Article body
L’auteur est un sociologue et professeur émérite de l’Université Laval qui s’est déjà penché sur le fait religieux. Si on le compare à l’oeuvre de Pierre Boglioni et Benoît Lacroix, Les pèlerinages au Québec (Les Presses de l’Université Laval, 1981), ce nouveau livre donne au lecteur l’occasion de mettre à jour ses connaissances de certaines pratiques religieuses populaires du peuple québécois.
Le premier chapitre propose une définition de la marche pèlerine, et le deuxième présente les Québécoises et Québécois sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle et la création de l’association Du Québec à Compostelle. Le troisième chapitre décrit les chemins de pèlerinage québécois. Le quatrième analyse les motivations des Québécoises et des Québécois sur ces chemins. Le cinquième examine l’industrie et l’esprit d’entreprise qui sont manifestés autour de la marche pèlerine. La conclusion souligne le fait que cette marche attire surtout les femmes et les baby-boomers et explore la place « encore étonnamment significative de la tradition religieuse catholique » (p. 153).
Il y a autant de pages pour orienter un débutant dans la marche pèlerine qu’il y a d’analyses. Une soixantaine de pages en annexes présentent les éléments méthodologiques, les personnes interviewées, les fiches descriptives des 18 chemins québécois de marche pèlerine répertoriés dans cet ouvrage. À cela s’ajoutent notes, références, figures et tableaux. Il n’y a pas d’index, mais la table des matières est très étoffée et utile, nous n’en sentirions pas le besoin.
La définition de la marche pèlerine avancée par l’auteur doit être signalée :
Un chemin de marche pèlerine est un parcours bien identifié qui s’inscrit dans la lignée de la pérégrination moderne vers Compostelle, offrant la possibilité à des personnes de développer une forme d’intériorité réflexive en marchant plusieurs jours à travers des lieux se situant davantage en milieu habité qu’en nature sauvage).
p. 32
En bref, des Québécois s’élancent sur les chemins de Compostelle au milieu des années 1990 (p. 39), forment l’association Du Québec à Compostelle en 2000 (p. 41) avec les précurseurs Denis LeBlanc et Michel Dongois (p. 42-45), suivis par des centaines de marcheurs entre 1996 et 2000. Le Canada envoie environ 4 201 personnes à Compostelle en 2015, et se classe dixième parmi les pays qui se retrouvent au pèlerinage. L’auteur estime que de 35 000 à 50 000 Canadiens ont fait le pèlerinage depuis 1996 et que le Canada maintient une proportion annuelle de 1,4 % de l’ensemble des pèlerins du monde sur les pistes menant à Compostelle (p. 60). L’auteur soutient que « l’intrigante popularité du pèlerinage vers Compostelle, dans un Québec qui a massivement rejeté le catholicisme, s’explique par le besoin de trouver un sens au spirituel, au religieux et au sacré et de les réinscrire dans le quotidien » (p. 117). En même temps, O’Neill précise que le pèlerinage de longue durée est toujours marginal au Québec même (p. 28).
Même si le nombre de sanctuaires au Canada a « fondu comme la neige » (p. 27) au soleil depuis soixante ans, on retrouvait à l’été 2016 dix-huit chemins de marche pèlerine au Québec. Quatre de ces chemins ont Sainte-Anne-de-Beaupré, la plus ancienne et la plus utilisée, comme destination et un autre prend Beaupré comme point de départ. Neuf des dix-huit ont une femme comme la personne qui a démarré le projet. Sept des chemins ont été mis en place par des gens qui n’étaient pas allés à Compostelle, et leur création repose sur deux motifs principaux : le motif religieux et le motif touristique (p. 69).
Il y a deux grands groupes de personnes impliquées : « […] d’une part des pèlerins, qui vont vers Compostelle avec des motifs religieux et, d’autre part, les marcheurs, pour lesquels c’est ce qui se passe sur le chemin qui est central et qui font donc un camino sans référent religieux. […] deux extrêmes d’un continuum complexe » (p. 116).
Les raisons d’un pèlerinage foisonnent, mais l’auteur en discerne deux principales : on veut se donner un temps de réflexion, ou encore on donne à son pèlerinage un sens religieux traditionnel. Ce dernier point a beaucoup surpris O’Neill, vu « la distance radicale prise au Québec avec le catholicisme depuis la fin des années 1960 » (p. 99). Des raisons à connotation spirituelle au sens large sont aussi présentes. Enfin s’ajoute à cela des raisons plus prosaïques, par exemple trouver l’âme soeur, suivre la mode ou les amis, faire du tourisme.
L’auteur distingue ensuite trois types de pèlerinages, les « itinéraires à pied inspirés du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle », et deux autres grandes catégories, « la marche de plein air et la marche sportive. […] les deux principaux ordres de raisons pour lesquels on marche au Québec : le contact avec la nature et la santé » (p. 17). Selon O’Neill, la majorité des pèlerinages depuis 1990 ont un caractère physique plutôt que spirituel, même si l’on affirme par ailleurs que la majorité des randonnées organisées ont une orientation religieuse (p. 141) ou spirituelle (p. 142) dans une « spiritualité laïque universelle plutôt qu’encadrée par une religion particulière » (p. 143). « En effet, l’Église institutionnelle a toujours regardé avec prudence, sinon suspicion, ces mouvements massifs de foules se précipitant vers des lieux remplis de merveilleux où apparitions, miracles et autres phénomènes étranges se produiraient ; et souvent, comble de l’indignation, sur d’anciens sites païens » (p. 23).
Les historiens ont toujours su que la marche pèlerine déborde la sphère strictement religieuse, mais O’Neill constate aussi que la marche pèlerine québécoise « est en croissance » et que le participant type est « une femme dans la soixantaine provenant du Québec, habitant souvent la région d’où part le parcours » (p. 87-88).
Au cours de ses analyses, l’auteur se situe plus ou moins explicitement à l’extérieur de la religion catholique ou de toute autre religion, tout en se disant à la recherche des « énergies positives de l’univers » (p. 102). Sa définition de la marche pèlerine comme stratégie de construction de sens dans les sociétés modernes semble logique, même s’il y a une certaine incohérence à déclarer d’une part que la marche pèlerine, que ce soit au Québec ou à Compostelle, est pour la majorité des marcheurs dénuée de référence religieuse, et d’autre part que la majorité de ces marcheurs et des trajets ont une orientation religieuse. Cela laisse penser que l’auteur s’est laissé séduire par le discours sécularisant et simpliste des élites au Québec, qui range la religion au placard malgré le fait que la réalité religieuse est bien présente et vivante au Québec. De ce point de vue, ce livre est un bon témoin de la situation ambiguë de la religion dans la vie populaire du Québec contemporain. Enfin, une analyse sociologique plus poussée de la marche pèlerine aurait été souhaitable, notamment une comparaison de la situation socio-économique des pèlerins religieux avec celle des marcheurs sans religion. On peut se demander en effet si la spiritualité ou la vie séculière sans l’encadrement d’une institution religieuse n’est pas l’affaire d’une élite.