Abstracts
Résumé
Cet article prend pour point de départ la place toute particulière qu’occupent les femmes dans les normes légales dès l’Antiquité, y compris dans les textes sacrés, et notamment dans la législation sur le mariage et l’adultère. Nous présentons alors, à partir du De Cive, le jusnaturalisme théiste de Hobbes comme une tentative originale de fonder en Dieu et en raison les lois auxquelles sont soumises les femmes. Mais au moment de son exégèse des versets 5,31-32 de l’évangile de Matthieu sur la répudiation, il semble que son arsenal conceptuel vacille : entre règne temporel et autorité divine, la figure de Jésus menace l’édifice hobbesien de s’écrouler. Nous concluons sur l’idée que c’est encore la législation positive autour des femmes qui cristallise les problèmes cruciaux de l’anthropologie du droit et, plus largement, du rapport entre l'humain et le divin.
Abstract
This paper takes as its starting point the particular place of woman in the legal norms since Antiquity, including in sacred texts, especially in the legislation on marriage and adultery. We then present, from De Cive, the Hobbes’ theistic jusnaturalism as an original attempt to found in God and in reason the laws to which women are subjected. But at the moment of his exegesis of verses 5,31-32 of the Gospel of Matthew on repudiation, it seems that his conceptual arsenal wavers : between temporal reign and divine authority, the figure of Jesus threatens the Hobbesian edifice with collapse. We conclude with the idea that it is still positive legislation around women that crystallizes the crucial problems of the anthropology of law and, more generally, of the relationship between the human and the divine.
Article body
La justice est aveugle mais la loi garde un oeil sur les femmes. Dans l’histoire que l’on s’en fait, elles transgressent aussi bien les interdits qu’elles les motivent : c’est une femme qui croque la première dans le fruit défendu, à en croire la Bible ; c’est la circulation des femmes qui explique la prohibition de l’inceste, à en croire Claude Lévi-Strauss[1]. Le génie du père de l’anthropologie structurale est d’avoir compris le rôle social que joue la prohibition de l’inceste dans le choix du partenaire, et par conséquent son lien avec le mariage[2]. Mais le mariage à son tour apporte son lot d’interdits, le plus structurel étant sans doute celui de l’adultère. C’est que l’adultère compromet par sa nature transgressive l’institution du mariage. Le traitement réservé aux femmes en la matière est particulièrement frappant, au sens propre si l’on se réfère à ce dont témoigne Jean à propos des juifs :
« Maître, lui dirent-ils <à Jésus>, cette femme a été prise en flagrant délit d’adultère. Dans la Loi, Moïse nous a prescrit de lapider ces femmes-là. Et toi, qu’en dis-tu ? » Ils parlaient ainsi dans l’intention de lui tendre un piège, pour avoir de quoi l’accuser[3].
Ce témoignage du ier siècle ne contraste avec les lois romaines qu’en étant plus indulgent à l’égard des femmes adultères. On connaît en effet les lois Juliennes (leges Iuliae) qui, au début de l’époque impériale, viennent durcir la législation en matière de divorces et d’adultères. Ainsi la lex Iulia de adulteriis coercendis obligeait-elle le mari à répudier sa femme avant de pouvoir l’accuser d’adultère[4]. Elle autorisait même le meurtre au père dont la fille avait été prise en flagrant délit d’adultère, sous certaines conditions[5]. Quant au mari, s’il ne répudiait pas sa femme ou s’il laissait partir l’amant, il s’exposait à être poursuivi en justice pour lenocinium, ce qui se rapprocherait de l’idée moderne d’atteinte aux bonnes moeurs, voire de proxénétisme[6] compte tenu de la variété des cas qui tombent sous ce terme. Pour le même motif, la femme répudiée pour adultère se trouvait de fait exclue de tout nouveau mariage. Le mari demeurait à l’abri de telles menaces puisqu’il pouvait avoir des relations extraconjugales sans craindre d’être mis en cause légalement[7].
En considérant la loi d’un point de vue anthropologique, il est facile d’y voir la formalisation de nécessités inhérentes à l’ordre social. Le mariage serait un fait social structuré avec pour fin la répartition des femmes entre les hommes et la procréation (comme peut l’être, selon les sociétés, la polygamie) et, partant, l’adultère féminin deviendrait une réalité déstructurante et taboue. Sous cette hypothèse, il n’y a rien d’étonnant à constater des interdits autour de l’adultère féminin dans des textes aussi différents que les leges Iuliae et le Nouveau Testament — l’un profane, l’autre sacré. Nous serions en présence d’un invariant attesté dans toutes les cultures (du moins, en l’occurrence, monogames[8]), comme la prohibition de l’inceste telle qu’elle est décrite chez Lévi-Strauss. Or ce dernier, de son propre aveu, assume l’ambition d’asseoir les résultats de l’anthropologie sur les « sciences exactes et naturelles : réintégrer la culture dans la nature, et finalement, la vie dans l’ensemble de ses conditions physico-chimiques[9] ». Les conséquences hautement paradoxales d’un tel projet pour l’anthropologie ont été soulignées[10]. On ne contredit néanmoins pas notre propos sur le mariage et l’adultère en arguant que la loi trouve sa fin dans la nature : s’il en va de la survie de l’espèce, il faut bien pouvoir régler la répartition des femmes et garantir la procréation. D’une anthropologie du droit, nous en sommes conduits à l’idée de droit naturel.
La position qui réduit les interdits légaux à des nécessités de nature est une forme de jusnaturalisme : on cherche à naturaliser la loi dans ses principes, qu’on en réfère à des « conditions physico-chimiques » ou à des logiques sociales primitives. Le jusnaturalisme est par ce biais compatible avec la méthode anthropologique. Mais cela ne peut valoir qu’à la condition de se préoccuper seulement de nature humaine, ce qui implique de voir dans les lois Juliennes et les textes bibliques de purs produits de l’humanité. En effet, dès que l’on postule l’existence d’une nature surhumaine ou, disons, d’une réalité surnaturelle, les sciences humaines sont par définition privées de leur puissance[11]. Or s’il se trouve que le Nouveau Testament ne se range pas avec les leges Iuliae parmi les productions strictement humaines, mais qu’il est à compter au rang de doctrines révélées par Dieu, alors l’invariance de certaines dispositions légales dans des textes pourtant irréductibles à l’homme pose un problème. Il est clair que l’anthropologie, puisqu’elle est anthropologie, n’a pas d’objet qui dépasse l’homme.
Deux sortes de jusnaturalisme s’esquissent alors : un premier jusnaturalisme, athée, postulerait une loi naturelle dérivant de paramètres physico-chimiques ou sociaux pour s’actualiser dans la loi positive ; un second jusnaturalisme, théiste, accepterait une loi naturelle (ou surnaturelle) révélée par Dieu et normative pour le droit positif humain. Dans le cadre du second, si les lois romaines sur l’adultère appartiennent à la loi naturelle, alors elles ont dû être révélées par une autorité divine. Puisqu’elles ont leur pendant dans la Loi mosaïque, cela signifie qu’il y eut une révélation commune aux Romains et aux Juifs. Mais cette solution cause plus de problèmes qu’elle n’en résout ; on voit mal en effet comment passer outre l’hétérogénéité manifeste des religions juive et romaine, tant dans la pratique que dans les dogmes, ou encore dans leurs réalités communautaires bien distinctes[12]. En imaginant que l’on défende une révélation asymétrique ou pluri-niveaux, on s’expose aux risques du relativisme et de l’indifférentisme. Pour échapper à ces résultats, le jusnaturaliste théiste pourrait fonder la loi naturelle sur une autre source que la révélation, mais ce serait la rendre de facto caduque et contingente. Du moins, c’est ce qu’il faut examiner.
Le De Cive de Thomas Hobbes[13] nous paraît présenter une version aboutie de jusnaturalisme théiste dans l’histoire de la philosophie. Il apporte des éléments décisifs pour dépasser le problème de la révélation, en identifiant à un don de Dieu la raison humaine chargée de déduire les lois naturelles. Selon nous, par cette stratégie, Hobbes évite les écueils du jusnaturalisme théiste que nous avons présentés. À l’appui de son idée centrale, l’auteur compare proposition par proposition les théorèmes de la raison avec l’Écriture, chose que l’on ne trouve pas dans le Léviathan, et seulement de manière superficielle dans les Elements of Law[14]. Outre cette comparaison, qui donne à voir la modernité de Hobbes, ce dernier s’attache en plusieurs endroits à déterminer le statut d’une loi néotestamentaire sur la répudiation des femmes pour adultère, point de départ de notre réflexion. Ces occurrences sont également absentes des Elements of Law et du Léviathan[15]. Cela achève de montrer l’intérêt spécifique que revêt pour nous le De Cive. Notre article entend donc se saisir des spécificités du traité pour éprouver les solutions qu’il propose et dévoiler ce qu’elles peuvent avoir d’insatisfaisant. Nous espérons ainsi dénouer les noeuds qui raccourcissent la corde du jusnaturalisme théiste, tout en resserrant ceux qui tiennent l’histoire complexe de l’Écriture et de sa postérité dans la pensée du droit civil — en particulier, puisque nous en sommes partis, du droit des femmes dans toute sa polysémie.
I. La raison, don de Dieu
Par un décret du 10 juin 1654, les Elementa philosophica de Cive de Hobbes sont mis à l’Index et condamnés sans appel au bûcher[16]. Parmi les censures, on note que la conception du droit naturel et du droit de la guerre du philosophe anglais (jus naturale, jus belli) ne respecterait pas l’enseignement de la Bible. Pourtant, c’est bien à l’Écriture que Hobbes a recours au chapitre 4 du De Cive pour montrer l’adéquation des lois révélées aux lois naturelles. Au total, ce sont vingt lois naturelles déduites dans les trois premiers chapitres qui sont confrontées, une à une, aux versets bibliques. Mais pareille démarche comparative ne laisse pas d’être déroutante, si l’on songe à la définition hobbesienne de la loi naturelle :
Afin donc que je recueille en une définition ce que j’ai voulu rechercher en cet article, je dis que la loi de nature est ce que nous dicte la droite raison touchant les choses que nous avons à faire, ou à omettre pour la conservation de notre vie, et des parties de notre corps[17].
Cette définition est suivie d’une note de l’auteur :
Par la droite raison en l’état naturel des hommes, je n’entends pas comme font plusieurs autres, une faculté infaillible, mais l’acte propre et véritable de la ratiocination, que chacun exerce sur ses actions […]. Parce que toute l’infraction des lois naturelles vient du faux raisonnement, ou de la sottise des hommes, qui ne prennent pas garde que les devoirs et les services qu’ils rendent aux autres retournent sur eux-mêmes, et sont nécessaires à leur propre conservation[18].
La loi naturelle appartient à l’âme — the mind[19], elle se déduit si bien par le raisonnement que les actions illégales ne peuvent provenir que d’une erreur de calcul. Elle n’est somme toute qu’un théorème de la droite raison[20]. Or, si la loi naturelle est fondée en raison, on voit mal la nécessité d’en chercher la trace dans des écrits révélés, qui ne feraient que représenter aux hommes ce qu’ils savent déjà. C’est l’un des écueils que nous décrivions, dans lequel tombent les jusnaturalistes qui écartent la révélation du fondement des lois naturelles pour maintenir leur universalité. Mais ces jusnaturalistes supposent que toute révélation est particulière, en quoi elle s’opposerait à l’audience universelle de la loi naturelle, et c’est précisément ce postulat que Hobbes remet en cause. Les facultés rationnelles de l’homme sont un don du Créateur qui lui permettent de découvrir les lois de nature, ou plutôt la raison s’identifie-t-elle à la loi de nature :
Ce n’est pas sans sujet qu’on nomme la loi naturelle et morale, divine. Car la raison, qui n’est autre chose que la loi de nature, est un présent que Dieu a fait immédiatement aux hommes, pour servir de règle à leurs actions. Et les préceptes de bien vivre qui en dérivent, sont les mêmes que la majesté divine a donnés pour lois de son royaume céleste, et qu’il a enseignés en la révélation de la grâce par notre Seigneur Jésus-Christ, par ses saints prophètes, et par les bienheureux apôtres. Je tâcherai donc en ce chapitre de confirmer par des passages de la sainte Écriture les conclusions que j’ai tirées ci-dessus par mon raisonnement touchant la loi de nature[21].
Nous tenons le programme de Hobbes dans le De Cive : par l’analyse de la révélation scripturaire, il ne s’agit pas tant de fonder la loi naturelle que de la confirmer. En somme l’effort du philosophe anglais serait à entendre au sens d’un redoublement de la légitimité de la loi naturelle. Non seulement la loi naturelle est légitime en ce qu’elle fournit les normes nécessaires à la survie des hommes, ce qui se traduit par la première loi de nature et le devoir tout aussi premier pour les souverains de rechercher le salut du peuple, mais elle est légitime en tant qu’expression de la volonté du Dieu tout-puissant. Car ces deux légitimations de la loi naturelle reviennent chez Hobbes à une affaire de puissance, Dieu la déployant en vertu de son omnipotence éternelle, les hommes y ayant recours pour compenser leur impuissance temporelle[22].
Toutefois le sens de la présence scripturaire des lois naturelles ne se limite pas au besoin d’un garant divin, à moins d’entendre par là que c’est le statut même des lois naturelles qui dépend de Dieu :
J’avoue cependant que les lois que nous avons nommées de nature, ne sont pas des lois à parler proprement, en tant qu’elles procèdent de la nature et considérées en leur origine. Car elles ne sont autre chose que certaines conclusions tirées par raisonnement touchant à ce que nous avons à faire ou à omettre : mais la loi, à la définir exactement, est le discours d’une personne qui avec autorité légitime commande aux autres de faire, ou de ne pas faire quelque chose. Toutefois, les lois de nature méritent d’être nommées proprement des lois, en tant qu’elles ont été promulguées dans les Écritures Saintes avec une puissance divine, comme je le ferai voir au chapitre suivant : or cette sainte Écriture est la voix de Dieu tout-puissant et très juste monarque de l’univers[23].
La raison seule n’a donc pas force de loi. Cinq critères apparaissent dans la définition hobbesienne de la loi : la discursivité (« discours »), la personnalité (« d’une personne »), l’autorité (« qui avec autorité »), la légitimité (« légitime »), la prescriptivité (« commande [de faire, ou de ne pas faire quelque chose] ») et la publicité (« aux autres »). Reste à savoir quels sont les critères que la raison remplit ou ne remplit pas. Il faut d’abord noter l’expression qu’emploie Hobbes de « voix de Dieu tout-puissant et très juste monarque ». Yves Charles Zarka relève l’ambiguïté de cette voix : « […] si comme commandement divin la loi naturelle est signifiée par la parole de Dieu immédiatement présente en l’homme, comme simple théorème de raison, elle renvoie à l’exercice de la parole humaine[24] ». Si la raison remplit le critère de discursivité, c’est en vertu du seul fait qu’elle est parole de Dieu, donnée par Dieu lui-même. La raison n’est pas une personne, encore moins une autorité légitime. Ce sont encore des propriétés qui reviennent à Dieu[25], « tout-puissant et très juste monarque ». La raison est-elle prescriptive ? Selon Yves Charles Zarka, au même endroit, la parole humaine s’exercerait « sur un mode tout autre que celui du commandement ». Puisqu’elle est théorème, elle ne fait qu’inférer certains principes d’action à partir d’autres. Ces principes sont à l’origine d’une éthique qui reste ultimement conditionnée par le désir de « persévérer dans l’être[26] », le conatus. L’hypothétique caractère prescriptif de la loi naturelle chez Hobbes n’en demeure pas moins fortement débattu par les commentateurs[27]. Toujours est-il qu’il ne fait pas sens de commander quelque chose si l’on n’en a pas l’autorité. Il en résulte que seule la publicité de la raison — au sens où elle est partagée entre tous — présente un intérêt suffisant pour que Dieu en fasse don aux hommes :
[…] les lois ne sont point dignes de ce nom auguste, si elles ne sont clairement promulguées, en sorte qu’on n’en puisse pas prétendre cause d’ignorance. Les hommes publient leurs lois par l’entremise de la parole, ou de vive voix et n’ont point d’autre moyen de signifier en général leur volonté. Mais Dieu publie les siennes en trois façons [… qui] peuvent être nommées la triple parole de Dieu, à savoir la parole de la raison, la parole des sens, et la parole des prophètes […][28].
En conséquence de quoi c’est un seul et même intérêt qui motive la transmission orale de la Loi depuis les temps immémoriaux, au gré des diverses alliances d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, de Moïse, etc.[29], et le don prométhéen de la droite raison, ce « secret instinct[30] ».
L’enjeu de la révélation des lois naturelles ne s’épuise pas dans des considérations terrestres. Nous voulons signifier par là que la loi naturelle vise la survie ici-bas, mais aussi l’au-delà. Pour reprendre un extrait précédemment cité, les préceptes de la loi naturelle sont « les mêmes que la majesté divine a donnés pour lois de son royaume céleste, et qu’il a enseignés en la révélation de la grâce par notre Seigneur Jésus-Christ, par ses saints prophètes, et par les bienheureux apôtres[31] ». Ils revêtent ainsi une dimension gnoséologique en ce qui concerne la future vie des élus de Dieu. Pourtant Hobbes semble contredire son affirmation au paragraphe 8 du chapitre 17 :
Il n’y aura aucunes lois au royaume de Dieu après cette vie mortelle, tant à cause qu’elles ne sont pas nécessaires là où le péché ne trouve point d’entrée, qu’à cause que celles que Dieu nous a déjà données ne sont pas pour nous servir de règle dans le ciel, mais pour nous y conduire (not to direct us in Heaven, but unto Heaven)[32].
Cette curiosité s’explique sans doute par le fait que le royaume des cieux est une sorte d’accomplissement de l’état de nature, une image de ce qu’il serait sans l’imperfection des hommes, dans leur subordination totale à un maître tout-puissant[33]. Il faut en effet rappeler que si, pour Hobbes, les hommes quittent l’état de nature, c’est seulement « parce que leur droit de régner, ne pouvant y reposer que sur la force, est condamné à s’exercer temporairement[34] ». Cette condamnation est une conséquence du péché originel, avant lequel les hommes vivaient sous le commandement direct de Dieu, dont la puissance est sans borne. Ce qu’attendent les fidèles dans l’État chrétien postlapsaire, c’est le rétablissement après leur mort de l’Éden qu’ils ont perdu en Adam et que leur a promis Jésus-Christ.
II. Le statut de l’adultère dans Matthieu 5,31-32
Nous avons élucidé le rôle de la révélation dans la promulgation des lois naturelles selon Hobbes, ainsi que le sens de leur confrontation à l’Écriture au chapitre 4 du De Cive. Parmi ces lois, seule la onzième n’est pas repérée :
Quant à la onzième loi qui ordonne de posséder en commun les choses qui ne peuvent être divisées, je ne sais si elle se trouve formellement exprimée dans les Saintes Écritures ; mais la pratique en est ordinaire en l’usage des puits, des chemins, des rivières, des choses sacrées, etc. Et les hommes ne sauraient vivre autrement[35].
Faute d’occurrence dans l’Écriture, Hobbes prend le common use[36] comme garant et invoque un droit coutumier. Mais ce recours à la pratique est loin d’être anodin : la loi de nature étant par essence rationnelle, seule la compatibilité de la onzième loi avec les données empiriques peut être inférée de l’observation des pratiques humaines. Si Hobbes avait procédé par induction, il aurait commis ce qu’on appelle, depuis Moore, un sophisme naturaliste[37].
Au-delà de cette onzième loi, Hobbes mentionne un « commandement » divin surnuméraire. Il s’agit de l’interdiction du remariage de la femme répudiée pour adultère :
Comme la loi de nature est toute divine : aussi la loi de Christ, qui se voit expliquée en S. Matth. chap. 5, 6, 7, est la doctrine que la nature nous enseigne. Je n’en excepte que ce commandement qui défend d’épouser une femme délaissée pour cause d’adultère et que Jésus-Christ apporte en exemple de la loi divine positive, contre les Juifs qui interprétaient mal celle de Moïse[38].
Les contours de la « loi divine positive » dont il est question méritent d’être tracés. Hobbes s’y prête dans le quatrième paragraphe du chapitre 14, dans lequel il sépare d’abord la loi divine de la loi humaine, puis la loi divine naturelle de la loi divine positive. Sans surprise, la loi divine naturelle n’est autre que la loi naturelle ; nous avons vu quels en étaient les modes de révélation. La loi positive, quant à elle, « est celle que Dieu nous a fait annoncer par la bouche des prophètes, en laquelle dispensation, il s’est accommodé aux hommes et a traité avec nous en homme[39] ». Elle est donc révélée de la même façon que l’ont été les Écritures et les diverses lois des patriarches :
Je mets sous ce genre toutes les lois que Dieu donna autrefois aux Juifs, touchant leur gouvernement politique et le service divin ; et on les peut nommer des lois divines civiles, parce qu’elles étaient particulières au peuple d’Israël, de l’État duquel il lui plaisait de prendre la conduite.
Mais depuis Israël les choses ont bien changé, le Messie est arrivé et Dieu ne régnera plus qu’à compter du jour du Jugement dernier. Bien que les hommes doivent « être régis dès ici-bas, afin qu’ils persévèrent en l’obéissance à laquelle ils se sont obligés[40] », ils s’en remettent pour la vie courante aux autorités civiles. En ce sens, Jésus n’est pas venu sur terre pour légiférer : « […] la régence de laquelle Christ gouverne les fidèles en cette vie, n’est pas proprement un règne, ou un empire ; mais un office de pasteur, ou une charge d’enseigner les hommes ; je veux dire que Dieu le Père ne lui a pas donné […] l’autorité de faire des lois ». Pour penser correctement le commandement de Jésus sur le mariage d’une femme répudiée pour adultère, il ne faudrait donc pas en faire une loi nouvelle. Autrement dit, la seule marge législative dans laquelle celui qui est « héraut » de Dieu[41] pourrait intervenir serait celle de l’interprétation de lois anciennes.
Dans la Nouvelle Alliance, le joug de Dieu s’est retiré au profit de la droite séculière, y compris pour ce qui a trait au culte ou à la religion. Hobbes le montre de nouveau à travers le Sermon sur la montagne (Mt 5-7), en y intégrant cette fois les révélations abrahamique et mosaïque :
Nous avons un autre endroit où Jésus-Christ fait une assez longue interprétation des lois, c’est à savoir, dans les chapitres cinquième, sixième et septième de saint Matthieu : et toutes ces lois-là sont contenues, ou dans le Décalogue, ou dans la loi morale, ou dans la foi d’Abraham ; par exemple, dans cette dernière est comprise la défense de faire divorce (putting away) avec sa femme légitime ; vu que cette sentence prononcée en faveur de deux personnes unies par le lien du mariage, ils seront deux en une chair, n’a pas été alléguée par Christ, ni par Moïse, les premiers, mais révélée par Abraham, qui a le premier enseigné et prêché la création du monde[42].
Le problème qui se pose est double. D’une part, la « loi morale » est juxtaposée à la « foi d’Abraham » alors que la foi semble conceptuellement distincte de la loi. C’est tout ce qui fait le caractère révolutionnaire de la « loi de la foi[43] » introduite par Paul pour marquer le passage de l’Ancienne à la Nouvelle Alliance. D’autre part, le commandement sur le divorce ou la répudiation (« putting away ») n’est pas le même que celui du chapitre 4, pourtant également cité de Matthieu comme n’appartenant pas à la loi naturelle.
À propos du premier point, l’appareillement de la loi morale et des dix commandements à la foi d’Abraham, il faut se reporter à l’histoire des Juifs telle que Hobbes la reconstitue. Cette histoire est éminemment politique, rythmée par les différentes alliances qui s’y sont succédé. Il s’avère que certaines alliances ont entraîné un changement de régime politique, comme c’est le cas d’Abraham à Moïse. Le chapitre 16 a pour objet l’Ancienne Alliance et détaille en ces termes l’alliance abrahamique :
[…] Abraham était dans sa famille interprète de toutes les lois tant sacrées que temporelles, non seulement par le droit de nature, en tant qu’il ne suivait que les règles de la raison, mais en vertu des termes de l’alliance, par laquelle il promettait à Dieu obéissance et pour soi et pour sa postérité. [… VII. …] En effet, l’on ne pouvait apprendre que d’Abraham, qui était son Dieu, et en quelle manière on le devait servir[44].
Avec la reconnaissance par Abraham de la personnalité de Dieu[45], le culte naturel est devenu positif et l’alliance ajouta des lois positives aux lois naturelles. Ces lois positives dérivant d’une foi primordiale d’Abraham en un dieu déterminé positivement, Hobbes les intègre dans ce qu’il nomme « foi d’Abraham ». Cette foi est reconduite à travers les figures d’Isaac et de Jacob, avant que l’alliance mosaïque ne vienne instaurer un nouveau rapport entre Dieu et le peuple juif :
Mais quand l’alliance fut derechef traitée en la montagne de Sinaï, où tout le peuple prêta son consentement, Dieu établit d’une façon plus particulière son règne sur les Israélites. C’est de cette illustre époque que commence le règne de Dieu si célèbre dans la Sainte Écriture, et dans les écrits des théologiens […][46].
Le souveraineté directe de Dieu sur le peuple israélite à partir de Moïse rend obsolète la subordination de la loi à l’autorité d’un patriarche[47]. Néanmoins, Moïse conserve des prérogatives propres à son pouvoir prophétique et il demeure des lois divines positives spécifiques à cette alliance, notamment en matière de culte[48].
Le second point, la différence de citation depuis l’évangile de Matthieu, est davantage problématique. Dans le chapitre 4, le commandement surnuméraire de Jésus est un « exemple de la loi divine positive, contre les Juifs qui interprétaient mal celle de Moïse ». Mais dans le chapitre 17, le commandement est inclus dans la « foi d’Abraham » au motif que la proposition « n’a pas été alléguée par Christ, ni par Moïse, les premiers, mais révélée par Abraham, qui a le premier enseigné et prêché la création du monde[49] ». Nous pensons néanmoins qu’il s’agit du même commandement, pour les raisons avancées ci-après. Le Christ et Moïse interviendraient donc après Abraham, or, dans le chapitre 4, il est écrit que la doctrine de Moïse est réputée mal interprétée par les Juifs et que le Christ lui en oppose une nouvelle. Si le fondement est abrahamique, l’énoncé de la loi s’insère dans un sermon emblématique de la prédication de Jésus qui cherche plutôt à dépasser la Loi juive :
Il a été dit : Que celui qui répudie sa femme lui donne une lettre de divorce. Mais moi, je vous dis que celui qui répudie sa femme, sauf pour cause d’infidélité, l’expose à devenir adultère, et que celui qui épouse une femme répudiée commet un adultère[50].
Il n’est donc pas évident de ranger le commandement du côté de la foi abrahamique. Nous pensons en effet que le commandement « qui défend d’épouser une femme délaissée pour cause d’adultère » (chapitre 4) et celui qui défend « de faire divorce avec sa femme légitime » (chapitre 17) n’en forment qu’un. Il s’agit tout simplement des deux membres du verset de Matthieu, le premier pour le chapitre 17 (« que celui qui répudie sa femme, sauf pour cause d’infidélité, l’expose à devenir adultère »), le second pour le chapitre 4 (« que celui qui épouse une femme répudiée commet un adultère »). Si la femme répudiée est exposée à devenir adultère, c’est parce que l’acte de répudiation n’a aucune valeur légale et qu’elle resterait liée à son mari même en contractant un nouveau mariage. Cette conception du mariage est un apport chrétien ; avec saint Augustin, le mariage gagne une valeur sacramentelle (sacramentum)[51]. Ce glissement lexical signe un déplacement des catégories romaines du mariage durant l’Antiquité tardive. Loin des calculs d’intérêt qu’elles servaient, épousant pour ainsi dire les différentes places que pouvait occuper la femme entre son père et son mari[52], le mariage chrétien devient indissoluble, le remariage impensable[53].
Mais Hobbes ne veut prêter au Christ aucune innovation législative dans le droit civil positif ; ce serait aller contre le sens de son interprétation du royaume céleste et, surtout, remettre en cause l’hégémonie du pouvoir séculier. Afin de ne pas empiéter sur les plates-bandes du légitime souverain temporel, Hobbes doit repérer toutes les lois que Jésus professe soit dans la loi naturelle, soit chez ses prédécesseurs (si tant est que l’on puisse précéder le Fils). Augustin lui-même assurait à propos du commandement matthéen que « la loi nouvelle ne contredit pas la loi ancienne, mais lui apporte sa perfection[54] ». Ce que l’on ne comprend pas en revanche, c’est la formulation que donne Hobbes du deuxième membre du verset : « ce commandement qui défend d’épouser une femme délaissée pour cause d’adultère » — « that one Commandment of not marrying her who is put away for adultery[55] ». L’Évangile dit bien, sans varier en fonction de la traduction[56], que celui qui répudie sa femme « sauf » pour cause d’infidélité l’expose à devenir adultère ; la suite du verset conserve à notre sens la clause suspensive introduite dans la même proposition (« celui qui épouse une femme répudiée < sauf pour cause d’infidélité > commet un adultère »). Dans le cas contraire nous aurions un double régime de légalité, où la femme qui a été répudiée pour adultère et qui se remarie n’est pas de nouveau adultère, tandis que l’homme avec qui elle se remarie serait, lui, adultère. C’est impensable dans le paradigme du christianisme primitif au sein duquel c’est l’homme qui était susceptible d’être sanctionné moins durement que la femme par l’Église. Charles Munier le dit sans détour : « Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’Église ancienne a mis des siècles avant de traiter sur un pied d’égalité avec l’homme la femme dont le conjoint s’est rendu coupable d’adultère et dont elle a divorcé[57] ». Il est vrai que la Bible se concentre sur l’adultère féminin, ce qui fait hésiter Augustin sur l’égalité du mari et de son épouse[58]. S’il ne faut pas délier sur terre ce que Dieu a lié dans les cieux (Mt 19,6), il apparaît que les liens n’entravent pas pareillement les deux époux.
Hobbes semble donc penser qu’il est interdit d’épouser la femme qui a été répudiée pour cause d’adultère. Une solution serait de lire la proposition de Hobbes en faisant porter le « pour » (for) sur l’interdiction du mariage et non sur la répudiation. Alors, ce n’est pas qu’est défendu le mariage avec une femme répudiée pour adultère, mais qu’est défendu un mariage avec une femme répudiée parce que c’est un adultère. Pour sa défense, Hobbes évoque bien au chapitre 17 la défense « de faire divorce avec sa femme légitime ». C’est que l’Évangile ne condamne pas tant l’adultère que la répudiation. Il suffit de se référer aux célèbres versets de Jn 8,4-7 que nous citions en introduction, où il est clair que Jésus ne stigmatise pas les femmes coupables d’adultère : « Mais Jésus, se baissant, se mit à tracer du doigt des traits sur le sol. Comme ils continuaient à lui poser des questions, Jésus se redressa et leur dit : “Que celui d’entre vous qui n’a jamais péché lui jette la première pierre” ». La répudiation est condamnée par l’Écriture déjà dans l’Ancien Testament, en Malachie 2,16 : « Car je hais la répudiation, dit l’Éternel, le Dieu d’Israël ». L’adultère est tout juste un motif suffisant pour répudier sa femme, puisqu’en somme seul l’amour peut trahir l’amour[59].
III. Jésus législateur
Maintenant que nous avons explicité l’exégèse et l’origine du commandement matthéen sur la répudiation, nous sommes amenés à nous demander si Jésus ne vient pas finalement introduire une véritable nouvelle loi civile, voire plusieurs, par son Sermon sur la montagne. Au moins doit-on examiner ce qu’il en est pour le mariage et l’adultère, contre la thèse de Hobbes (que défend aussi Augustin). On concédera que le philosophe anglais écrit quelque part qu’« il ne faut pas oublier que ce même Jésus-Christ, en tant que Dieu, a pu avec raison, non seulement enseigner, mais aussi commander tout ce qu’il lui a plu[60] ». Mais c’est davantage une pirouette pour ne pas trop déplaire aux autorités religieuses de son temps, dans lequel il a ruiné de fait la réalité d’une souveraineté divine directe.
Des passages du De Cive déterminent qu’il revient à la législation civile de caractériser l’adultère, de même que le vol ou l’homicide : « Mais ce n’est pas la loi de nature qui enseigne ce que c’est qu’il faut nommer larcin, meurtre, adultère, ou injure en un citoyen. C’est à la loi civile qu’il faut s’en rapporter[61] ». La loi civile est chargée de la définition juridique, néanmoins l’adultère ne se limite pas à cette définition positive, il a aussi une réalité conceptuelle dans la loi naturelle : « Pour ce qu’encore que cette dernière < la loi naturelle > défende le larcin, l’adultère, etc., toutefois, si la loi civile commande de se saisir de quelque chose, cette invasion ne doit point être estimée un larcin ou un adultère, etc.[62] ». Occasionnellement, la loi civile peut paraître autoriser l’adultère (ou le larcin, etc.) alors que le législateur opère un changement de sa définition positive. En d’autres termes, là où l’adultère semble permis par la loi civile, il n’est en vérité plus caractérisé :
En effet, lorsque les Lacédémoniens permirent autrefois à leurs enfants, sous certaines conditions, de prendre le bien d’autrui, ils ordonnèrent que ce qui aurait été pris ne serait plus à autrui, mais à celui qui s’en serait accommodé ; de sorte que la pratique d’une telle adresse n’était pas comptée parmi les larcins : ainsi la conjonction de divers sexes, permise suivant les lois de quelques infidèles, était parmi eux un mariage légitime[63].
Remarquons qu’il en est de même pour le mariage. C’est la définition légale d’un acte par la loi civile qui permet au pouvoir judiciaire de qualifier les délits et de les punir. Mais en tant qu’ils sont soit permis, soit défendus par la raison, il y a une réalité légale naturelle de ces mêmes actes qui sont définis via la législation civile. Or, Jésus n’agit pas autrement qu’en législateur civil lorsqu’il qualifie d’adultère (le grec donne porneia) le fait d’épouser une femme répudiée. Cette qualification est absente du judaïsme. Signalons tout de même que la polysémie de porneia pose un problème majeur de traduction[64], mais ce problème — qui n’est pas sans intérêt — n’est pas le nôtre dans la mesure où Hobbes choisit de traduire par adultery. Ce dernier doit donc reconnaître la concurrence réelle de ce que nous considérons être la législation du Christ avec la législation séculière en matière de droit civil.
Le droit civil recouvre aussi le droit canon chez Hobbes. Après avoir divisé la loi, au paragraphe précédent, en loi divine et loi humaine, la loi divine en loi divine naturelle et loi divine positive[65], il écrit que :
Toute loi humaine est civile : car, hors de la société, l’état des hommes est celui d’une hostilité perpétuelle ; à cause qu’on n’y est point sujet à autrui, et qu’il n’y a point d’autre loi que ce que la raison naturelle dicte, dont on se sert comme de loi divine. Mais dans une république, il n’y a que l’État, c’est-à-dire, le prince, ou la cour souveraine, qui tienne rang de législateur.
Ainsi les lois divines positives, du moment qu’elles excèdent les lois naturelles et s’appliquent à la société, sont civiles. Ce point est confirmé par l’emploi de l’expression « lois divines civiles[66] » pour les lois du peuple d’Israël au temps où Dieu en était le souverain direct. Les lois ayant trait aux « cérémonies et [au] culte divin », qui forment le droit canon[67], appartiennent donc au droit civil ; ce sont des « lois civiles sacrées » (civill sacred Lawes[68]). Or, chose étrange, Hobbes précise qu’« elles ne se trouvent définies par aucune loi divine positive ; car les lois civiles sacrées qui règlent les choses saintes, sont lois humaines et se nomment aussi ecclésiastiques[69] ». Il fait donc une distinction entre les lois divines civiles, qui sont d’origine divine et sont promulguées par Dieu lorsqu’il règne, et les lois civiles sacrées, d’origine humaine. Puisque seul l’État détient le pouvoir législatif, c’est donc que l’Église doit être intégrée dans l’État pour pouvoir promulguer des lois civiles sacrées. L’identification de l’Église et de l’État dit « chrétien » est un trait caractéristique de la pensée hobbesienne, avec des conséquences radicales qui figurent parmi les motifs de sa mise à l’Index[70]. Quant aux lois divines civiles, elles relèvent d’une autre ère.
Dans le même temps, Hobbes affirme que Jésus a instauré les sacrements du Baptême et de l’Eucharistie : « […] nous ne lisons point qu’outre ces lois-là < celles de la loi morale, du Décalogue et de la foi d’Abraham >, il en ait établi aucunes autres, si ce n’est les sacrements du Baptême et de l’Eucharistie[71] ». Nous pouvons ajouter que, pour ce qui est du culte, la prière du Notre Père est dictée au mot près par Jésus en guise d’archétype liturgique (Mt 6,9-13 et, dans une version plus concise, Lc 11,2-4). Cela confine à la contradiction : soit Jésus est homme et il édicte des lois civiles sacrées, ce qui n’est pas pensable pour Hobbes puisque Jésus est Dieu[72], soit Jésus est Dieu et il promulgue des lois divines civiles, auquel cas il règne sur les hommes. Il est vrai que la double nature du Christ n’est pas pour se plier aux catégories hobbesiennes. C’est sans doute l’une des raisons qui expliquent le refus de Hobbes d’attribuer à Jésus une quelconque action législatrice, par quoi il s’empêche de pouvoir penser l’Eucharistie ou le Baptême. Du reste, l’aversion de Hobbes vis-à-vis des débats scolastiques sur les sacrements et du syncrétisme de l’Église est bien connue du Léviathan[73]. On la perçoit déjà dans le De Cive :
Les controverses touchant le purgatoire et les indulgences sont pour le gain. Celles du franc-arbitre, de la justification, et de la manière de recevoir Christ dans le sacrement de l’Eucharistie, sont des questions philosophiques. Outre lesquelles il y en a je ne sais combien d’autres sur des coutumes et des cérémonies, qui n’ont pas tant été introduites, comme elles ont été laissées dans l’Église moins purgée des façons de faire du paganisme. Mais il n’est pas nécessaire que je m’arrête à en faire ici une longue énumération[74].
On doit admettre que des ajustements ont eu lieu entre les différentes confessions chrétiennes dans la pratique de l’Eucharistie, avec l’exemple protestant de la Sainte-Cène. On peut aussi concéder l’existence de querelles théologiques autour du mode de présence du Christ dans le cérémonial eucharistique, la fameuse transsubstantiation. Mais ces divergences n’auraient pu avoir lieu sans un commandement originel qui, lui, demeure une loi positive divine scripturaire propre à la Nouvelle Alliance.
La réponse qu’aurait Hobbes à nous faire n’est pas difficile à imaginer, on peut se baser pour cela sur ce qu’il écrit au chapitre 17, paragraphe 8 :
[…] le canon, ou la règle de la doctrine chrétienne, par laquelle on décide toutes les controverses sur le fait de la religion, ne peut point être assignée en aucune interprétation mise par écrit. Reste donc, que l’interprète canonique doive être celui duquel la charge légitime est de terminer les différends, en exposant la parole de Dieu dans ses jugements ; et partant, celui à l’autorité duquel il ne se faut pas moins tenir, qu’à celle des premiers fidèles qui nous ont recommandé l’Écriture comme le canon de notre foi, et l’unique règle de ce que nous devons croire. Si bien que le même qui est interprète de l’Écriture sainte, est le souverain juge de toutes les doctrines qui y sont enseignées[75].
Si Jésus a effectivement ordonné des commandements précis appartenant au domaine du droit civil et du droit canon, sa parole reste à être interprétée par des autorités compétentes. Le dernier mot revient toujours au souverain, même lorsqu’il s’agit de la Parole. La seule question qui nous vient face à ces circonvolutions de Hobbes est la suivante : en finalité, que laisse-t-il à Jésus ? Nous croyons qu’il aurait été possible de penser une loi de Jésus sur le modèle dont Hobbes pensait la « foi d’Abraham ». Sans régner directement sur le peuple, Dieu continuerait à dicter des commandements par la médiation prophétique. Mais le prophète, même seul, occupe un terrain qui appartient déjà au souverain[76]. La façon dont Hobbes initie sa recherche du pouvoir légitime touchant aux « choses spirituelles » suffit à révéler sa pensée profonde :
Si est-ce qu’il < Paul > n’a pas défini, ni donné des règles par le moyen desquelles nous sachions discerner ce qui part de la raison naturelle, et ce qui procède de l’inspiration divine. [XV.] Puis donc qu’il nous conte que notre Sauveur a donné, ou pour mieux dire, n’a pas ôté aux princes, et aux puissances souveraines dans chaque sorte d’État, l’autorité suprême de juger et de décider toutes les controverses touchant les choses temporelles[77].
Ce que le Seigneur donne aux hommes, c’est ce qu’il prend au prince. Dès qu’il s’agit du Christ, Hobbes veille en conséquence à bien séparer le domaine de la loi et celui de la foi, de peur qu’on puisse légitimer l’une à partir de l’autre à son époque :
Je dis que toute la loi de Christ est expliquée aux chapitres allégués, et non pas toute sa doctrine : car je mets de la différence entre ces deux choses ; la foi étant une partie de la doctrine chrétienne qui ne peut pas être comprise sous le nom de la loi. D’ailleurs les lois sont données pour régler les actions de notre volonté et ne touchent point à nos opinions. Les matières de la foi et qui regardent la créance, ne sont pas de la juridiction de notre volonté et sont hors de notre puissance[78].
En somme, la doctrine du Christ contient une part légale, dans laquelle se trouve la loi naturelle fondée dans la raison divine mais aussi la loi positive de Dieu, et une part doctrinale qui relève de la pistis, adhésion personnelle à la certitude d’une croyance. Contrairement à ce qui avait cours dans l’alliance abrahamique, la foi en Christ ne peut impliquer aucune loi. Même pour l’obtention du salut, Hobbes se défend qu’on puisse exiger une adhésion personnelle aux dogmes de l’Église, si ce n’est que « Jésus est le Christ », « pourvu qu’on désire de croire et qu’on en fasse profession extérieure toutes fois et quantes qu’il en est de besoin[79] ». Tout porte à croire qu’on a affaire à une sacralisation du politique plus qu’à une sécularisation du sacré[80].
Conclusion
Avec le De Cive, Hobbes espérait parler à ses compatriotes, même si l’on sait que l’influence du traité dans la monarchie anglaise y a été moindre que celle qu’il escomptait. On y retrouve donc naturellement des idées qui ont eu cours en Angleterre, à commencer par la double figure du souverain, à la fois chef de l’État et chef de l’Église. Le schisme anglican avait ouvert la voie à cette rupture historique. Il n’est pas anodin que l’élément déclencheur de ce schisme soit une querelle entre Rome et Londres autour de l’annulation du divorce d’Henri VIII, en vue d’autoriser un second mariage. La contrainte légale s’exerce alors au croisement de la loi humaine et de la loi divine, du droit civil et du droit canonique. Au centre, c’est encore la femme, créature de Dieu autant qu’objet juridique.
Hobbes entend façonner des catégories philosophiques susceptibles d’éclairer les rapports entre ces réalités plurielles. Pour surmonter l’opposition de l’universalité de la nature humaine à la particularité de la révélation, il fait de la raison de l’homme un don de Dieu. La parole de la raison s’identifie à la Parole qui promulgue les lois naturelles et garantit leur statut. La comparaison des lois de nature et des lois révélées rend visible la dualité de cette parole, humaine et divine, à laquelle s’ajoute la parole prophétique. Le problème est que les textes saints et les prophètes manipulent des entités légales différentes : maximes de la loi naturelle, loi divines positives, lois civiles sacrées… Hobbes doit attribuer à chacun les régimes de lois qui lui échoient, dans une classification conceptuellement rigoureuse. Si les concepts ne font pas défaut au philosophe anglais, ils semblent néanmoins orientés vers la détermination d’un espace qui profite largement à l’État civil et au pouvoir temporel. À cela s’ajoute une historiographie tout aussi orientée, qui place la Nouvelle Alliance sous le signe de l’autorité humaine : l’Église et l’État chrétien sont fondus dans une doctrine politique qui fut rapidement condamnée par la congrégation de l’Index.
Mais toute classification catégorique génère des « cas-limite » qui la compromettent. La loi néotestamentaire qui condamne la répudiation des femmes s’apparente, pour reprendre une image humienne, à un grain de sable qui enraye la machine conceptuelle de Hobbes. Ici intégrée à la « foi d’Abraham », là à la Loi mosaïque, elle peine à ne pas faire de Jésus un législateur civil dans la Nouvelle Alliance. Le problème devient inextricable lorsqu’on interroge le statut et la portée des commandements cultuels introduits par le Christ, telle l’Eucharistie. L’enrayement est tel que la distinction entre loi divine civile et loi civile sacrée n’est plus opérante, le droit canonique n’est plus clairement défini et, surtout, la souveraineté divine finit par concurrencer la souveraineté humaine. De surcroît l’interprétation lapidaire que fait Hobbes du verset de Matthieu laisse planer le doute sur son exégèse.
Pour clore notre propos, nous dirons que le jusnaturalisme théiste, tel qu’il est construit dans le De Cive, offre au souverain civil une forteresse imprenable — si imprenable que Dieu, qui en a fourni les pierres, peine désormais à y accéder. Mais la forteresse s’avère être un château de cartes que Jésus fait s’écrouler. Dans les ruines, on devine des cartes blanches : ce sont encore les droits des femmes. Précédé par les Elements of Law, le De Cive aura au moins eu le mérite de renouveler l’approche traditionnelle de la loi naturelle et de bouleverser l’opposition entre raison et révélation.
Appendices
Notes
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[1]
Claude Lévi-Strauss, Les structures élémentaires de la parenté, Paris, EHESS (coll. « En temps & lieux », 71), 2017 [1948].
-
[2]
Claude Lévi-Strauss démontre comment les pratiques de mariage au sein des sociétés dépendent ultimement de règles qui trouvent leur fondement dans la prohibition de l’inceste. La qualification même de l’inceste n’est pas homogène entre les cultures, mais il est toujours normatif. Voir, en particulier, les passages consacrés à la distinction entre « mariage préférentiel » et « mariage prescriptif », ou « endogamie » et « exogamie », dans Id., Les structures élémentaires de la parenté, p. 34-60 (chap. III et IV).
-
[3]
Jn 8,4-7. Sauf mention contraire, nous citons d’après la Traduction oecuménique de la Bible (2010).
-
[4]
Nous nous basons, pour le détail de la législation, sur Philippe Moreau, « Loi Iulia réprimant l’adultère et d’autres délits sexuels », dans Jean-Louis Ferrary, Philippe Moreau, dir., Lepor. Leges Populi Romani, Paris (IRHT-TELMA), 2007, http://telma.irht.cnrs.fr/outils/lepor/notice432/ [mis à jour le 12/03/2020].
-
[5]
Parmi ces conditions, il était expressément prescrit de tuer l’amant avec la femme, sans « [aucun] délai », et le père devait à la fois être le géniteur et le pater familias (ibid., § 6. 2). Toujours d’après Philippe Moreau, les historiens ne s’accordent pas sur la relation de ce ius occidendi au droit plus général de vie et de mort dont jouissait le pater familias (le ius vitae necisque).
-
[6]
Joseph Mélèze-Modrzejewski, « La fiancée adultère : À propos de la pratique matrimoniale du judaïsme hellénisé à la lumière du dossier du politeuma juif d’Hérakléopolis (144/3-133/2 av. J.-C.) », dans Jean-Christophe Couvenhes, Bernard Legras, dir., Transferts culturels et politiques dans le monde hellénistique : Actes de la table ronde sur les identités collectives (Sorbonne, 7 février 2004), Paris, Éditions de la Sorbonne, 2006, p. 103-118.
-
[7]
Philippe Moreau (« Loi Iulia réprimant l’adultère et d’autres délits sexuels », § 5) note que « l’infidélité d’un mari envers son épouse n’était donc pas susceptible de répression à titre d’adulterium ou de stuprum (C., 9, 9, 1 ; Hier., Epist., 77, 3), si elle ne troublait pas le mariage d’un tiers (Ankum, 1985, 162, n. 53) ».
-
[8]
L’adultère peut certes être exporté à des systèmes polygames, notamment du type où un certain groupe seulement est astreint à un partenaire exclusif (polygynie ou polyandrie). Mais notre intention n’est pas de faire une monographie de l’adultère, ce qui a déjà été fait maintes fois et n’affecterait pas notre propos.
-
[9]
Lévi-Strauss, La pensée sauvage, p. 326-327, cité par Ugo Fabietti, « Lévi-Strauss moderne, ultramoderne, antimoderne », Diogène, 2, 238 (2012), p. 36.
-
[10]
Fabietti, « Lévi-Strauss moderne, ultramoderne, antimoderne », p. 36-39.
-
[11]
Une remarquable passe d’armes à ce propos a eu lieu dans les Archives de sciences sociales des religions, entre le philosophe Roger Pouivet et le sociologue Charles-Henry Cuin. En substance, le philosophe attaque les sciences sociales sur leur rejet a priori de toute origine surnaturelle des croyances religieuses ; le sociologue répond en invoquant la méthode scientifique et la limitation objective propre à chaque discipline. Mais on se reportera utilement aux auteurs eux-mêmes, qui finissent par aborder l’idée d’un véritable divorce disciplinaire sur ces questions, cf. Pouivet, « Christianisme, épistémologie et sciences humaines », Archives de sciences sociales des religions, 169 (2015), p. 143-156 ; Cuin, « Réponse à Roger Pouivet », Archives de sciences sociales des religions, 173 (2016), p. 245-264 ; Pouivet, « “Christianisme, épistémologie et sciences humaines” défendu », Archives de sciences sociales des religions, 177 (2017), p. 303-312.
-
[12]
Sur les logiques communautaires en jeu dans la pratique religieuse sous l’Empire, voir Marie-Françoise Baslez, Comment notre monde est devenu chrétien, Paris, Points (coll. « Points Histoire », 441), 2011, p. 59-77. Aussi Guy G. Stroumsa, La fin du sacrifice. Les mutations religieuses de l’Antiquité tardive, Paris, Odile Jacob (coll. « Collège de France »), 2005, p. 145-186.
-
[13]
Pour la version anglaise, nous citons depuis l’édition de référence de Thomas Hobbes, De Cive : The English Version entitled in the First Edition Philosophicall Rudiments concerning Government and Society, vol. 3, 1re éd., Oxford, Clarendon Press (coll. « The Clarendon Edition of the Philosophical Works of Thomas Hobbes »), 1983 [1651], trad. Howard Warrender. Pour la traduction française, depuis Thomas Hobbes, Le citoyen ou les fondements de la politique, Paris, Flammarion (coll. « G.F. », 385), 1990, trad. Samuel Sorbière [1649]. La version latine (dont la première est datée de 1642) ne nous a pas été utile.
-
[14]
Le lecteur peut se reporter aux précieuses tables de Deborah Baumgold, Three-text Edition of Thomas Hobbes’s Political Theory. The Elements of Law, De Cive, and Leviathan, New York, Cambridge University Press, 2017. Pour les Elements of Law, Yves Charles Zarka souligne que « d’une part, le De Cive est plus systématique, d’autre part, il est plus péremptoire », dans Hobbes et la pensée politique moderne, Paris, PUF, 2012, p. 157. Pour le Léviathan, un bref résumé de la nature des lois qui se sont appliquées au peuple juif au cours de son histoire et de ses alliances avec Dieu est donné au chapitre 42. Cependant, au-delà de ce chapitre, on retrouve de nombreux passages repris du De Cive, parfois tels quels (comparer par exemple le début du chapitre 43 du Léviathan au deuxième paragraphe du chapitre 18 du De Cive). Il n’est donc pas surprenant que des ouvrages généraux sur la religion chez Hobbes s’appuient sur ces deux sources, cf. Jacqueline Lagrée, La religion selon Hobbes : lecture du Léviathan III et IV et du De Cive III, Rennes, Presses universitaires de Rennes (coll. « Didact »), 2022.
-
[15]
Cf. Baumgold, Three-text Edition of Thomas Hobbes’s Political Theory.
-
[16]
Artemio Enzo Baldini, « Censures de l’Église romaine contre Hobbes : De Cive et Léviathan », dans « Bulletin Hobbes XIII. Bibliographie critique internationale des études hobbesiennes pour l’année 1999 », Archives de Philosophie, 64, 2 (2001), p. 2-7.
-
[17]
Hobbes, Le citoyen ou les fondements de la politique, p. 102.
-
[18]
Ibid., p. 102-103.
-
[19]
« […] therefore True Reason is a certaine Law, which (since it is no lesse a part of Humane nature, then any other faculty, or affection of the mind) is also termed naturall » (Id., De Cive : The English Version, p. 52).
-
[20]
Cf. Zarka, Hobbes et la pensée politique moderne, p. 150.
-
[21]
Hobbes, Le citoyen ou les fondements de la politique, p. 129-130.
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[22]
Cf. De Cive, III, chap. 15, § 7. Dans le sens de cette interprétation, voir Franck Lessay, Souveraineté et légitimité chez Hobbes, Paris, PUF, 1988, p. 171-174.
-
[23]
Hobbes, Le citoyen ou les fondements de la politique, p. 128-129.
-
[24]
Cf. Zarka, Hobbes et la pensée politique moderne, p. 150.
-
[25]
Dans sa controverse avec l’évêque John Bramhall, Hobbes a eu recours à la distinction entre Dieu comme cause et Dieu comme personne, non sans lien avec la distinction entre foi et raison. Sur ces distinctions et les tensions conceptuelles dont elles sont source, consulter les pages de George Wright, Religion, Politics and Thomas Hobbes, Dordrecht, Springer (coll. « Archives internationales d’histoire des idées », 195), 2006, p. 271-278.
-
[26]
Cf. Zarka, Hobbes et la pensée politique moderne, p. 154.
-
[27]
Yves Charles Zarka affirme que « [les] commentateurs ont consacré un nombre considérable de pages à ce problème » (ibid., p. 150). Grossièrement, ils se répartissent entre une interprétation positiviste (où la loi naturelle n’a en soi qu’une valeur conditionnelle) et une interprétation naturaliste (où la loi naturelle a bien une valeur prescriptive en soi), cette dernière interprétation étant aujourd’hui minoritaire. Un examen attentif et exhaustif des lois naturelles établies par Hobbes, que nous espérons encourager, renforcerait l’interprétation naturaliste, à en croire David Dyzenhaus, « Hobbes and the Legitimacy of Law », Law and Philosophy, 20, 5 (2001), p. 461-498. Dans le sens contraire, on peut lire David Gauthier, « Hobbes : The Laws of Nature », Pacific Philosophical Quarterly, 82, 3-4 (2001), p. 258-284, en particulier p. 279-281. Yves Charles Zarka adopte d’après nous une position moyenne, arguant que « la loi naturelle est vécue sur le mode d’une obligation interne ou de conscience dont toute la force réside dans les raisons » (Hobbes et la pensée politique moderne, p. 150) mais qu’elle « ne peut être complètement fondée que comme corrélat d’un commandement qui, en l’occurrence, ne peut nous être imposé comme tel ni par notre propre raison, ni par autrui, mais par […] Dieu » (ibid., p. 159).
-
[28]
Hobbes, Le citoyen ou les fondements de la politique, p. 261.
-
[29]
Cf. De Cive, III, 16, § 1-8.
-
[30]
Hobbes, Le citoyen ou les fondements de la politique, p. 261.
-
[31]
Ibid., p. 129-130.
-
[32]
Ibid., p. 308 ; De Cive : The English Version, p. 225.
-
[33]
« Les raisonnements que j’ai formés jusqu’ici, montrent très évidemment qu’en une cité parfaite, (c’est-à-dire en un État bien policé, où aucun particulier n’a le droit de se servir de ses forces comme il lui plaira pour sa propre conservation, ce que je dirais en d’autres termes, où le droit du glaive privé est ôté) il faut qu’il y ait une certaine personne qui possède une puissance suprême, la plus haute que les hommes puissent raisonnablement conférer et même qu’ils puissent recevoir » (Hobbes, Le citoyen ou les fondements de la politique, p. 155).
-
[34]
Lessay, Souveraineté et légitimité chez Hobbes, p. 173.
-
[35]
Ibid., p. 134.
-
[36]
Hobbes, De Cive : The English Version, p. 81.
-
[37]
Nous renvoyons à l’article de Boris Gitel, « À qui profite la survenance ? », Revue de métaphysique et de morale, 51, 3 (2006), p. 349-373.
-
[38]
Hobbes, Le citoyen ou les fondements de la politique, p. 137.
-
[39]
Ibid., p. 245.
-
[40]
Ibid., p. 304.
-
[41]
Ibid., p. 305.
-
[42]
Ibid., p. 309 ; De Cive : The English Version, p. 226.
-
[43]
Rm 3,27. Voir Jacob Taubes, La théologie politique de Paul. Schmitt, Benjamin, Nietzsche et Freud, Paris, Seuil (coll. « Traces écrites »), 1999, trad. de Mira Köller et de Dominique Séglard, p. 45-51 ; Guy Lafon, « Une loi de foi. La pensée de la loi en Romains 3,19-31 », Revue des Sciences Religieuses, 61, 1-2 (1987), p. 32-53.
-
[44]
Hobbes, Le citoyen ou les fondements de la politique, p. 283.
-
[45]
Voir De Cive, chap. 16, § 4.
-
[46]
Hobbes, Le citoyen ou les fondements de la politique, p. 285.
-
[47]
Pour une analyse plus fouillée du texte consacré aux anciennes alliances, voir Jean Terrel, « Le royaume mosaïque selon le De cive, le Léviathan et le Traité théologico-politique », dans Julie Saada, éd., Hobbes, Spinoza ou les politiques de la Parole, Lyon, ENS Éditions, 2009, p. 135-164.
-
[48]
Cf. De Cive, chap. 16, § 10.
-
[49]
Hobbes, Le citoyen ou les fondements de la politique, p. 309.
-
[50]
Mt 5,31-32. Nous utilisons ici la traduction Segond (1975) qui, pour le français, nous paraît la plus proche du commentaire de Hobbes. La TOB (2010) donne : « D’autre part il a été dit : Si quelqu’un répudie sa femme, qu’il lui remette un certificat de répudiation. Et moi, je vous dis : quiconque répudie sa femme — sauf en cas d’union illégale — la pousse à l’adultère ; et si quelqu’un épouse une répudiée, il est adultère ».
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[51]
Marie-François Berrouard, « Augustin et l’indissolubilité du mariage. Évolutions de sa pensée », Studia Patristica, 11 (1972), p. 291-306.
-
[52]
Les régimes matrimoniaux traditionnels romains, sine manu ou cum manu, déterminent littéralement qui a la « main » sur l’épouse.
-
[53]
Ne fait précisément exception que l’adultère pour Augustin, à ceci près que les époux ne peuvent contracter de nouvelle union et doivent soit rester dans la continence, soit se réconcilier. Dans les Retractationes toutefois, la réconciliation est finalement exclue (Berrouard, « Augustin et l’indissolubilité du mariage », p. 153-155).
-
[54]
Ibid., p. 140.
-
[55]
Hobbes, De Cive : The English Version, p. 84.
-
[56]
En comparant avec les éditions francophones de la TOB (2010), de Martin (1744) et de Darby (1872). Pour la traduction anglaise, la King James (1611) — disponible à l’époque de la rédaction du De Cive — maintient le « sauf » (saving) : « whosoever shall put away his wife, saving for the cause of fornication, causeth her to commit adultery ». On note au passage la modulation entre fornication et adultery qui n’apparaît pas chez Hobbes.
-
[57]
Charles Munier, « Divorce, remariage et pénitence dans l’Église primitive », Revue des Sciences Religieuses, 52, 2 (1978), p. 106.
-
[58]
Berrouard, « Augustin et l’indissolubilité du mariage », p. 144-151.
-
[59]
On peut dire que la répudiation pour adultère est toujours d’actualité. On parle aujourd’hui de « divorce pour faute », dont la réalité juridique est bien attestée en droit français. L’adultère permet encore de caractériser une faute dans le contrat de mariage, bien que le divorce ne soit plus systématique. Voir le site du service public français à l’entrée « Divorce pour faute », vérifiée d’après le même site le 30 septembre 2021 : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F10577.
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[60]
Hobbes, Le citoyen ou les fondements de la politique, p. 313.
-
[61]
Ibid., p. 161.
-
[62]
Ibid., p. 248.
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[63]
Ibid.
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[64]
On peut se référer, pour une exposition assez exhaustive des problèmes de traduction et des enjeux, à l’article d’André Feuillet, « L’indissolubilité du mariage et le monde féminin d’après la doctrine évangélique et quelques autres données bibliques parallèles », Scripta Theologica, 17, 2 (1985), p. 415-461, en particulier p. 429-434.
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[65]
Hobbes, Le citoyen ou les fondements de la politique, p. 245.
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[66]
Ibid.
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[67]
Ibid., p. 246.
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[68]
Id., De Cive : The English Version, p. 171.
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[69]
Id., Le citoyen ou les fondements de la politique, p. 246.
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[70]
D’après Baldini, « Censures de l’Église romaine contre Hobbes », p. 5, l’une des accusations du censeur porte sur le « fondement de tout l’échafaudage logique et argumentatif du De Cive », qui n’est autre que l’ultime proposition du chapitre 17, selon laquelle « le prince souverain est le chef de l’Église aussi bien que celui de l’État : car l’Église et la république chrétienne ne sont au fond qu’une même chose » (Hobbes, Le citoyen ou les fondements de la politique, p. 337) — « Qui summum habet imperium caput est et Civitatis et Ecclesiae. Una enim est Ecclesia et Civitas christiana ».
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[71]
Hobbes, Le citoyen ou les fondements de la politique, p. 309.
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[72]
C’était le sens du passage où Hobbes dit qu’en tant que Dieu, Jésus a pu « commander tout ce qu’il lui a plu » (ibid., p. 313).
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[73]
On cite Alain de Libéra, « La raison du sacrement. Eucharistie et philosophie », Transversalités, 105, 1 (2008), p. 66 : « Pour ce qui est de la raison philosophique, c’est parmi les causes des “conclusions absurdes” dont la philosophie abonde, la dénonciation du recours “à des dénominations qui ne veulent rien dire, reçues des Écoles et apprises par coeur, telles que hypostatique, transsubstantié, consubstancié, maintenant-éternel, et tout le jargon similaire des scolastiques”. Pour ce qui est du sacrement, c’est parmi les “quatre causes des ténèbres spirituelles”, l’attaque portée contre la tendance à “mêler à l’Écriture plusieurs restes de la religion des Grecs, et beaucoup d’éléments de leur philosophie vaine et erronée, spécialement de celle d’Aristote” ».
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[74]
Hobbes, Le citoyen ou les fondements de la politique, p. 354.
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[75]
Ibid., p. 318.
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[76]
Les thèses de Hobbes irriguent son herméneutique de la Bible, avec des résultats discutables. Cette lecture biaisée est décrite pour le Livre de Samuel, sur l’instauration de la royauté en Israël à partir de Saül, par Jorge Alfonso, « La lectura política de la Biblia y una aplicación a Thomas Hobbes y su interpretación del Libro de Samuel », Pensamiento, 69, 260 (2013), p. 423-439, en particulier p. 436-439.
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[77]
Hobbes, Le citoyen ou les fondements de la politique, p. 315. Nous soulignons la partie médiane.
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[78]
Ibid., p. 137.
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[79]
Ibid., p. 352-355.
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[80]
D’après Montserrat Herrero, « The “Philosophical Bible” and the Secular State », The European Legacy, 22 (2017), p. 31-48.