeuvre d’Azîz al-Dîn Nasafî, dont Molé a édité les traités. Michel Tardieu (« Les mystiques musulmans de Marijan Molé : contextes et enjeux ») s’intéresse pour sa part à un petit ouvrage de Molé destiné à un large public et paru en 1965, deux ans après sa mort, dans lequel l’auteur renouvelle les questions relatives à la mystique musulmane et se situe dans une position critique face à Louis Massignon et à Henry Corbin. Dans cette contribution, M. Tardieu évoque également les circonstances difficiles dans lesquelles s’est déroulée la carrière — ou plutôt la non-carrière — de Molé. Signalons aussi l’éclairante « Note brève sur le messalianisme » que M. Tardieu donne en appendice à son texte. Dans « Marijan Molé et la “tradition jamaspienne” : le traité apocalyptique inédit des Aḥkām ī Jāmāsp », Florence Somer donne une première présentation du traité apocalyptique à saveur astrologique intitulé « Prophéties de Jāmāsp », un sage visionnaire zoroastrien, dont Molé avait réalisé une copie retrouvée dans le fonds Molé déposé à la section arabe de l’Institut de recherche et d’histoire des textes (IRHT). Une dernière contribution, signée par Alexey Khismatulin et intitulée « Destiny of the Unpublished Works by Marijan Molé on the Naqshbandiya », l’une des confréries soufies, donne en appendice une description du fonds Molé déposé à l’IRHT. Trois appendices terminent l’ouvrage. Le premier révèle un inédit de Marijan Molé intitulé « Les origines de la geste sistanienne », un texte qui représente probablement la reprise en français d’une partie de la thèse de doctorat polonaise de Molé soutenue en 1948, et qui porte sur des traditions qui trouveront leur prolongement dans le Livre des Rois de Ferdowsi. Le deuxième appendice est constitué d’une sélection de seize lettres datées entre 1957 et 1963, et provenant du fonds Jean de Menasce déposé à la Bibliothèque universitaire des langues et civilisations (BULAC). Le troisième appendice décrit le fonds Marijan Molé de la BULAC.
Paul-Hubert Poirier
8. Göran Larsson, éd., The Legacy, Life and Work of Geo Widengren and the Study of the History of Religions after World War II. Leiden, Boston, Koninklijke Brill NV (coll. « Numen Book Series - Studies in the History of Religions », 174), 2022, vii-415 p.
Geo Widengren (1907-1996) est sans contredit l’une des figures marquantes de l’histoire des religions de la seconde moitié du vingtième siècle. Titulaire de la chaire d’histoire des religions et de psychologie des religions à l’Université d’Uppsala, en Suède, de 1950 à 1973, il fut successivement vice-président (1950-1960) et président (1960-1970) de l’Association internationale pour l’histoire des religions/International Association for the History of Religions (AIHR/IAHR), qu’il a contribué à mettre en place au moment de sa fondation en 1949. Il a également oeuvré pour la création de la revue Numen, organe de l’AIHR/IAHR, dont la première livraison parut en 1954 et dans laquelle il a publié un article substantiel sur l’état de l’histoire des religions iraniennes. S’il a consacré sa thèse de doctorat, publiée en 1936, à une étude comparée des psaumes de lamentation accadiens et hébreux considérés comme des documents religieux, il a très tôt orienté ses recherches vers la phénoménologie religieuse et le monde iranien. Ce qui l’a amené à s’intéresser entre autres au gnosticisme et au manichéisme. Considérant son influence et le grand nombre de ses publications, il méritait que l’on consacrât un ouvrage à « son héritage, sa vie et son oeuvre ». C’est ce dont s’est chargé Göran Larsson, professeur d’études religieuses à l’Université de Gothenburg, en Suède. La plupart des quinze chapitres qui le composent ont fait l’objet de communications lors d’une conférence tenue à l’Université de Gothenburg en 2019. La première partie de l’ouvrage, « Thesis and International Work », s’ouvre par une contribution de Göran Larsson intitulée « Geo Widengren : A Portrait of a Swedish Historian of Religions », une esquisse biographique qui porte sur quelques aspects de la vie de Widengren étrangers à son activité de savant, comme son patriotisme, sa carrière militaire et sa passion pour l’équitation, les tâches administratives qu’il a assumées, sa présence dans la presse et les médias, les influences qu’il a subies, en particulier de l’école britannique dite « Myth and Ritual », et son rayonnement sur le plan national. La deuxième contribution, « Hebrew Laments in the Light of Mesopotamian Material », signée par Göran Eidevall, consacrée essentiellement à la thèse de Widengren et à ses articles de 1941 et de 1945, sur les psaumes 110 et 88, met en lumière sa contribution aux études bibliques et souligne le fait qu’il fut le premier universitaire suédois à attirer l’attention sur les textes d’Ougarit. Tim Jensen et Satoko Fujiwara évoquent ensuite l’activité de Widengren au sein de l’AIHR/IAHR et son rôle dans la création de la revue Numen[10]. La deuxième partie de l’ouvrage, « Iranian Cultures, Languages and Religions », porte sur le domaine dans lequel Widengren s’est principalement illustré. La contribution de Anders Hultgård, « Geo Widengren and the Study of Iranian Religion », porte surtout sur les positions de Widengren sur la figure de Zarathustra et sa place dans l’histoire religieuse de l’Iran, et sur le problème des influences iraniennes sur le judaïsme et le christianisme anciens. Dans « The Eclipse of Geo Widengren in the Study of Iranian Religions », Albert de Jong se livre à une relecture critique solidement documentée de l’apport de Widengren à l’étude des religions iraniennes. Il évoque « les arrière-plans institutionnels et intellectuels » de Widengren, notamment l’influence sur celui-ci du Urmonotheismus de Wilhelm Schmidt, et passe en revue les contributions de Widengren en phénoménologie des religions et sur les religions iraniennes et le manichéisme, dont il inventorie les forces et les faiblesses. Dans sa contribution, Mihaela Timuş présente les cinq volumes de la série « King and Saviour », publiés par Widengren de 1945 à 1955, qui portent, en bonne partie, sur le manichéisme et le rituel de l’intronisation royale[11]. Giovanni Casadio compare, quant à lui, la phénoménologie à la suédoise et le comparatisme à l’italienne de Pettazzoni et de Bianchi. Face aux critiques formulées à l’endroit des lacunes philologiques de Widengren, Casadio lui reconnaît plutôt « une grande et audacieuse expertise philologique » tout en concédant que « la maîtrise d’un grand nombre de langues engendre en fait une confiance excessive dans l’interprétation des textes » (p. 171). Dans sa contribution, Clemens Cavallin propose, pour sa part, une réévaluation de la phénoménologie de la religion de Widengren, « un exercice frustrant en raison de l’absence de théorie dans son approche essentiellement philologique » (p. 190). La quatrième section de l’ouvrage, « Method, Criticism and a Public Intellectual », regroupe les contributions de René Gothóni et Göran Larsson sur la réception et la critique de Geo Widengren dans les pays nordiques autour du débat sur l’origine de la religion, de Christer Hedin sur les religions du Moyen-Orient et les origines du christianisme dans l’oeuvre de Widengren, de Jan Hjärpe, sur l’islamologue Tor Andræ et Widengren, et leur vision différente de la finalité de l’étude des religions, et de Daniel Andersson, sur l’application des thèses de Widengren sur le dieu suprême (High God, Hochgott) à l’Afrique et à l’Amérique précoloniale. La cinquième partie de l’ouvrage porte spécifiquement sur le gnosticisme et le manichéisme. Dans « Widengren Gnosticism, and the Religionsgeschichtliche Schule », Einar Thomassen, tout en reconnaissant que « certains des thèmes que Widengren met en évidence dans sa présentation du gnosticisme méritent, en fait, une attention plus soutenue que celle que les chercheurs contemporains sont généralement prêts à leur accorder » (p. 282), critique la vision du gnosticisme de Widengren, influencée par Richard Reitzenstein et son iranisches Erlösungsmysterium (« mystère iranien de salut »), et réaffirme l’importance de revenir au témoignage d’Irénée de Lyon. Alors que Reitzenstein et Widengren prônaient une origine orientale et iranienne de la gnose, Thomassen pense plutôt que « le mythe gnostique est né en Occident comme une variété primitive, précanonique, de la religion du Christ conçue dans le langage du platonisme contemporain ; [que] de là, il a fini par migrer vers l’Orient et, sous la forme du manichéisme, [qu’]il a assimilé dans sa mythologie christique des thèmes homologues de la mythologie iranienne », et qu’« en d’autres termes, “das iranische Erlösungsmysterium” tire son origine du christianisme » (p. 288)[12]. Dans « Geo Widengren and Manichaeism », Chiara Ombretta Tommasi présente la perspective du savant suédois sur le manichéisme, qu’il considérait comme « l’un des derniers aboutissements de la religion perse […] en supposant un modèle pan-iranien de diffusion historique » (p. 290), la thèse centrale de Widengren étant que « le noyau central du manichéisme conserve une tradition iranienne (plus précisément, zurvanite) sans que soient niées les multiples influences du mandéisme, du bouddhisme, du mithraïsme et du christianisme sur la vie et la pensée de Mani » (p. 297-298). Une telle approche fut évidemment mise à mal par la découverte du Codex manichéen de Cologne, que Widengren feignit d’ignorer. Dans un dernier chapitre intitulé « Geo Widengren as Researcher and Public Intellectual : A Meta-Reflection », G. Larsson revient sur l’ensemble de la carrière de Widengren, au prisme de laquelle on peut juger de la transformation au fil du temps de l’histoire des religions comme discipline universitaire. L’ouvrage se termine par un premier appendice qui reproduit trente-cinq lettres en français, sauf une, échangées par Raffaele Pettazzoni et Geo Widengren entre 1948 et 1959, et un second, sept lettres, en français et anglais, échangées par Widengren et Ugo Bianchi. Ces appendices sont suivis d’une très utile bibliographie de Widengren et de deux index. Cet ouvrage intéressera au premier chef ceux qui, comme moi, fréquentent l’oeuvre de Widengren et tous ceux qui veulent en connaître davantage sur l’historiographie de l’histoire des religions dans la seconde moitié du vingtième siècle, dont Geo Widengren fut un protagoniste majeur.
Paul-Hubert Poirier
Manichéisme
9. Iain Gardner, Mani’s Epistles. The Surviving Parts of the Coptic Codex Berlin P. 15998. Stuttgart, W. Kohlhammer GmbH (coll. « Manichaische Handschriften der Staatlichen Museen Berlin », 2), 2022, vii-140 p.
Au nombre des sept manuscrits manichéens coptes sur papyrus découverts à Medinet Madi en 1929 et que se partagèrent Sir Alfred Chester Beatty et la Papyrus Sammlung des Musées d’état de Berlin, figurait dans le lot berlinois un codex contenant les lettres de Mani, qui fut enregistré sous la cote P. 15998. L’existence d’un recueil des lettres de Mani, qui constituait une partie du « canon » des écritures manichéennes, était connue, notamment par le bibliographe arabo-musulman Ibn al-Nadīm (xe siècle de notre ère), qui, dans son ouvrage encyclopédique intitulé al-Fihrist, a conservé les intitulés de soixante-seize lettres de Mani « et des imams après lui » (IX, 1). Toutefois, avant la découverte faite à Medinet Madi, on ne savait rien des lettres adressées par Mani aux membres de son église entre 240 et 270, sauf pour l’Epistula fundamenti, citée par Augustin et par Evodius d’Uzala, et pour une lettre fictive insérée dans les Acta Archelai. Par la suite, se sont ajoutés des fragments en moyen-perse et en sogdien, ainsi que les restes d’un codex découvert à Ismant el-Kharab, anciennement Kellis, dans l’oasis de Dakhleh dans le désert égyptien (P. Kell. VI Copt. 53)[13]. Comme les autres manuscrits manichéens retrouvés en Égypte, le codex des lettres est rédigé dans le dialecte copte dit lycopolitain (L4), appelé aussi subachmimique, et il été fabriqué aux environs des années 400. Il représente la version copte de textes originellement transmis en grec ou en syriaque, langue dans laquelle Mani a rédigé la totalité de ses écrits, sauf un. L’état du codex des Lettres laissait fort à désirer dès sa découverte et son entrée dans la Papyrus Sammlung. La conservation du manuscrit — c’est-à-dire la séparation des feuillets de papyrus collés les uns aux autres et leur mise sous verre — fut une opération longue et difficile. Par ailleurs, le fait qu’une partie du manuscrit, quatre feuillets au total ou huit pages, ait été soustraite à la collection berlinoise pendant la Seconde Guerre et se soit retrouvée à Varsovie n’a pas facilité la tâche des coptologues qui ont travaillé à son édition.
Par comparaison avec les autres manuscrits découverts en même temps, I. Gardner estime que le codex des Lettres devait originellement compter jusqu’à 500 pages ou 250 feuillets (p. 6). La présente édition de ce qui reste du manuscrit — ou de ce qui a pu en être conservé — ne contient que 40 pages ou 20 feuillets, c’est-à-dire moins de 10 % du codex. Plusieurs de ces pages étant plus ou moins lacuneuses, l’éditeur estime que seulement 5 % environ du contenu du codex a pu être édité. Même s’il ne révèle qu’une mince portion du recueil originel des lettres de Mani, ce qui a pu être récupéré du codex n’en est pas moins éclairant. On peut lire de manière plus ou moins continue des fragments de onze lettres, dont quatre lettres adressées à la communauté manichéenne de Ctésiphon et une « aux églises », ainsi que les deuxième et troisième lettres à Sisinnios, le successeur de Mani à la tête de l’église manichéenne. La comparaison des feuillets du codex de Berlin et Varsovie avec la liste des lettres donnée par al-Nadīm a permis à I. Gardner de proposer un réarrangement des feuillets conservés et même une pagination, qui, pour tout hypothétiques qu’ils soient, n’en sont pas moins convaincants. C’est ainsi qu’on a, selon la pagination reconstituée du codex, p. 49-82 : les 2e, 3e, 5e, 6e et 7e lettres à Ctésiphon et la 4e lettre « aux églises » ; p. 85-86, 105-106, 123-124 : six pages provenant de trois lettres dépourvues de titres ; p. 159-168 : les 2e et 3e lettres à Sisinnios. L’édition diplomatique du texte copte et la traduction anglaise sont suivies d’un index des mots coptes et gréco-coptes, et des ethnonymes et toponymes. Quatre planches photographiques terminent l’ouvrage et permettent de se faire une idée de l’état des meilleurs pages du manuscrit.
Une telle édition ne serait guère utilisable sans les précieuses informations fournies dans l’introduction. On y trouvera en premier lieu une « brève (pré)histoire du Codex » consacrée surtout à Mani et à son activité comme épistolier. La deuxième partie de l’introduction, « Contents », a surtout pour but de justifier le réarrangement de l’ordre des feuillets. L’éditeur est bien conscient du caractère hypothétique de ce qu’il avance, mais il estime avec raison que c’était la seule façon de présenter d’une manière cohérente les restes d’un manuscrit aussi massivement disparu par ailleurs. La troisième partie de l’introduction fournit des informations essentielles sur le projet éditorial et l’histoire de la conservation du manuscrit et des trois périodes pendant lesquelles elle s’est déroulée. I. Gardner rappelle tout d’abord que la genèse de cette édition remonte au début des années 1990, alors qu’il éditait les manuscrits P. Kellis VI Copt. 53 et 54. À la même époque, Wolf-Peter Funk, chercheur rattaché à l’Université Laval et chargé de l’édition des manichaica de Berlin, travaillait à l’édition, entre autres, du P. 15998. Ils décidèrent alors de joindre leurs efforts en vue d’éditer tout ce qui restait des lettres de Mani en copte. Cette collaboration s’est poursuivie à un rythme variable, en fonction des engagements de l’un et de l’autre, mais elle fut malheureusement interrompue par le décès de Wolf-Peter Funk, survenu le 18 février 2021. Les deux éditeurs avaient toutefois pu faire paraître les deux manuscrits de Kellis[14] et produire en 1995 une édition provisoire du P. 15998. De son côté, I. Gardner obtint que l’on produise des photographies multispectrales du manuscrit de Berlin et des feuillets de Varsovie, ce qui permit d’en améliorer considérablement la lecture. Il n’eut cependant pas la possibilité de reprendre le dossier avec W.-P. Funk et d’obtenir son approbation pour la dernière mouture de l’édition, ce qui explique qu’elle paraît finalement sous son seul nom. Gardner est également le seul responsable de l’analyse codicologique du manuscrit, de l’ordonnancement des feuillets, de la traduction anglaise, des index, comme de la rédaction de l’introduction. La quatrième et dernière partie de celle-ci est consacrée à la codicologie et aux caractéristiques paléographiques. La reconstruction imaginée par Gardner suppose que le codex originel totalisait approximativement vingt sénions — c’est-à-dire des cahiers constitués de six feuilles repliées, ce qui donne douze feuillets ou folios et vingt-quatre pages — pour un total de 480 pages (p. 20). Les quarante pages qui ont survécu apparaissent être l’oeuvre d’un seul et même scribe. Il reste quelques traces de titres courants (running headers) et d’une ornementation minimale. Le manuscrit des Lettres est donc d’une facture semblable à celle des autres manuscrits avec lesquels il fut découvert.
Comme l’écrit I. Gardner, en terminant son introduction, « l’histoire du codex et de sa survie est à la fois fascinante et quelque peu tragique » (p. 21). On ne lui en sera que plus reconnaissant — et, à titre posthume, à Wolf-Peter Funk — d’avoir réussi malgré tout à « présenter une édition cohérente et d’une valeur unique pour la compréhension des lettres perdues de Mani » (p. 22).
Paul-Hubert Poirier
10. Samuel N.C. Lieu, Enrico Morano, Nils Arne Pedersen, éd., Manichaica Taurinensia. Turnhout, Brepols Publishers n.v. (coll. « Corpus Fontium Manichaeorum », « Analecta Manichaica », II), 2022, xii-403 p.
Cet ouvrage rassemble vingt-sept contributions représentant autant de contributions originellement présentées lors du neuvième symposium de l’International Association of Manichaean Studies (IAMS) tenu à Turin en septembre 2017 sous la présidence de Enrico Morano et de Claudio Gianotto. L’ouvrage est dédié à la mémoire de Aloïs van Tongerloo, éminent spécialiste du manichéisme oriental et créateur du Corpus Fontium Manichaeorum, décédé le 25 février 2022. Voici la liste et un bref aperçu des contributions. Jason BeDuhn, « Manichaean Redaction of Non-Manichaean Narratives and the Case of Bilawhar and Budasf » (l’auteur envisage la possibilité d’une phase manichéenne dans la transmission du roman de Barlaam et Ioasaph ou Josaphat) ; Şehnaz Biҫer, Betül Özbay, « The Headline Ornament Analysis of the Illuminated Manichaean Manuscript : MIK III 6368 » (étude comparative abondamment illustrée de l’un des plus remarquables manuscrits manichéens enluminés retrouvés à Turfan) ; Fernando Bermejo-Rubio, « Syncretism versus Transversality : On the Emergence of Mani’s Religious Outlook » (plutôt qu’un syncrétisme éclectique, les emprunts faits par Mani aux religions avec lesquels il fut en contact traduiraient la conscience qu’il avait de l’unité fondamentale de toutes les religions et sa volonté de reconstruire une vérité originaire) ; Iris Colditz, « Some Iranian Names of Manichaeans from non-Iranian Sources with an Appendix to Iranisches Personennamenbuch » (complément à l’ouvrage publié par l’auteur en 2018 : inventaire documenté et commenté de 32 noms de manichéens figurant principalement dans les Homélies coptes et dans des textes vieux-turcs, incluant quatre noms qui se sont ajoutés depuis la publication de 2018) ; Federico Dragoni, Enrico Morano, « A Sogdian Manuscript in Manichaean Script on Cosmogony and Rules for Elect and Hearers in Mānistāns » (édition, traduction et commentaire de quatre fragments sogdiens inédits conservés à Berlin, avec sept planches photographiques) ; Jean-Daniel Dubois, « The Coming of Jesus “Without a Body” (Kephalaion I, 12, 20ff) » (plaidoyer pour une révision du supposé docétisme manichéen : la christologie manichéenne distinguait plutôt deux figures, le Jésus Splendeur et le Jésus historique) ; Desmond Durkin-Meisterernst, « Ārdhang wifrās » (édition du texte parthe connu sous ce titre, suivie de sa traduction anglaise et d’un index des mots) ; Jorinde Ebert, « A Manichaean Portrait Painter at the Chinese Song Court ? » (examen de l’oeuvre d’un peintre portant un nom manichéen et actif à la cour des Song dans le dernier quart du xe siècle, avec vingt figures et planches) ; Majella Franzmann, « Heavenly Mothers and Virgins and the Earthly Eve » (retour sur la présentation positive d’Ève dans le fragment sogdien M129, qui mettrait en scène une Ève terrestre, intervenant dans la création et la lutte entre la lumière et les ténèbres) ; Zsuzsanna Gulácsi, « Digital Restoration of an Icon of Jesus Preserved on an Uygur Manichaean Mortuary Banner from Tenth-Century Kocho » (dans le cadre d’un projet de restitution digitale de peintures manichéennes ouïgoures, analyse d’une représentation de Jésus) ; Xiaodan Hu, « The 7 Distresses and 5 Destinies of the Individual Soul : A Study on Dunhuang Chinese Manichaean Text The Scripture on Buddha-Nature in Comparison with Turfan and Coptic Parallels » (édition et commentaire de ce texte, a Buddhicized Manichaean work, conservé par un fragment d’un rouleau découvert à Dunhuang) ; Gábor Kósa, « A Survey of Research on the New Textual Materials from China (2013-2017) » (bibliographie de plus de quatre-vingts titres relatifs à de nouvelles sources manichéennes en chinois) ; Samuel N.C. Lieu, « Manichaean Self-Identity Revisited (I) » (reprise et développement d’un article du même auteur publié en 1998 sur l’autodésignation des manichéens, et comparaison avec les diasporas assyriennes et mandéennes en Australie) ; Xiaohe Ma, « The Birth of Mani Painting in Japan and “The Hymn of the Descent” in The Mani the Buddha of Light Manuscript » (au sujet d’une peinture provenant du sud de la Chine et datant de la dynastie Yuan [1271-1368], représentant la naissance de Mani ; relation de ce tableau avec les biographies du Buddha) ; Rea Matsangou, « Legal Aspects Regarding Manichaean Assembly Places in the Later Roman Empire » (le renforcement de mesures légales contre les manichéens entre 372 et 407, l’édit de Théodose II de 428) ; Gunner Mikkelsen, « Upāya in Chinese Manichaean Texts from Dunhuang » (le concept de upāya, « méthode », « moyen habile, opportun », dans les textes manichéens en chinois de Dunhuang, dont le Traité Chavannes-Pelliot et le Compendium des doctrines et règles de la religion du Bouddha de lumière) » ; Evgenïa Moiseeva, « Prolegomena to Mani’s Vision of the Old Testament » (la position de Mani et de ses successeurs à l’égard de l’Ancien Testament, et Adda, initiateur de la critique textuelle manichéenne des écritures juives, et particulièrement du récit sur Adam et Ève) ; Betül Özbay, « The Orthography of Rounded Vowels in Old Uyghur Manichaean Texts » (étude des voyelles arrondies ou labiales o, u, ö et ü dans les textes vieux-ouïgours en écriture manichéenne, accompagnée de clichés tirés des manuscrits) ; Nils Arne Pedersen, « Differing interprétations of Mani’s Apostolate in Manichaean Sources : Subordination or Superiority ? » (les différentes appellations de Mani, comme « Apôtre de Jésus Christ », « Apôtre » ou « Apôtre de la lumière » dans les écrits de Mani et dans la littérature manichéenne, en particulier dans les Kephalaia et dans le Codex manichéen de Cologne) ; Andrea Piras, « The Painting of the Living Soul : Metaphors and Practices of Self-Restoration » (la métaphore du peintre et sa signification, notamment dans le Discours de l’âme vivante, dans le Livre de prière et de confession et dans le Kephalaion 191) ; Flavia Ruani, « Playing with Literature for Religious Competition : Manichaean Characters in Syriac Hagiography » (la représentation des manichéens comme « autres » dans des textes hagiographiques syriaques des ve, vie et viiie siècles, dont les Actes de martyrs perses et des récits tirés de la littérature monastique syriaque) ; Natale Spineto, « Julien Ries e gli Studi sul Manicheismo » (présentation de Julien Ries, 1930-2013, sa formation, ses recherches sur le manichéisme et l’anthropologie religieuse, avec une très utile bibliographie de ses publications relatives au manichéisme de 1957 à 2014) ; Michel Tardieu, « Les métamorphoses du troisième Messager » (commentaire du long fragment du septième livre de l’ouvrage de Mani intitulé Trésor, qu’Augustin et Evodius citent, respectivement dans le De natura boni et dans l’Adversus manichaeos, suivi d’un premier appendice : « Le fragment manichéen sur les métamorphoses », et d’un second : « Éléments terminologiques d’astrométéorologie ») ; Michel Tardieu, Flavia Ruani, Danny Praet, « Franz Cumont et le développement des études manichéennes » (dans la foulée de la réédition des manichaica de Cumont[15], retour sur l’apport du savant belge aux études manichéennes) ; Håkon Fiane Teigen, « “The Church where I am” : Elect Communities in the Roman Empire between the Kephalaia and Augustine » (les pratiques organisationnelles des manichéens dans l’Empire romain des ive et ve siècles, d’après Augustin et la documentation copte) ; Aäron Verspauwen, « Manichaean Fragments in Evodius of Uzalis’ Adversus Manichaeos : the Circulation of Latin Manichaean Writings in North Africa » (examen des citations manichéennes dans l’Adversus Manichaeos d’Evodius, édité par le même auteur [voir infra], tirées de l’Epistula fundamenti et du Thesaurus, et leur spécificité) ; Yutaka Yoshida, « Bögü Qaghan, Zieme, Clark, and Moriyasu. On Some Aspects of the Early Phase of the Uygur Manichaeism » (la conversion du qaghan ouïgour Bögü au manichéisme à la lumière de sources nouvelles).
Ce recueil se distingue par la grande diversité des thèmes qu’il aborde, qui touchent tous les aspects de la recherche manichéenne actuelle, et par la qualité de sa présentation, notamment en ce qui concerne l’iconographie.
Paul-Hubert Poirier
11. Aäron Vanspauwen, In Defence of Faith, Against the Manichaeans. Critical Edition and Historical, Literary and Theological Study of the Treatise Adversus Manichaeos, Attributed to Evodius of Uzalis. Turnhout, Brepols Publishers n.v. (coll. « Instrumenta Patristica et Mediaevalia », 79), 2020, 520 p.
L’ouvrage intitulé assez souvent De fide contra manichaeos fut publié pour la première fois par Johannes Amerbach en 1506 dans ses Opera omnia d’Augustin, qui le plaça sous le patronage de l’évêque d’Hippone et le divisa en 49 chapitres, division qui a prévalu jusqu’à ce jour. Amerbach le considérait comme une oeuvre authentique d’Augustin même si celui-ci ne le mentionne pas dans ses Retractationes ni Possidius de Calama dans l’Indiculum des ouvrages d’Augustin qui figure dans sa Vita Augustini. L’édition d’Amerbach sera reprise par Érasme en 1528, qui souscrira à l’authenticité augustinienne de l’écrit. Il en ira de même des theologi lovanienses pour leur édition d’Augustin de 1576. Les Mauristes, entérinant les conclusions de Robert Bellarmin (1613), Bernard Vinding (1621) et Jacques Sirmond (1648), seront les premiers à ne pas attribuer le De fide à Augustin tout en le faisant figurer au tome huitième de leur édition de ses oeuvres. En ce qui concerne la paternité de l’écrit, les Mauristes iront dans le même sens que Sirmond, quoique d’une manière moins appuyée, en notant que la tradition manuscrite non seulement met en doute l’authenticité augustinienne de l’écrit mais avance comme auteur le nom d’un proche et ami d’Augustin, Evodius, originaire lui aussi de Thagaste, évêque d’Uzala ou Uzalis/Uzali, en Afrique proconsulaire. Outre les arguments de critique interne invoqués par Bellarmin, Vinding et Sirmond, les Mauristes relevaient le témoignage d’une majorité de manuscrits anciens qui accompagnent le titre adversus manichaeos de la note suivante : utrum eiusdem utrum sancti euodii ignoratur, « qu’il soit du même (sc. Augustin) ou de saint Evodius, on l’ignore ». Depuis Sirmond, plus personne n’attribue l’ouvrage à Augustin et tous le rendent à Evodius d’Uzala. Quant au titre reçu, y compris par Joseph Zycha dans son édition de 1892, il résulte probablement d’une méprise occasionnée par le fait que l’Adversus (qu’impose la tradition manuscrite plutôt que Contra) manichaeos était précédé dans la plupart des manuscrits par le De fide et symbolo d’Augustin.
Le livre d’Aäron Vanspauwen, chercheur à la Faculté de théologie et d’études religieuses de la KU Leuven, reprend une thèse de doctorat soutenue en 2019 devant la même Faculté. Il s’agit de la première monographie à être consacrée à Evodius d’Uzala et à son Adversus manichaeos. L’auteur en avait donné un avant-goût dès 2018 dans un article substantiel paru dans Sacris Erudiri, dans lequel il livrait l’édition critique et la traduction de l’Adversus manichaeos, précédées d’une étude de la transmission manuscrite de ce qu’il appelait encore le De fide contra manichaeos[16]. L’ouvrage comprend deux parties. Dans la première, intitulée « Study », Verspauwen propose tout d’abord une esquisse biographique d’Evodius d’Uzala. Celui-ci est essentiellement connu par ses liens avec Augustin, qui mentionne dans les Confessions (IX, 8, 17) l’avoir rencontré à Milan, en 397, et avec lequel il échangera plusieurs lettres conservées dans sa correspondance (les lettres 158, 160, 161 et 163 d’Evodius et les lettres 159, 162, 164 et 169 d’Augustin). Evodius est également l’auteur d’une lettre adressée à Valentin, abbé du monastère d’Hadrumetum en Byzacène (Sousse, dans l’actuelle Tunisie), à propos du débat sur la grâce et le libre arbitre suscité par la controverse pélagienne. Evodius figure enfin comme intervenant dans deux oeuvres dialoguées d’Augustin, le De quantitate animae et le De libero arbitrio. Evodius joua encore un rôle dans la diffusion du culte de saint Étienne à Uzala. Le deuxième chapitre de l’étude est consacré à la présentation des manuscrits de l’Adversus manichaeos. Ceux-ci sont au nombre de trente et leur datation s’échelonne du neuvième au quinzième siècle. Sauf pour l’un d’entre eux, ces manuscrits peuvent être répartis en trois familles qui dérivent tous d’un même archétype qui regroupait sept oeuvres d’Augustin — ou attribuées à celui-ci — au milieu desquelles prenait place l’Adversus manichaeos. Le troisième chapitre porte sur la paternité (authorship) de l’Adversus manichaeos. Vanspauwen examine tous les indices que l’on peut tirer de l’oeuvre elle-même pour conclure qu’il s’agit d’une production de provenance africaine, postérieure à 420 en raison de sa dépendance du Contra adversarium legis et prophetarum d’Augustin, et que son auteur avait fréquenté les écrits antimanichéens de celui-ci. Vanspauwen relève aussi les points de contact entre l’Adversus manichaeos et les lettres d’Evodius. Suggérée par la tradition manuscrite (voir supra) et à la lumière des arguments développés par Vanspauwen, l’attribution de l’ouvrage à Evodius d’Uzala doit en définitive être considérée comme un fait. Cette conclusion n’est aucunement neuve mais on reconnaîtra à l’auteur le mérite de l’avoir établie de la manière la plus explicite et la mieux argumentée, ce qui devait être fait. Le quatrième chapitre présente le contenu et la langue de l’Adversus manichaeos. Vanspauwen subdivise l’écrit en sept parties : la théologie, l’origine du mal, le conflit entre la lumière et les ténèbres, la christologie, le canon des Écritures, la résurrection du corps et l’eschatologie. Il consacre plusieurs pages plutôt techniques aux clausules métriques ou accentuelles dans l’Adversus manichaeos, ce qui l’amène à conclure que, « même si l’Adversus manichaeos n’est pas toujours un modèle de prose rhétorique, son auteur semble bien connaître les techniques littéraires courantes de son époque » (p. 169). Le cinquième chapitre est consacré aux sources de l’Adversus manichaeos. On constate sans surprise qu’Evodius a surtout exploité les écrits antimanichéens d’Augustin, dont il témoigne d’une connaissance intime. L’évêque d’Uzala eut également accès à des écrits manichéens puisqu’il cite la Lettre du fondement et le Trésor, ainsi qu’aux Actes apocryphes des apôtres attribués à Leucius, notamment ceux d’André et de Jean. Intitulé « La théologie antimanichéenne d’Evodius en relation avec la théologie de la grâce d’Augustin », le sixième chapitre intéressera surtout les historiens du pélagianisme alors que les manichéisants trouveront leur compte dans le septième, qui porte sur l’Adversus manichaeos considéré comme une source sur le manichéisme. Vanspauwen rappelle d’abord ce que l’on sait sur le canon des écritures manichéennes pour ensuite consacrer plusieurs pages à l’Epistula fundamenti dont Evodius cite cinq fragments. Les différences entre ces citations et les passages parallèles chez Augustin suggèrent qu’Evodius exploitait son propre exemplaire de la lettre. Evodius cite également, et plus longuement que pour l’Epistula, un autre écrit manichéen, le Thesaurus, aux chapitres 5 et 14-16 de l’Adversus manichaeos. Ne serait-ce que par ces citations, l’Adversus manichaeos d’Evodius est un témoin important du manichéisme latin d’Afrique romaine.
La seconde partie de l’ouvrage, consacrée à l’édition et la traduction en vis-à-vis de l’Adversus manichaeos, reprend ce qui est paru dans l’article de Sacris Erudiri cité ci-dessus. Édition et traduction sont suivies de quelques notes textuelles. Un premier appendice fournit la description des manuscrits de l’Adversus manichaeos. Le second appendice, qui inventorie les passages parallèles à l’Adversus manichaeos et ses sources potentielles, permet de prendre la mesure de la dette d’Evodius à l’endroit d’Augustin et ce en quoi il est original. Outre les oeuvres d’Augustin, Verspauwen relève les contacts de l’Adversus manichaeos avec les traités antimanichéens de Sérapion de Thmuis et de Titus de Bostra, et avec le De fide d’Ambroise.
Si l’Adversus manichaeos d’Evodius d’Uzala fait un peu pâle figure à côté des traités antimanichéens des troisième et quatrième siècles, notamment ceux d’Alexandre de Lycopolis, Titus de Bostra et Sérapion de Thmuis, il mérite néanmoins l’attention des spécialistes de la patristique latine et du manichéisme. Le traitement exhaustif et consciencieux que lui a consacré Aäron Verspauwen met bien en lumière tout l’intérêt qu’il présente.
Paul-Hubert Poirier
Éditions et traductions
12. Annick Martin, Xavier Morales, Athanase d’Alexandrie. Tome aux Antiochiens. Lettres à Rufinien, à Jovien et aux Africains. Introduction, traduction et notes, A. Martin et X. Morales. Texte grec, H.C. Brennecke, U. Heil, C. Müller, A. von Stockhausen et A. Wintjes (Athanasius Werke II, 8 et III, 1, 4). Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 622), 2021, 291 p.
Ce nouveau volume que la collection « Sources Chrétiennes » consacre à Athanase d’Alexandrie intéressera au premier chef les historiens, notamment ceux de la crise arienne. Il contient le texte grec, repris des Athanasius Werke édités par l’Académie des sciences de Berlin-Brandenbourg, et la traduction française de quatre oeuvres d’Athanase d’Alexandrie rédigées entre 362 et 371, dans les années qui ont suivi l’imposition par l’empereur Constance, à l’occasion du synode de Constantinople de janvier-février 360, de la formule de foi homéenne signée, fin 359, par les délégués des synodes conjoints de Rimini et Séleucie. Dans ces quatre écrits de circonstance, Athanase réagit à l’homéisme officiel, qui se satisfaisait de reconnaître le Fils « semblable » (homoios) au Père en toute chose et évitait de mentionner le consubstantiel (homoousios) de Nicée tout comme le homoiousios, « de substance semblable (au Père) » qui agréait à un bon nombre d’évêques. L’objectif poursuivi par l’évêque d’Alexandrie dans ces textes est double : d’une part, il réaffirme la légitimité et la nécessité du homoousios de Nicée, d’autre part, il cherche à rallier tous ceux qui, réticents face à la formule de Nicée, n’en professent pas moins la même foi trinitaire que les nicéens. C’est le cas des homéousiens. L’ouvrage que nous présentons s’ouvre par une introduction historique signée par Annick Martin, dont on connaît les travaux consacrés à Athanase. Dans ces quelque cinquante pages, elle restitue le contexte historique et doctrinal dans lequel se situent les quatre textes réunis dans cet ouvrage et dont « le point commun […] est la défense insistante de la foi des “318” Pères de Nicée : “Nicée suffit” » (p. 48). La décennie qui court depuis les réactions immédiates au synode de Constantinople de 360 et le synode de 362 jusqu’à 372 est riche en rebondissements, et, pour qui n’est pas un spécialiste de la période, il est un peu difficile de s’y retrouver, même si la présentation qu’en donne A. Martin est d’une grande clarté. Fort heureusement, le lecteur peut se reporter à tout moment à la chronologie qu’il trouvera à la fin de l’ouvrage et qui répertorie les événements des années 356 à 361, correspondant au troisième exil d’Athanase, jusqu’au 2 mai 373, date de sa mort, en indiquant, le cas échéant, la mention de ces événements dans l’un ou l’autre des quatre textes ici traduits. Les introductions particulières à chacun des textes, dues à Xavier Morales, présentent les aspects littéraires, textuels et historiques propres à chacun. Le premier texte est le Tome aux Antochiens (CPG 2134), texte rédigé à l’issue du synode d’Alexandrie réuni par Athanase à son retour d’exil, probablement en mars 362. L’introduction porte successivement sur le titre de l’écrit (« tome » dans le sens d’un document plus ou moins officiel émanant d’un évêque ou d’un synode d’évêques), sa forme (celle d’une lettre fixant les conditions d’un accueil éventuel de ceux qu’Athanase verrait comme des alliés), la théologie trinitaire, la pneumatologie et la christologie qui y sont exposées. Sur ce dernier point, on notera la conclusion de Morales : « On peut […] considérer la christologie d’Athanase comme la source de la christologie qui s’imposera avec Cyrille d’Alexandrie au concile d’Éphèse, au point d’équilibre entre la christologie exagérément disjonctive de la tradition antiochienne et la christologie exagérément unitive, au détriment de l’intégrité de l’humanité, d’un Eusèbe de Césarée, d’un Apolinaire de Laodicée ou, un siècle plus tard, d’un Eutychès » (p. 91). Le deuxième texte est la Lettre à Rufinien (CPG 2107), évêque d’un siège inconnu, qui s’informait auprès d’Athanase des conditions posées à la réintégration des clercs qui avaient signé la formule homéenne de 360. La Lettre a dû être écrite avant la fin d’octobre 362. Fidèle à une jurisprudence qui s’était imposée en matière de réconciliation des lapsi, la Lettre suggère une position intermédiaire entre l’extrême sévérité et la clémence exagérée. Le troisième document, la Lettre à Jovien sur la foi (CPG 2135), datée de l’automne 363, répond à une demande de l’éphémère successeur de Julien qui désirait « apprendre de nous la foi de l’Église catholique » (I, 2). On y trouve citée « la foi confessée par les Pères à Nicée », suivie des anathématismes prononcés à cette occasion (3, 1-2). Le quatrième et dernier texte est la Lettre aux évêques africains (CPG 2133), que l’on peut dater de l’automne 371 et qui est adressée « à des correspondants qu’on veut convaincre que la formule de foi homéenne souscrite par le synode de Rimini est la formule de foi officielle de l’Église catholique » (p. 175-176). La Lettre, dont le but est de défendre la formule de Nicée contre celle de Rimini, s’inspire de la rhétorique judiciaire (p. 176). Elle revêt un très grand intérêt dans la mesure où on y trouve une discussion du sens des termes « substance » (οὐσία), « hypostase » (ὑπόστασις) et « consubstantiel » (ὁμοούσιος), ainsi que de l’expression « issu de la substance du Père » (ἐκ τῆς οὐσίας τοῦ πατρός), qui témoigne à la fois de la détermination d’Athanase à défendre la formule de Nicée et d’une « certaine souplesse intellectuelle » (p. 186) de sa part. Deux annexes complètent l’ouvrage. La première donne la traduction de la lettre synodale du synode d’Antioche de 363, sur le texte cité par Socrate de Constantinople ; cette traduction est accompagnée d’un premier tableau des signataires de cette synodale et d’un second, pour les destinataires de la lettre du pape Libère de 366. La seconde annexe traduit trois « documents eustathiens », ainsi dénommés par référence à Eustathe d’Antioche, adversaire intransigeant de l’arianisme, qui joua un rôle de premier plan au concile de Nicée : un fragment d’une lettre à Athanase (CPG 2291), la Lettre dite catholique (CPG 2241) et la Réfutation de l’hypocrisie de Mélèce et d’Eusèbe de Samosate contre le consubstantiel (CPG 2242), trois documents dont l’auteur pourrait être Paulin d’Antioche, lui aussi nicéen intransigeant, reconnu par Athanase comme évêque d’Antioche au lieu de Mélèce. En plus de la chronologie mentionnée ci-dessus, deux cartes et des index (scripturaire, onomastique et topographique) complètent ce volume des « Sources Chrétiennes » qui rendra de grands services à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire des doctrines trinitaires et christologiques en mettant à leur disposition des textes fréquemment cités mais qui n’étaient pas facilement accessibles autrement qu’en grec. Il complète ainsi le volume 563 de la même collection, signé par les mêmes auteurs, qui contient l’importante Lettre sur les synodes de Rimini d’Italie et de Séleucie d’Isaurie (CPG 2128), précédée de deux documents homéousiens, la synodale du synode d’Ancyre de 358 et le Traité sur la foi de Basile d’Ancyre.
Paul-Hubert Poirier
13. Martin Wallraff, Die Kanontafeln des Euseb von Kaisareia. Untersuchung und kritische Edition. Berlin, Boston, Walter de Gruyter GmbH (coll. « Manuscripta Biblica - Paratextus Biblici », 1), 2021, viii-266 p.
Cet ouvrage inaugure une nouvelle collection consacrée aux « paratextes bibliques », c’est-à-dire à des productions littéraires savantes qui accompagnent le texte biblique dans les manuscrits anciens ou byzantins. La première publication à y figurer a été réalisée dans le cadre du projet « Paratexts of the Bible » soutenu par un « Advanced Grant » du « European Research Council » (ERC). Elle porte sur le paratexte biblique par excellence, la table des canons d’Eusèbe de Césarée (CPG 3465), un instrument de travail inédit conçu, dès la première moitié du ive siècle, pour permettre une lecture comparative, pour ainsi dire synoptique, des quatre évangiles. Il s’agit d’un ensemble de dix tables ou « canons » (κανών) qui permettent d’un seul coup d’oeil de repérer les péricopes évangéliques qui reviennent dans l’un ou l’autre évangile ou qui sont propres à chacun. Cet ingénieux système repose sur une numérotation marginale suivie de l’intégralité des quatre évangiles, divisé en sections plus ou moins brèves, généralement déterminées en fonction de la logique narrative du texte évangélique, 355 pour Matthieu, 233 pour Marc, 342 pour Luc, 232 pour Jean, soit 1 162 au total. Ces sections sont réparties en dix canons — en fait treize, le dixième canon étant quadruple — regroupant les sections qui figurent I. dans les quatre évangiles ; II. chez Mt, Mc et Lc ; III. chez Mt, Lc et Jn ; IV. chez Mt, Mc et Jn ; V. chez Mt et Lc ; VI. chez Mt et Mc ; VII. chez Mt et Jn ; VIII. chez Lc et Mc ; IX. chez Lc et Jn ; X. chez le seul Mt ; X. chez le seul Mc ; X. chez le seul Lc ; X. chez le seul Jn. Ces canons étaient précédés d’une « Lettre à Carpianos », un véritable mode d’emploi. Eusèbe signale toutefois, au début de cette lettre, qu’il avait eu un prédécesseur, « Ammonios l’Alexandrin », qui avait dépensé beaucoup de labeur et de peine pour élaborer un instrument appelé « l’évangile à travers les quatre » (τὸ διὰ τεσσάρων εὐαγγέλιον), littéralement un « diatessaron », qui se distinguait de celui de Tatien dans la mesure où il ne s’agissait pas d’un « quatre évangiles en un seul », mais de l’évangile selon Matthieu accompagné des péricopes semblables tirées des autres évangiles (τῷ κατὰ Ματθαῖον τὰς ὁμοφώνους τῶν λοιπῶν εὐαγγελιστῶν περικοπάς παραθείς), ce qui présentait le désavantage que le texte des trois autres n’était plus préservé dans son entier. Eusèbe se propose de suivre une tout autre méthode (καθ’ ἑτέραν μέθοδον) et de conserver intact « le corps et l’enchaînement des autres (évangiles) » (τοῦ τῶν λοιπῶν δι’ ὅλου σώματος τε καὶ εἰρμοῦ), d’où l’instrument nouveau qu’il mit au point. Les canons d’Eusèbe connurent un succès et une diffusion extraordinaires, reproduits qu’ils furent en tête de presque tous les manuscrits grecs du tétraévangile, sans compter des traductions ou adaptations en latin, syriaque, arménien, géorgien, éthiopien et dans d’autres langues encore. Ils ne reçurent pas pour autant toute l’attention qu’ils auraient méritée de la part de la critique. De fait, même les éditions du Nouveau Testament qui firent ou font encore autorité se sont contentés de se copier les unes les autres, depuis celle d’Érasme de 1519. Il n’y eut à vrai dire que les historiens de l’art, comme le suédois Carl Nordenfalk dans sa monographie de 1938[17], à les prendre vraiment en considération en raison du soin que mirent les copistes à les reproduire comme de véritables portails monumentaux ouvrant sur les évangiles. L’ouvrage de Martin Wallraff est donc l’un des premiers travaux scientifiques d’envergure à leur être consacrés[18] non seulement comme un « paratexte » néotestamentaire mais en tant que production littéraire et scientifique de l’évêque de Césarée, digne de figurer à côté de ses grands ouvrages, comme la Chronique. L’édition en tant que telle des Kanontafeln n’occupe qu’une mince portion de l’ouvrage (moins d’une quinzaine de pages), car elle est précédée de quatre forts chapitres. Le premier est consacré à des questions d’introduction sur la nature des canons eusébiens, leur authenticité et leur datation (fin des années 330). Le deuxième chapitre, intitulé « Profil d’un produit à succès », caractérise les canons dans leur forme et leur objectif, qui est de rendre compte, mieux que ne l’avaient fait Tatien et Ammonios, des évangiles dans leur unité et leur existence tétramorphe. Le troisième chapitre, « Critique et forme textuelles », présente vingt lieux synoptiques dont la mise en parallèle faisait difficulté pour Eusèbe. Le quatrième chapitre s’ouvre sur l’affirmation que la tradition manuscrite des tables est à la fois « très ancienne, très riche et très bonne » : très ancienne, car elle est attestée par des témoins datant d’à peine quelques décennies après leur composition, très riche, en raison du très grand nombre d’évangéliaires qui les ont intégrées, et très bonne dans la mesure où, pour être utiles, les tables devaient être reproduites dans leur entièreté. On trouve aussi dans ce chapitre la présentation des témoins manuscrits retenus pour établir l’édition : dix-neuf manuscrits tous antérieurs à la deuxième moitié du xe siècle, des anciennes traductions : latine (Vulgate), syriaque (Peshitta et Harcléenne), arménienne, éthiopienne, ainsi qu’une présentation des éditions précédentes et un aperçu de l’histoire de la recherche. L’édition, qui occupe le cinquième chapitre de l’ouvrage, est accompagnée d’une traduction allemande de la lettre à Carpianus et d’une transposition en chiffres arabes des lettres-chiffres grecs. Les sixième, septième et huitième chapitres sont réservés à la bibliographie, aux index et aux crédits photographiques. Le neuvième et dernier chapitre, qui intéressera non seulement les biblistes mais aussi les historiens de l’art, consiste en cinquante-deux planches, en couleurs sauf pour les transcriptions, qui reproduisent les témoins manuscrits les plus remarquables de la lettre à Carpianos et des tables eusébiennes.
Paul-Hubert Poirier
14. Michael Durst, André Rocher †, Hilaire de Poitiers. Lettre sur les synodes. Texte, introduction et notes par M. Durst. Traduction par A. Rocher. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 621), 2021, 483 p.
La Lettre sur les synodes (De synodis) d’Hilaire de Poitiers (vers 325-367) est une oeuvre assez singulière. En 356, l’évêque, qui est impliqué dans la crise arienne, est déposé par un synode réuni à Béziers et exilé en Orient, plus précisément en Phrygie, sur ordre de l’empereur Constance II, un des fils de Constantin. La raison en est qu’il avait gravement offensé l’empereur en rompant la communion avec des évêques occidentaux — Saturnin d’Arles, Valens de Mursa et Ursace de Singidunum —, qui, contrairement à ce qu’avait décidé le concile de Nicée en 325, ne reconnaissaient pas le Fils comme consubstantiel (ὁμοούσιος, homoousios) au Père, mais simplement comme semblable (ὅμοιος, homoios) à celui-ci. On les appelait de ce fait « homéens ». Face aux partisans de Nicée ou « homoousiens », il y avait encore les « homéousiens », qui, sans admettre l’homoousios, étaient néanmoins très proches de la position du Concile en soutenant que le Fils était « de substance semblable (ὁμοιούσιος, homoiousios) » au Père. À l’autre extrême, se trouvaient ceux pour qui le Fils était « dissemblable (ἀνόμοιος, anomoios) » au Père, les « anoméens ». Ces orientations théologiques n’étaient pas que théoriques ou verbales, elles s’incarnaient dans des évêques, des clergés et des communautés, qui, au gré des revirements politiques et religieux qui ont marqué le demi-siècle séparant les conciles de Nicée et de Constantinople (381), optaient pour l’une ou l’autre conviction théologique ou changeaient d’allégeance. En Occident, Hilaire de Poitiers s’est retrouvé dans le camp des défenseurs du concile de Nicée avec d’autres évêques de Gaule qui affirmaient l’identité de substance entre le Père et le Fils. Position particulièrement inconfortable dans la mesure où l’empereur, par opportunisme politique mais aussi par désir de pacifier les Églises, avait renvoyé dos à dos homoousiens et anoméens, et opté en faveur des homéens. C’est dans ce contexte qu’Hilaire, depuis la Phrygie, adresse à ses « frères et coévêques » d’Occident une lettre qui est un véritable traité, un écrit de propagande en faveur de l’homoousios nicéen. L’existence même de cet écrit est d’autant plus remarquable qu’Hilaire avoue candidement, qu’avant le synode de Béziers de 356, il ne connaissait même pas l’existence des termes homoousios et homoiousios, et qu’il avait par la suite conclu que le second devait être compris au sens du premier, dans la mesure où « rien ne peut être semblable à soi selon la nature, sinon parce que c’est de la même nature » (Lettre sur les synodes 91). Si la Lettre s’adresse en priorité aux évêques d’Occident, en finale (78-91), Hilaire interpelle les évêques d’Orient, particulièrement les homéousiens, pour les enjoindre à reconnaître l’homoousios du symbole de Nicée. Dans cette perspective, Hilaire réfute les objections formulées à l’encontre de ce terme, dont la principale était la crainte que professer l’identité de nature ou d’essence (οὐσία) du Père et du Fils équivalait à nier la distinction des personnes divines, comme on accusait le théologien romain Sabellius de l’avoir fait au début du iiie siècle. De fait, la visée d’Hilaire est double, d’une part défendre vigoureusement la nécessité et la légitimité de l’homoousios face à ceux qui faisaient du Fils une créature, et, d’autre part, montrer que, s’ils sont « religieusement interprétés (interpretati […] religiose) » (91), les termes homoousios et homoiousios expriment la même foi, et cela dans une perspective d’irénisme et de réconciliation, sans que l’orthodoxie soit compromise. Voilà pourquoi, en conclusion de la Lettre, Hilaire réagit face à l’intransigeance de certains partisans de l’homoousios nicéen :
Régénéré depuis longtemps et demeurant dans la charge d’évêque depuis un certain temps, je n’ai jamais entendu parler de la foi de Nicée, sauf à la veille de mon exil [en 356], mais les évangiles et les apôtres ont imprimé en moi l’intelligence de l’homoousios et de l’homoiousios. Est pieux ce que nous voulons. Ne condamnons pas les pères, n’encourageons pas les hérétiques, en pourchassant l’hérésie ne nourrissons pas l’hérésie. Nos pères, après le synode de Nicée, ont interprété religieusement homoousios ; des livres se dressent, la conscience demeure (exstant libri, manet conscientia). S’il faut ajouter quelque chose à l’interprétation, réfléchissons en commun. Nous pouvons fonder entre nous la foi en son meilleur état, si bien que ce qui a été bien établi ne soit pas violenté et que ce qui fut mal compris soit retranché.
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Pour convaincre les uns et apaiser les autres, Hilaire n’a pas rédigé un traité dogmatique en bonne et due forme mais il a plutôt rassemblé un dossier de textes qui documentent les synodes qui ont été célébrés vers le milieu du ive siècle. La rédaction de la Lettre, qui peut être datée de la fin de 358 ou du début de 359, fut largement provoquée par le synode de Sirmium (aujourd’hui en Serbie) de 357, à l’occasion duquel « on proclama le Père comme Dieu de tous, un et seul, afin de nier que le Fils fût Dieu et, en décrétant le silence sur l’homoousios et l’homoiousios, on décréta d’affirmer que le Fils était ou bien né du néant comme une créature, ou bien né d’une autre essence selon la modalité où se succèdent les créatures, mais non Dieu Fils né du Dieu Père » (10), ce qu’Hilaire qualifie de blasphème et d’impiété. Dans la première partie de l’ouvrage, Hilaire cite et commente successivement d’abord la deuxième formule de Sirmium (357), puis les décrets et les douze anathématismes des synodes d’Ancyre et de Sirmium (358), la deuxième formule du synode d’Antioche de 341, ou synode dit des Encénies — c’est-à-dire tenu à l’occasion de la dédicace de l’église d’or d’Antioche —, la formule du synode oriental de Sardique (aujourd’hui Sofia) de 343 et la première formule de Sirmium de 351. Il enchaîne en présentant sa propre profession de foi concernant le Père et le Fils (64), et en montrant que les deux termes homoousios et homoiousios sont l’un et l’autre expression de la foi orthodoxe (66-76). La Lettre est donc doublement remarquable, tout d’abord par la riche documentation qu’elle exploite, puis par son analyse, unique dans la littérature patristique, du terme-clé de Nicée et de son proche parent et quasi-synonyme.
L’édition de la Lettre, avec l’introduction et les notes, que proposent les « Sources Chrétiennes » repose sur la thèse d’habilitation allemande soutenue à Bonn en 1993 par Michael Durst, aujourd’hui professeur à la Theologische Hochschule de Coire (Chur) en Suisse. La traduction française est celle qu’avait préparée l’abbé André Rocher (m. en 1993), à qui l’on doit le Contre Constance dans les « Sources Chrétiennes » (vol. 334). La Lettre est suivie de l’édition et de la traduction des « réponses justificatives » (Apologetica responsa), 15 additions brèves qui figurent dans 61 des 68 manuscrits de la Lettre, intégrées au texte ou portées en marge. Tout dans la manière, la teneur et le contenu de ces Responsa indique qu’Hilaire en est l’auteur. Rédigés vers 361-362, les Responsa réagissent à des critiques que la Lettre avait suscitées, notamment de la part du nicéen intransigeant qu’était Lucifer de Cagliari et de son cercle. La traduction des Responsa, sur le texte de M. Durst, est due au P. Dominique Bertrand. L’introduction de l’ouvrage présente le lieu, les circonstances et l’époque de la rédaction de la Lettre (chap. 1), son genre littéraire et son titre (chap. 2), son objectif et ses intentions (chap. 3), sa structure (chap. 4), les pièces du « dossier » qu’elle exploite (chap. 5), les synodes et leurs documents (chap. 6, le plus étoffé de tous), la tradition manuscrite : liste des manuscrits, classement par familles et stemma (chap. 7), et les principes de l’édition : divergences par rapport à l’édition de la Lettre des Mauristes (Coustant, 1693), et aux éditions des Responsa de Karl Holl (1939) et de P. Smulders (1979), justification de certaines graphies et disposition de la Lettre en chapitres. Des index, scripturaire et des noms de lieux et de personnes, complètent l’ouvrage. Cette édition de la Lettre sur les synodes, qui repose sur le travail exemplaire de Michael Durst qu’elle fait connaître, est une très importante contribution à l’histoire doctrinale de la période aussi riche que trouble qui sépare les deux conciles oecuméniques du ive siècle, et elle est tout à l’honneur de la collection dans laquelle elle paraît[19].
Paul-Hubert Poirier
15. Marie-Odile Boulnois, Cyrille d’Alexandrie. Contre Julien. Tome IV (Livres VIII-IX). Introduction et annotation, M.-O. Boulnois. Traduction, M.-O. Boulnois avec la collaboration de J. Bouffartigue (†). Texte grec, W. Kinzig et T. Brüggemann (GCS NF 21). Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 624), 2021, 708 p.
Parmi les nombreuses oeuvres de l’empereur Julien (né en 331-332, empereur romain du 3 novembre 361 au 26-27 juin 363), l’une occupe une place particulière : c’est celle qu’il rédigea à Antioche durant l’hiver 362-363, à la veille de la malheureuse campagne contre les Perses au cours de laquelle il devait trouver la mort. Il s’agit du Contre les Galiléens (Κατὰ Γαλιλαίων). Cet ouvrage en trois livres a, malheureusement pour nous, été victime de la damnatio memoriae qui a frappé, sitôt après sa disparition, le jeune empereur restaurateur du polythéisme romain. C’est ainsi que seul le premier livre nous est parvenu à peu près intégralement, et ce, grâce aux citations qu’en a faites Cyrille d’Alexandrie dans la réfutation qu’il en a donnée aux livres I à X de son Contre Julien ; comme les livres suivants de cette même oeuvre, qui portaient sur le deuxième livre du Contre les Galiléens, ont presque totalement disparu eux aussi, nous sommes privés de la suite de l’ouvrage de Julien sauf pour quelques fragments[20]. Étant donné qu’aucun extrait de la réfutation du troisième livre du Contre les Galiléens n’a survécu, nous ne connaissons son existence que par le témoignage de Cyrille, qui affirme, dans l’adresse (4) du Contre Julien, que l’empereur « alla jusqu’à composer trois livres contre les saints Évangiles et contre la très pure religion chrétienne » (4, 16-17)[21]. Le Contre les Galiléens, qui déploie une étonnante argumentation scripturaire, historique et philologique, eut un grand retentissement, comme en témoignent les réfutations dont il fit l’objet de la part des chrétiens, depuis les « invectives contre Julien » (Discours IV et V) de Grégoire de Nazianze, datées de l’hiver 363-364, jusqu’au Contre Julien de Cyrille, rédigé peut-être avant l’éclatement de la controverse nestorienne, donc avant 431. Que quelque soixante-dix ans après sa parution et nonobstant sa mise à l’index, le Contre les Galiléens justifiât une réfutation aussi ample que celle de Cyrille montre qu’il devait constituer encore une arme singulièrement efficace aux mains de l’élite païenne du cinquième siècle. Le Contre Julien de Cyrille comptait au moins dix livres ; du reste de l’oeuvre, qui a pu compter jusqu’à au moins 19 livres, il ne subsiste plus que des fragments, dont un certain nombre en syriaque. L’ensemble est maintenant accessible dans l’édition critique parue sous l’égide de l’Académie des sciences de Berlin-Brandenburg[22]. Dès 1985, les « Sources Chrétiennes » avaient lancé leur propre édition du Contre les Galiléens dont le premier volume, signé par P. Burguière et P. Évieux, comprenait les livres I et II de l’ouvrage (vol. 322). Après une période de dormance, le projet, repris par Marie-Odile Boulnois (ÉPHÉ, sciences religieuses, Paris), avec la collaboration du regretté Jean Bouffartigue, intégra désormais le texte de l’édition de Berlin. C’est ainsi que parut en 2016 le volume II, consacré aux livres III, IV et V (SC 582), suivi maintenant par le volume IV, pour les livres VIII et IX. Même si aucune précision n’est donnée à ce sujet, on peut imaginer que suivra un volume III, pour les livres VI et VII, et peut-être un cinquième volume pour les fragments de la suite du Contre Julien et, espérons-le, des tables de concordance Neumann-Masaracchia pour les fragments conservés du Contre les Galiléens.
Le livre VIII du Contre Julien ne porte que sur quatre fragments du Contre les Galiléens, les nos 46, 62, 64 et 65 de l’édition Masaracchia. Les trois derniers fragments permettent à Cyrille « de proposer trois longs développements, le premier sur l’accomplissement des prophéties mosaïques dans la personne du Christ, le deuxième sur la divinité du Fils qui donne lieu à un exposé de théologie trinitaire, le troisième sur l’incarnation » (p. 12). Le Livre IX cite ou résume treize fragments (66-78) et il présente une plus grande diversité thématique. La première partie du livre poursuit l’exposé sur la divinité du Fils Monogène et sur le mystère de sa passion alors que la seconde traite du rapport des chrétiens à la loi voulue éternelle par Moïse, dont Julien les accuse de l’avoir abandonnée.
Sauf deux traductions en grec moderne[23], l’ouvrage que nous présentons et les deux qui l’ont précédé constituent la première traduction du Contre Julien en une langue moderne. Le texte grec est celui de Kinzig-Brüggemann (2017), sauf pour quelques écarts signalés aux p. 217-218 et en note sur les passages concernés. Édition et traduction sont précédées d’une généreuse introduction qui comprend les chapitres suivants : I. Structure et argumentation des livres VIII-IX (avec un résumé de l’argumentation) ; II. Les sources des objections de Julien réfutées dans les livres VIII-IX (essentiellement les points sur lesquels le Contre les Galiléens cherche à répondre au Contre Celse d’Origène et qui montrent que Julien l’a utilisé) ; III. Monothéisme et Trinité (les griefs de Julien à ce sujet et les inconséquences chrétiennes vis-à-vis du monothéisme juif, la doctrine trinitaire de Cyrille, notamment sur la distinction des trois hypostases) ; IV. Le Christ, Dieu et homme (les objections païennes à l’Incarnation, ses raisons et ses modalités, avec un long développement sur les deux boucs de Lévitique 16 et le sens de l’appellation apopompaios donnée au « bouc émissaire » : « éloigné » ou « éloigneur ») ; V. Recours aux autorités profanes. Ce dernier chapitre illustre la variété des sources invoquées par Cyrille (Plutarque, Platon, Numénius, Amélius, l’Ennéade V, 1 [10] de Plotin, Porphyre). L’intérêt doxographique des citations cyrilliennes, qui permettent parfois d’améliorer ou de compléter le texte d’oeuvres connues par une transmission directe, est souligné (p. 204-216). La traduction est munie d’un appareil titrologique et de manchettes qui facilitent la lecture, comme aussi la table analytique des matières des p. 703-707. La traduction est également accompagnée d’une annotation étoffée qui fait presque office de commentaire. Introduction et annotation sont prolongées par treize notes complémentaires, qui portent sur les sujets suivants : 1. Transmission d’extraits du livre VIII dans des traductions syriaques ; 2. Le Contre Julien VIII-IX et le Pseudo-Grégoire de Nysse, Testimonia adversus Judaeos ; 3. La formule des prophètes « Ainsi parle le Seigneur » en VIII, 10-11 ; 4. Emploi du titre Theotokos en VIII, 16 (titre invoqué à deux reprises par Julien sans que Cyrille réagisse, ce qui suggérerait que le Contre Julien est antérieur à la controverse nestorienne) ; 5. « Subsiste avec le Père ce par quoi il est Père » (VIII, 18) ; 6. Anges créés à l’image de Dieu (IX, 4) ; 7. Sur Gn 4,26 : « Celui-ci espéra être appelé du nom du Seigneur Dieu » (IX, 12) ; 8. Importance des sacrifices pour Julien (IX, 13) ; 9. Permettre aux juifs de sacrifier à nouveau : le projet de reconstruction du Temple de Jérusalem (IX, 22) ; 10. Sens spirituel des prescriptions sur l’agneau pascal (IX, 26) ; 11. Comparaison avec l’art du bronzier (IX, 27, histoire de cette comparaison) ; 12. Rôle providentiel de la limitation du culte à Jérusalem (IX, 30) ; 13. L’affrontement entre Pierre et Paul (IX, 47, l’incident d’Antioche, entre désaccord et hypocrisie). Une annexe revient sur les rapprochements entre le Contre Julien VIII et la Lettre festale XV de Cyrille, invoqués par Markus Vinzent pour dater le Contre Julien d’avant la controverse nestorienne. M.-O. Boulnois admet la portée de ces rapprochements tout en estimant qu’il existe d’autres arguments en faveur d’une datation postérieure au début de la crise nestorienne, notamment à partir de la terminologie christologique, « de sorte, conclut-elle, que la prudence doit encore être observée sur cette question de la datation du Contre Julien » (p. 628).
Comme on le voit, l’intérêt du Contre Julien de Cyrille d’Alexandrie est double : d’une part, il permet de lire dans leur contexte citateur les très nombreux fragments du Contre les Galiléens de l’empereur Julien connus uniquement par Cyrille, d’autre part, le Contre Julien, par-delà la polémique qui l’anime, demeure un ouvrage théologique dans lequel Cyrille développe ses vues sur la Trinité et l’Incarnation, et, dans le cas des livres VIII et IX, sur la signification figurative de la Loi mosaïque et sa valeur pour les chrétiens. On ne peut qu’être reconnaissant à M.-O. Boulnois de poursuivre avec autant de détermination que de compétence la traduction de cette monumentale réfutation du Contre les Galiléens de Julien[24]. Ajoutons en terminant que cette magnifique édition du tome IV du Contre Julien de Cyrille a reçu le prix Germaine-André Lequeux de l’Institut de France en 2022.
Paul-Hubert Poirier
16. David Phillips, Dadisho‘ Qatraya. Commentaire sur le Paradis des Pères. Tome I (Première partie). Introduction, texte critique, traduction et notes. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 626), 2022, 503 p.
17. David Phillips, Dadisho‘ Qatraya. Commentaire sur le Paradis des Pères. Tome II (Deuxième partie, questions 1-178). Texte critique, traduction et notes. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 627), 2023, 569 p.
18. David Phillips, Dadisho‘ Qatraya. Commentaire sur le Paradis des Pères. Tome III (Deuxième partie, questions 179-291). Texte critique, traduction et notes. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 628), 2023, 421 p.
L’introduction du premier tome de cette trologie s’ouvre par l’affirmation selon laquelle « nous ignorons presque tout de la vie de Dadisho‘ Qatraya » (t. I, p. 9). Par son surnom (Qaṭrāyā), nous savons en tout cas que Dadisho‘ (en syriaque ܕܕܝܫܘܥ, Dādišo‘, « l’ami de Jésus ») était originaire du Beth Qatraya, région située sur la côte méridionale du golfe Persique, qui correspond au Qatar actuel et qui fut la patrie de plusieurs écrivains mystiques syriaques importants, dont Isaac de Ninive. En considérant la liste des auteurs que Dadisho‘ cite dans l’oeuvre qui fait l’objet de la présente édition, on a pu établir que sa période d’activité se situe durant la seconde moitié du viie siècle. Au début du xive siècle, ‘Abdisho‘ de Nisibe, dans son catalogue des auteurs syriaques, attribue à Dadisho‘ plusieurs ouvrages dont quatre nous sont connus, au nombre desquels figure le Commentaire sur le Paradis des Pères. Le recueil syriaque connu sous le titre de Paradis des Pères est une compilation résultant de la conjonction de quatre livres, deux dits « de Pallade », un dit « de Jérôme » et une collection d’apophtegmes formant un quatrième ensemble, également mise sous le nom de Pallade. La date de la compilation originelle du Paradis des Pères doit se situer quelque part au vie siècle, et le recueil fit l’objet d’une révision par le lexicographe et commentateur ‘Énanisho‘ dans la seconde moitié du viie siècle. D’après l’auteur de la présente édition, il est loin d’être sûr, comme on le pense généralement, que Dadisho‘ ait commenté la version du Paradis due à la révision de ‘Énanisho‘ (t. I., p. 17-18). Le Commentaire sur le Paradis des Pères de Dadisho‘ est organisé en deux livres ou grandes parties, dont la première, en 108 « questions » adressées par des frères au commentateur, couvre les trois premiers livres du Paradis, désignés par les sigles Pa(llade)1, Pa2 et Pa3 par le présent éditeur, et la seconde, le quatrième livre, Pa4, qui comprend 291 questions. Cette seconde partie comporte elle-même quatorze titres qui en font une collection systématique, suivie par une quinzième section « concernant toutes sortes de vertus ». Le Commentaire nous est parvenu en deux recensions, une version longue et une version courte ou épitomé. Le tome I, aux pages 61 à 80, donne une description des manuscrits des deux recensions, siglés par des majuscules pour les sept témoins de la version longue et par des minuscules pour les deux témoins de la version brève. Le texte syriaque établi par D. Phillips constitue l’editio princeps du Commentaire. Il s’agit d’une édition qualifiée d’éclectique visant à présenter « ce que l’éditeur a estimé être le meilleur texte » (t. I, p. 81). Aucun des manuscrits n’a transmis le tout début de l’oeuvre, que l’on s’accorde à faire commencer par la réponse, déjà en cours, à la deuxième question. La traduction s’efforce de coller au texte syriaque tout en se voulant lisible et compréhensible pour le lecteur. Elle reproduit en gras les sous-titres donnés aux sections par le manuscrit g de la version brève, alors que le texte syriaque correspondant est reporté dans l’apparat de l’édition. Une liste d’une trentaine de termes syriaques explicite ou justifie la traduction française qui en a été retenue (t. I, p. 84-86).
Sur le plan littéraire, le Commentaire sur le Paradis des Pères de Dadisho‘ se présente comme un dialogue qui se déploie selon le plan du Paradis. Dadisho‘, désigné parfois par son nom ou comme « le maître », « l’ancien », « le moine » ou simplement par la mention « il dit », répond aux interrogations des « frères ». Questions et réponses sont de longueur variable. Cette façon de procéder confère au Commentaire un rythme très vif qui conserve l’intérêt du lecteur. Tout aussi remarquable est le contenu des réponses données par Dadisho‘. Comme l’écrit D. Phillips, le but du commentateur est « de fournir à son lectorat une sorte de manuel ou d’encyclopédie de la discipline monastique : son objectif, son champ d’application, ses méthodes et ses adversaires » (t. I, p. 32). Les réponses qu’il donne aux frères se distinguent par leur adéquation aux questions posées, leur clarté, leur richesse sur le plan doctrinal et leur bon sens. Dadisho‘ fait également preuve d’une connaissance approfondie de la tradition théologique et mystique qui l’a précédé. Il se situe dans une perspective christologique résolument diophysite et il cite volontiers le « Bienheureux Interprète », Théodore de Mopsueste, dont il est le témoin d’oeuvres perdues, mais aussi, du côté des auteurs grecs, Évagre le Pontique, Marc le Moine et l’Abba Isaïe, et parmi les représentants de la tradition syro-orientale, les deux Babaï, le Grand et le Petit ou le Scribe, et Barhadbshabba. Étant donné la nature du Paradis des Pères, le Commentaire cite des paroles ou logia d’anciens et des apophtegmes attestés ailleurs, ce qui en fait, entre autres, la richesse et l’intérêt.
Le tome premier de cette trilogie est consacré à l’édition et à la traduction de la première partie du Commentaire sur le Paradis des Pères de Dadisho‘, précédée d’une introduction générale à l’oeuvre, dont nous avons présenté les principaux éléments dans les lignes qui précèdent. Édition et traduction sont suivies de deux appendices. Le premier est une table des logia commentés par Dadisho‘[25]. Le deuxième appendice donne les textes divergents de la première partie du Commentaire qui figurent dans le manuscrit Vat. Sir. 126 9 (h), un des témoins de la version brève.
Le tome II donne l’édition du texte syriaque et la traduction française des questions 1 à 178 de la deuxième partie du Commentaire sur le Paradis des Pères de Dadisho‘, avec, en appendice, l’édition et la traduction des textes divergents dans les manuscrits DQE².
Le tome III contient le reste de la deuxième partie, pour les questions 179 à 291, avec, encore une fois en appendice, l’édition et la traduction des lieux divergents dans les manuscrits DQE². On y trouvera également les index essentiels pour tirer le meilleur profit de cette belle édition : scrip-turaire, thématique, géographique, onomastique, des sources et parallèles, ainsi qu’une brève liste d’errata pour le tome I.
Paul-Hubert Poirier
19. Caroline Macé, Ekkehard Mühlenberg, Michael Muthreich, Christine Wulf, éd., Corpus Dionysiacum III/1. Pseudo-Dionysius Areopagita. Epistola ad Timotheum de morte apostolorum Petri et Pauli. Homilia (BHL 2187). Berlin, Boston, Walter de Gruyter GmbH (coll. « Patristische Texte und Studien », 79), 2021, xiii-651 p.
La « Lettre sur la mort des apôtres Pierre et Paul » est un écrit attribué à Denys l’Aréopagite, un auteur grec à qui l’on doit un ensemble d’écrits connus sous l’appellation de Corpus Dionysiacum — à savoir la Hiérarchie céleste, la Hiérarchie ecclésiastique, les Noms divins, la Théologie mystique et des Lettres. Ce corpus a exercé une influence considérable sur la théologie médiévale et renaissante, jusqu’au xvie siècle, pour la seule raison que son auteur se donnait comme le Denys, membre de l’Aréopage, converti par Paul lors de son passage à Athènes (Ac 17,34), et qu’en conséquence, on y a vu l’expression de la théologie chrétienne de l’âge apostolique. Cette pieuse fiction a été remise en doute dès le vie siècle et elle sera démasquée par Érasme (1521) et par Lorenzo Valla (1526). Les recherches de H. Koch et de J. Stiglmayr ont établi, à la fin du xixe siècle, la dépendance de ce pseudo-Denys par rapport au philosophe néoplatonicien Proclus, le situant ainsi à la fin du ve ou au début du vie siècle. D’autres recherches montreront qu’il doit être postérieur à l’Henotikon de l’empereur Zénon (482) et antérieur à certains auteurs du début du vie qui l’ont utilisé. Salvatore Lilla a commodément rassemblé ce que l’on peut savoir sur le pseudo-Denys, son identité, son oeuvre et sa formation philosophique[26]. L’Epistola de morte apostolorum Petri et Pauli (CPG 6631 ; CANT 197) est à vrai dire une pièce rajoutée au Corpus Dionysiacum et elle fait partie des écrits transmis sous le nom de Denys mais non intégrés au Corpus. Elle ne figure pas, pour cette raison, dans le classique de Maurice de Gandillac, ses Œuvres complètes du Pseudo-Denys l’Aréopagite (Paris, 1943). La Lettre, attribuée à Denys l’Aréopagite et adressée à Timothée, le disciple de l’apôtre Paul, a pour but de légitimer Denys comme héritier du grand apôtre et témoin oculaire de sa décapitation, en le reliant à Timothée, à qui les principaux traités du Corpus étaient fictivement destinés.
Le présent ouvrage, qui prend place dans la troisième section du Corpus Dionysiacum, réservée aux écrits dionysiens étrangers au Corpus, est constitué, dans une première partie, d’une étude exhaustive de tous les témoins de l’Epistola de morte apostolorum Petri et Pauli et de l’édition des versions syriaque, arabe, arménienne, géorgienne, latine et Frühneuhochdeutsch.
La première section et la plus importante de cette première partie comporte tout d’abord huit chapitres introductifs. Dans le premier, une introduction générale, Caroline Macé présente brièvement la situation textuelle de l’écrit. La comparaison des versions montre que le texte est attesté sous deux formes, d’une part, par le syriaque (sigle S)[27], l’arabe (R), dont dépend l’éthiopien (E)[28], et l’arménien (A), et, d’autre part, par le géorgien (G) dont, fait exceptionnel, dépend le latin (L), source, à son tour, d’une version en « haut allemand précoce » (D, Frühneuhochdeutsch). Ces deux formes reflètent un original grec qui, lui-même, a circulé en deux recensions. D’après C. Macé (p. 163, n. 20), la première recension grecque (α) daterait de la fin du ive ou du début du ve siècle, et la seconde (β), du début du viie. La Lettre a également connu une large diffusion au cours du Moyen Âge latin grâce à sa reprise par la Légende dorée. Un plan synoptique des deux versions (SRA et GL), aux p. 8-17, permet de comparer facilement leur organisation et leur contenu respectifs. Le deuxième chapitre, signé par Michael Muthreich, porte sur la version syriaque. Il présente l’édition de Paulin Martin (dans le quatrième volume des Analecta Sacra de J.-B. Pitra, 1883) et les onze manuscrits qui transmettent cette version, dont le plus ancien date du vie siècle et les plus récents, du xxe. Il signale ensuite deux insertions qui figurent dans un seul manuscrit syriaque et sont étrangères à la Lettre, la première, attestée ailleurs, concernant la tête de Paul. Il présente également un stemma (p. 42 et 51) des dix témoins retenus pour l’édition. Également de M. Muthreich, le troisième chapitre porte sur la version arabe. Celle-ci, éditée dès 1900, est connue par soixante manuscrits qui se répartissent en trois groupes, A, B et C, dont les plus anciens remontent aux xiie et xiiie siècle. Tous les manuscrits de la version arabe, sauf un, qui l’a été du syriaque, résultent d’une traduction du grec. Pour l’édition, seuls les manuscrits dérivant du grec et appartenant au groupe A ont été retenus, dans la mesure où ceux-ci ne présentent pas de lacunes et peuvent servir à une reconstitution éventuelle du texte grec original de la Lettre. M. Muthreich s’est également chargé (chapitre 4) d’introduire la version éthiopienne ancienne (gǝ‘ǝz). Éditée pour la première fois et traduite en anglais par E.A.W. Budge dans ses Contendings of the Apostles (Londres, 1899 et 1901), elle est attestée par trente manuscrits, presque tous des recueils de textes relatifs aux apôtres connu sous le titre de « Combats des apôtres ». Contrairement aux autres, la version éthiopienne ne fait l’objet ni d’une édition ni d’une traduction. Éditée à deux reprises, par J.-B. Pitra en 1883 et par Kʽ. Čʽrakʽean en 1904 et traduite en français par Dom Louis Leloir en 1986, la version arménienne fait l’objet d’une présentation détaillée de la part de C. Macé (chapitre 5). Trente manuscrits sont répertoriés. La version arménienne dépend du même type du texte grec que les versions syriaques et arabes, différent de la Vorlage du géorgien et du latin. Divers indices montrent qu’elle doit avoir été produite entre 550 et 750. La comparaison des plus anciens manuscrits a permis d’établir le stemma de la p. 146. C. Macé est pareillement responsable de la présentation de la version géorgienne (chapitre 6), demeurée à ce jour inédite. Elle est attestée par neuf manuscrits, dont trois, y compris l’Iviron géorg. 25[29], datent du xe siècle. La version géorgienne elle-même n’est pas datée mais comme elle figure dans les plus anciens recueils homilétiques ou hagiographiques connus, elle doit être du xe siècle au plus tard, donc antérieure à la traduction du Corpus Dionysiacum en géorgien. Même s’il n’en existe pas de preuves absolues, le modèle de la version géorgienne était, selon toute vraisemblance, grec. Les versions géorgienne et latine sont à ce point proches l’une de l’autre, sur le plan du lexique et de l’ordre des mots, qu’on peut supposer que la seconde dépend de la première (cf. le stemma de la p. 7 et p. 250). Cette version latine fait l’objet, au chapitre 7, de la présentation d’Ekkehard Mühlenberg, pour laquelle il recense quelque 115 manuscrits, regroupés en sept catégories. Il identifie les citations de la Lettre faites par la Legenda aurea (p. 241-243). Le huitième et dernier chapitre de l’introduction, consacré à une version presque complète de la Lettre en Frühneuhochdeutsch, est dû à Christine Wulf. Cette version, qui dépend du latin, n’est attestée que par un seul témoin, un manuscrit de la British Library de la fin du xive siècle.
La deuxième section de la première partie de l’ouvrage est réservée à l’édition des textes : édition synoptique et traduction des versions syriaque et arabe (M. Muthreich), édition et traduction de la version arménienne (C. Macé), édition synoptique et traduction des versions géorgienne (C. Macé) et latine (E. Mühlenberg), transcription, sans traduction, de la version en Frühneuhochdeutsch (C. Wulf).
La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à une homélie latine (BHL, novum supplementum, 2187), un document négligé de la fin du viiie siècle, qui témoigne de la fusion du personnage de Denys, l’évêque martyr de Paris, dont l’activité légendaire se situe au milieu du iiie siècle, avec l’Aréopagite. L’édition et la traduction, par E. Mühlenberg, sont précédées par une étude exhaustive de la tradition manuscrite, 41 manuscrits au total dont le plus ancien est daté de 800/810.
La troisième partie de l’ouvrage consiste en un appendice par Ekkehard Mühlenberg intitulé « L’évêque martyr de Paris Denys et Denys l’Aréopagite. L’histoire d’une relation », un très riche dossier qui en considère toutes les pièces.
L’ouvrage se termine par les index habituels, biblique et des sources, ainsi que par un double répertoire bilingue, géorgien-latin et latin-géorgien, des versions géorgienne et latine, compilé par Caroline Macé. Comme on le voit, si l’Epistola de morte apostolorum Petri et Pauli n’est pas le document le plus important du Corpus Dionysiacum, il a eu droit, de la part des éditeurs à un traitement exemplaire, un véritable modèle pour ce que doit être l’édition d’un texte conservé en plusieurs recensions et en diverses langues.
Paul-Hubert Poirier
Appendices
Notes
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[1]
Même si la présentation de l’ouvrage est dans l’ensemble soignée, il est néanmoins regrettable qu’il soit déparé par un bon nombre de coquilles.
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[2]
En ce qui concernent les volumes déjà parus, le premier, en deux parties, s’attarde à Jérusalem : H.M. Cotton, L. Di Segni, W. Eck, B. Isaac, A. Kushnir-Stein, H. Misgav, J. Price, I. Roll, A. Yardeni, dir., Corpus Inscriptionum Iudaeae/Palaestinae. Volume I/1. Jerusalem : 1-704, Berlin, Boston, W. de Gruyter, 2010 ; et H.M. Cotton, L. Di Segni, W. Eck, B. Isaac, A. Kushnir-Stein, H. Misgav, J. Price, A. Yardeni, dir., Corpus Inscriptionum Iudaeae/Palaestinae. Volume I/2. Jerusalem : 705-1120, Berlin, Boston, W. de Gruyter, 2012 ; le deuxième porte sur Césarée et la région du centre de la côte : W. Ameling, H.M. Cotton, W. Eck, B. Isaac, A. Kushnir-Stein, H. Misgav, J. Price, A. Yardeni, dir., Corpus Inscriptionum Iudaeae/Palaestinae. Volume II. Caesarea and the Middle Coast : 1121-2160, Berlin, Boston, W. de Gruyter, 2011 ; alors que le troisième, recensé dans une précédente chronique (LTP 74, 2 [2018], p. 278-279), se concentre sur les inscriptions trouvées dans la région du sud de la côte : W. Ameling, H.M. Cotton, W. Eck, B. Isaac, A. Kushnir-Stein, H. Misgav, J. Price, A. Yardeni, dir., Corpus Inscriptionum Iudaeae/Palaestinae. Volume III. South Coast : 2161-2648. Berlin, Boston, W. de Gruyter, 2014. Les deux parties du cinquième volume, à paraître en 2023, porteront sur les inscriptions de Galilée.
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[3]
Dédicace, inscriptions funéraires, instrumentum domesticum, res sacrae, documents royaux, etc. Lorsque le nombre et l’éclectisme des inscriptions le justifient, ces catégories sont elles-mêmes subdivisées ; pour instrumentum domesticum par exemple, en amulettes, poids, sceaux de plomb, ostraca, graffiti, etc.
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[4]
Pour ce passage du Stromate III, et celui qui suit, je cite la traduction des « Sources Chrétiennes », vol. 608, 2020, p. 77.
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[5]
La seule autre personne qui aurait eu accès à la lettre est Quentin Quesnel, voir S. Hüller, D.N. Gullotta, « Quentin Quesnell’s Secret Mark Secret. A Report on Quentin Quesnell’s 1983 trip to Jerusalem and his inspection of the Mar Saba Document », Vigiliae Christianae, 71 (2017), p. 353-378.
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[6]
Texte grec de la lettre à Théodore : O. Stählin, U. Treu, Clemens Alexandrinus, IV, 1, Berlin, Akademie-Verlag (coll. « Die griechischen christlichen Schriftsteller der ersten Jahrhunderte », 62), 1980, p. xvii-xviii ; trad. fr. par J.-D. Kaestli, dans F. Bovon, P. Geoltrain, dir., Écrits apocryphes chrétiens, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »), 1997, p. 55-69 ; et par A. Le Boulluec, « La Lettre sur l’“Évangile secret” de Marc et le Quis dives salvetur ? de Clément d’Alexandrie », Apocrypha, 7 (1996), p. 9-26.
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[7]
Sur la controverse, voir en dernier lieu S. Hüller, D.N. Gullotta, « Quentin Quesnell’s Secret Mark Secret », p. 353-378.
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[8]
Dans The Secret Gospel. The Discovery and Interpretation of the Secret Gospel According to Mark, New York, Harper & Row, 1973, p. 5-66.
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[9]
New York, Harper & Row, 1977.
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[10]
P. 54 et 56, H.-Ch. Puech devient successivement Ch. Puech et Ch.-M. Puech.
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[11]
Aux p. 135-136, n. 33-38, les références indiquées doivent renvoyer au troisième volume de King and Saviour : The Ascension of the Apostle and the Heavenly Book (1950), et non au quatrième : The King and the Tree of Life in Ancient Near Eastern Religion (1951), dont il n’est question qu’à partir de la n. 39 de la p. 136.
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[12]
Sur l’interprétation de l’Hymne de la Perle des Actes de Thomas par Geo Widengren, voir P.-H. Poirier, L’Hymne de la Perle des Actes de Thomas, Turnhout, Brepols (coll. « Homo religiosus », Série II, 21), 2021, p. 134-136 et 155-156.
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[13]
Pour les références, voir I. Gardner, « Once More on Mani’s Epistles and Manichaean Letter-writing », Zeitschrift für antikes Christentum, 17 (2013), p. 293.
-
[14]
I. Gardner, W.-P. Funk, « Mani’s Epistles », dans I. Gardner, éd., Kellis Literary Texts, vol. 2, Oxford, Oxbow Books (coll. « Dakhleh Oasis Project : Monograph », 15), 2007, p. 11-93.
-
[15]
Manichéisme. Volume édité par Danny Praet & Michel Tardieu avec la collaboration d’Annelies Lannoy et d’Annunziata di Rienzo, Rome, Academia Belgica-Institut historique belge de Rome-Belgisch Historisch Instituut te Rome/Nino Aragno Editore (coll. « Bibliotheca Cumontiana », Scripta Minora, 6), 2017.
-
[16]
57 (2018), p. 7-116.
-
[17]
Die spätantiken Kanontafeln. Kunstgeschichtliche Studien über die eusebianische Evangelien-Konkordanz in den vier ersten Jahrhunderten ihrer Geschichte, Göteborg, Oskar Isacsons Boktryckeri, 1938, 2 volumes.
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[18]
Un autre ouvrage récent mérite d’être signalé à ce titre, celui de Matthew R. Crawford, The Eusebian Canon Tables. Ordering Textual Knowledge in Late Antiquity (Oxford Early Christian Studies), Oxford, Oxford University Press, 2019.
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[19]
P. 125-126, il faut parler de tradition parallèle syriaque et non syrienne ; p. 177, Praescriptio 6, traduire prouinciarum Britanniarum par « provinces anglaises » est pour le moins anachronique, il fallait écrire « provinces de Bretagne », comme le font d’ailleurs l’introduction (p. 11, 15-16, 18) et l’index (p. 462).
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[20]
Reconstitution du Contre les Galiléens, édition et traduction des fragments : K.J. Neumann, Iuliani Imperatoris librorum contra Christianos quae supersunt, Leipzig, B.G. Teubner (coll. « Scriptorum graecorum qui Christianam impugnaverunt religionem quae supersunt »), 1880 ; et E. Masaracchia, Giuliano Imperatore. Contra Galilaeos. Introduzione, testo critico e traduzione, Rome, Edizioni dell’Ateneo (coll. « Testi e commenti », 9), 1990 ; trad. française : A. Giavatto, R. Muller, Julien l’Empereur. Contre les Galiléens, Paris, Vrin (coll. « Bibliothèque des textes philosophiques »), 2018.
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[21]
Éd. et trad. P. Burguière, P. Évieux, Contre Julien. Tome I. Livres I et II, Paris, Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 322), 1985, p. 106-107.
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[22]
C. Riedweg, Kyrill von Alexandrien. Werke. Erster Band. « Gegen Julian ». Teil 1 : Buch 1-5, Berlin, New York, W. de Gruyter (coll. « Die Griechischen Christlichen Schriftsteller der ersten Jahrhunderte », Neue Folge, 20), 2016 ; W. Kinzig, T. Brüggemann, Kyrill von Alexandrien. Werke. Erster Band. « Gegen Julian ». Teil 2 : Buch 6-10 und Fragmente, Berlin, New York, W. de Gruyter (coll. « Die Griechischen Christlichen Schriftsteller der ersten Jahrhunderte », Neue Folge, 21), 2017, avec les fragments syriaques édités et traduits par Hubert Kaufhold.
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[23]
Signalées par C. Riedweg, Kyrill von Alexandrien. Werke. Erster Band. « Gegen Julian », p. lxxviii et clxxxix-cxc.
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[24]
P. 219, dans l’énumération des manuscrits de la famille ε, le sigle « I », qui désigne le Vaticanus Palatinus graecus 339, est absent de la liste qui précède ; p. 253, ligne 14, lire sans doute : « toute la fixation de ce qui est venu à l’être est réalisée auprès du Père » ; p. 682, lire Leçons de Silvanos ; p. 697 : les fragments 64 et 65 doivent être répertoriés sous le livre VIII et non IX.
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[25]
La façon dont cette table est organisée, limitée aux textes identifiables dans l’édition de Budge et dans laquelle ne figurent pas les logia auxquels Dadisho‘ se réfère, en limite, me semble-t-il, l’utilité.
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[26]
« Denys l’Aréopagite (Pseudo-) », dans R. Goulet, éd., Dictionnaire des philosophes antiques, II, Paris, CNRS Éditions, 1994, p. 727-742.
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[27]
Dans l’ouvrage, les sigles sont en écriture dite gothique (Fraktur) ; nous les reproduisons ici en Times New Roman.
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[28]
Il faut donc corriger dans ce sens le stemma de la p. 7, qui fait dépendre l’éthiopien de l’arménien.
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[29]
Je signale qu’un catalogue des manuscrits géorgiens de l’Iviron a paru récemment : J. Gippert, B. Outtier, S. Kim, Holy Monastery of Iviron. Catalogue of the Georgian Manuscripts, Mount Athos, Ἱερὰ Μονὴ Ἰβήρων, 2022.