Abstracts
Résumé
L’analyse des publications et des textes de conférences du cistercien québécois Yves Girard permet de dégager un thème majeur de sa théologie spirituelle : le désir de l’être, interprété par lui comme un désir de rencontre avec Dieu. C’est un désir inconscient, inscrit dans la structure de l’être par le Créateur qui désire être en relation avec ses créatures. Selon l’auteur, nous possédons déjà ce que nous désirons, une richesse intérieure à laquelle le silence nous donne accès.
Abstract
An analysis of the publications and lectures of Quebecer Cistercian Yves Girard reveals a major theme in his spiritual theology : the being desire he interprets as a desire to encounter God. It is an unconscious desire, inscribed in the structure of being by the Creator, who desires to be in relationship with his creatures. According to the author, we already possess what we desire, an inner wealth that silence gives us access to.
Article body
Introduction
Le thème du désir de l’être abonde depuis longtemps dans la littérature, et pour cause : parler du désir, c’est parler d’un élément constitutif de l’être humain, ce qui intéresse la philosophie et la théologie depuis des siècles. C’est ainsi que le thème du désir se retrouve chez les philosophes anciens, tels Platon, Aristote et Plotin[1], de même que chez les théologiens et les mystiques dans l’histoire de la spiritualité chrétienne, tels l’apôtre Paul, Augustin, Bernard de Clairvaux et Maître Eckhart[2]. Il est tantôt question du désir de l’être, tantôt du désir de Dieu, les deux arrivant parfois à se confondre.
Yves Girard, moine cistercien québécois maintenant âgé de 96 ans, a exploité lui aussi le thème du désir de l’être et du désir de Dieu, autant dans les 17 volumes qu’il a publiés entre 1981 et 2019 que dans le cadre des sessions d’intériorité qu’il a animées un peu partout au Québec. Ses propos spirituels ne sont pas sans avoir été influencés par les philosophes et les théologiens qui ont traité du désir avant lui, notamment Maître Eckhart[3] et son disciple Jean Tauler. Il leur consacre en effet un volume de 334 pages, Lève-toi, resplendis !, qui comprend plus de 600 extraits de leurs textes. Il est possible de cerner l’influence que d’autres auteurs ont pu avoir sur lui à partir du nom de ceux et celles qu’il cite dans ses volumes. Ce sont principalement des mystiques, partiellement des théologiens et des philosophes[4].
Ayant connu la spiritualité que l’Église proposait au début du xxe siècle, Girard a été témoin des importants changements qui ont marqué la population québécoise et les hommes d’Église durant la deuxième moitié du xxe siècle. Un premier changement est sans aucun doute la réforme amorcée par Vatican II pour une plus grande ouverture au monde et à la culture contemporaine. Un deuxième changement, qui a touché spécifiquement le Québec, a trait à la Révolution tranquille qui a contribué à créer un climat de remise en question de la tradition sous tous ses aspects. Dans ce contexte, de nouvelles façons d’interpréter l’héritage religieux ont émergé. Un troisième changement est en lien avec le tournant herméneutique que la théologie a pris dans la deuxième moitié du xxe siècle. Un déplacement s’est opéré dans la théologie, c’est-à-dire « le passage de la théologie comme savoir institué à la théologie comme interprétation plurielle[5] ». Il était alors devenu possible de proposer une « interprétation créatrice du message chrétien[6] ». Même s’il fait partie de la génération silencieuse, qui précède la génération du baby-boom, Girard participe lui-même de cette prise de distance d’une forme de catholicisme, en restant dans l’univers chrétien catholique.
Je me suis donc intéressé à l’oeuvre de ce moine[7] et, particulièrement, à sa façon d’aborder la question du désir de l’être. Dans cet article, je montre que Girard utilise apparemment un double langage sur le désir, à la fois philosophique et théologique (premier point). Ses considérations sur le désir de l’être se clarifient lorsqu’il fait voir que le désir en nous n’est vraiment pas le nôtre, mais celui que nous avons reçu du Créateur (deuxième point). Le désir de l’être s’accompagne d’un malaise, d’une insatisfaction et même d’un tourment ; autant de facettes d’un désir souffrant (troisième point). Le désir de l’être est considéré comme une loi intérieure, semblable à une prédestination. Paradoxalement, la soumission à cette loi intérieure fonde la liberté, une liberté qui doit être confiée à un Autre (quatrième point). Même s’il est contraignant, le désir de l’être est inconscient. Il importe donc d’être à l’écoute de notre désir profond, dans le silence, un désir qui doit nous être révélé (cinquième point). Je peux faire voir, en conclusion de cet article, que Girard adopte une approche multidisciplinaire de la spiritualité, que sa théologie spirituelle constitue une forme d’herméneutique du message évangélique et que la réception de ses propos spirituels peut être difficile pour certains, inspirante pour d’autres.
I. Un double langage sur le désir
D’un côté, les propos de Girard pourraient relever d’une réflexion philosophique à cause de l’utilisation abondante qu’il fait du terme être, qu’il s’agisse, par exemple, du « fond angoissé de notre être », de « notre intensité d’être », du « plus-être » ou de notre « opposition aux poussées de l’être ». Sa réflexion sur le désir a probablement été influencée par la pensée des philosophes existentialistes, comme Gabriel Marcel, chez qui le langage de l’être, le langage du salut et le langage du sens se conjuguent. D’un autre côté, il présente un discours dans lequel se retrouve le vocabulaire traditionnel de la théologie chrétienne (salut, péché, grâce, sainteté, Esprit, etc.). Il amène alors explicitement ceux et celles à qui il s’adresse sur un terrain qui n’est pas celui de la philosophie, affirmant sans ambiguïté que notre être a été façonné par Dieu. Ce n’est pas à l’être dans son acception philosophique qu’il s’intéresse, mais à l’être humain capable d’entrer en relation avec Dieu. Il mentionne, par exemple, que le désir de l’être est « une exigence de rencontre avec le Père de Jésus-Christ », même s’il est inconscient, et que tout dans notre être aspire à « fleurir au soleil de la grâce ». Il rappelle également que l’homme est pure capacité de Dieu, une expression d’Augustin qu’il traduit à sa façon : « L’humain est une béance capable d’engloutir tout l’infini de Dieu[8] ». Son discours sur le désir de l’être, qui pourrait s’apparenter à celui d’un philosophe ou d’un psychologue, est donc un discours sur le désir de Dieu. Quand il parle de la richesse divine présente en nous ou de notre « gloire cachée », nous ne sommes plus sur le terrain de la philosophie ou de la psychologie, mais sur celui de la théologie spirituelle. Inspiré par son interprétation de l’Évangile, il donne un sens chrétien à la réflexion sur le désir de l’être qui, comme tel, n’a pas nécessairement de connotation chrétienne.
II. Un désir créé
Le désir de l’être n’est pas notre désir ; c’est celui que le Créateur a inscrit dans l’être de ses créatures. En ce sens, Girard mentionne que Dieu nous a précédés au coeur de notre être et y a déposé le désir d’être avec lui.
Le désir de Dieu (chez l’humain) […] est comme un effet secondaire de l’emprise de Dieu sur la personne. Ce désir n’est pas un moyen qui te tourne vers Dieu, mais la constatation du fait que Dieu s’est tourné vers toi. À la limite, le désir de Dieu se confond avec le rassasiement de sa présence[9].
Le cistercien explique que notre désir est alimenté par un levain qui nous travaille depuis toujours. Le « depuis toujours » laisse entendre que ledit levain était là à notre naissance, ce qu’il traduit ainsi : « Tu n’es pas le premier occupant de ta maison[10] ». Dès lors, une relation s’est établie avec nous sans que nous le sachions et sans que nous y soyons pour quelque chose. C’est comme si, en nous créant, le Créateur avait déposé dans la structure même de notre être le désir qui ouvre au salut et qui est déjà un salut en gestation. Les points de vue peuvent différer quant à savoir si le désir de salut précède la création, si c’est l’inverse, ou si les deux (création et salut) sont concomitants. Utiliser des termes temporels pour situer l’action de Dieu est forcément inadéquat. Il n’est pas question d’un moment dans le temps où Dieu nous aurait précédés, mais d’une précédence dans l’ordre du salut, une précédence de principe, anhistorique. Cette visite de Dieu dans notre maison avant que nous l’occupions a laissé une empreinte qui engendre en nous « la nostalgie de l’essentiel ».
Si Dieu a déposé en nous le désir de l’être, c’est à cause du désir qu’il a lui-même. Le désir menant vers Dieu dépend du désir chez Dieu. Son désir salvifique explique le désir en nous. L’auteur dit d’ailleurs à propos de Dieu : « C’est lui qui a besoin de toi[11] ». Selon lui, Dieu est victime de son invincible besoin de se donner, notre appétit d’absolu n’étant qu’une conséquence de la nécessité où est Dieu de s’offrir à nous. La faiblesse de Dieu, écrit-il, c’est son indispensable besoin de communion avec nous. Si nous avons besoin d’être en relation avec Dieu pour être nous-mêmes, Dieu a besoin d’être en relation avec nous pour être lui-même.
La création, qui est salut continu, requiert la participation de l’individu. Il ne s’agit pas d’une participation active à la création, dans le sens de la construction d’un monde nouveau dans laquelle l’individu serait le maître d’oeuvre, mais d’une participation passive : se livrer à une création qui s’opère en nous, sans nous. La réalité nouvelle, dit Girard, c’est celle qui est en gestation au fond de l’être et qui nourrit le désir de l’être. Il souligne que le défi de l’âge adulte consiste à « livrer (son) être sans défense au loisir pacifiant d’une création continue, à l’ivresse imméritée d’un accueil sans condition[12] ».
La présence du bien convoité
Girard affirme que, dans l’ordre spirituel, nous ne pouvons désirer que ce que nous possédons déjà. Il estime que le véritable désir de quelque chose est la révélation qu’on le porte en soi. Selon lui, le manque révèle les traces d’une présence. Le désir qui nous travaille n’est que la manifestation d’un don caché qui nous nourrit déjà. Nous avons alors besoin d’être éveillés, dit-il, pour prendre conscience que notre désir ne fait que mettre en lumière un bien que nous possédons. Il ne s’agit pas d’une richesse à recevoir, mais d’une richesse qui est déjà là, qui nous appartient. Cette situation est semblable à celle qui attendait le Prodigue à son retour, lui qui a pu prendre conscience de ce qui lui appartenait déjà.
Dans l’ordre des biens matériels, nous manquons de ce qui excite notre convoitise ; mais dans l’ordre des biens spirituels, je n’ai soif que de l’eau que je possède effectivement. Là, mon désir n’est pas suscité par une privation, mais par la présence en moi du bien que je convoite. Mon désir n’est pas une condition, il est une révélation. Voilà l’expérience inespérée qui m’est faite quand je suis tourmenté par le désir de lumière[13].
Deux objections viennent immédiatement à l’esprit au sujet de la présence du bien convoité. La première : nous désirons habituellement ce qui nous manque, dans le sens que notre désir se porte vers ce dont nous sommes privés. La deuxième est soutenue par le philosophe Federico Lauria. À la question « Peut-on désirer ce qu’on possède déjà ? », il répond ceci :
Merci beaucoup pour cette excellente question qui a fasciné de nombreuses figures de l’histoire de la philosophie, de Platon à Jean-Paul Sartre, en passant par Thomas d’Aquin, René Descartes, John Locke ou Thomas Hobbes. Tous considèrent que la réponse à cette question est négative : l’on ne peut désirer ce que l’on possède déjà ou, pour reformuler la même idée, l’on ne peut posséder ce qui est déjà réel[14].
Par contre, le philosophe Nicolas Bouteloup, qui commente une citation d’Augustin (« Le bonheur, c’est de continuer à désirer ce que l’on possède ») va sensiblement dans le même sens que Girard. Il estime que, « pour être heureux, il ne faut pas se satisfaire de tous ses désirs, ni s’arrêter de désirer, mais plutôt parvenir à désirer ce qu’on possède déjà[15] ».
En spiritualité chrétienne, le manque, tourné vers un besoin à satisfaire dans l’immédiat, fait place au désir, qui n’est jamais comblé. La vocation du désir, écrit Girard, n’est pas d’être exaucé, mais de gagner en profondeur et en intensité. D’où la nécessaire distinction entre besoin et désir[16]. Dieu ne répond pas nécessairement au besoin humain. Il répond au désir qu’il a lui-même implanté dans le coeur de la personne.
Alors que pour certains, comme Bernard Olivera, « l’espérance, c’est le désir qui nous pousse vers l’avenir[17] », Girard associe plutôt le désir à l’espérance non pas de ce qui est à venir, mais de ce qui est déjà là, et ce, dans la mesure où le désir est spirituel.
L’espérance n’est pas un simple sentiment de réconfort à la pensée qu’une réussite est là quelque part pour toi. Surprise ! l’espérance n’est pas un acte qui porte sur l’avenir. L’espérance parvenue à pleine maturité est moins une « tension vers » qu’un « repos dans ». L’espérance n’est qu’un reflet de ce que tu vis déjà. Dans l’ordre normal des choses, il est pénible de devoir être séparé de ce que tu convoites. Mais dans la mesure où ton désir se spiritualise, il s’identifie à ce que tu es. « Espérer, c’est être »[18].
C’est situer l’eschatologie — entendue comme l’ultime destinée du genre humain — non pas dans un temps à venir, mais dans ce qui se réalise dans notre existence. C’est le désir de ce que nous possédons déjà, le désir d’une « gloire voilée », déjà réalisée. « Ma gloire n’est pas un trésor à venir », écrit Girard, « elle est là, en moi, immuable, comme celle de Dieu, et j’ai part à sa nature[19] ».
III. Le désir souffrant
Le désir de l’être est décrit par Girard comme l’inassouvissement latent caché au fond de nous. C’est une forme de souffrance qui ne correspond pas à celle causée par des désirs ou des caprices non réalisés, mais à celle qui vient de la profondeur de l’être. C’est une sorte de nostalgie qui persiste malgré la réussite de nos plus beaux rêves. Plus qu’une nostalgie, c’est un tourment. Voici pourquoi il mentionne à ceux et celles à qui il s’adresse qu’ils sont des tourmentés de la vie et, comme tels, des contemplatifs au vrai sens du terme, selon la définition qu’il en donne. Le tourment dans la vie contemplative, Girard l’associe à la vivacité de l’attente, l’intensité du désir et le malaise de l’inaccomplissement. Il considère d’ailleurs l’expérience mystique comme la prise de conscience d’un malaise indéfinissable, le sentiment de manquer de l’essentiel. S’il considère les contemplatifs comme des tourmentés, leur tourment est vu comme une chance parce que c’est en étant tourmentés qu’ils pourront accéder à eux-mêmes. Leurs attentes seront comblées à la mesure de la soif qui les tourmente.
Lorsque nous ne répondons pas au « vouloir de l’être », nous sommes envahis par la désolation et le découragement, souligne l’auteur. Malheureusement, notre soif spirituelle ne disparaîtra pas même si nous n’en tenons pas compte. Somme toute, nous n’avons pas le choix : la vie ne nous lâchera pas aussi longtemps que nous n’aurons pas consenti à laisser se dégager ce qui est caché au fond de notre être.
Tu devras goûter à la déception amère des perpétuels recommencements et savourer une singulière dose d’amertume avant de consentir à orienter ta quête dans une autre direction. […] L’heure de la délivrance va sonner quand tu auras le courage de donner raison à la vérité de tes racines, elles qui, de mille façons, te répètent que tu es en manque de toi-même[20].
Lorsqu’il est question du « mal de l’être », il s’agit du malaise résultant du non-respect de notre loi interne, un malaise qui sourd de notre intérieur et qui vient transformer en amertume toutes nos convoitises humaines aussi bien que spirituelles. Selon l’auteur, « plus nous résistons à notre loi interne, plus la douleur vient nous dire que nous sommes maladroits dans notre propre genèse[21] ». Le pécheur — celui qui ne marche pas conformément aux lois de son être — établit alors une relation conflictuelle avec lui-même. Il a besoin d’être sauvé de ce qui l’empêche de s’accomplir.
Les martyrs d’aujourd’hui
Dans ses considérations sur les contemplatifs, Girard parle de la souffrance liée au désir. L’autre facette de la souffrance est celle du désir chez les souffrants. Il voit les blessés de la vie comme les « martyrs d’aujourd’hui », eux qui sont dissociés de l’appel inscrit au coeur de leur être.
Il est une forme de martyre que l’Esprit du Seigneur invente chaque jour, un martyre nouveau qui n’a jamais existé auparavant et auquel il nous invite avec insistance. Ce martyre nouveau est déjà au milieu de nous, et il importe au plus haut point de savoir le lire dans la vie de tous ceux qui souffrent, et qui souffrent par suite de leurs erreurs, comme l’ont expérimenté le Prodigue et la Prostituée de l’Évangile ; ce martyre nouveau, il est urgent de le reconnaître dans notre propre vie, condition essentielle pour être en mesure de le discerner dans la souffrance des autres[22].
Le qualificatif martyr est habituellement attribué aux personnes qui témoignent de leur foi en subissant une souffrance physique. En ce qui concerne ceux que Girard désigne comme les martyrs d’aujourd’hui, ils ne veulent pas toujours témoigner de leur foi — ils ne sont peut-être même pas religieux — et cherchent même à éviter leurs souffrances, qui ne sont pas nécessairement des souffrances physiques. Il estime que leur martyre est l’équivalent de celui de sainte Agathe et de sainte Agnès. Cette comparaison demande explication. Ces deux saintes sont reconnues comme vierges et martyres par l’Église catholique[23]. De toute évidence, il ne s’agit pas du même martyre que celui des marginaux. Le contexte de leur souffrance est différent, mais l’intensité de la souffrance est semblable ; c’est ce sur quoi Girard veut insister. Les vierges et martyres ont souffert intensément au nom de leur désir conscient ; les marginaux souffrent tout aussi intensément à cause de leur désir (pas nécessairement conscient).
Girard estime que la souffrance du désir est nécessaire ; elle a la mission de nous ramener à nous-mêmes. « Il nous faut avoir connu le malaise salutaire du vide existentiel pour être en mesure de nous ouvrir à l’impossible message[24] ». La souffrance est ainsi présentée comme un passage incontournable avant d’accueillir le salut : « Tu ne pourras entrer chez toi avant d’avoir été éveillé à la troublante intensité de la soif [25] ! » C’est la souffrance qui peut nous éveiller à la profondeur du désir en nous. La profondeur de la désolation indique la profondeur de « l’appétit de vérité ». Le cheminement spirituel est comparé par l’auteur à un enfantement qui se fait dans la souffrance, laquelle est annonciatrice d’une naissance attendue. « C’est l’apparition des douleurs en nous qui nous laissent entendre que notre enfant s’apprête à venir au monde et que nous apercevrons bientôt son visage[26] ».
IV. Un désir comme une loi intérieure
En lien avec le désir de l’être, Girard utilise abondamment des termes s’apparentant à une législation ou une codification. Il parle, par exemple, de la loi qui a cours en nous, de la loi de l’être, de notre code intérieur, etc. Il ne s’agit pas d’une prescription externe à ne pas enfreindre. C’est une loi intérieure qui se rattache cependant à quelque chose hors de soi : « La loi de ton évolution, inscrite au fond de toi, exige que tu livres passage à une force venue d’en haut, qui te pousse au-delà des exigences de ton être[27] ». Il s’agit plus qu’une invitation à se soumettre aux lois profondes de la vie inscrites en nous par le Créateur ; c’est une exigence : « Dieu a déposé en toi cette exigence de devoir communier à tout son être[28] ». L’auteur ne souligne toutefois pas suffisamment la différence entre le désir ontologique de Dieu et le désir vécu dans la dynamique du croyant, un désir qui peut s’inscrire en lui progressivement, selon un cheminement historique.
Les commandements de Dieu, aux yeux de l’auteur, correspondent à la « loi de la vie ». Il considère qu’ils nous ont été donnés parce qu’ils nous régissaient depuis toujours. Ils ne viennent pas s’ajouter aux désirs humains ; ils viennent révéler l’humain à lui-même, en tant qu’il est appelé à une vie relationnelle avec Dieu. La Révélation ne serait là que pour donner raison à notre inconscient désir. Le commandement de l’être et les commandements de Dieu se rejoignent. Girard estime que le seul commandement que Dieu nous impose est d’oeuvrer à notre épanouissement. C’est le sens qu’il donne aux commandements dans la Bible : « L’Écriture elle-même et la multitude des témoins qui t’ont précédé ne sont là que pour suppléer à ton manque d’écoute de ton propre intérieur[29] ». Chez lui, le désir de l’être est vu comme une invitation pressante à l’amour, « la seule loi de l’être ».
Quand il t’est demandé d’aimer, tu perçois cette recommandation comme un devoir qui te serait imposé, et non pas comme une aspiration qui demande à jaillir de ton propre fond. Quand tu acceptes d’aimer, tu ne réponds pas à une invitation : tu ne fais que consentir à un besoin que tu portes en toi. Et quand Dieu te demande d’aimer, son invitation se borne à respecter le meilleur qui se vit en toi[30].
1. Une prédestination
Les propos de Girard sur le désir de l’être pourraient faire penser à une prédestination[31]. De fait, il mentionne de différentes façons que tout a été prévu. Il écrit : « Ce n’est pas toi qui as choisi ta vie[32] », ce qui laisse entendre que le choix est déjà fait par quelqu’un d’autre. Il aurait pu citer l’apôtre Paul : « Il nous a élus en lui, dès avant la création du monde. […] déterminant d’avance que nous serions pour Lui des fils adoptifs par Jésus Christ » (Ep 1,4-5). Ainsi, l’individu peut difficilement s’opposer à la dynamique de son désir et refuser ce qu’il est, un élu. Dans Aubes et lumières[33], lorsque l’accompagné explique qu’il est continuellement habité par ce désir de l’absolu, l’accompagnateur fait référence au plan de Dieu en citant Ep 1,11 : « C’est en lui que nous avons été mis à part, selon le plan préétabli de celui qui mène toutes choses au gré de sa volonté ».
Il s’agit moins d’une prédestination que d’un appel, « l’appel de l’être », considéré par l’auteur comme une annonciation. Selon lui, nous avons à revivre ce qu’a vécu Marie à qui une « stupéfiante annonciation » a été faite. Son désir lui a été annoncé. Il la voit comme une splendide image de ce qui doit aussi se produire en nous.
La Vierge, telle qu’elle m’est présentée par la Tradition de l’Église, est moins d’abord une réalité objective qui existerait en elle-même — même si elle existe bien réellement — qu’une incarnation nécessaire de tout ce qui dort en moi et attend d’être reconnu, qui veut vivre et qui exige de se dire. […] La réalité de la Vierge n’est pas d’abord « pour » moi, elle est avant tout « signe de moi ». […] Le rôle « irremplaçable » de la Vierge est de me conduire à mon propre mystère[34].
Marie a été appelée par le désir qui faisait partie de son être. Elle a répondu librement (« Qu’il me soit fait selon votre parole ») à l’appel intérieur qui lui a été adressé. Sa réponse, selon l’auteur, modélise pour les chrétiens la réponse au désir, nous qui sommes le lieu d’une éternelle annonciation.
Ainsi que pour la Vierge, ce que nous sommes appelés à mettre au monde est plus grand que ce que nous sommes. Et pour que tout s’accomplisse, il suffit que nous nous prêtions au mouvement de la vie[35].
2. La liberté dans la soumission
Le fait d’être prédestinés soulève indirectement le rapport entre la grâce et la liberté. D’une part, Girard affirme à plusieurs reprises que la grâce est offerte. C’est un don absolument gratuit que nous avons à accueillir. Il n’est pas question de contrainte. D’autre part, ce qui est offert est contraignant : « Il te faut devenir le prisonnier de son vouloir ». Il est question de l’envahissement[36] de la grâce devant laquelle nous n’avons apparemment plus de liberté : « Tôt ou tard, […] vous allez être obligé […] de subir cette libération pour entrer dans la plénitude de vie[37] ». Quand l’Amour nous envahit, dit-il, nous ne sommes plus libres de répondre oui ou non ; nous n’avons plus la liberté à ce moment-là. Ainsi, la personne n’a pas vraiment le choix de réagir favorablement aux appels de la grâce ; ce serait aller à l’encontre de ce qu’elle est que de ne pas le faire.
Tu seras toujours libre de refuser, mais ce geste de refus va engendrer en toi une souffrance plus grande encore que celle dont tu veux t’affranchir, et surtout, plus désespérante que l’exigence de dépassement à laquelle tu es sans cesse convoqué. […] Tu es partie prenante d’une réalité qui te pousse au-delà de toi-même. C’est là ton destin sublime, et, je dirais mieux, l’obligation où tu es de connaître et d’expérimenter un bonheur fait à la mesure du bonheur même de Dieu[38].
Pourtant, la liberté fait partie de la condition humaine. Il semble étonnant que Girard puisse affirmer qu’elle disparaît devant la grâce. La soumission au désir de l’être — un désir créé par grâce — paraît être le chemin de la liberté, comprise comme « cet accord et cette harmonie de notre être conscient avec les lois profondes qui sont inscrites en nous[39] ». Aux yeux de l’auteur, la soumission devient même la conséquence de l’autonomie : « Plus tu deviendras autonome, plus tu aspireras à la soumission[40] ». Aussi paradoxal que cela puisse paraître, selon lui, nous ne pouvons connaître la liberté qu’en étant prisonniers d’un grand amour, « prisonniers de la loi nouvelle ». Notre coeur serait bâti pour être « enchaîné dans la liberté par l’amour ». Se refuser à l’obéissance serait nier la loi fondamentale de notre être. Si Dieu nous fait un devoir d’obéir, dit-il, ce n’est pas parce qu’il aurait besoin de notre obéissance, c’est uniquement parce que l’obéissance de l’amour est la première loi de notre être.
La liberté ne se limite pas à la soumission. Selon l’interprétation de Girard, elle consiste à laisser l’Autre décider à notre place, ce qu’on retrouve dans la prière d’Ignace de Loyola[41] et dans celle de Charles de Foucault[42]. Il considère que la personne n’est jamais aussi libre que lorsqu’elle offre sa liberté, une apparente aliénation qui engendre la liberté. Toutefois, l’offrande de notre liberté ne nous appartient pas. La Sagesse seule peut susciter en nous le besoin de remettre notre liberté entre ses mains, dit-il. C’est « la grâce de la liberté ». Robert Mager pose d’ailleurs la relation entre Dieu et l’humain en termes de grâce : une gratuité de la part de Dieu, mais aussi une gratuité de la réponse humaine. Il voit le salut comme « l’établissement d’une relation gracieuse, où Dieu et l’être humain s’accordent dans le monde[43] ».
La relation entre la grâce et la liberté était au coeur de la querelle qui a opposé, entre autres, Pélage et Augustin. L’un (Pélage) faisait valoir qu’il n’y a pas de libre arbitre si l’aide de Dieu est nécessaire ; l’autre (Augustin) défendait la nécessité d’une telle aide sous la forme de la grâce qui accompagne le libre arbitre. Girard n’envisage pas la relation entre la grâce et la liberté sous le même angle. Pour lui, la grâce agit sans que nous l’ayons méritée, et même sans que nous soyons disposés à la recevoir. Tout ce qui nous revient, c’est de l’accueillir et de l’accepter. Il ne s’attarde pas à discuter de la liberté comme libre arbitre — la faculté par laquelle l’homme dispose de lui-même dans l’autonomie — mais de la liberté comme faculté de réalisation de soi dans la disponibilité et l’ouverture à Dieu. Pour lui, la liberté n’est pas tant la possibilité de dire oui ou non à Dieu que la possibilité de dire oui à Dieu. La liberté devient le consentement à la grâce, ce qui se fait dans la foi, là où s’estompe le problème rationnellement insurmontable de la relation entre la liberté et la grâce. Il considère d’ailleurs l’acte de foi comme une réponse consentante à une loi profonde de tout être humain. « Croire, c’est être simplement docile à ce qui monte de plus limpide à partir de ton propre fond[44] ». Avancer dans la foi, selon lui, n’est rien d’autre que se soumettre à sa propre législation intérieure.
V. Un désir inconscient
Girard utilise plusieurs expressions pour décrire le désir de l’être. Il parle d’un « instinct secret », d’un « appétit foncier », d’un « manque à être », d’une « soif inassouvie », d’une « nostalgie », d’un « indéfinissable appel », etc. Toutes ces expressions, qui font appel à des sensations et des sentiments différents, ont ceci en commun qu’elles expriment un lien plus ou moins conscient avec quelque chose d’autre que soi, et de plus grand que soi, même si cette autre chose est à l’intérieur de soi.
Malheureusement, dit-il, nous ne pouvons pas évaluer le désir que nous portons parce que nous ne nous connaissons pas nous-mêmes dans l’essentiel de notre être. Nous sommes distraits de nous-mêmes. Nous sommes des pèlerins qui ont perdu leur chemin. La connaissance de soi dont il parle déborde le précepte socratique. Il dit expressément à ce sujet : « Le “Connais-toi toi-même” de la sagesse antique demeure une bien maigre pitance sans la lumière de la Révélation[45] ». Nous devons être sensibilisés à ce qui dort en nous, à notre « intensité d’être ». Il qualifie d’alarmante pauvreté le fait de « respirer librement dans l’inconscience de notre manque à être ». Chez lui, le terme pauvreté s’applique à tous ceux-là qui ne sont manifestement pas éveillés aux avances de l’absolu. Selon lui, « nous vivons à la surface de nous-mêmes, inconscients des mécanismes profonds qui nous régissent[46] ». Comme pour l’enfant prodigue, mentionne-t-il, ce sera un jour la surprise de notre vie de découvrir à quel point nous avons été des affamés d’infini et d’absolu, et ce, jusque dans nos pires égarements.
Ton désir informulé est de te voir introduit dans cette partie de ton être que tu n’as jamais visitée. […] Pendant que tu t’agites autour des problèmes de l’heure, le plus grave de tous les drames a cours en toi ! Quand un jour nouveau émergera du fond de ta conscience, tu t’écrieras : « J’étais fait pour le bonheur et je l’ignorais ! J’ai toujours vécu à la périphérie de mon être pendant que mon centre m’attendait »[47].
Cette aptitude à soupçonner les harmonies de notre être avec celui à l’image de qui nous avons été créés est considérée par Girard comme le début du véritable cheminement spirituel. Prendre conscience de soi n’est pas qu’une invitation. Il y voit une nécessité : « Tu es contraint d’évoluer vers l’intérieur[48] ». L’auteur mentionne que le douloureux cheminement de toute une vie ne sera pas de trop pour connaître la véritable nature de notre désir et en mesurer la profondeur. D’une certaine façon, c’est le désir lui-même qui peut nous éveiller : « Il faudra qu’un immense désir vienne nous ouvrir le coeur pour nous éveiller à la présence d’un bien dont nous ignorons la nature, mais dont l’absence nous fait souffrir[49] ».
Girard considère que nous ne pouvons pas rejoindre seuls notre centre. Et pour cause, il s’agit d’un mystère qui ne nous appartient pas et sur lequel nous n’avons aucun pouvoir. Il souligne alors la nécessité de l’intervention de l’Esprit pour éclairer notre désir. La prise de conscience à la fois du désir qui nous tenaille et du péché qui entrave notre accomplissement requiert son action. Il invite donc à laisser toute la place à l’Esprit, qui vient bien souvent bouleverser nos routes et nos valeurs. La conversion qui nous sauve est celle que l’Esprit réalise lorsque nous désespérons de nous-mêmes. C’est lui qui convertit notre désir. Nous n’avons pas à prier, mais à écouter le désir ou les gémissements de l’Esprit qui prie en nous.
Nous serons condamnés à vivre comme des esclaves, rivés à une multitude de dépendances, aussi longtemps que nous n’aurons pas assisté à l’irruption dans notre champ de conscience de ce que l’Esprit a semé en nous depuis les origines. Nous nous sommes estimés capables de choisir le régime qui nous convenait, mais jamais ce à quoi nous pouvons rêver n’arrivera à rassasier notre appétit de bonheur[50].
Nous ne pouvons pas prendre conscience de ce que nous sommes par nos interventions, au moyen de notre intelligence ou de notre volonté. Dans le Royaume, dit l’auteur, nous ne comprenons pas avec l’intelligence, mais avec le coeur. Selon lui, les saints ont été bouleversés quand l’Esprit s’est substitué à leur intelligence et à leur volonté pour les conduire par ses voies à lui. « Faire pleine et entière confiance à ces “levées de désirs” que la raison n’a pas eu le temps de passer au crible dévastateur de ses paramètres endurcis exige un abandon aveugle à des forces qui ne disposent d’aucune pièce à conviction[51] ». Il souligne que Dieu aime nous laisser dans une demi-clarté pour que nous apprenions à faire confiance.
1. À l’écoute du silence de vie
S’il y a un effort à fournir dans la prise de conscience du désir, c’est celui de demeurer bien attentif à la manière dont Dieu surgit dans notre champ de conscience. Le cistercien invite ainsi les participants aux sessions d’intériorité qu’il anime à entrer dans un état qui leur permet de mieux entendre les « appels informulés » qui montent en eux. La rencontre avec la Lumière[52] dépend d’une qualité d’attention portée aux plus infimes mouvements de vie qui se manifestent au fond de l’être. Cette attention silencieuse est, selon lui, plus riche et féconde que toutes les démarches antérieures que nous avons pu faire. Dans Aubes et lumières, l’accompagné parle d’une invitation de plus en plus pressante à faire silence, silence des mouvements, des paroles et même des pensées pour être en présence de Dieu. Pour prendre conscience à la fois de notre insatisfaction et de notre désir d’être, l’auteur voit la nécessité d’écouter « l’immense désolation qui dort dans nos couches profondes ». Il faut être en mesure de décoder de notre souffrance « le langage de notre être en devenir de sa propre substance ». Cet effort d’attention, qui semble indispensable pour avoir accès à notre richesse intérieure, est toutefois exigeant, il en convient, car le silence nous oblige à naître à nous-mêmes. Cette naissance demande un effort semblable à un enfantement, qui se fait dans la souffrance.
L’auteur ne propose cependant pas une technique de méditation qui amènerait la personne à s’imposer un silence en fournissant un effort. Il invite plutôt à s’enfoncer au coeur du silence et se mettre à l’écoute de ce silence de Dieu qui se dit mystérieusement au fond de nous. Il ne s’agit donc pas d’une écoute de soi, comme une introspection, mais de l’écoute d’un Autre. C’est un silence à découvrir, un silence « qui vous surprend, qui s’impose à vous à partir du fond même de votre être ». Au fond de nous, écrit l’auteur, il est un « langage qui se dit à l’oreille de notre coeur ». Il qualifie ce langage de « toucher intérieur » qui se situe au niveau de l’être. Ce sont là des formulations qui appartiennent au langage mystique, lequel ne prétend pas dire la réalité, mais la suggérer. Dominique Salin considère que « le langage poétique […] est plus approprié pour parler de l’Être, de la “réalité”, que le discours onto-théologique[53] ». Selon lui, le mystique semble trouver dans la poésie « une langue apte à dire ou à suggérer ce qui ne pourrait être dit par le discours conceptuel[54] ».
Le silence auquel Girard fait référence correspond à un « silence de vie » qui n’est rien d’autre, explique-t-il, que la présence à notre mystère. Pour l’accompagnateur, dans Aubes et lumières, le silence n’est pas d’abord une absence de paroles, mais une « présence de vie » qui est déjà là et qui nous attend ; il s’agit de la découvrir. L’auteur prend l’exemple des amoureux qui passent de la parole à la communion en se livrant l’un à l’autre, au moment où les mots deviennent inutiles. Leur silence parle ! Ainsi, le silence de vie est décrit comme celui où tout l’être se livre. C’est, dit l’auteur, le plus puissant des langages. Une fois installés dans la plus belle partie de nous-mêmes, nous pouvons ensuite faire goûter aux autres le bonheur qu’il peut y avoir à se laisser gagner par « le baiser de la lumière ». Dans la vie courante, il faut s’éloigner des autres pour goûter au silence. Le silence de vie, au contraire, appelle la présence de l’autre. Cette relation aux autres est présentée comme un devoir : « Tu te dois d’éveiller l’autre à son véritable désir : l’inconditionnelle tendresse du Père[55] ».
2. Un désir révélé
Le désir inconscient dont parle le cistercien n’est pas le désir naturel de Dieu[56], qui ne tient pas compte d’une donnée structurante de la foi chrétienne : la Révélation. Notre désir est un désir révélé, qui ne fait pas référence au « Dieu inconscient » dont parle Viktor E. Frankl, même si ce dernier écrit que « Dieu est toujours inconsciemment l’objet de notre aspiration, que nous avons toujours, bien qu’inconsciente, une relation intentionnelle avec Dieu[57] ». La spécificité chrétienne du désir, en tant que désir révélé, ne fait pas partie de l’approche psychologique du désir. Le désir d’être en relation avec Dieu n’est pas le résultat de ce que nous pourrions découvrir par nous-mêmes. Nous en sommes incapables. Le vrai désir de l’être doit être révélé, car il déborde le champ de la conscience. Girard souligne que nous sommes si inconscients de la qualité de notre désir que, le jour où il nous sera révélé, nous nous demanderons si cet appel vient bien de nos racines, ou s’il n’est pas un simple mirage. Nous n’avons pas seulement besoin d’être éveillés à nous-mêmes, mais d’être révélés à nous-mêmes.
Un jour, il nous faudra assister à la révélation de notre désir, pour apprendre à vivre en accord avec nous-mêmes. Il est, en effet, une forme de conversion à laquelle nous n’avons pas encore été sensibilisés : la conversion de notre désir[58].
L’auteur parle et écrit comme quelqu’un qui révèle à ceux et à celles à qui il s’adresse qui ils sont et ce dont ils ont vraiment besoin. Il cherche à leur faire voir que leur malaise est signe d’un appel venant des profondeurs de l’être. Selon lui, il existe une zone de notre être qui ne nous a pas encore été révélée. C’est ce dont il est question lorsqu’il parle de « l’appétit qui dort en toi », du « désir obscur » ou des « zones ignorées » de notre être dont il veut faire prendre conscience. La personne n’a pas pleine conscience des mécanismes qui sont déjà à l’oeuvre en elle, même si elle soupçonne des choses. Elle a un « vague appétit d’absolu ». Il lui faut une révélation, comme dans le cas du Prodigue. C’est le père du perdu qui devait révéler à ce dernier la sorte de pain dont il avait besoin. Selon Girard, la connaissance que nous pouvons avoir avec nous-mêmes est limitée. Ce que nous désirons profondément nous est caché. Il faut être « visités par notre désir » pour le connaître. Notre désir inconscient doit nous être révélé. « La Parole […] viendra te révéler ce qui, déjà, “en toi”, s’est accompli “sans toi”[59] ».
Conclusion
Le thème du désir de l’être sous-tend toute l’oeuvre de Girard. J’ai montré qu’il en parle en utilisant des termes reliés à la philosophie et à la psychologie, en soulignant que c’est un désir créé, qui traduit le désir de salut chez le Créateur. C’est toutefois un désir souffrant qui exige le dépouillement de soi. C’est en même temps un désir soumis à une loi intérieure, celle de s’ouvrir à un plus grand bonheur, comme si nous y étions prédestinés. Face à cette loi, la liberté ne se trouve pas dans la rébellion, mais dans la soumission au désir de l’Esprit. Puisque notre désir est inconscient, il importe d’être à l’écoute de ce qui se dit à l’intérieur de nous. Cependant, nous ne pouvons pas en prendre conscience par nous-mêmes. La profondeur de notre désir doit nous être révélée.
1. Une approche multidisciplinaire
Le discours de l’auteur est à la fois philosophique, psychologique et anthropologique. Il dit d’ailleurs lui-même : « Je suis à me demander si, en vous disant tout cela, c’est un traité de psychologie, de philosophie ontologique ou un traité de vie monastique que je suis en train de vous donner[60] ». À certains égards, son discours est en partie philosophique. À l’instar de Bernard de Clairvaux, une figure dominante de son Ordre, il fait de la mystique une philosophie, et de la philosophie une mystique[61]. Selon le philosophe Ysabel de Andia, « certains mystiques […] ont recours à la philosophie pour dire leur expérience mystique[62] ». Girard donne l’impression de faire une lecture existentialiste du christianisme, ayant possiblement été influencé par la valorisation du sujet dans le courant philosophique qui a eu cours au milieu du xxe siècle[63].
Son discours est aussi psychologique. À certains moments, l’interprétation qu’il fait des textes évangéliques semble faire appel à l’intériorité psychologique. Nous pouvons alors nous demander s’il réussit à « éviter l’écueil d’une démarche à coloration purement psychologique[64] », ce qu’il dit pourtant chercher à faire. Il fait pourtant souvent référence au conscient et à l’inconscient[65]. Dominique Salin fait remarquer que les mots traditionnels de passivité, d’abandon, de fond de l’âme, des termes utilisés par Girard, « renvoient de plus en plus à une expérience psychologique[66] ». Il considère que la théologie spirituelle « mélange un langage ontologique et un langage psychologique. Plus précisément, elle utilise encore un langage ontologique, mais en lui donnant un sens psychologique[67] ».
Philosophique et psychologique, son discours ressemble également à une anthropologie spirituelle. En effet, lorsqu’il parle du désir de l’être comme un manque, une soif, une aspiration, ce sont là des termes qui traduisent une approche de la vie spirituelle dont les assises sont d’abord anthropologiques. Marie-Line Morin mentionne que parler d’anthropologie spirituelle, « c’est parler d’une théologie dont la perspective est d’éclairer le cheminement des personnes en quête de Dieu en empruntant et en intégrant des données psychologiques utiles et nécessaires à cet effet[68] ». C’est une approche que valorise Sandra M. Schneiders. Selon elle, l’approche anthropologique « met l’accent sur l’interprétation de l’expérience religieuse chrétienne dans un cadre qui est plus en mesure que les approches historiques et théologiques d’apporter des réponses aux questions contemporaines[69] ». Micheline Gagnon considère l’anthropologie spirituelle comme « une voie incontournable de la quête spirituelle contemporaine[70] ». Selon Yves Ledure, « il faut poser le problème de Dieu, de la religion à partir de l’homme, comme une détermination anthropologique et non son déterminant originaire préalable[71] ».
Si les propos de Girard se rattachent à l’anthropologie spirituelle, il s’agit d’une anthropologie spirituelle chrétienne, laquelle « met en corrélation le sujet en quête de sens et de spiritualité avec le témoignage de foi des chrétiennes et des chrétiens qui ont rencontré Jésus de Nazareth, le Crucifié-Ressuscité vivant auprès de nous encore aujourd’hui par son Esprit[72] ». Lorsqu’il parle de « la poussée du vouloir fondamental de l’être », cela traduit chez lui une exigence de rencontre avec le Père de Jésus-Christ. L’expérience mystique du Soi, qui n’est pas nécessairement chrétienne, constitue pour lui un chemin normal qui conduit à l’expérience surnaturelle, sans toutefois être un chemin nécessaire.
(L’expérience de mystique naturelle, celle du Soi) est toujours concomitante de l’expérience surnaturelle du chrétien. L’expérience mystique surnaturelle présuppose l’expérience mystique naturelle, mais l’expérience mystique naturelle peut se vivre en dehors de la grâce, indépendamment d’elle[73].
Jean-Claude Breton estime que l’anthropologie spirituelle a des fondements qui « peuvent se lier à des visions théologiques[74] ». Jean Desclos voit un lien plus étroit entre l’anthropologie spirituelle et l’anthropologie spirituelle chrétienne : « L’anthropologie spirituelle est le portique de l’anthropologie chrétienne affirmant l’identité de l’être humain image et enfant de Dieu, reflétant le visage du Fils et vivant dans sa liberté[75] ».
2. Une herméneutique
Il serait possible de penser que Girard présente sa propre vision de la spiritualité qu’il appuie par des citations ou des passages bibliques utilisés instrumentalement. J’estime plus vraisemblable de croire que son propos spirituel sourd de son interprétation du message évangélique. Effectivement, il interprète le texte évangélique. Il avoue lui-même qu’il se sent « l’audace de lire la Parole entre les lignes ». L’interprétation est inévitable, comme le dit Claude Geffré. Ce dernier écrit d’ailleurs que « depuis l’état de naissance de l’Église, le langage de la foi est toujours et déjà un langage interprétatif [76] », la théologie étant « de bout en bout une entreprise herméneutique[77] ». Il précise qu’il n’est pas possible de dissocier l’interprétation des textes de la tradition chrétienne de l’expérience que vit l’interprète. C’est ce qu’il appelle une « herméneutique de réappropriation[78] ». Dans le même sens, Girard mentionne que « si vous n’arrivez pas à engendrer la Bible à partir de votre propre coeur et de l’écrire avec votre propre vie, vous avez toujours une lecture déficiente de la Bible, pas une lecture adulte[79] ». Nous pouvons donc voir Girard comme un théologien herméneute qui tire de l’Évangile un éclairage spirituel pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui, rejoignant en cela la conception de l’herméneutique chez Geffré : « Une corrélation critique entre l’expérience de la communauté chrétienne primitive et notre expérience historique d’aujourd’hui[80] ».
S’il est qualifié de théologien herméneute, nous ne savons cependant pas exactement quel poids relatif il accorde à l’expérience de l’auteur des textes évangéliques, à ce qui a été exprimé dans le texte biblique et à l’interprétation qui peut en être faite aujourd’hui dans la communauté chrétienne. Nous ne savons pas non plus dans quelle mesure il tient compte de la diversité des formes langagières dans la Bible (des récits, des poèmes, des paraboles, etc.) et s’il privilégie une approche synchronique ou diachronique des textes bibliques.
Dans le courant herméneutique de la théologie, Girard se situe dans une zone particulière. Il est fidèle au dogme chrétien et au langage théologique traditionnel (salut, grâce, péché, etc.), en donnant toutefois à ces termes une interprétation influencée par son approche anthropologique de la spiritualité. Il peut ainsi rejoindre particulièrement les chrétiens baby-boomers pour qui le langage théologique traditionnel est familier et les amener à y voir un sens nouveau (pour eux), fidèle à l’Évangile. Plus spécifiquement, il fait découvrir ou redécouvrir que la Bible révèle les exigences de l’être, ce qui peut être une découverte pour plusieurs. Son herméneutique du message évangélique se fait particulièrement à partir de la parabole du Prodigue. « Cette parabole, dit l’abbé de Val-Notre-Dame, André Barbeau, est le fil conducteur de toute l’oeuvre du Père Yves. Il l’a creusée tout au long de sa vie et d’innombrables façons[81] ». Girard est un de ceux qui contribuent à relire autrement le message évangélique et, surtout, à en tirer un éclairage à partir du désir d’être. Il nous amène à voir que les quêtes spirituelles actuelles — sans être nécessairement religieuses — peuvent être mises en dialogue avec les expériences spirituelles que nous rapporte la Bible. L’appropriation ou la réappropriation — religieuse ou pas — du message chrétien sera constamment le défi herméneutique à relever en théologie spirituelle chrétienne.
3. La réception de la proposition spirituelle de Girard
D’une part, nous pouvons nous demander comment Girard peut rejoindre les personnes dont la génération est passée « de la civilisation paroissiale totalitaire à la liberté pèlerine[82] ». Jusqu’au milieu du xxe siècle, au Québec, spiritualité et religion étaient intimement liées. Par la suite, dans le contexte de sécularisation et de décléricalisation de la société, la distance qu’un grand nombre de Québécois ont prise face à l’Église a contribué à modifier les modalités de leur vie spirituelle. La distanciation ne veut pas dire que les Québécois n’ont plus de vie spirituelle, mais elle est maintenant plus diffuse, plus individualisée, moins encadrée et multiforme. Une partie de la terminologie que l’auteur utilise, et qui correspond à la théologie chrétienne traditionnelle, risque de ne plus être comprise. Par exemple, la notion de péché — en tant que manquement à un commandement — ne semble plus faire partie des préoccupations spirituelles de la majorité des Québécois. Le souci de conversion n’est apparemment pas présent non plus, du moins dans le sens que lui donne le cistercien. De même, il est vraisemblable de penser que la notion de grâce est inconnue chez la plupart des jeunes d’aujourd’hui. L’auteur s’adresse à des personnes soucieuses de perfection spirituelle ; c’est une catégorie de personnes qui se rencontre moins dans un monde sécularisé. Pour les individus qui ont une mentalité scientifique, la proposition spirituelle de Girard n’est pas raisonnable : aucune argumentation ne peut démontrer que le désir de l’être correspond à une « exigence de rencontre avec le Père de Jésus-Christ ». Cette conviction de l’auteur est issue de son expérience spirituelle — non d’un raisonnement — et exprimée dans le langage religieux qu’il connaît. C’est sa vérité.
D’autre part, le discours de Girard, qui met l’accent sur l’entrée en soi, offre des points d’ancrage à la spiritualité qui semble se dessiner dans le paysage québécois actuel, ne serait-ce que la valorisation de l’intériorité et de l’expérience spirituelle personnelle. D’après l’étude publiée sous la direction de Géraldine Mossière[83], l’individualisation et la privatisation caractérisent maintenant la religiosité des Québécois, eux qui, en bonne partie, ont pris leurs distances de l’institution religieuse, tout en ayant une forme ou l’autre de spiritualité selon leur expérience de vie. Lucia Ferretti mentionne que « cette mise de côté de l’institution caractérise la nouvelle culture spirituelle, tournée vers la recherche individuelle de l’auto-accomplissement intérieur grâce à l’établissement d’un contact immédiat, gratifiant et souvent affectif avec la transcendance[84] ». Mossière est aussi d’avis que le religieux et le spirituel se vivent maintenant à travers des pratiques individualisées axées sur les expériences de vie. Isabelle Kostecki estime que « si elle tend à avoir délaissé la pratique catholique traditionnelle en vieillissant, la génération des baby-boomers québécois semble avoir orienté ses comportements religieux vers des rites de l’intimité[85] », comme la prière individuelle. La cohérence personnelle semble être en majeure dans cette forme de vie spirituelle.
En parcourant les écrits spirituels de Girard, j’ai cru trouver chez cet auteur des éléments de spiritualité qui n’ont pas toujours de référence chrétienne ou religieuse exclusive. Ainsi, ses propos sont susceptibles d’interpeller les personnes qui peuvent s’ouvrir à la révélation chrétienne à partir d’une réflexion — à première vue non religieuse — sur le fond de l’être. Une spiritualité axée sur les exigences de l’être plutôt que sur les exigences d’une doctrine me semble une approche à laquelle pourraient être sensibles ceux et celles qui se sont éloignés de l’Église ou qui sont considérés comme des sans-religion. Son utilisation fréquente du terme être — « vouloir de l’être », « désir de l’être », « péché de l’être » — donne une autre dimension au message évangélique dont le sens est d’abord spirituel avant d’être religieux.
Appendices
Notes
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[1]
Ces auteurs étudient les différents aspects du désir — besoins, pulsions, souhaits, etc. — dans leur dimension philosophique qui ouvre la perspective d’un possible désir de Dieu, voire d’une parenté ontologique avec le divin.
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[2]
Les lettres pauliniennes reflètent le désir de l’Apôtre de s’en aller et d’être avec le Christ (Ph 1,23). Il nous parle explicitement de son désir de demeurer auprès du Seigneur (2 Co 5,8). Chez les Pères de l’Église, Augustin n’est pas le premier témoin du désir de Dieu. Origène, saint Basile de Césarée ou Grégoire de Nysse méritent aussi attention. Cependant, il se distingue parce que le désir a été le moteur de sa vie. Il est qualifié « d’homme de désir ». Bernard de Clairvaux nous parle du désir dans le langage de l’amour, notamment dans son commentaire du Cantique des cantiques. Il étudie la véhémence et la croissance du désir. Chez Maître Eckhart, Dieu est l’être, l’être en soi, la plénitude de l’être. L’âme désire Dieu. Issue de lui, elle doit retourner à lui qui est sa fin comme il est son commencement.
-
[3]
Les propos de Girard concernent l’être et ses exigences, tout comme ceux de Maître Eckhart, sans être une mystique métaphysique. Si la naissance du Verbe dans l’âme est au coeur de la mystique d’Eckhart, Girard parle lui aussi de « donner naissance à Dieu » et de nourrir le Corps du Christ à partir de sa propre substance. Eckhart enjoint à son auditoire de ne pas essayer de comprendre Dieu. De même, Girard affirme que ce que nous pouvons comprendre est indigne de notre attention, affirmant même que nous ne pouvons comprendre qu’en ne comprenant pas. Chez ces deux auteurs, l’âme désire Dieu et le dépouillement constitue la seule voie pour lui faire de la place. Le vocabulaire d’Eckhart ignore toutefois la mystique nuptiale que Girard développe particulièrement dans son dernier ouvrage, Baiser à baiser (Montréal, Médiaspaul, 2019). On ne retrouve pas chez Eckhart l’émotion que Girard n’hésite pas à exploiter.
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[4]
J’ai classé par ordre chronologique les auteurs cités. ive siècle : saint Augustin. xiie siècle : Guillaume de Saint-Thierry. xiiie siècle : Maître Eckhart, Béatrice de Nazareth, Hadewijch d’Anvers. xive siècle : Jean Tauler, Jean de Ruisbroeck. xvie siècle : Thérèse d’Avila. xviie siècle : Jean de la Croix, Marie de l’Incarnation, Catherine de Saint-Augustin. xixe siècle : Élisabeth de la Trinité, Thérèse de Lisieux, Charles de Foucauld, Søren Kierkegaard. xxe siècle : Dom Anselme Stolz, Paul Evdokimov, Martin Heidegger, Gabriel Marcel, Gustave Thibon. Girard a certainement lu d’autres auteurs qu’il ne cite pas dans ses volumes.
-
[5]
Claude Geffré, Le christianisme au risque de l’interprétation, Paris, Cerf, 1983, p. 19.
-
[6]
Ibid., p. 9.
-
[7]
En 2021, j’ai fait une thèse sur les publications du cistercien québécois Yves Girard et les textes de ses conférences auxquels j’ai eu accès. La thèse a été déposée à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval (Québec) sous le titre : « De l’agir au subir. La théologie spirituelle du cistercien Yves Girard ». Le présent article présente un aspect fondamental de ses propos spirituels : le désir de l’être. Les ouvrages de l’auteur ont été publiés aux Éditions Anne Sigier et aux Éditions Médiaspaul. Les textes que j’ai analysés sont disponibles en format numérique à la bibliothèque de l’Université Laval.
-
[8]
Yves Girard, Les injustices de l’amour, Québec, Anne Sigier, 1996, p. 12.
-
[9]
Id., Aubes et lumières. Naissance de l’impossible, Sainte-Foy, Anne Sigier, 1988, p. 239.
-
[10]
Id., Naître à ta lumière, Sillery, Anne Sigier, 1999, p. 150.
-
[11]
Id., Lève-toi, resplendis !, Sainte-Foy, Anne Sigier, 1983, p. 134.
-
[12]
Id., Je ne suis plus un enfant de la nuit : les espaces du repos, Sillery, Anne Sigier, 1992, p. 157.
-
[13]
Id., Pour le seul bonheur de vivre, Québec, Anne Sigier, 1996, p. 139.
-
[14]
Federico Lauria, [https://www.rts.ch/decouverte/monde-et-societe/philosophie/6516094-peuton-desirer-ce-quon-possede-deja.html#:~:text=Tous%20consid%C3%A8rent%20que%20la%20r%C3%A9ponse,on%20est%20%C3%A0%20son%20sommet] (consulté le 5 février 2023).
-
[15]
Nicolas Bouteloup, « Le bonheur, c’est de continuer à désirer ce que l’on possède » [http://lapausephilo.fr/2020/10/22/le-bonheur-cest-de-continuer-a-desirer-ce-que-lon-possede-saint-augustin/] (consulté le 6 février 2023).
-
[16]
Benoît Garceau, dans La voie du désir (Montréal, Médiaspaul, 1997, p. 13) apporte trois éléments qui distinguent le besoin du désir : « (1) À la différence du besoin, il (le désir) ne peut être assouvi. Dans le désir, il y a toujours du mouvement pour aller plus loin. Il est de son essence de transgresser les limites de son objet. (2) Tandis que le besoin est satisfait par l’obtention de la chose recherchée, le désir s’adresse à l’altérité et se nourrit d’une relation à l’autre qui ne fait jamais que l’autre cesse d’être autre. (3) Enfin, toujours par contraste avec le besoin, le désir est par essence non possessif. Il doit même, pour se maintenir et pour grandir, renoncer inlassablement à la possessivité. »
-
[17]
Bernardo Olivera, « L’espérance, le désir qui nous pousse vers l’avenir » [https://www.abbaye-tamie.com/communaute-tamie/enseignements/l-esperance-c-est-le-desir-qui-nous-pousse-vers-l-avenir] (consulté le 25 janvier 2023), p. 1.
-
[18]
Y. Girard, Naître à ta lumière, p. 178.
-
[19]
Id., L’amour est vivant, Sillery, Anne Sigier, 2001, p. 260.
-
[20]
Id., Naître à ta lumière, p. 156.
-
[21]
Id., Promis à la gloire : toi, Sillery, Anne Sigier, 1993, p. 165.
-
[22]
Id., « Leur tronc est une semence sainte (Is 6,3). Réflexion sur les communautés déclinantes », Collectanea Cisterciensia, 60 (1998), p. 260.
-
[23]
Ces deux vierges, nées au iiie siècle, ont été torturées parce qu’elles ont refusé de renier leur foi chrétienne.
-
[24]
Y. Girard, Promis à la gloire, p. 16.
-
[25]
Id., Aube d’humanité, Québec, Anne Sigier, 2011, p. 23.
-
[26]
Id., Conférence #6, p. 2.
-
[27]
Id., Lève-toi, p. 46.
-
[28]
Ibid., p. 136.
-
[29]
Id., Conférence #10, p. 2.
-
[30]
Id., Aube d’humanité, p. 134.
-
[31]
Il ne s’agit pas de la prédestination au sens où Dieu aurait choisi de toute éternité ceux qui auront droit à la vie éternelle, mais d’une prédestination de l’être humain appelé au dépassement.
-
[32]
Y. Girard, Lève-toi, p. 48.
-
[33]
En tant qu’accompagnateur spirituel, Girard a eu l’occasion de rencontrer plusieurs personnes qui lui ont fait part de leurs difficultés et de leurs questionnements dans leur vie de foi. Il a utilisé ce dont lui ont fait part ces personnes pour construire un dialogue virtuel entre un accompagnateur (Girard) et un accompagné. C’est le volume Aubes et lumières.
-
[34]
Y. Girard, Promis à la gloire, p. 57, note.
-
[35]
Id., Pour le seul bonheur de vivre, p. 121.
-
[36]
Girard insiste sur l’importance de se laisser envahir. Dans Aube d’humanité, il parle d’un souffle qui « attend de toi l’autorisation de t’envahir » (p. 49). Il dit aussi dans le même volume : « C’est en étant envahi par ce que tu n’auras ni recherché ni préparé que, sans effort, tu abandonneras tes labours et tes blés » (p. 50). Dans Solitude graciée (Lac-Beauport, Anne Sigier, 1982), en parlant de Madeleine, il écrit que « le regard de Jésus a permis à la lumière qui habitait cette dernière d’envahir tout son être » (p. 64). Dans Je ne suis plus enfant de la nuit, il se confie : « J’avais insisté pour qu’on vienne me délivrer de la nuit. Pourtant, seule ma résistance empêchait la Lumière de m’envahir » (p. 175). Dans L’amour est vivant, il écrit que « c’est en laissant le surnaturel envahir l’humain que ce dernier pourra être rendu à lui-même » (p. 206). Dans une conférence, il parle de « se laisser envahir par la miséricorde » (Conf. #3b, p. 185). Dans une autre, il affirme que, à son retour à la maison, le Prodigue a « laissé la miséricorde, l’amour et la gratuité l’envahir » (Conf. #7, p. 20). Si Girard parle autant d’envahissement, c’est pour accentuer la passivité dans l’expérience du salut.
-
[37]
Yves Girard, Conférence #2g, p. 65.
-
[38]
Id., Lève-toi, p. 88.
-
[39]
Id., Promis à la gloire, p. 163.
-
[40]
Id., Lève-toi, p. 26.
-
[41]
« Prends Seigneur, et reçois toute ma liberté, ma mémoire, mon intelligence et toute ma volonté. Tout ce que j’ai et tout ce que je possède. C’est toi qui m’as tout donné, à toi, Seigneur, je le rends. Tout est à toi, disposes-en selon ton entière volonté. Donne-moi seulement de t’aimer et donne-moi ta grâce, elle seule me suffit. »
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[42]
« Je remets mon âme entre tes mains. Je te la donne, mon Dieu, avec tout l’amour de mon coeur, parce que je t’aime, et que ce m’est un besoin d’amour de me donner, de me remettre entre tes mains, sans mesure, avec une infinie confiance, car tu es mon Père. »
-
[43]
Robert Mager, Le politique dans l’Église : essai ecclésiologique à partir de la théorie politique de Hannah Arendt, Montréal, Médiaspaul (coll. « Brèches théologiques », 19), 1994, p. 289.
-
[44]
Y. Girard, Aube d’humanité, p. 228-229.
-
[45]
Id., Promis à la gloire, p. 55, note.
-
[46]
Id., Croire jusqu’à l’ivresse, Sillery, Anne Sigier, 2006, p. 67.
-
[47]
Id., Aube d’humanité, p. 55.
-
[48]
Id., Naître à ta lumière, p. 206.
-
[49]
Id., Croire jusqu’à l’ivresse, p. 215.
-
[50]
Id., Braise silencieuse, Sainte-Foy, Anne Sigier, 1995, p. 124.
-
[51]
Y. Girard, Je ne suis plus un enfant de la nuit, p. 33.
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[52]
Ce terme (avec une majuscule) fait partie des nombreux autres (Vie, Amour, Paix, Présence, Douceur) qui semblent désigner la réalité divine, sans nommer Dieu.
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[53]
Dominique Salin, L’expérience spirituelle et son langage : leçons sur la tradition mystique chrétienne, Paris, Facultés jésuites de Paris, 2015, p. 42.
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[54]
Id., « Michel de Certeau et la question du langage », Recherches de Science Religieuse, 1 (2016), p. 40.
-
[55]
Y. Girard, Lève-toi, p. 90.
-
[56]
Girard n’entre pas dans les discussions philosophiques et théologiques sur le désir naturel de Dieu auxquelles a pris part, par exemple, Henri de Lubac. Chose certaine, quand il parle de Dieu, il ne parle pas de la cause première, mais du père de Jésus-Christ.
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[57]
Viktor E. Frankl, Le Dieu inconscient, Paris, InterÉditions, 2012, p. 47.
-
[58]
Y. Girard, Braise silencieuse, p. 124.
-
[59]
Id., Solitude graciée, p. 185.
-
[60]
Id., Conférence #1, p. 31.
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[61]
Du temps de Bernard de Clairvaux, la philosophie et la mystique n’étaient pas séparées comme elles le sont aujourd’hui.
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[62]
Ysabel de Andia, « Philosophie et mystique », Le Philosophoire, 49, 1 (2018), p. 12.
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[63]
Girard a lu Paul Tillich, Martin Heidegger et Gabriel Marcel. Il les cite dans l’un ou l’autre de ses volumes.
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[64]
Y. Girard, Solitude graciée, p. 23.
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[65]
La notion de conscience et d’inconscience revient fréquemment dans les textes de Girard. J’ai repéré plus de 185 occurrences des mots conscience et inconscience dans les citations que j’ai retenues. Par exemple, dans Aube d’humanité, il écrit que « la tentation d’intervenir à propos de tout et de rien, dissimule le plus souvent, quoique de façon inconsciente, le refus d’aller jusqu’au bout de l’amour » (p. 125). Dans Le vide habité, au sujet de ceux qui formulent des demandes, il suggère de plutôt combler leur inconscient besoin (p. 122). Dans Solitude graciée, il écrit : « Ton désir est plus grand que la conscience que tu en as » (p. 42). Il importe de se rappeler que quand Girard utilise les notions de conscience et d’inconscience, il déborde le champ de la psychologie des profondeurs ; il nous parle du salut.
-
[66]
D. Salin, L’expérience spirituelle et son langage, p. 54-55.
-
[67]
Ibid., p. 55.
-
[68]
Marie-Line Morin, « L’anthropologie spirituelle : une théologie faisant appel à la psychologie », dans Jean Desclos, dir., L’anthropologie spirituelle. Jalons pour une nouvelle approche théologique, Montréal, Médiaspaul, 2001, p. 29.
-
[69]
Sandra M. Schneiders, « Approaches to the Study of the Christian Spirituality », dans Arthur Holder, dir., The Blackwell Companion to Christian Spirituality, Malden, Blackwell Publishing, 2005, p. 10.
-
[70]
Micheline Gagnon, « Pour une introduction à l’anthropologie spirituelle », dans J. Desclos, dir., L’anthropologie spirituelle, p. 109.
-
[71]
Yves Ledure, La détermination de soi : anthropologie et religion, Paris, Desclée de Brouwer, 1997, p. 31.
-
[72]
Marc Dumas, « L’anthropologie spirituelle comme acte théologique », dans J. Desclos, dir., L’anthropologie spirituelle, p. 26.
-
[73]
Y. Girard, Aubes et lumières, p. 180-181.
-
[74]
Jean-Claude Breton, Approche contemporaine de la vie spirituelle, Montréal, Bellarmin, 1990, p. 17.
-
[75]
J. Desclos, dir., L’anthropologie spirituelle, p. 123.
-
[76]
C. Geffré, Le christianisme au risque de l’interprétation, p. 13.
-
[77]
Ibid., p. 8.
-
[78]
Id., Croire et interpréter : le tournant herméneutique de la théologie, Paris, Cerf, 2001, p. 28.
-
[79]
Y. Girard, Conférence #7, p. 86.
-
[80]
C. Geffré, Croire et interpréter, p. 8.
-
[81]
Y. Girard, Baiser à baiser, p. 7.
-
[82]
Guillaume Boucher, « La recomposition du religieux post-Révolution tranquille : une modernité de responsabilité », dans Géraldine Mossière, dir., Dits et non-dits : mémoires catholiques au Québec, Montréal, PUM, 2021, p. 114.
-
[83]
G. Mossière, dir., Dits et non-dits.
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[84]
Lucia Ferretti, Brève histoire de l’Église catholique au Québec, Montréal, Boréal, 1999, p. 171.
-
[85]
Isabelle Kostecki, « Les rites intimes de la vie spirituelle des baby-boomers québécois », dans G. Mossière, dir., Dits et non-dits, p. 147.