Spécialiste du Second Temple et du judaïsme rabbinique, Anthony Saldarini, décédé en 2001, était professeur au Boston College. Ce livre est une traduction française de Matthew’s Christian Jewish Community écrit il y a 25 ans. À l’époque, l’Évangile de Matthieu était associé à la rupture entre le judaïsme et le christianisme parce qu’il est le « plus juif » des évangiles et qu’il est paradoxalement le plus virulent contre le judaïsme (Mt 23). Dans ce livre, Saldarini s’est attaqué à cette interprétation pour proposer de voir Matthieu comme un écrit destiné à un auditoire juif. Sa contribution a permis de sortir d’une lecture antisémite ou antijuive de Matthieu. Cet évangile ne propose pas une Église qui remplace le judaïsme, mais une nouvelle vision du judaïsme après la chute du Temple qui se fonde sur l’enseignement de Jésus. Matthieu cherche à continuer la réforme du judaïsme initiée par Jésus pour convaincre ses coreligionnaires que sa version du judaïsme est d’inspiration divine et valable autant pour les Juifs que les non-Juifs. Saldarini prend un regard sociohistorique pour comprendre Matthieu à la lumière des connaissances de l’histoire sociale des Juifs du premier siècle. Le résultat est que Matthieu est le fruit d’un groupe minoritaire relativement peu influent de la communauté juive qui résiste aux structures sociales, mais dont la résistance montre justement qu’il est partie prenante de cette société. Le premier chapitre situe Matthieu au sein de la diversité du judaïsme du premier siècle comme une tentative de réforme du judaïsme. Le deuxième s’intéresse à l’usage des mots utilisés pour désigner le peuple en Matthieu : « Israël », « peuple », « foules », « Juifs », « cette génération », « fils du royaume » et « enfants d’Israël ». La description des foules juives est ambivalente, mais pour Saldarini, Matthieu espère toujours gagner à sa cause une partie d’Israël. Le troisième chapitre brosse le portrait des dirigeants — pharisiens, scribes, grands prêtres, anciens, sadducéens, hérodiens — qui sont rejetés sans équivoque par Matthieu. Le Jésus de Matthieu est en concurrence avec ces dirigeants de son époque. Parallèlement, Matthieu et son groupe sont en conflit avec les meneurs des communautés juives. La thèse de Saldarini est que l’auteur de Matthieu cherche à saper l’autorité de la communauté juive pour légitimer son propre groupe. Le quatrième chapitre analyse la représentation complexe des non-Juifs dans cet évangile. Certains sont loués pour leur reconnaissance de Jésus et pour leur foi, néanmoins, ils ne deviennent pas disciples. Ils représentent peut-être les judaïsants d’origine non juive qui participent à la redéfinition des frontières entre la communauté juive et les nations. Le chapitre cinq s’intéresse à la communauté matthéenne comme un groupe représenté par les disciples juifs de Jésus. Expulsée des assemblées (synagogues) de leurs adversaires, cette ekklesia détient son autorité de Dieu et forme ses propres structures. Le chapitre suivant explore la Torah de Matthieu dans les débats sur le sabbat, les lois de pureté, les impôts, le divorce, les serments et voeux et la circoncision. Matthieu ne cherche pas à abolir la Loi. Cet évangile propose des interprétations sur des sujets importants des débats rabbiniques des premiers siècles. L’interprétation de la Torah en Matthieu met l’accent sur l’importance de la miséricorde, de l’amour et de la justice enseignés par Jésus. Enfin, le dernier chapitre porte sur l’identité de Jésus en Matthieu par l’étude des titres qui lui sont attribués : Christ/Messie, fils de David, fils d’Abraham, fils de Dieu, Seigneur, Fils de l’homme — et ses fonctions comme enseignant et guérisseur. Saldarini traite de l’influence des récits au sujet de Moïse, de la figure de …
Littérature et histoire du christianisme ancien[Record]
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Cette chronique a été rédigée par
Eric CrégheurEn collaboration
Nicolas Asselin
Jonathan Bourgel
Iulian Dancă
Lucian Dîncă
Sébastien Doane
André-Philippe Doré
Gavin McDowell
Louis Painchaud
Paul-Hubert Poirier
Gaëlle Rioual
Philippe Therrien
Précédentes chroniques : Laval théologique et philosophique, 45 (1989), 303-318 ; 46 (1990), 246-268 ; 48 (1992), 447-476 ; 49 (1993), 533-571 ; 51 (1995), 421-461 ; 52 (1996), 863-909 ; 55 (1999), 499-530 ; 57 (2001), 121-182, 337-365, 563-604 ; 58 (2002), 357-394, 613-639 ; 59 (2003), 369-388, 541-582 ; 60 (2004), 163-177, 363-378 ; 61 (2005), 175-205, 363-393 ; 62 (2006), 133-169 ; 63 (2007), 121-162 ; 64 (2008), 169-207 ; 65 (2009), 121-167 ; 66 (2010), 183-226 ; 67 (2011), 155-190 ; 68 (2012), 435-497 ; 69 (2013), 327-402, 70 (2014), 579-630 ; 71 (2015), 503-553 ; 72 (2016), 319-355 et 74 (2018), 277-319.