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Cet ouvrage rend publiques les recherches de maîtrise de l’auteur sur la sacramentalité de l’épiscopat. L’ouvrage s’organise en trois chapitres, en correspondance à trois moments méthodologiques et aussi à trois groupes de sources théologiques. Dans le premier chapitre, l’auteur interroge certains témoins de la Tradition, notamment le Nouveau Testament, les Pères et, plus rapidement, la liturgie. Le second chapitre se concentre sur le Magistère dans l’Église catholique et le troisième se présente comme un chapitre de réflexion théologique systématique.
En résumé, ce livre nous offre le récit de l’éclipse de la sacramentalité de l’épiscopat dans l’Église de l’Occident et de sa réémergence dans le Magistère catholique culminant dans le second concile du Vatican. Le but de la recherche est d’établir l’état des lieux.
L’éclipse de la sacramentalité de l’épiscopat en Occident est due notamment à l’influence des opinions de saint Jérôme. Avant, cette réalité pouvait être discernée, même sans l’emploi de la notion de « sacramentalité », autant dans le Nouveau Testament que chez les premiers Pères de l’Église. L’auteur souligne l’importance du contexte ecclésiologique ainsi que la signification christologique pour le discours sur le ministère des évêques dans ces témoignages anciens. La position de saint Jérôme, selon laquelle il n’existe pas vraiment de différence entre les évêques et les prêtres, surgit dans un contexte de polémique cléricale (p. 58), d’ailleurs analogue à celle motivant des opinions semblables chez l’Ambrosiaster. Son influence marquerait une conception de l’épiscopat axée sur le pouvoir de juridiction, une conception qui serait conservée et développée par les théologiens médiévaux, à l’exception près de saint Thomas d’Aquin qui conserverait une référence ecclésiologique au moment de distinguer les évêques des prêtres. Le pouvoir épiscopal dépasserait le pouvoir des prêtres en ce qui concerne les fidèles (p. 89).
Avant le concile de Trente, le Magistère catholique sur l’épiscopat s’est appuyé surtout sur les déclarations du concile de Florence (1439), selon lesquelles le ministre ordinaire du sacrement de l’ordre est l’évêque (p. 119). Toutefois, comme l’auteur illustre bien en référence aux bulles concédant à certains abbés la faculté d’ordonner, « la dérive épiscopale de l’abbatiat au Moyen Âge » reste à étudier (p. 121). Le concile de Trente se contente de répondre aux objections protestantes, notamment celles visant le caractère hiérarchique de l’Église. On devait attendre le premier concile du Vatican pour voir les premiers signes d’évolution dans ce chapitre, en lien avec la réflexion sur l’Église et, plus concrètement, sur la primauté papale. Les papes du xixe et du xxe siècle continueront la réflexion, cherchant l’équilibre entre le rôle du pape et celui des évêques. Ainsi, pour Léon XIII (Encyclique Satis cognitum : 29 juin 1896) les évêques appartiennent à la constitution de l’Église en tant que successeurs des apôtres. Pie XII reprendra cette ligne de pensée, mais sa contribution la plus significative est celle qui concerne la matière et la forme du sacrement de l’ordre à commencer par la consécration épiscopale. Pendant tout le Moyen Âge, le sacrement de l’ordre et le sacre des évêques avaient été conçus selon les catégories féodales comme transmission d’un pouvoir à travers la consignation des instruments correspondant au même pouvoir. C’est seulement avec Pie XII que l’on revient à l’imposition des mains et à la prière de consécration, comme « matière » et « forme » du sacrement de l’ordre. La sacramentalité de l’épiscopat se voit renforcée avec ce retour au signe sacramentel. Le terrain était donc préparé pour le renouveau du second concile du Vatican, lequel non seulement soutient la dimension sacramentelle du ministère épiscopal mais aussi sa « plénitude » (p. 153 : Lumen Gentium 21) par rapport à la participation au même sacrement des prêtres et des diacres.
La réflexion théologique actuelle sur l’épiscopat se fonde sur la « sacramentalité » pour relier le ministère des évêques (ministère personnel et collégial) à la constitution de l’Église. « En quoi l’épiscopat, comme réalité sacramentelle, peut-il éclairer la compréhension du mystère de l’Église ? » (p. 193-194). Voici la question qui commande la réflexion systématique finale. Selon l’auteur, on doit comprendre cette sacramentalité dans un sens « descendant » : du Christ à l’Église, qui en est le prolongement, et aux célébrations sacramentelles particulières, toujours au sein de l’Église, comme signes qui actualisent la sacramentalité de l’Église comme sacrement du Christ. L’institution du sacrement de l’ordre vient à coïncider « archéologiquement » avec ce schéma et, donc, avec la fondation même de l’Église. L’auteur s’efforce d’illustrer cette identité fondamentale à partir de la « prière sacerdotale » de Jésus dans le quatrième évangile, à la suite des études d’André Feuillet. L’étude de la « plénitude » du sacrement de l’ordre est faite selon le schéma classique de la matière, de la forme et du ministre, ainsi que des effets du sacrement. Finalement, l’auteur ouvre vers les aspects ecclésiologiques de la sacramentalité de l’épiscopat (collégialité et primauté, unité de l’Église, exercice de l’épiscopat dans les Églises locales).
L’ouvrage est bien documenté et de lecture accessible. Cependant, il manifeste certains défauts. La méthodologie utilisée laisse transparaître de la rigidité sur le plan discursif et doctrinal. L’étude entre ainsi en contradiction avec son propre thème, lequel réclame un « élargissement » de la notion de « sacramentalité » ainsi que de la méthodologie de la théologie sacramentaire classique. L’étude se présente de façon très « monologique ». L’entrée dans l’interdisciplinarité pourrait aider à éclairer les enjeux sociologiques des premières communautés chrétiennes ainsi que les questions de pouvoir suscitées par les évolutions du Moyen Âge.