Laval théologique et philosophique
Volume 79, Number 1, 2023
Table of contents (10 articles)
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Loi naturelle, révélation et droit des femmes dans le De Cive de Thomas Hobbes : un mariage malheureux
Théo Certain
pp. 3–20
AbstractFR:
Cet article prend pour point de départ la place toute particulière qu’occupent les femmes dans les normes légales dès l’Antiquité, y compris dans les textes sacrés, et notamment dans la législation sur le mariage et l’adultère. Nous présentons alors, à partir du De Cive, le jusnaturalisme théiste de Hobbes comme une tentative originale de fonder en Dieu et en raison les lois auxquelles sont soumises les femmes. Mais au moment de son exégèse des versets 5,31-32 de l’évangile de Matthieu sur la répudiation, il semble que son arsenal conceptuel vacille : entre règne temporel et autorité divine, la figure de Jésus menace l’édifice hobbesien de s’écrouler. Nous concluons sur l’idée que c’est encore la législation positive autour des femmes qui cristallise les problèmes cruciaux de l’anthropologie du droit et, plus largement, du rapport entre l'humain et le divin.
EN:
This paper takes as its starting point the particular place of woman in the legal norms since Antiquity, including in sacred texts, especially in the legislation on marriage and adultery. We then present, from De Cive, the Hobbes’ theistic jusnaturalism as an original attempt to found in God and in reason the laws to which women are subjected. But at the moment of his exegesis of verses 5,31-32 of the Gospel of Matthew on repudiation, it seems that his conceptual arsenal wavers : between temporal reign and divine authority, the figure of Jesus threatens the Hobbesian edifice with collapse. We conclude with the idea that it is still positive legislation around women that crystallizes the crucial problems of the anthropology of law and, more generally, of the relationship between the human and the divine.
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Witnessing as an Existential Phenomenon
Cristian Ciocan
pp. 21–43
AbstractEN:
In this article, I propose an exploration of the phenomenon of testimony. I argue that the phenomenological viewpoint makes possible an integrative approach to testimony, understood as a phenomenon that engages the entire existential structure of the subject, articulating the relations between language, presence, memory, truth, and temporality. The witness is not only the one who testifies, but first of all the one who faces, in experiential presence, an event whose meaning is overwhelming and thereby institutes the subject as a witness : either as an “enduring witness” if what is at stake is primarily the ownmost self of the witness as such, or as an “eyewitness” if what is at stake is mainly the other. Testimony displays its peculiar significance in the tension between the ontological pole, where the witness is understood as “being there” in the presence of the event on the experiential level, and the hermeneutical pole, where the witness is summoned in front of the others on the level of language. A further difference should be traced between a “confessing-witness,” when the testimony concerns precisely what the witness endured, and the “third-party witness,” whose bearing witness concerns what one mainly observed without enduring it oneself.
FR:
Dans cet article, je propose une exploration du phénomène du témoignage. Mon but est de montrer que la perspective phénoménologique rend possible une approche intégrative du témoignage, compris comme un phénomène qui engage la structure existentielle du sujet, articulant les relations entre langage, présence, mémoire, vérité et temporalité. Le témoin n’est pas seulement celui qui témoigne, mais d’abord celui qui affronte, dans sa présence expérientielle, un événement dont le sens est bouleversant et institue ainsi le sujet comme témoin : soit comme « témoin endurant » si l’enjeu est d’abord le soi le plus propre du témoin, ou comme « témoin oculaire » s’il s’agit principalement de l’autre. Le témoignage trouve sa signification particulière dans la tension qui se creuse entre le pôle ontologique, où le témoin est compris comme « être là » en présence de l’événement sur le plan expérientiel, et le pôle herméneutique, où le témoin est convoqué devant les autres au niveau du langage. Une autre différence doit être tracée entre le « témoin-confessant », lorsque le témoignage porte précisément sur ce que le témoin a enduré soi-même, et le « témoin-tiers », dont le témoignage porte sur ce que l’on a principalement observé sans le subir soi-même.
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L’évolution philosophique de Sartre dans Qu’est-ce que la littérature ?
Michel Dalissier
pp. 45–71
AbstractFR:
Dans cette étude, nous examinons l’apport philosophique de l’ouvrage de Jean-Paul Sartre, Qu’est-ce que la littérature ? (1948), dans le contexte de la méditation existentialiste de cette époque (Beauvoir et Merleau-Ponty). Nous établissons en quel sens Sartre y étaye le concept de liberté, selon ses aspects épistémique et praxique de témoignage et de prise de conscience, ainsi que ses dimensions intrinsèques de négativité et de construction. Nous poursuivons en montrant en quoi cet approfondissement conceptuel entraîne une méditation nouvelle par Sartre du philosophème « faire l’Histoire ». Une telle méditation impose une modification drastique de la préséance et de l’ordre de ce que Sartre nomme les « catégories cardinales de la réalité humaine », laquelle se fait au détriment de celles de l’être et de l’avoir, et au profit de celle du faire. Nous montrons en quoi il y a là un changement de cap par rapport aux analyses de L’être et le néant. Nous terminons en envisageant les conséquences de cet approfondissement conceptuel de la liberté, de cette méditation de l’histoire et de ce remaniement catégoriel pour les questions du sens praxique de la littérature, de sa forme adéquate et de sa possible totalisation.
EN:
In this paper, I focus on the specific philosophical contribution of Jean-Paul Sartre’s What is Literature ? (1948), in the context of the existentialist meditation of this period (Beauvoir and Merleau-Ponty). I first establish how Sartre underpins the concept of freedom, by probing its epistemic aspect of testimony and its practical aspect of consciousness-raising, as well as its intrinsic dimensions of negativity and construction. Furthermore, I prove that such a conceptual improvement entails a fresh meditation by Sartre on the motive “making History”. Such meditation corresponds to a drastic modification of the precedence and order of what Sartre describes as “the cardinal categories of human reality”, to the detriment of the categories of being and having, and in favor of the category of making. I demonstrate that there is a shift from Being and Nothingness. I conclude by considering the significance of such a conceptual improvement of freedom, such a meditation of history, and such a categorial reshuffle, when it comes to the questions of the practical meaning of literature, of its appropriate form, and of its possible totalization.
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La théorie de la vérité dans la Logique de Clauberg
Andre Rocha
pp. 73–85
AbstractFR:
Le but de ce texte est d’analyser la Logique Ancienne et Nouvelle de Clauberg pour montrer qu’elle établit un nouveau principe de vérité fondé sur la gnoséologie de Descartes et sur la véracité de Dieu. Le principe de vérité est conçu à partir de la philosophie moderne de Descartes, mais en adaptant le principe de bivalence du De Interpretatione de Aristote. La Logique de Port-Royal construit le chemin inverse, c’est-à-dire l’adaptation de la philosophie cartésienne aux principes de la logique aristotélicienne. Chez Clauberg, cependant, l’argument ontologique se trouve au fondement de la vérité des idées claires et aussi des propositions vraies.
EN:
The aim of this paper is to show that Clauberg’s Logic reformulates Aristotle’s principle of bivalence according to the concept of truth advanced by Descartes. While the Logic of Port-Royal later tried to adapt the concepts of modern Cartesian philosophy to Aristotle’s analytical logic, Clauberg’s Logic had already opened up the history of modern Cartesian logic by trying the inverse pathway, i.e., by intending to reformulate the principles of old logic according to the newly born Cartesian concepts. In Clauberg’s logic, the ontological argument is the foundation for the truthfulness of ideas and propositions.
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Pourquoi la démonstration fait-elle progresser la connaissance ? Le cas de Thomas d’Aquin et de l’al-Ghazālī latin
José Antonio Valdivia Fuenzalida
pp. 87–112
AbstractFR:
Cette étude tente de montrer que la démonstration est conçue par les commentateurs médiévaux comme un instrument permettant de faire progresser la connaissance du monde. Même si la théorie de la démonstration n’est pas une « logique de la découverte », elle aurait pour but spécifique de décrire les caractéristiques que devrait avoir un discours apte à manifester l’articulation causale de choses appartenant à un même genre. À partir de l’analyse de quelques textes de Thomas d’Aquin sur la distinction entre la connaissance propter quid et la connaissance quia, on montrera que ladite articulation représente la nouveauté même qui est censée être acquise par un syllogisme démonstratif. Cette conclusion sera confirmée par l’étude de quelques textes de la Logica d’al-Ghazālī qui semblent révéler des présupposés présents dans certains écrits des commentateurs latins comme Thomas d’Aquin.
EN:
This study is an attempt to show that demonstration was conceived by medieval commentators as an instrument for advancing knowledge of the world. Although the theory of demonstration is not a “logic of discovery”, its specific aim would be to describe the characteristics that should have a discourse to be able to express the causal articulation of things belonging to the same genre. From the analysis of some texts by Thomas Aquinas on the distinction between knowledge propter quid and knowledge quia, it will be shown that the causal articulation represents the very novelty which is supposed to be acquired by a demonstrative syllogism. This conclusion will be confirmed by the analysis of some texts of the al-Ghazālī’s Logica which seem to reveal presuppositions of the writings of Latin commentators like Thomas Aquinas.
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Extrême humilité : la ἐξουδένωσις dans le monachisme primitif
Fabrizio Vecoli
pp. 113–129
AbstractFR:
L’article se propose d’analyser un terme-clé du langage technique des premiers moines chrétiens. Le but est de faire ressortir un concept fondamental de la doctrine monastique ancienne. Il s’agit du mot grec ἐξουδένωσις, qui normalement indique le mépris, mais qui est traduit par « anéantissement » quand il est utilisé par les auteurs monastiques dans certains contextes. L’analyse des sources montre que ce mot acquiert une signification nouvelle quand il se réfère à un aspect de la praxis ascétique. En assemblant et comparant les passages où apparaît la ἐξουδένωσις, il est possible d’en clarifier le sens et d’approfondir par là notre compréhension de la spiritualité chrétienne
EN:
The article proposes to analyze a key term of the technical language of the first Christian monks. The goal is to highlight a fundamental concept of ancient monastic doctrine. This is about the Greek word ἐξουδένωσις, which normally indicates contempt but is translated as “annihilation” when used by monastic authors in certain contexts. The analysis of the sources shows that this word acquires a new meaning when it refers to an aspect of ascetic praxis. By assembling and comparing the passages where the ἐξουδένωσις appears, it is possible to clarify its meaning and thereby deepen our understanding of Christian spirituality.
Recensions
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Jost Gippert, Caroline Macé, ed., The Multilingual Physiologus. Studies in the Oldest Greek Recension and its Translations. Turnhout, Brepols Publishers n.v. (coll. “Instrumenta Patristica et Mediaevalia”, 84), 2021, xxiv plates, 661 p.
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Will Kynes, éd., The Oxford Handbook of Wisdom and the Bible. New York, Oxford University Press, 2021, xxii-683 p.
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Jean-Daniel Macchi, La Bible à l’épreuve des sciences humaines. Genève, Éditions Labor et Fides (coll. « Essais bibliques »), 2022, 219 p.