Abstracts
Résumé
Les controverses opposant les dominicains et les jésuites après le concile de Trente renvoient l’image d’une scission qui se serait produite à ce moment au sein de la seconde scolastique, à partir de laquelle deux traditions doctrinales se seraient constituées. Existe-t-il cependant une réelle césure interprétative entre les deux ordres ? Peut-on réellement trouver une différence de traitement des données ou de raisonnement permettant de distinguer deux traditions de pensée ? Ce sont les questions auxquelles cet article entend apporter des éléments de réponse en comparant la doctrine de deux illustres représentants de ces ordres, Domingo de Soto et Luis de Molina, sur les questions cruciales de la nature et de la fonction du droit et du pouvoir politique. Soto est le premier à proposer un exposé systématique du droit et de la loi, et Molina prolonge ses analyses en reprenant le même projet. Si leurs contemporains ne semblent pas distinguer leurs théorisations du droit, certaines différences définitionnelles préfigurent pourtant des divergences qui se creuseront chez leurs successeurs.
Abstract
The controversies between the Dominicans and the Jesuits after the Council of Trent reflect the image of a split that would have occurred at that time within the second scholasticism, from which two doctrinal traditions would have been formed. However, is there a real interpretative break between the two orders ? Can we really find a difference in the data process or in the reasoning allowing to distinguish two traditions of thought ? These are the questions to which this article intends to give an answer by comparing the doctrine of two illustrious representatives of these orders, Domingo de Soto and Luis de Molina, on the crucial questions of the nature and function of law and political power. Soto is the first to propose a systematic exposition of the right and the law, and Molina extends his analyzes by taking up the same project. If their contemporaries do not seem to distinguish their theorisations from the law, some defining differences prefigure, nevertheless, divergencies which will be widened among their successors.
Article body
Les controverses opposant les dominicains et les jésuites après le concile de Trente renvoient l’image d’une scission qui se serait produite à ce moment au sein de la seconde scolastique. Leurs divergences sur la nature, la contribution et l’efficacité de la grâce, sur sa compatibilité avec le libre arbitre, ou sur les conséquences du péché, pourraient aisément être interprétées comme les indices d’une double tradition doctrinale qui prendrait naissance à cette occasion. C’est du moins ce que laissent supposer les deux interprétations de la prédestination données par Bañez et Molina à l’occasion de la controverse de auxiliis, plus avant développées par Lessius, Suarez et Bellarmin[1].
Existe-t-il cependant une réelle césure interprétative entre les deux ordres ? Peut-on réellement trouver une différence de traitement des données ou de raisonnement permettant de distinguer deux traditions de pensée ? Ce sont les questions auxquelles cet article entend apporter des éléments de réponse en comparant la doctrine de deux illustres représentants de ces ordres, Domingo de Soto et Luis de Molina, sur les questions cruciales de la nature et de la fonction du droit et du pouvoir politique. Soto est le premier à publier en 1553 un De Iustitia et Iure proposant une exposition systématique du droit et de la loi, et Molina est le premier jésuite à reprendre son projet, mais de façon encore plus détaillée et rigoureuse, publiant entre 1593 et 1609 un De Iustitia et Iure en cinq volumes. Autant dire que ces questions sont au centre de leurs oeuvres[2].
Notre étude s’inscrit dans la continuité des recherches actuelles procédant à une recontextualisation doctrinale pour mettre en lumière la singularité de pensée de l’auteur, son rapport à la tradition, et l’évolution des problématiques au regard des courants interprétatifs en présence et des événements historiques[3]. L’attention sera portée sur les décalages définitionnels, les associations avec d’autres notions ouvrant d’autres pistes de réflexion, ou les faibles inflexions qui, reprises par leurs successeurs, pourront introduire une réelle nouveauté conceptuelle.
La comparaison des doctrines du droit et du pouvoir de Soto et de Molina est à ce point de vue particulièrement intéressante parce que leurs contemporains ne les distinguent pas. Salas les réunit ainsi parmi ceux qui ont défendu la thèse d’un droit des gens entièrement positif [4]. Molina caractérise pourtant le droit humain, dont le droit des gens fait partie, comme étant introduit par la volonté humaine, alors que Soto le considère essentiellement comme un précepte rationnel. Ici est formulée une différence d’appréciation de ce qu’est le droit, qui augure de représentations non similaires de ce que peut le droit et de l’essence du pouvoir politique. Comme nous le verrons, loin d’être anecdotique, cette variation est le reflet d’enjeux qui prendront une forme plus affirmée chez leurs contemporains ultérieurs.
I. La théorie du droit et de l’État de Domingo de Soto
1. Typologie du droit
Comme François Connan et Diego de Covarubbias, Soto ne reprend pas la tripartition ulpienne du droit, mais en distingue seulement deux branches : le droit naturel et le droit humain positif, qui se compose du droit des gens et du droit civil[5]. À l’instar de ses deux contemporains, le droit des gens reste cependant pour lui étroitement lié au droit naturel.
Soto définit le droit naturel comme ce qui est parfaitement adéquat à la nature des choses et se proportionne exactement à un autre élément. Il est commun à tous les êtres vivants, et caractérise ce qui est uniquement, ou absolument (simpliciter) nécessaire. Il découle précisément de la nature des choses, comme l’union de l’homme et de la femme. Mais en reprenant la distinction faite par Thomas entre le droit absolument nécessaire et le droit nécessaire relativement à certaines circonstances, Soto lui reconnaît aussi un sens non absolu, lorsqu’il est conforme à une certaine fin et à certaines circonstances, comme lorsqu’il s’agit d’accorder un dominium[6]. Dans ce second sens, il ne regarde que les hommes, parce qu’il est nécessaire de savoir juger pour le fixer et que seule la raison le permet[7]. Soto l’identifie au droit des gens, qui est un droit propre aux hommes directement issu de l’exercice de la raison : « Le droit constitué par une semblable contribution de la raison est appelé le droit des gens, c’est-à-dire le droit que tous les peuples, en tant qu’ils sont rationnels, ont eux-mêmes constitué[8] ».
Bien qu’en lien avec le droit naturel du fait d’être engendré par la raison, le droit des gens doit cependant être considéré comme un droit positif parce qu’il est posé par la volonté et l’arbitre humains[9]. Il est façonné avec l’aide de la raison permettant de formaliser des règles générales contraignantes à partir de certaines conjonctures historiques et pour des fins déterminées. Contrairement au droit naturel simpliciter, en effet, il n’est pas simplement donné par la lumière naturelle, mais doit être élaboré par la raison, ce qui signifie qu’il est créé par la tenue d’un raisonnement aboutissant à une conclusion exprimée sous la forme d’une norme juridique[10]. C’est pourquoi les hommes n’ont pas besoin de se réunir en une assemblée pour établir le droit des gens ; le raisonnement naturel l’enseigne à chacun[11]. D’autre part, il gagne sa valeur contraignante par le consentement des peuples aux normes que la raison dégage de conjonctures particulières où il est besoin de règles pour guider l’action.
Le noeud de l’argumentation de Soto réside dans le pouvoir de la raison. Contre les luthériens, Soto affirme que les hommes peuvent observer les commandements de la loi, remplir leurs obligations et agir par leurs forces naturelles[12]. À la différence de Bañez, il considère que l’homme a la capacité de se mouvoir vers son bien sans aide supplémentaire de Dieu. « Car l’homme, en tant qu’animal rationnel, peut de cette manière faire toute action conforme à sa nature[13]. » Il a deux fins correspondant à sa double dimension temporelle et spirituelle. Ses vertus et facultés naturelles, soit tout ce qui regarde l’intellect, lui permettent d’accomplir sa fin temporelle[14]. Relativement à ce domaine, il peut connaître, vouloir et agir par sa nature propre en suivant la loi naturelle[15]. La volonté humaine est libre et lui permet d’agir conformément à la raison[16]. La seconde fin à l’inverse excède sa nature, et il a besoin de la grâce divine pour l’accomplir.
Les normes relatives au commerce entre les peuples répondent à l’utilité des peuples et sont dégagées par la raison. Elles ont en conséquence valeur contraignante pour tous les peuples. En effet, pour Soto, ces règles introduisent un ordre dans des situations anarchiques et, en tant qu’elles sont produites par la raison, elles peuvent être retrouvées par chaque homme exerçant son jugement, et gagnent ainsi un caractère obligatoire[17]. La « droite raison » a la faculté d’engendrer du droit positif à valeur contraignante. On notera que Soto donne une réponse anticipée à l’objection que les jésuites feront aux défenseurs de la double nature du droit des gens, à la fois volontaire et pourtant rationnel. Il ne faut en effet pas affirmer, dit-il, que ce sur quoi tous conviennent est nécessairement de droit naturel[18]. C’est en effet l’exercice du jugement qui dégage les normes du droit des gens, et elles requièrent en conséquence l’intervention de l’activité rationnelle pour être posées. Il existe donc un droit positif capable de contraindre tous les peuples parce qu’il est produit par la raison humaine.
Bien que positif, il ne doit cependant pas être confondu avec le droit civil, dont il se distingue par trois traits essentiels. En premier lieu, le droit civil n’est pas obtenu par voie de conclusion d’un principe naturel, mais par détermination d’un principe général[19]. Il découle de fait très médiatement du droit naturel. Deuxièmement, les hommes n’ont pas besoin de s’assembler en un même lieu pour déterminer le droit des gens puisqu’il est connaissable en soi par l’exercice de la raison, alors que le droit civil est déterminé par la volonté du prince. Il doit être posé après délibération et promulgué par l’autorité politique pour gagner force de droit[20]. Troisièmement, le droit des gens est commun à tous les peuples, alors que le droit civil est propre à la cité qui l’a institué[21].
Soto établit ainsi une claire distinction typologique entre les branches du droit. Le droit naturel stricto sensu découle nécessairement de la nature des choses. Il régule ce qui relève de l’ordre des choses. Le droit positif se distingue en droit des gens, qui découle de l’autorité de la raison humaine et prend en charge les secteurs partagés par les différents peuples, et en droit civil, qui est propre à une cité et établi par l’autorité du législateur[22]. Merio Scattola remarque avec raison que Soto ne distingue pas seulement les branches du droit en fonction de leur origine ou de leur mode de formation, mais aussi relativement à leurs domaines propres. « La première (le droit naturel) comprend tout ce qui relève de la préservation de la vie, la deuxième (le droit des gens) régule principalement ce qui est de l’ordre de la possession et du dominium sur les choses[23]. » En effet, Soto enrichit la doctrine du droit des gens réactualisée par Vitoria en en développant la dimension privée, posant ainsi les bases du droit international privé.
2. Les objets du droit des gens
Soto accorde une grande importance au dominium parce qu’il est selon lui à la source des règles du droit des gens. Soto a opéré la jonction entre potestas et ius que Vitoria considérait encore comme invalide[24]. Elle cristallise dans la notion de dominium, qu’il définit comme « le pouvoir ou le droit qu’une personne a sur une certaine chose, de sorte que, si l’on parle de la propriété d’une certaine chose, on dit que celui qui possède des biens, des maisons, des chevaux, et d’autres choses de ce genre, en a le dominium[25] ». Le dominium est donc le pouvoir (potestas), ou le droit (ius), de s’approprier des biens et de se voir reconnaître l’exclusivité de leur usage.
Soto est le premier à rapprocher la notion de dominium du droit des gens. Il considère qu’il en est à l’origine parce que la répartition des biens est consécutive au partage de la Terre entre les nombreux peuples, étant ainsi antérieure chronologiquement et ontologiquement à la formation des nations, et donc au droit civil. Dans la situation prélapsaire, tout était commun. Mais après le péché, Caïn a commencé par fonder une ville pour se protéger des dangers extérieurs, la progéniture de Noé s’est dispersée à travers les diverses régions et îles de la Terre, Abraham et Loth sont tombés d’accord pour aller chacun de leur côté, et les hommes ont convenu que les terres seraient partagées et appartiendraient au primo-arrivant par le droit des gens, c’est-à-dire par un agrément conforme à la raison au regard des circonstances[26]. Se distinguant de Vitoria, Soto considère d’autre part que les espaces publics des nations et ce qu’ils recèlent, sur et sous la terre, ne sont pas communs au genre humain, mais sont la propriété des citoyens de la république. Les étrangers n’ont pas le droit d’exploiter ces terres ni d’en tirer un bénéfice commercial[27].
Soto fournit plusieurs arguments permettant de justifier la nécessité du dominium. Il souligne le fait que les hommes prennent plus soin de leurs biens que de ceux qui appartiennent à tous, et qu’ainsi ils s’investiront plus et engendreront plus de richesses s’ils ont la propriété de leurs terres et de leurs outils[28]. D’autre part, les discordes et dissensions prenant souvent leur origine dans des revendications simultanées concernant des biens, il a été nécessaire d’instituer la propriété pour des questions de paix sociale et de pacification des relations humaines[29].
On perçoit l’importance que revêt pour lui le dominium à la place qu’il lui accorde dans son De Iustitia et Iure : il lui consacre deux livres, le livre IV, où il montre qu’il confère la propriété d’un bien et ses droits afférents (usage, location, usufruit, vente), et le livre VI, où il procède à l’analyse juridique des échanges et des contrats de vente et de location. Par le droit des gens sont introduits presque tous les contrats privés, comme l’achat, la vente, la location, et tout ce sans quoi la société humaine ne pourrait pas se constituer ou s’ordonner[30], comme l’établissement des droits de succession[31]. Les dépôts sont ainsi confiés par contrat sur un engagement de bonne foi, qui confirme contractuellement l’obligation réciproque[32]. Le négoce, qui est aussi régulé par le droit des gens, ne doit pas être considéré comme un mal, mais doit à l’inverse être valorisé, car il permet d’augmenter la richesse des cités et d’améliorer les conditions de vie des hommes[33]. L’apport du droit des gens à la société humaine est en conséquence crucial, puisque grâce à lui « le genre humain est passé d’un état imparfait à celui de la perfection[34] ».
On remarquera que Soto décrit ici un droit qui naît de l’action réciproque de deux agents, ce qui est d’importance majeure, puisque cela signifie qu’il ne s’agit pas d’un droit créé par une autorité supérieure ou par la coutume, mais qu’est prise en compte la capacité des hommes à se lier de manière contraignante[35]. Il signale en effet que les échanges et les contrats ne relèvent pas de la justice distributive, mais de la justice commutative, dans un lien horizontal entre les protagonistes. Comme le souligne Martti Koskenniemi, « la justice commutative se concentrait sur les relations (horizontales) des individus les uns avec les autres, et non, comme la justice distributive, sur les relations (verticales) entre la communauté et l’individu[36] ». Pour Soto, ce sont les hommes qui sont sujets du droit des gens de par leur faculté rationnelle ; et ces normes contractuelles du droit des gens permettent l’actualisation de la justice commutative au sein de la société humaine[37]. Au fil de ses analyses, Soto énonce le principe du statut de propriétaire codifié par un droit international privé. Ni le prince, ni le juge, ni l’évêque, ne peuvent faire usage des biens des sujets. Le prince devient un tyran non seulement lorsqu’il s’approprie une chose relevant du dominium d’un particulier, mais aussi lorsqu’il agit contre sa volonté[38]. Le dominium relève d’une sphère de compétence indépendante des pouvoirs politique et ecclésiastique ; il consacre ce que l’on peut appeler un droit privé de propriété[39]. Et contrairement à Domingo Bañez[40], qui conclut du caractère positif du droit des gens que l’on peut l’abroger, Soto considère que, contrairement aux servitudes qui sont en opposition avec le droit naturel, les titres de propriété ne souffrent aucune dispense[41].
3. La genèse des États et la question d’un gouvernement mondial
3.1. L’origine et la précision des compétences du pouvoir politique
Dieu a donné aux hommes la faculté de se conserver. Il leur a transmis l’instinct de s’unir pour se venir en aide réciproquement, parce qu’ils ne parviendraient pas seuls à assurer leur existence. Lorsque le nombre des fratries associées et des besoins augmentent, elles s’unissent en une république[42]. Soto expose deux conceptions de la communauté originaire. La première, correspondant à celle exposée par Almain, la présente comme une collection désunie d’individus, et la seconde comme une congrégation ayant la faculté d’autogouvernement, d’autoprotection et, plus encore, la capacité d’agir comme une unité en donnant son pouvoir aux magistrats[43]. Il privilégie pour sa part la seconde définition, car, dit-il, « le pouvoir d’autogouvernement, et donc d’instituer les lois, […] est nécessairement dans la société civile en raison de sa fin […]. Ce pouvoir vient de la loi naturelle, par laquelle chaque république a l’autorité de s’administrer par elle-même, et qu’elle peut transférer au roi[44]. » Ainsi, « les rois et les princes sont créés par les peuples, qui leur transmettent leur imperium et leur pouvoir[45] ». Le pouvoir temporel vient donc médiatement de Dieu, le roi exerçant le pouvoir par la médiation de la « république civile ».
La monarchie n’est pas la seule forme de république possible. Soto reprend la distinction aristotélicienne entre trois genres possibles d’administration de la chose publique en la complétant d’une quatrième. Lorsque les lois sont faites par un petit nombre de sénateurs, on parle d’une aristocratie. La deuxième espèce de régime est ce qu’il appelle l’oligarchie, où le pouvoir appartient à un petit nombre de princes riches et puissants. Le troisième régime est la démocratie, où les lois sont discutées par l’ensemble du peuple. La dernière est le royaume, où le pouvoir législatif appartient à un seul[46]. Mais malgré tout, bien qu’il reconnaisse quatre compositions possibles de l’instance décisionnelle, ses analyses ne portent que sur la quatrième forme de république ; seule la monarchie lui semble capable de prendre en charge le bien commun[47].
Cependant, le roi ne doit pas être considéré comme le détenteur d’un pouvoir absolu ; il est placé dans le même ordre juridique que ses sujets et ne peut s’exempter de la loi[48]. D’autre part, ni l’empereur ni le prince ne peuvent s’approprier le pouvoir, auquel cas inverse ils deviennent des tyrans. Le peuple transfère en effet son pouvoir, son commandement et sa juridiction, mais pas ses propres facultés, de sorte que le prince ne peut refuser ce qui est nécessaire à la conservation et à l’administration de la république, de même qu’il ne peut violer ce qui est assuré par le droit des gens privé[49]. La séparation entre domaines publics et sphère privée est pour Soto une des bases de l’exercice légitime du pouvoir. La question politique par excellence est selon lui de savoir équilibrer les fonctions relevant de la sphère publique, soit le rôle joué par les individus en tant que membres de la république, et celles où ils exercent exclusivement leur dominium et leur liberté, soit où ils existent en tant qu’individus séparés. Soto se distingue ce faisant de la position défendue par Vitoria, qui tendait à fusionner les fins individuelles avec celles de la république. Soto justifie certes la vie politique par l’inclination naturelle, mais il ne sacrifie pas le dominium individuel accordant à l’individu un espace de liberté[50]. Un gouvernant qui viole le dominium de ses sujets ne doit plus être considéré comme légitime, mais comme un tyran.
Les fonctions du prince sont d’autre part légitimées exclusivement au regard du bien-être de la communauté. Dans un célèbre texte consacré au droit de mendicité, Soto soutient que « le prince n’a autorité pour interdire d’aller demander au nom de Dieu, que s’il pourvoit entièrement à tous leurs besoins, manger, se vêtir, comme tous les autres, aucun ne demeurant insatisfait[51] ». Une autre précision importante concernant la nature du pouvoir séculier est qu’il est pour Soto indépendant du pouvoir spirituel, qui ne peut ni le déposer, ni l’obliger, ni le corriger, à moins qu’il ne contrevienne à une loi divine[52]. La religion n’a pas d’incidence sur la constitution des sociétés politiques, de sorte qu’il faut considérer que les peuples païens, les juifs, les musulmans et les Gentils possèdent aussi une structure étatique autonome[53].
Un autre aspect important de la théorie juridico-politique de Soto est son intelligence de la loi civile. Contrairement au droit des gens, ce qui fonde l’obéissance au droit civil n’est pas l’accord des hommes sur un certain nombre de normes rationnelles, mais leur contentement à l’exercice du pouvoir législatif. Les hommes acceptent d’obéir au législateur qu’ils se sont donné. Mais leur soumission n’est pas inconditionnelle. Une loi qui n’est pas instituée pour le bien public n’a pas de force contraignante et ne doit pas être observée[54]. Car pour Soto, conformément à la tradition thomiste, le fondement et la légitimité de la loi restent la visée du bien commun[55]. Le critère de la volonté, souligné par Molina et qui devient déterminant chez Suarez — comme chez les défenseurs du volontarisme politique dont Bodin lance le mouvement[56] —, est absent de ses analyses[57]. Le seul critère légitimant l’exercice du pouvoir est pour lui la rationalité de la loi : la loi doit être une règle de la raison[58], « la mesure de nos actions[59] ». Elle doit promouvoir le bien et contrer le mal, favoriser la prospérité et la paix publiques et combattre les injustices[60]. C’est d’ailleurs ce qui ressort de sa distinction entre le tyran et le roi : le premier dévoie l’exercice du pouvoir parce qu’il n’a en vue que son intérêt propre ou celui de particuliers, transgresse les lois qu’il établit et supprime de bonnes lois, tandis que le second fait un usage juste et équitable du pouvoir en respectant ses lois et en servant l’intérêt des citoyens « en tant qu’ils sont le corps de la république[61] ».
3.2. Droit des gens et autorité mondiale
À partir de ces éléments, est-il possible d’affirmer, comme Vitoria et Connan l’ont fait, que la totus orbis forme une autorité supérieure aux États capable de les contraindre à respecter les règles du droit des gens ? De façon significative, Soto dénie la possibilité d’une telle autorité mondiale[62]. En effet, dit-il, un pouvoir supérieur à celui des États ne peut prendre qu’une forme, celle du pouvoir impérial, et il n’existe pas d’empereur qui soit maître de la Terre, ni par le droit divin, ni par le droit naturel, ni par le droit des gens, ni par le droit civil[63]. En prenant l’exemple de l’empire romain, il remarque que le pouvoir de l’empereur, bien qu’étendu à de vastes territoires, était pourtant circonscrit. D’autre part, les hommes sont tellement dispersés à la surface de la Terre qu’ils ne pourraient tous savoir qu’ils sont gouvernés par un même empereur. Et il n’existe pas d’assemblée mondiale ; un dixième seulement de la Terre est connu, les peuples nouvellement découverts illustrant bien le fait qu’il existe encore des nations et des îles inconnues[64]. De quel peuple un tel empereur pourrait-il recevoir son pouvoir ? César l’a acquis de la république romaine ; qui pourrait élire un empereur mondial[65] ? La juste proportion des sociétés humaines est donc la nation gouvernée par un prince, et « [l]es rois qui ont reçu leur pouvoir du royaume ne dépendent d’aucun autre pouvoir sur la Terre[66] ».
On remarquera cependant que la question posée par Soto est plus précise que celle de ses deux prédécesseurs. Soto ne se demande pas s’il pourrait y avoir une autorité supérieure capable de faire respecter le droit des gens, mais si un gouvernement mondial pourrait être constitué. Vu sous cet angle, il semble peu envisageable de parvenir à former une institution possédant une telle compétence. Une république doit en effet d’abord ne pas être trop grande pour pouvoir être bien administrée. Ensuite, il faudrait avoir les moyens de punir des nations très éloignées et qui peuvent être nombreuses, ce qui nécessite des moyens très importants. Et pour finir, comment est-ce que les administrateurs pourraient circuler à l’échelle planétaire en peu de temps pour faire connaître et exécuter les lois[67] ? On le voit, Soto n’opère plus la distinction faite par ses deux prédécesseurs entre puissance et pouvoir ; les peuples unis par le droit des gens n’engendrent pas selon lui une autorité dont la fonction serait de l’assurer et, pour des raisons pratiques, ils ne peuvent pas instaurer un gouvernement mondial. Cette absence ne doit cependant pas être interprétée comme une invalidation de la force contraignante du droit des gens puisque, pour Soto, elle lui est donnée par son mode de formation : ses normes gagnent une valeur obligatoire parce qu’elles sont posées par la raison humaine. Il n’est donc pas nécessairement besoin d’une force publique supérieure pour les assurer.
II. La théorie du droit et de l’État de Luis de Molina
1. Typologie et mode de formation du droit chez Molina
Lorsqu’il s’attaque à l’analyse du droit, Molina instaure d’abord une distinction entre le droit divin naturel et positif. Le droit divin naturel permet de distinguer le bien du mal. Il est inscrit dans le coeur de tous les hommes et certifié par leur conscience, de sorte que même les peuples qui n’ont pas de lois savent ce qu’ils doivent faire et s’abstenir de faire[68]. Le droit divin positif correspond quant à lui à ce qui se rapporte au culte divin.
Puis il remarque qu’il convient d’effectuer une seconde division entre le droit naturel et le droit positif. En se référant à Aristote, il définit le droit naturel comme une obligation qui naît de et est prescrit par la nature de la chose, et non par l’arbitre humain[69]. En d’autres termes, Molina ne définit pas le droit naturel en se référant à la concordance naturelle entre deux choses, mais il l’absolutise en considérant exclusivement la nature d’une chose en particulier. C’est elle qui prescrit une obligation aux hommes[70]. Le contenu du droit naturel est ainsi facilement déduit des réalités, sans erreurs possibles, comme le fait pour l’homme de posséder la force de l’intelligence ou d’être adroit de ses mains[71].
Le droit positif à l’inverse ne contraint pas en considération de la nature des choses, mais par la volonté d’un législateur. Molina en distingue deux branches, le droit des gens et le droit civil. Ce dernier est le droit propre à un royaume[72]. Le droit des gens est le droit que tous ou presque tous les peuples utilisent. Cependant, pour Molina, son universalité cesse d’être une de ses caractéristiques : il a été introduit volontairement par l’usage des peuples pour faciliter leurs relations, mais il n’est pas nécessaire que l’ensemble des peuples le mette en pratique[73]. Comme tout droit positif, il est possible d’en abroger certaines règles, mais on ne pourrait le supprimer en totalité parce qu’il faudrait pour cela le consentement de tous les hommes, ce qui pourrait très difficilement s’obtenir[74].
Cette typologie du droit ne se distingue pas, à première vue, de celle antérieurement élaborée par Soto. Molina introduit cependant une différence de taille dans son mode de formation. Le droit des gens est selon lui composé à partir des moeurs et usages entre les peuples, qui en sont à la source et doivent donc en être considérés comme le réel « législateur[75] ». Cette interprétation justifie certainement le fait que Molina, comme ses collègues jésuites, ne veuille pas faire du droit des gens un produit de la raison. Il est à cet égard significatif qu’il n’en appelle plus à la raison de chaque homme pour en retrouver les règles, ni à la formation d’un consensus entre les peuples pour en assurer la valeur. Son pouvoir contraignant n’a plus pour lui que la force de l’habitude ; ses normes ont perdu la puissance que leur conférait la nécessité des principes rationnels. Les jésuites introduisent en effet une nouvelle définition des trois branches du droit. Ce que produit la raison relève exclusivement du droit naturel ; elle ne considère pas selon Molina les rapports entre les choses, mais la nature des choses au sens strict[76]. Lorsque des considérations spatio-temporelles ou des questions d’intérêt sont introduites dans le raisonnement, la norme ne peut plus relever de la raison, mais doit découler d’une décision, même implicite, comme dans le cas des us et coutumes. L’historicité d’un droit malgré tout rationnel n’est plus prise en compte. Sans surprise, Molina ne mentionne plus ni l’autorité de la totus orbis, ni l’idée d’un droit interhumain universel contraignant[77]. La raison humaine n’est plus reconnue comme ayant la faculté d’engendrer un droit à valeur obligatoire sur la base des interactions humaines.
Comme le remarque Annabel Brett, pour Molina, « [l]e droit des gens ne peut pas provenir d’un exercice de la raison naturelle, car si tel était le cas, il s’agirait d’un droit naturel[78] ». Or, le droit des gens contient des choses qui ne découlent pas nécessairement de la nature humaine, comme la division des propriétés ou les servitudes. Le lien entre la raison et le réel ayant été rompu, il faut en conclure que le droit des gens ne peut pas être formé par le seul exercice de la raison naturelle. On observe dans cette conceptualisation du droit une quasi-identification entre la raison naturelle et le droit naturel, comme si la naturalité de la première entraînait nécessairement celle du second, avec une disqualification pour la raison « naturelle » de produire des normes positives contraignantes.
2. Les objets du droit des gens
Comme Soto, Molina considère que le droit des gens est postlapsaire, qu’il a d’abord instauré la division des terres et des choses et fondé le dominium[79]. Cependant, ses écrits s’inscrivent dans le contexte de sa controverse avec Domingo Bañez sur la possibilité du libre arbitre dans un monde prédéterminé par la volonté divine[80], ce qui le conduit à accentuer la capacité de l’agent à s’engager librement dans une relation contractuelle. Sa théorisation du dominium se fonde sur sa théorie de la rationalité et du libre arbitre[81]. Seuls des êtres rationnels sont selon lui capables de dominium. Car pour avoir accès au droit, il faut pouvoir verbaliser des requêtes juridiques et demander réparation d’un tort subi. De toutes les créatures vivantes, seuls les hommes ont la maîtrise du langage ; ils sont en conséquence les dépositaires exclusifs du dominium[82]. L’un des apports de la doctrine molinienne du dominium est d’avoir placé la notion sous la dépendance de la faculté de libre arbitre. On ne peut en effet concevoir de dominium sans libre arbitre, puisqu’il désigne la maîtrise des choses que les hommes ont en leur possession[83]. Le dominium ne pourrait pas exister si les hommes n’étaient pas libres, soit si l’on ne pouvait leur imputer la responsabilité de leurs actions. Pour pouvoir instaurer la justice dans la société civile, l’homme doit être comptable de ses actions devant ses semblables, et reconnu responsable d’elles. Le libre arbitre est une condition nécessaire du dominium, car, sans lui, ce dernier n’aurait pas de contenu juridique, et l’on ne pourrait punir ou restituer ce qu’il accorde de droit à chacun[84].
La façon dont Molina définit l’acte libre le distingue cependant de Soto. Il signale que la volonté divine agit « avec » la volonté humaine plutôt que « dans » la volonté humaine, de sorte que la volonté humaine puisse avoir une action causale indépendante de la grâce[85]. La liberté humaine s’enracine ainsi selon lui dans la volonté plutôt que dans l’intellect, comme le pensent les dominicains. Même si tous les prérequis à l’action sont présents, il est dans le pouvoir de l’homme de pouvoir agir ou de ne pas agir. La liberté est purement dans et par la volonté, qui peut mouvoir l’homme vers une chose, ou non[86].
Un autre des apports de Molina vient de la place qu’il accorde au dominium. Dans la lignée de Soto, il considère qu’il est le socle sur lequel reposent les autres droits. Il le définit comme « le droit de disposer parfaitement d’une chose matérielle suivant les usages permis par la loi[87] ». Les hommes tirent cette capacité de Dieu, qui possède un pouvoir absolu[88]. En les créant maîtres des créatures du ciel et de la terre pour subvenir à leurs différents besoins, Il leur a transmis le droit d’entrer en possession des choses matérielles[89]. Dans l’état d’innocence, le monde était commun à tous les hommes ; ils possédaient un dominium collectif sur l’ensemble de la création. Mais après la chute, ils ont mésusé du libre arbitre qui leur a été conféré. L’injustice et la méchanceté ont rendu impossible la distribution équitable des biens en fonction des capacités, de sorte que pour préserver la paix entre les hommes, il a fallu répartir les choses en fonction d’un critère raisonnable, le dominium[90].
À l’instar de Soto, Molina reconnaît comme première caractéristique au droit des gens d’avoir conféré le droit de propriété au primo-arrivant[91]. Sa première branche est le dominium proprietatis, soit la maîtrise des biens dont on est propriétaire selon son libre arbitre. Disposer parfaitement de son bien signifie à la fois avoir toute autorité sur lui, l’utiliser comme on le souhaite, et pouvoir le mettre à usage d’un autre[92]. Il ne valide cependant pas un rapport de pouvoir entre les hommes concernant les choses matérielles ; le dominium humain est possible parce que l’homme a été créé à l’image de Dieu, et qu’il possède en conséquence un libre arbitre lui permettant d’agir conformément à la raison. Le caractère positif du dominium tient au fait que les hommes ont la capacité de discerner les objets qui leur sont nécessaires, de les élire et de se déterminer vers eux en observant les préceptes rationnels. Le dominium est essentiellement lié à l’exercice du libre arbitre rationnel[93]. Il fournit un cadre légal à la capacité d’entrer en possession des biens nécessaires à la vie et d’en user suivant sa convenance, et régule ainsi les relations interhumaines médiatisées par les réalités matérielles[94].
La centralité de la question du dominium dans les relations interhumaines est reflétée par la place que lui accorde Molina dans ses cinq volumes du De Iustitia et Iure. Le premier traite des droits de propriété, de leur transfert et de leur rapport à la justice commutative. Ensuite, il traite des origines de la propriété et de la guerre comme moyen violent d’acquérir un droit de propriété. Son deuxième traité (De contractibus) consacre 323 disputations à l’analyse des contrats privés et à l’échange des droits de propriété (translatio dominii), qui est le fondement du concept de contrat[95]. Les troisième et quatrième volumes étudient ensuite le dominium de l’homme vis-à-vis de son corps, de ses membres et de leur emploi, ainsi que les crimes concernant l’honneur, la réputation et les biens spirituels. Comme Soto, il considère que le dominium découlant du droit des gens fonde presque tous les contrats unissant les hommes[96]. En procédant à une exposition plus complète de leurs formes et implications que ce dernier, dans un net souci d’exhaustivité, il détaille formellement et matériellement tous les types d’unions juridiques pouvant relier les particuliers. Ses analyses reposent sur une définition juridique précise du contrat, qui consiste en une obligation mutuelle pour le bénéfice des deux parties prenantes, enregistrée dans un document notarial[97], et qui est déclaré invalide pour cause de contraintes exercées lors de l’engagement, d’erreurs dans l’enregistrement de l’acte, ou de fraude[98]. Il distingue les contrats fondés sur la bonne foi de ceux qui sont strictement juridiques, et qui doivent être formalisés dans des termes et dispositions explicitant les devoirs réciproques[99]. Il formalise les modes d’échange (contrat nu, donation par stipulation, pour cause de mort, révocation de donation, promesses, troc), les droits relatifs à la propriété (vente, achat, location), les transmissions de biens (mariage, fiduciaire, transactions, restitutions), les droits afférents à la propriété (dépôt, prêt, hypothèque, hypothèque en concurrence, bail emphytéotique), la gestion du patrimoine, la question des impôts, et les associations à fondement lucratif (sociétés d’affaire ou de profit)[100]. Les nouveaux types de transactions, comme le commerce de longue distance, les monopoles, la légitimité de la régulation financière par les gouvernements et la spéculation financière, sont aussi analysés par Molina dans les termes du contrat juridique qu’il formalise[101].
Il est à noter que, comme pour Soto, l’ensemble de ces contrats sont proprement interhumains et non médiatisés par la puissance publique ; ils sont exclusivement issus du commerce entre les hommes, la science juridique ayant pour fin d’en faire connaître précisément les modalités et les règles. En approfondissant les analyses antérieurement réalisées par Soto, Molina élargit leurs domaines d’exercice de sorte à en faire les instruments essentiels de la justice commutative[102].
Molina se distingue cependant de Soto par la réouverture des objets conférés au droit des gens. Soto avait concentré la pertinence du droit des gens au niveau des relations interhumaines[103]. Il a posé les règles d’un droit international privé, sans aborder la dimension publique du droit des gens, et plus précisément la question de la guerre entre États, pourtant particulièrement développée par Vitoria. Molina à l’inverse consacre à la guerre vingt-six disputations, où il procède à son analyse systématique[104]. Reprenant en le citant les analyses antérieurement faites par Vitoria, il reconnaît la légitimité de la guerre défensive. Il innove cependant en donnant deux causes légitimes de guerre offensive. La première, qui sous-entend une faute commise par l’opposant, peut être déclenchée en vue de récupérer un bien spolié[105]. Le registre de la guerre punitive est dans ce cas évoqué. Elle répond à une injustice formelle et matérielle. La seconde, à l’inverse, n’appartient pas au registre de la faute. Elle est entreprise pour récupérer des terres occupées par un peuple sans savoir qu’elles appartiennent à un autre[106]. L’injustice est ici simplement matérielle.
Cette distinction est significative pour la question de savoir si la guerre peut être juste des deux côtés. Deux nations peuvent-elles entrer chacune dans une guerre offensive pour des raisons légitimes ? La réponse est négative si l’une d’elles a commis une faute matérielle et formelle envers l’autre. Par contre, si l’injustice de l’une est simplement matérielle, en ignorance de cause, les deux parties doivent d’abord exposer leurs griefs et prouver leur droit avant de se déclarer la guerre. Une guerre peut être déclenchée si, après l’exposition des points de vue et une enquête, celle qui est dans son tort ne le reconnaît pas. Il ne peut ainsi y avoir de guerre juste des deux côtés[107]. Molina souligne cependant plus nettement que ses contemporains la nécessité du recours à la conciliation ou à l’arbitrage pour le règlement des litiges internationaux, mettant ainsi en évidence la part d’incertitude ou de complexité contenue dans les revendications des différents princes[108].
3. La genèse des États et la fonction du pouvoir politique
La deuxième branche du dominium est le dominium iuridictionis, ou droit de juridiction. Il est mis en exercice pour les mêmes raisons que dans le cas du dominium proprietatis : « Aussitôt après que le genre humain a perdu son état d’innocence par le péché, il a été nécessaire d’introduire le droit de juridiction avec un pouvoir de coercition, par le moyen duquel les hommes sont maintenus en sujétion, les injustices réprimées et punies ; la paix et la tranquillité sont ainsi préservées entre eux[109] ». Le pouvoir de commander et de sanctionner répond à un besoin pratique de la société humaine, et il a été donné par Dieu pour permettre aux hommes de l’organiser justement.
En reprenant ses contemporains, Molina donne trois origines à la société civile. La première est donnée par l’inclination naturelle, « le désir inné de vivre ensemble[110] », qui est de droit naturel, comme la société conjugale et paternelle[111]. La deuxième vient de l’indigence naturelle de l’homme, qui naît sans défenses naturelles et ne peut apprendre seul les compétences dont il a besoin pour vivre, et qui doit de ce fait vivre en présence d’autres hommes. La troisième raison donnée par Molina le distingue de Soto, qui ne justifiait pas la vie en société par la tendance à faire le mal. Pour Molina, une des conséquences du péché est qu’il faut forcer l’homme à faire le bien, et le contraindre à ne pas tuer, voler, ou engendrer des dissensions, pratiquer des menaces ou des fraudes[112]. Étant donné le poids respectif de ces arguments, il ressort assez clairement que, selon lui, la république est consécutive au péché originel et qu’il a été nécessaire d’introduire un pouvoir de juridiction ayant force contraignante pour obliger les hommes à rester dans leur office et punir les injustices[113].
La mise en exergue de cette fonction du pouvoir introduit une césure avec la tradition dominicaine que nous avons suivie avec la pensée de Soto, et en particulier relativement à la nature des normes positives. En effet, la loi n’est plus tant comprise comme un précepte qui, en se fondant sur l’inclination au bien, guide l’homme vers sa fin, que comme un commandement émanant d’une autorité, dont la force obligatoire n’est plus immanente, mais imposée de l’extérieur par une force coercitive. Le prince est ainsi l’unique détenteur du pouvoir d’émettre la loi, que Molina définit comme « l’acte de juridiction émanant du pouvoir suprême[114] ». En comparant la façon dont Dieu régit le monde et le prince la société civile, il ne retient pas la caractéristique centrale qu’elle exprime la ratio legis, mais souligne qu’elle est un acte d’imposition émanant d’une autorité supérieure : « […] la loi est ainsi un acte de la volonté du législateur commandant de se conformer comme il est prescrit[115] ».
Cette définition, centrant le caractère obligatoire de la loi sur le fait qu’elle soit un acte de la volonté suprême, modifie les références classiques à la règle et à la mesure. L’acte n’est en effet plus mesuré à la bonté objective exprimée dans la loi qui le guide, mais à la prescription, qui crée la bonté de l’acte. « Aussi bien l’acte est-il bon parce que commandé. [La loi] est règle parce qu’elle impose et non parce qu’elle comprend et exprime[116]. » L’idée d’un ordre immanent au réel que l’homme retrouverait en suivant le précepte de la loi a disparu. Molina montre certes que la loi n’exprime pas une volonté vide, indéterminée, mais qu’elle doit être informée par l’intellect, qui lui fournit les enseignements de la prudence capable de la déterminer. Il n’en reste pas moins qu’à la différence de Soto, qui conservait une définition de la loi comme précepte immanent guidant vers le bien, Molina introduit la référence à une puissance extérieure dont l’essence est de commander et qui oblige les sujets à se conformer à ce qu’elle prescrit[117]. En isolant la règle des inclinations naturelles et d’un ordre immanent au réel, et en plaçant la volonté au centre de l’activité législative, il ouvre la voie à une représentation purement volontariste de la loi telle qu’on la trouve chez Suarez, par exemple[118].
Cependant, dans la lignée de Vitoria et Soto qu’il cite expressément, Molina défend la thèse de l’origine de la société politique par translation du pouvoir du peuple au souverain[119]. Il considère que les hommes forment originairement une communauté naturelle possédant le pouvoir politique, de par le droit naturel que Dieu leur a donné[120]. Comme pour Suarez, ils forment selon lui une unité sociale et politique par soi, une communauté d’ordre moral tendue vers le bien commun de la république à établir, une unité finale visant la félicité naturelle propre à la société humaine parfaite[121]. Le pouvoir politique réside donc essentiellement dans la république. Mais elle ne peut l’exercer directement. Pour rendre compte du transfert du pouvoir à une autorité légitime, Molina signale d’abord que, pour des raisons pratiques relatives à son nombre et à sa diversité, le peuple n’est pas capable d’exercer le pouvoir par lui-même[122]. Il ne possède ni l’unité ni la compétence requises pour gouverner. Mais il souligne aussi qu’étant donné la nature et la fonction coercitive de la loi, l’autorité qui la proclame doit être incontestée et reconnue comme supérieure à toutes les autres composantes de la république. C’est pourquoi le peuple élit une autorité chargée de gouverner à sa place, à qui il transmet son pouvoir pour l’office bien précis de veiller au bien de la communauté et d’instaurer la paix et la justice en son sein[123].
Mais à la différence de Suarez qui comprend cette translation du pouvoir comme une aliénation définitive, la souveraineté du peuple passant totalement au prince sans pouvoir lui revenir[124], Molina prolonge la thèse de Soto d’un transfert du pouvoir par délégation. Contrairement à l’aliénation, la délégation répond à un régime contractuel où le titulaire reste contrôlé par le mandataire, à qui il est obligé de rendre des comptes et qui peut révoquer le pouvoir qu’il lui a délégué. En d’autres termes, le pouvoir qui établit une autorité reste toujours supérieur à elle[125]. D’autre part, le pouvoir civil n’existe pas avant son institution par la république, puisque c’est le corps de la république qui le constitue, ce qui signifie que le peuple détient une forme de pouvoir « constituant[126] ». Il revient à la république d’élire la personne qui exercera le pouvoir. La délégation du droit de gouvernement au roi lui octroie la prérogative de prescrire le droit positif. Mais même si la république n’exerce plus le pouvoir lorsque le prince gouverne, cela ne signifie pas qu’il ne lui en reste aucun, puisqu’elle reste dépositaire du dominium iurisdictionis. Il existe donc dans la république deux types de pouvoir détenus par des agents différents : celui qui vient de l’établissement de la société civile, et celui qui découle de l’institution d’un gouvernement[127]. La république conserve un pouvoir résiduel qui lui permet de résister au souverain s’il est inapte à sa tâche ou préjudiciable à la population, et elle retrouve l’entière possession de ses droits naturels à sa mort[128].
Conclusion
Cette étude des doctrines dominicaine et jésuite par la comparaison de Domingo de Soto et de Luis de Molina sur les questions du droit et du pouvoir ne fait pas apparaître de césures de fond entre elles. Ces deux courants conservent de profondes similitudes, certainement liées au souci d’approfondissement des travaux de Soto que manifeste Molina. Comme nous l’avons signalé, Molina le cite très souvent, et il s’inscrit très clairement dans sa lignée. Il reprend l’idée que le droit des gens est à la source du dominium, dont l’étude permet de rendre compte à la fois du droit de propriété inaliénable des hommes et de leurs relations au pouvoir politique. S’il abandonne l’idée d’un droit des gens engendré par l’activité rationnelle, il n’en conserve pas moins celle qu’il régule l’ensemble des relations interhumaines, et qu’il est ainsi à la base du droit international privé, une thèse que Soto est le premier à avoir développée, et qu’il étend en approfondissant sa dimension publique déjà travaillée par Vitoria. Il reprend de même l’idée que le pouvoir politique est transféré au prince par le peuple, en creusant un peu plus les conséquences de cette délégation partielle de compétences.
Par contre, plusieurs inflexions ont été relevées, qui signalent l’ouverture de nouvelles voies de réflexion, ou l’abandon d’anciennes positions pourtant très fécondes. L’accent porté par Molina sur la volonté plutôt que sur l’intellect dans le processus de formation de la loi anticipe la nouvelle définition suarézienne purement volontariste de la loi, qui donnera lieu à une exposition de l’ordonnancement de la république et des compétences politiques bien différente de celle donnée par les dominicains[129]. Il contribue aussi à disjoindre le lien entre l’intellect et la volonté dans la production des actes libres, en faisant de la libre détermination, opposée à la nécessité, l’élément essentiel de la volonté.
Ainsi en est-il aussi de la thèse jésuite selon laquelle la raison ne peut plus accéder qu’au droit naturel et qu’elle n’est pas une composante du droit humain. En faisant des us et coutumes l’origine du droit des gens, Molina invalide l’idée qu’il peut être un produit de la raison, et gagner de ce fait valeur contraignante pour l’ensemble des peuples. Ce faisant, il ouvre la voie à Suarez, qui introduit la distinction centrale entre un droit des gens coutumier qui ne traduit que des similitudes entre les peuples, et ce qu’il appelle à proprement parler le droit des gens, soit un droit purement interétatique[130]. C’est ainsi la doctrine du droit international classique qui prend figure, au détriment de la thèse développée par l’humanisme juridique et les dominicains sur tout le xvie siècle d’un droit interhumain positif, et pourtant rationnel.
Appendices
Notes
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[1]
Voir à ce sujet Juan Cruz Cruz, « Predestination as Transcendent Teleology : Molina and the First Molinism », dans Matthias Kaufmann, Alexander Aichele, éd., A Companion to Luis de Molina, Boston, Brill, 2014, p. 100.
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[2]
Voir sur ce point Wim Decock, Theologians and Contract Law. The Moral Transformation of the Ius Commune (ca. 1500-1650), Leiden, Nijhoff, 2013, p. 65-66.
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[3]
Nous nous référons aux travaux de l’École de Cambridge développés par Quentin Skinner et John Pocock, dont Annabel Brett est à nos yeux une représentante très féconde.
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[4]
« Quarta opinio est, omne ius gentium proprie sumptum, esse positivum. Ita tenet Molina, Sotus, Medina, Salonius, et Banez, […] ibi cum Torrectemata et Valencia » (Juan de Salas, Tractatus de legibus, Lyon, Ioannis de Gabiano, 1611, tract. 14, disp. 2, sect. 2, n. 17).
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[5]
« Si l’on examine la façon de diviser le droit, on distingue généralement le droit divin du droit humain, qui se divisent tous deux en deux branches, le droit naturel et le droit positif ; ensuite, le droit positif humain se divise en droit des gens et en droit civil [particulier]. Il n’y a donc qu’une conclusion à la question posée : la première division du droit est celle du droit naturel et du droit positif (Sed si artem dividendi consulas, ius, ut commune est ad divinum et humanum, dividitur in duo, scilicet naturale et positivum : et pariter ius divinum : ac deinde ius positivum humanum, in ius gentium et civile. Unica ergo conclusio ad quaestionem respondet : ius primo dividitur in naturale et positivum) » (Domingo de Soto, De Iustitia et Iure libri decem, 5 vol., introduction historique et théologico-juridique de P.V.D. Carro, trad. espagnole de P.M. Gonzàlez Ordóñez, Madrid, Instituto de estudios políticos, 1967-1968 ; ici, De Iustitia et Iure, Lyon, 1582, III, 1, 2).
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[6]
« Le droit naturel, comme nous l’avons dit dans l’article précédent, est celui qui établit, de par la nature même des choses, un rapport égal et commensurable entre elles. Cela se produit de deux manières : un premier mode considère la nature des choses dans l’absolu, comme les sexes masculin et féminin dont la fonction, de par leur nature, est d’engendrer, et le père de prendre soin de ses fils. L’autre mode est quelque peu différent du rapport commensurable et ne découle pas absolulement de la nature des choses, mais est posé dans l’ordre de fins déterminées et en considération de certaines circonstances (Ius naturale [ut articulo proximo diximus] est illud quod ex rerum ipsa natura adaequatum est et alteri commensuratum. Hoc autem dupliciter contingit : Uno modo secundum absolutam rerum considerationem : sicuti masculus et foemina absoluta natura sua coaptantur in unum generationis officium ; et pater curat filium alere. Alio modo quippiam est alteri commensuratum, non secundum absolutam eius naturam, sed in ordinem ad certum finem et per certas circunstantias consideratum) » (ibid., III, 1, 3). Pour ce second sens, Soto reprend l’exemple de Thomas concernant l’attribution d’un dominium sur un champ. Pour être équitable, il doit être attribué à celui qui sera capable de le faire fructifier au mieux (Somme théologique, II-II, q. 57, a. 3).
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[7]
« En réalité, toutes les créatures ne parviennent pas à juger des choses suivant l’ordre de fins particulières sous certaines circonstances, mais seulement l’homme, en particulier, en vertu de la raison, qui lui est donnée à lui seul (Ad vero de rebus in ordine ad finem sub certisque circumstantiis iudicare, non omnibus animalibus competit, sed peculiariter homini virtute rationis, cuius est unum ad aliud conferre) » (Soto, De Iustitia et Iure, III, 1, 3).
-
[8]
« Id ergo ius quod per talem collativam rationem constituitur, dicitur ius gentium, id est ius quod gentes universae quatenus rationales sunt, sibi constituerunt » (ibid.).
-
[9]
« […] ius positivum est quod humana voluntate et arbitrio ponitur » (ibid., III, 1, 2).
-
[10]
« On ne dit pas que le droit des gens est donné par la simple lumière naturelle, mais qu’il est constitué, c’est-à-dire posé par la raison propre des hommes (Non dicitur [ius gentium] quod simplex lux naturae, sed, quod ratio, quae hominibus propria est constituit, id est ponit) » (ibid., III, 1, 3). Voir sur ce point Jaime Brufau Prats, El pensamiento politico de Domingo de Soto y su concepcion del poder, Salamanca, Ediciones Universidad Salamanca, 1960, p. 58 sq.
-
[11]
« Ius autem gentium naturali ratiocinatione, absque hominum conventium concilium constitutum » (Soto, De Iustitia et Iure, I, 4, 4).
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[12]
« Poterat tunc homo, seclusa etiam gratia gratum faciente pracepta omnia legis naturalis explere, quinimo et cavere à probitione illa ejus ligni scientiae, quantum ad substantiam operum. […] de qua nos Lutherani acerrime obiurgant : nempe quid veluti Pelagiani doceamus Catholici, posse hominem servare mandata viribus naturalibus, ad notanda est solemnis Theologorum distinctio » (Domingo de Soto, De Natura et Gratia Libri Tres, Venise, 1584, I, 6, p. 24).
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[13]
« Cum ergo homo, animale sit rationale, omnia huiusmodi opera natura sua, potest facere. […] Cum homo sit animale rationale, naturae suae insitum est operari secundum rationem, propter Deum, quatenus naturali luce innotescit esse finis omnium » (ibid.).
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[14]
« Il y a en effet deux fins en l’homme. La première est commensurable à ses vertus naturelles, en partie tournée vers l’intellect, et en partie dirigée vers la volonté, et la seconde excède vraiment ses capacités (Nempe duos esse hominis fines : alterum qui suae commensuratus est naturali virtuti, et facultati, sive qua parte ad intellectum spectat sive qua pertinet ad voluntatem ; alterum vero qui eius virtutem excedit) » (ibid., I, 2, p. 11).
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[15]
« Poterat per sua naturalia facere totum bonum sibi proportionatum, quale est virtutis acquisit » (ibid.).
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[16]
« Puisque le libre arbitre attentif s’étend à la volonté humaine, et que l’homme est un animal rationnel, il s’ensuit qu’il agit toujours, par les moyens les plus naturels, conformément à la raison (At quatenus ad humanam voluntatem, liberumque attinet arbitrium animadversum est, quod cum homo sit rationale animal, finis eius naturalissimus est operari semper secundum rationem) » (ibid.).
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[17]
François Connan et Diego de Covarrubias tiennent le même raisonnement : « Ius hoc gentium hominis est quam homo, plenus rationis et consiliis, et iam hominum societate implicatus. […] Naturalis ratio et recta ratio eadem est omnino, quia nihil depravatum potest esse secundum naturam. Nominatur autem ius gentium, quod eo utantur omnes homines qui in gentem aliquam sunt, societatemque congregati » (François Connan, Commentariorum iuris civilis tomus prior et posterior, Paris, J. Kerver, 1553, I, 5, fo. 14) ; « Ius gentium derivatur ab iure naturali, communique omnium gentium consensu constitutum est » (Diego de Covarrubias, Regulae Peccatum. De regul. Iuris libri 6 Relectio, Lyon, Sebastianus Honoratum, 1560, II, 11, p. 283). Pour eux aussi, parce que le droit des gens est établi par la raison, il vaut pour tous les peuples. Tous les hommes sont en effet capables d’en retrouver les normes, et ils n’ont de ce fait pas besoin de se rassembler pour l’établir.
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[18]
« Le premier argument est en conséquence rejeté : on nie en effet que le droit convenu par tous les peuples ne puisse être que le droit naturel (Primum igitur argumentum capitale iam solutum est : negatur enim ius illud in quo omnes gentes conveniunt, non potest nisi esse ius naturale) » (Soto, De Iustitia et Iure, III, 1, 3).
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[19]
« Ius aut civile non colligitur per viam illationis, sed per determinationem generalis principiis ad specialem legem » (ibid.).
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[20]
« Il s’ensuite une deuxième différence, qui est que la constitution du droit des gens ne requiert pas la réunion de tous les hommes dans un même lieu, puisque la raison l’enseigne par elle-même à chacun. À l’inverse, pour la constitution du droit civil, il est besoin d’une assemblée de la république, ou de l’autorité princière, pour que les avis soient donnés de part et d’autre (Sequitur secunda differentia, quod ad constituendum ius gentium non requiritur hominum conventus in unum locum : quoniam ratio id singulos per se docet. Sed ad constituendum ius civile, requiritur reipublicae concilium, aut principis auctoritas, ut ultro citroque habito consilio constituitur) » (ibid.).
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[21]
« Il s’ensuit une troisième différence, à savoir que le droit des gens est commun à tous les peuples, comme on dit, alors que le droit civil est celui qu’un certain peuple, ou une certaine société, se donne en propre (Sequitur tertia, videlicet quod ius gentium est gentibus omnibus commune, ut dictum est ; ius autem civile est quod quisque populus vel civitas sibi proprium constituit) » (ibid., III, 3, 3).
-
[22]
Merio Scattola, « Naturrecht als Rechtstheorie : Die Systematisierung der “res scholastica” in der Naturrechtslehre des Domingo de Soto », dans Frank Grunert, Kurt Seelmann, éd., Die Ordnung der Praxis. Neue Studien zur Spanischen Spätscholastik, Tübingen, Max Niemeyer, 2001, p. 39.
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[23]
Ibid., p. 47.
-
[24]
Gaëlle Demelemestre, « Dominium et ius chez Francisco de Vitoria, Domingo de Soto et Domingo Bañez », Laval théologique et philosophique, 71 (2015), p. 473-492.
-
[25]
« At vero theologi et iurisonsulti aliter usurpant hoc nomen, nempe pro potestate seu iure quod quis habet in aliquam rem ; vel scilicet sic loqui pro proprietate alicuius rei sicut dicitur quis habere dominium praedii, domus, equi, caeterorumque id genus quae sua sunt » (Domingo de Soto, Relecciὀn « de dominio » [Quaestio De dominio], edición crítica y traducción, introducción, apéndices e indices por Jaime Brufau Prats, Granada, Universidad de Granada, 1964, p. 74).
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[26]
Soto, De Iustitia et Iure, IV, 3, 1.
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[27]
« Sed aliae sunt rei inuentae in terrae superficie, vel alibi recenter perditae, aut depositae, quarum idcirco domini, aut haredes superstites, esse censentur. […] Et primum, quod in littore maris lapilli inuenti, sint inuentoris, expressa est iuris definitio. […] Et ratio est, quia littora iure gentium manserunt communia. Atque idem est iuris naturae iudicium de auri aliorumque metallorum venis, quae sunt in visceribus terrae. Dubitare hic tamen qui posset propter nostrates qui ad Occidentalem continentem auri gratia aduolant, an liceat cuicunque unius nationis ad aliam quaesitum aurum peregrinari. […] Respondetur tamen hoc duntaxat iure non esse omnino licitum, nisi incolae ipsi consentirent : aut pro de relictis eosdem thesauros haberent, nam regiones iure gentium divisae sunt ; et ideo licet gentibus illius regiones sint res illae communes, tamen non possunt advenae incolis inuitis easdem res usurpare. Neque enim valent Galli hac de causa ad nos penetrare, neque nos ad illos ipsis inuitis » (ibid., V, 3, 3). Contrairement à Vitoria, qui considérait que les espaces publics d’une république restaient à disposition du genre humain, et qu’il était donc légitime que les Espagnols s’emparent des richesses présentes en Inde, Soto ne considère pas cette pratique comme conforme au droit. Les citoyens exercent un dominium sur leur sol et sous-sol, ils ont le contrôle de leurs richesses, et ont même le droit de refuser l’accès à leur territoire si leur intérêt le demande (voir Francisco de Vitoria, Leçon sur les Indiens et sur le droit de guerre, introduction, traduction et notes de Maurice Barbier, Genève, Droz, 1966, p. 86). Voir Annabel Brett, Changes of State. Nature ad the Limits of the City in Early Modern Natural Law, Princeton, Oxford, Princeton University Press, 2011, p. 25 ; Berenice Hamilton, Political Thought in Sixteenth-century Spain. A Study of the Political Ideas of Vitoria, De Soto, Suarez and Molina, Oxford, Clarendon Press, 1963, p. 103.
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[28]
« Si les terrrains étaient communs, cela engendrerait chez les hommes de la paresse et de la discorde, tant l’amour ardent de posséder est insondable […]. Il s’ensuivrait bien des désavantages si les fruits et les fonds étaient communs (Si autem agros vellent esse communes, inde occasionem homines nanciscerentur ignaviae et discordiae, nam ineffabile est quam sit ardens amor ad propria […]. Sequeretur incommodum, si fructus et fundi essent communes) » (Soto, De Iustitia et Iure, IV, 3, a. 1).
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[29]
« Per quam viam (l’instauration du dominium) necesse erat pacem et tranquillitatem ciuium, et quam illi philosophi favebant, amicitiam perturbari » (ibid.).
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[30]
« Presque tous les contrats, tels les achats et les ventes de propriétés, la location, etc., sans lesquels la société humaine ne pourrait pas exister, ont été introduits par le droit des gens (De iure autem gentium omnes paene contractus introducti sunt, ut emptio et venditio, locatio, etc., sine quibus humana societas constare non potest) » (ibid., III, 3). « Secundum sunt contractuum species emptio, cambium, mutuatio, emphytusis, commodation permutata commodatio, et locatio […]. Etenim cum tria in huiusmodi rebus sit meditari, videlicet dominium, usumfructum, et usum, unus est contractuum ordo, quibus dominium transfertur, alius vero eorum, quibus conceditur ususfructus. Igitur ubi dominium rei transferetur, si gratis id fiat absque ulla redditionis obligatione, nuda donatio est, quae ideo contractus nomine non censetur » (ibid., VI, 2, 1).
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[31]
Soto leur consacre la question 7 du livre VI du De Iiustitia et Iure.
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[32]
Cf. ibid.
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[33]
« Negotiatio est simpliciter reipublicae necessaria. Haud enim omnis provincia omnibus abundat, quibus indigeret : sed pro climatum varietate alia affluit terrae fructibus, et opificiis, quorum alia inops est. Et vice versa, alia est aliorum locuples, quorum inopia alia laborat » (ibid., III, 2, 2). Soto est l’un des premiers à étudier précisément les questions économiques. Sur ce point, voir Horacio Rodriguez Penelas, « Contribución de Soto a la gestación del pensamiento económico », dans J. Cruz Cruz, éd., La ley natural como fundamento moral y jurídico en Domingo de Soto, Navarre, Ediciones Universidad de Navarra, 2007, p. 223-238 ; André Azevedo Alves, José Manuel Moreira, « Virtues and Commerce in Domingo de Soto’s Thought : Commercial Practices, Character, and the Common Good », Journal of Business Ethics, 113, 4 (2013), p. 627-638.
-
[34]
« Dans les premiers temps du genre humain, les biens étaient échangés par le troc ; la coutume et l’usage de cette pratique ont cependant montré qu’il était quasiment impossible d’accomplir la vie humaine de cette manière. […] À partir de ces considérations, on comprend que l’on ait choisi la définition de la vente et de l’achat, à partir de laquelle de nombreux autres contrats ont été constitués […]. Le genre humain est passé d’un état imparfait à celui de la perfection (In primordiis enim humani generis, tum erat rerum cambium : mos autem et usus monstravit penè esse impossibile illa ratione transigi humanam vitam. […] Ex his ergo comprehendum est venditionis emptionisque definitione elicitur, in qua constituenda multi alteri […]. Humanum genus in imperfecto ad perfectum progressum est) » (Soto, De Iustitia et Iure, IV, 2, 1).
-
[35]
« […] contractus est actio inter duos, ex qua utrinque obligatio nascitur » (ibid.).
-
[36]
Martti Koskenniemi, « Empire and International Law : The Real Spanish Contribution », University of Toronto Law Journal, 61 (2011), p. 15.
-
[37]
Ibid., p. 16.
-
[38]
Jaime Brufau Prats, El pensamiento politico de Domingo de Soto y su concepcion del poder, p. 24.
-
[39]
Voir Martti Koskenniemi, « Empire and International Law : The Real Spanish Contribution », p. 16.
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[40]
« Le droit des gens est de nature positive, mais la forme intrinsèque de ce droit positif est telle qu’il dépend de la bonne volonté et de la constitution des hommes, de sorte qu’ils pourraient l’abroger (Ius gentium est positivum ; sed de ratione intrinseca iuris positivi est ut sicut ex hominum beneplacito et constitutione constat, ita ex eodem possit abrogari) » (Domingo Bañez, Decisiones de Iure et Iustitia, Venise, Minimam Societatem, 1595, q. 57, a. 3).
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[41]
« On peut ensuite se demander s’il existe des cas de dispenses dans le droit des gens […]. On y répond en établissant une distinction. Certaines règles du droit des gens sont ainsi tellement profitables à la société humaine qu’elles ne peuvent souffrir d’aucune dispense, comme la division des terres dont on a déjà parlé. En effet, même entre religieux, la possession commune des biens est insupportable. Mais on peut être dispensé pour une raison valable de certains autres de ces droits. Le servage est ainsi de droit des gens, et pourtant on peut l’abolir, comme les Chrétiens captifs de guerre, qui ont été réduit au servage (Postremum dubium, utrum in ius gentium cadat dispensatio […]. Respondetur sub distinctione. Aliqua enim sunt de iure gentium adeo conducentia ad humanum convictum, ut nullatenus fas si super illis dispensati : imo forsan dispensatio esset irrita, ut dividio rerum, de qua modo dicebamis. Nanque nisi inter religiosos intolerabilis esset communis rerum possessio. Alia vero sunt eiusdem iuris, quae sunt pro causa dispensablia. Servitus enim esse de iure gentium et tamen dispensatum est, ut Christiani capti in bello, pro servis habeantur) » (Soto, De Iustitia et Iure, IV, 4, 1).
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[42]
« Deus per naturam dedit rebus singulis facultatem se conservandi […]. Hanc autem homines facultatem cum exequi commode disperse nequirent, adiecit eis instinctum gregatim vivendi, ut adunati alii alius sufficerent ; congregata vero respublica neutiquam se poterat gubernare, hostesque propulsare, malefactorumque audaciam cohibere, nisi magistratus deligeret, quibus suam tribueret facultatem » (ibid.).
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[43]
Voir I, 6, 4. Pour un plus ample développement, voir A. Brett, Liberty, Right and Nature. Individual Rights in Later Scholastic Thought, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 156-159.
-
[44]
« Enim vero sicut reipublicae ecclesiasticae, sic et civili necessaria fuit ratione finis potestas seipsam gubernandi, atque adeo leges pro temporum, regionumque varietate instituendi […] haec autem per legem naturae descendit, qua quaelibet respublica seipsam administrandi auctoritatem habet, quam et regibus conferre potuit » (Soto, De Iustitia et Iure, I, 6, 4).
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[45]
« Reges ac principes ab populo creati sunt, in quos suum transtulit imperium ac potestatem » (ibid., I, 1, 3).
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[46]
« Tertio convenit legi humanae ab illis institui, qui publica funguntur administratione reipublicae : generis autem reipublicae (ut supra iam secundum Aristoteles in Politicae diximus) multae sunt species. Alia etiam est aristocratia, id est optimatum principatus : quare leges, quae ab istis aeduntur, nuncupantur senatusconsulta, responsa prudentum, etc. Secunda regiminis species est, obligarchia, id est paucorum divitumque potentum principatus. Tertium regimen est democratia, hoc est, popularis potentia : cuius leges dicuntur plebiscita […]. Sed quartum regiminis institutum, est regnum. Et secundum hoc sumitur species legum, quae dicuntur constitutiones principium » (ibid., I, 5, 4).
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[47]
Soto opère une seconde distinction entre quatre catégories de loi : celles qui sont dévolues au bien public, celles qui prennent en charge les différents offices et ministères, celles qui sont consacrées au culte de la religion, et les lois militaires, propres au corps de l’armée. Voir ibid., I, 5, 3.
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[48]
« Rex non tanquam dispensator, sed tanquam ipsa eadem respublica reputandus est » (ibid., III, 4, 4).
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[49]
« Ni l’empereur ni le prince ne deviennent par ce contrat proriétaires du pouvoir. […] Il s’agit en effet d’un droit naturel [possédé par le peuple], et si la république transfère au prince son pouvoir, sa force de commandement et son droit de juridiction, il ne lui donne cependant pas ses facultés propres, que le prince ne peut pas, pour cette raison, lui retirer, même si elles étaient nécessaires à la prise en charge de l’administration de la république (Neque Imperator, neque principum ullus est hoc pacto proprietarius. […] Iure autem naturae, et si transtulit respublica in principem potestatem suam, et imperium, ac iuridictionem, non tamen proprias facultates, quibus ideo princeps uti nequit, nisi quando eidem reipublicae tuendae et administrandae necesse fuerint) » (ibid., IV, 4, 1).
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[50]
Pour un plus ample développement, voir A. Brett, Liberty, Right and Nature, p. 159 et 164.
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[51]
Domingo de Soto, La cause des pauvres, traduction et préface d’Edouard Fernandez-Bollo, Paris, Dalloz, 2013, chap. 11, p. 73.
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[52]
« Potestatem civilem non sic dependere ab spirituali, ut ab illa instituatur, suamque accipiat facultatem : ab illave possit, vel amoveri rex, vel cogi, vel corrigi, nisi quando ab divinis legibus sineque spirituali rebellaret » (Id., De Iustitia et Iure, IV, 4, 1).
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[53]
Ibid., IV, 1, 4.
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[54]
« Une loi non conforme au bien commun n’a pas de force contraignante. Il a été démontré ci-dessus que toute loi doit être instituée pour le bien commun des citoyens […]. Quand une loi est utilisée dans la plupart des cas de façon contingente, comme dans ceux où elle est contraire au bien commun, elle ne doit pas être observée (Lex quae a communi bono deficit, nullam habet obligandi vim. Haec iam supra ex eo demonstrata est, quod lex omnis debet esse pro communi salute civium instituta […]. Quamvis lex in communi lata casibus plurimum contingentibus utilis sit, nihilominus quo casu noscitur adversari communi saluti, non est observanda) » (Id., De legibus, t. 1, Comentarios al tratado de la ley, édition critique et traduction de Francisco Puy et Luis Nunez, Grenade, 1965, p. 71-72).
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[55]
« Les autres choses qui échoient à la fin de la loi concernent le salut des hommes. La loi humaine doit en effet détourner du mal et mouvoir vers le bien. On dit de sa première fin qu’elle est nécessaire parce qu’il faut éviter les inconvénients du mal et les préjudices qui nous détruisent ; eu égard à cela, on dit de la seconde qu’elle guide vers ce qui est profitable [aux hommes] (Caetera vero quae sequuntur ad finem legis, humanam scilicet, salutem spectrant. Debet enim lex homines et ab malo retrahere, et in bonum promovere. Propter primum dicitur necessaria, scilicet ad cavendum incommode, et nocumenta quibus pervertimus : propter secundum dicitur, utilis) » (Id., De Iustitia et Iure, I, 5, 3).
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[56]
La principale marque du pouvoir souverain est pour Bodin de « donner et casser la loi », car « sous cette même puissance de donner et casser la loi sont compris tous les autres droits et marques de souveraineté : de sorte qu’à proprement parler on peut dire qu’il n’y a que cette seule marque de souveraineté, […] la puissance de donner la loi à tous en général, et à chacun en particulier, et de ne la recevoir que de Dieu » (Jean Bodin, Les six livres de la République, édition et présentation par Gérard Mairet, Paris, Librairie Générale Française, 1993, I, 10, p. 162-163).
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[57]
En réfère son analyse selon les quatre causes de la justice qu’incarne la loi (« Existimatur autem legis iustitia ex omnibus eius causis : scilicet finali, efficiente, materiali, atque formali », I, 6, 4), qu’il utilise pour distinguer le pouvoir tyrannique du pouvoir royal.
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[58]
« Facere contra legem principis est malum morale : ergo peccatum apud Deum. Antecedens est notum : quoniam si lex justa est, regula rationis existit : praetergredi autem rationis lineam, obliquitas est, ac subinde peccatum » (Soto, De Iustitia et Iure, I, 6, 4).
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[59]
Ibid., I, 6, 2.
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[60]
Ibid., 5, 4.
-
[61]
« La fin de la loi, dis-je, est déterminée par le bien commun ; c’est la différence (comme nous l’avons dit) permettant de distinguer une tyrannie d’un bon gouvernement. C’est-à-dire que lorsque les lois sont proposées en vue de l’intérêt commun, elles sont justes ; lorsqu’elles sont dirigées vers un intérêt particulier, elles sont tyranniques. Deuxièmement, elles dirigent en partie les actions. Celui qu’elles dirigent pourra plus facilement ne pas excéder ses possibilités. Troisièmement, en raison de leur contenu, elles ne doivent pas être écartées lorsque les temps et les conjonctures sont bons ; elles ôtent ainsi les causes des mauvaises oeuvres. Quatrièmement, en partie en raison de leur forme, car la loi est une règle qui doit briller par sa rectitude et son équité, pour qu’elle puisse veiller tant à la répartition égale des honneurs entre les citoyens qu’à la répartition proportionnelle des charges, de sorte qu’ils ne fassent qu’un dans le corps de la république (Finali inquam, ut pro communi bono sit condita : eadem enim differentia [ut diximus] quae inter tyrannum et regem inter leges quoque dignoscitur. Nempe ut quae pro communi utilitate sit lata, iusta habeatur : quae vero pro particulari, tyrannica. Secundo ex parte agentis : ut pote quod qui illam tulerit, suam non fuerit facultatem transgressus. Tertio ex parte materiae. Quoniam, ut quae pro tempore et loco bona sunt, prohiberi non debent : ita neque opera mala materia praecepti sunt. Quarto ex parte formae. Nam cum lex regula sit, ea debet rectitudine et aequitate splendere, ut talem servet tam in honoribus quam in oneribus proportionem ad cives, qualem ipsi habent ad corpus reipublicae) » (ibid., I, 6, 4).
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[62]
Sur ce point, voir Jaime Brufau Prats, El pensamiento politico de Domingo de Soto y su concepcion del poder, p. 177 ; Andreas Wagner, « Legal Character of the Global Commonwealth », Oxford Journal of Legal Studies, 31, 3 (2011), p. 572.
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[63]
« Si Imperator esset universi dominus, aut id sibi iure divino competeret, aut naturali, aut humano, gentium videlicet aut civili : nullo autem istorum » (Soto, De Iustitia et Iure, IV, 4, 2).
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[64]
« Ac hoc quod aliqua respublica regem sibi vel imperatorem instituat, in quem suam transferat potestatem, requiritur publicus eius conventus, ut saltem maior pars in talem consentiat electionem. Universus autem terrarum ambitus nunquam talem fecit conventum, nec vero pars decima, si mentis oculis Antipodas cunctasque nationes in gyrum lustraveris : ergo nunquam unus extitit dominus orbis. Neque Romanorum Caesarum nomen et fama usque ad Antipodas et Insulares ab nobis repertos unquam penetravit » (ibid.).
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[65]
Ibid.
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[66]
« Reges autem, quia ab suis regnis potestatem recipiunt non est cur ab uno omnes dependeant in toto orbe » (ibid.).
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[67]
« Sic neque princeps calore suo totam potest rempublicam nationibus ac regionibus vastissime dispersam fovere, ut valeat, quae quaque provincia fiunt, nosse, emendare, corrigereque ac disponere. Unus namque non potest undecumque orbis nuncios brevi tempore suscipere, neque quocunque gentium praetores suos ministrosque alios dimittere, et quae ubique sint castigare, imo neque eius metus ad tam vastam locorum spatia potest pertingere » (ibid., IV, 4, 2).
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[68]
« Comme en effet la nature a été créée par Dieu Très Puissant, il a fait que nous distinguions le mal du bien par la loi naturelle qui est bien imprimée dans nos esprits, pour qu’elle puisse être évidente par expérience. […] Cela peut être confirmé par l’exemple des Romains qui disaient aux peuples qui n’avaient pas naturellement de lois ce qui relève d’elles, et qui leur en faisaient, en se servant des lois écrites dans leur coeur, et dont le témoignage était donné par leur conscience (Cum enim natura ab Deo Optimo Maximo instituta sit : naturaeque legem, qua bonum ab malo discernimus, ipse mentibus nostris impresserit, ut vel experientia ipsa constat. […] Id quod confirmari potest ex illo ad Romanos secundo : cum gentes quae legem non habent naturaliter ea, quae legis sunt, faciunt eiusmodi legem non habentes, ipsi sibi sunt lex, qui ostendunt opus legis scriptum in cordibus sius, testimonium reddente illis conscientia ipsorum) » (Luis de Molina, De Iustitia et Iure opera omnia. Tractatibus quinque, vol. I, De iustitia in genere partibusque illi subiecti, Venise, Minimam Societatem, 1594, tract. 1, disp. 3).
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[69]
« Le droit naturel est défini par Aristote, dans Éthique à Nicomaque, chap. 7, 5, comme le droit qui a une force [contraignante] partout, et non parce qu’il paraît tel à certains, et non à d’autres. C’est-à-dire qu’il s’agit d’un droit dont l’obligation vient de la nature des choses, dont il est le précepte, et non d’un commandement issu de l’arbitre [humain], parce que la chose, par sa nature même, contient toutes ces oligations en raison du droit naturel, qui leur confère même à toutes force contraignante (Ius naturale definitur ab Aristoteles, Ethic. cap.7, 5 esse illud, quod ubique eandem vim habet, et non quia videtur, aut non videtur, id est, cujus obligatio oritur ex natura rei, de qua est praeceptum, et non ex arbitrio praecipientis, et quia res eandem naturam retinet apud omnes, idcirco naturale ius eandem quoque vim apud omnes habet) » (ibid., t. 1, disp. 4).
-
[70]
« Obligatio iuris naturalis oritur ab natura objecti » (ibid.).
-
[71]
Ibid.
-
[72]
« Ius civile est, quod est proprium cujusque regni, aut civitatis, id est, non omnibus, aut fere omnibus, commune » (ibid., disp. 5).
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[73]
« Ius humanum subdivisimus in ius gentium et civile. […] Ius gentium est ius humanum, quod omnes, aut fere omnes gentes utuntur ut habetur. Neque enim, ut aliquid sit de iure gentium, necessarium est, ut omnes universim gentes illud exerceant » (ibid.).
-
[74]
« In totum autem vix abrogari posset quod ad ius gentium pertineret. Ratio est, quoniam ad id necessarius esset communis consensus omnium, aut fere omnium nationum, qui difficile haberi potest » (ibid.).
-
[75]
Ibid., disp. 4. Suarez reprend cette définition en en faisant le second sens, à ses yeux impropre, du droit des gens : « Posterior modus iuris gentium continet quaedam praecepta, vel ritus, aut modos vivendi, qui per se, et directe non referuntur ad universos homines, neque habent veluti pro fine proximo convenientem societatem et communicationem omnium nationum inter se, sed in unaquaque republica foro suo conveniente regimine constituuntur » (Francisco Suarez, Tractatus De legibus ac Deo Legislatore in decem libros distributus, Pars Prima, Neapoli, 1872, Livre II, 19).
-
[76]
Pour Molina, l’obligation exprimée par le droit naturel naît de la nature de la chose : « […] obligatio oritur ab natura rei, quae praecipitur aut prohibetur, quia videlicet in se est necessaria ut fiat » (Molina, De Iustitia et Iure, disp. 4). La nécessité de ce qui est prescrit ou interdit découle directement de la nature des choses, ce qui permet à la raison d’en dégager les principes. Il n’est de ce fait plus possible de considérer que la raison pourrait former des normes à partir de rapports entre les choses, qui n’ont pas la densité ontologique suffisante puisque sont considérées des conjonctures historiques, accidentelles, et non des réalités.
-
[77]
Il fournit les mêmes arguments que Soto pour montrer que le pape ne peut exercer aucune autorité sur les pouvoirs temporels (De Iustitia et Iure, vol. 1, II, disp. 29) et qu’il ne saurait exister d’empereur qui soit maître du monde (ibid., disp. 30).
-
[78]
Annabel Brett, Liberty, Right and Nature, p. 84.
-
[79]
« In primis ergo rerum divisio est de iure gentium. […] De iure etiam gentium est, ut facta rerum divisione, res, quae domino carent, sint primo occupantis » (Molina, De Iustitia et Iure, tract. I, disp. 5).
-
[80]
Sur la controverse de auxiliis, voir Gerhard Schneemann, Die Entstehung der thomistisch-molinischen Controverse, Freiburg im Breisgau, Herder Verlagshandlung, 1879 ; Robert J. Matava, Divine Causality and Human Free Choice : Domingo Bañez and the Controversy de Auxiliis, University of St Andrews Thesis, 2010.
-
[81]
Jörg Alejandro Tellkamp, « Rights and Dominium », dans Matthias Kaufmann, Alexander Aichele, éd., A Companion to Luis de Molina, Boston, Brill, 2014, p. 133.
-
[82]
Molina, De Iustitia et Iure, tract. I, disp. 6.
-
[83]
Ibid., tract. II, disp. 18.
-
[84]
Jörg Alejandro Tellkamp, « Rights and Dominium », p. 142.
-
[85]
Sur cette différence, voir Jacob Schmutz, « La doctrine médiévale des causes et la théologie de la nature pure », Revue thomiste, 101 (2001), p. 217-264.
-
[86]
C’est ce qui ressort de ses analyses sur la possibilité pour les animaux, les personnes malades et les enfants d’opérer des actions libres, ce qu’il leur accorde : dans une certaine mesure, ils possèdent aussi un dominium sur leurs actions. Ils « ont une trace de liberté […] ou, ce qui est la même chose […], une trace innée de dominium sur leurs propres actions » (Molina, On Divine Foreknowledge [Part IV of the Concordia], trad., intro. et notes d’Alfred J. Freddoso, Ithaca, New York, Cornell University Press, 1988, p. 91-92).
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[87]
« Dominium est ius perfecte disponendi de re corporali, nisi lege prohibeantur » (Molina, De Iustitia et Iure, disp. 18).
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[88]
« Dominium omne et potestas omnis est ab Deo. […] Dominii fundamentum est hominem esse ad imaginem et similitudem Dei » (ibid., t. II, disp. 19).
-
[89]
« Est vero Deus optimus maximus creationis titulo etiam vitae hominum et Angelorum dominus, quam proinde pro arbitratu potest ab eis auferre absque cuiusdam iniuria. Quod tamen neque creaturis ipsis, quarum est vita, conuenit. Licet enim homines propriae vitae custodes sint, iusque habeant ea fruendi, eamque defendendi, et idcirco iniuria illis fiat, si iniuste ab eis auferatur. […] Homines naturali iure domini sunt, saltem rerum omnium quae coeli ambitu continentur, etiam lucis et influentiarum coeli, eo namque ipso, quod creaturae autor in prima rerum constitutione sublunaria omnia propter hominem condidit, ut essent in alimentum aliosque usus et commoditates illius (id quod natura ipsa rerum, ordoque earum aperte indicat) eo ipso, inquam, dominum eorum omnium illum constituit, ut natura ipsa rerumque ordo, et lumen naturale intellectus attestantur, quod est iure naturali esse hominem dominum eorum omnium quae diximus » (ibid., t. II, disp. 18).
-
[90]
Ibid., disp. 20.
-
[91]
Ibid., disp. 3.
-
[92]
« Il existe un type de droits établi ainsi, qui comprend le dominium et de nombreux autres droits. Une partie de ces droits permettent de disposer parfaitement d’une chose, c’est-à-dire de l’utiliser selon tous ses usages et de sa propre autorité, que ce soit pour son intérêt propre, ou pour l’avantage d’autres personnes, et de la vendre ou de la consommer, ou alors de conserver tous les droits qui n’entrent pas entièrement dans le dominium, ou qui ne sont pas ceux d’un dominium parfait et complet, et qui ne peuvent être définis que dans un contexte particulier (Caeterum in ea pro genere ponitur ius, quod dominium et pleraque alia iura complectitur. Per partem illam, perfecte disponendi de re, hoc est, omni modo et propria autoritate, sive in proprium, sive in alienum commodum ea utendo, et sive eam distrahendo aut consumendo, sive reservando omnia iura, quae vel omnino non sunt dominium, vel non sunt integrum et perfectum dominium, quod solum hoc loco definitur) » (ibid., vol. 1, tract. II, disp. 18).
-
[93]
« D’où le fait que les choses déterminées par l’esprit sont choisies par la maîtrise du libre arbitre que l’on exerce sur ses actions ; de sorte que sont maîtres des différentes choses ceux qui sont capables de ce libre arbitre, et de ce fait même, ils peuvent les utiliser selon leur volonté. En effet, le dominium permet d’user et de disposer librement de ces choses (Ut enim, quae mente sunt praedicta, per suum arbitrium dominium habent suorum actuum, dum pro suo arbitratu eos eliciunt, eisque utuntur : sic etiam per idem arbitrium capacia sunt dominii aliarum rerum, quatenus eo ipso, quod illarum sunt domini, eis tanquam suis uti possunt pro arbitratu : dominium namque ad usum liberamque dispositionem rei, cuius quis est dominus, ordinatur) » (ibid.).
-
[94]
Une querelle récente a opposé Tuck et Tierney sur la portée de la distinction romaine reprise par Molina entre ius ad rem et ius in re. Tuck a interprété son traitement du ius ad rem comme une mise en exergue de ce qui pourrait être appelé un droit subjectif (Richard Tuck, Natural Rights Theories : Their Origin and Development, Cambridge, Cambridge University Press, 1979, p. 14), ce à quoi Tierney a opposé que la distinction entre ius ad rem et ius in re ne permettait pas de distinguer des droits « passifs » et des droits « actifs », parce que Molina restait dans une description objective du droit (Brian Tierney, The Idea of Natural Rights. Studies on Natural Rights, Natural Law, and Church Law. 1150-1625, Atlanta, Emory University, 1997, p. 220). Tellkamp remarque cependant à juste titre que la différence faite par Molina entre les deux formes de droit n’est pas relative à la question de savoir s’il est actif ou passif, mais qu’elle permet de distinguer un droit qui entretient une relation réelle et effective avec une chose d’un droit qui ne contient pas de relation réelle à l’objet, mais qui en dérive, comme par exemple les hypothèques ou les fruits d’un arbre (Jörg Alejandro Tellkamp, « Rights and Dominium », p. 138).
-
[95]
Rudolf Schüssler, « The Economic Thought of Luis de Molina », dans Matthias Kaufmann, Alexander Aichele, éd., A Companion to Luis de Molina, Boston, Brill, 2014, p. 266.
-
[96]
« La division des choses a en effet était faite par le droit des gens […], de même que presque tous les contrats habituellement pratiqués par les hommes, et de nombreuses autres choses (De iure etiam gentium est, ut facta rerum divisione […], fere omnes contractus, quos homines communiter exercent, et pleraque alia) » (Molina, De Iustitia et Iure, tract. II, disp. 18).
-
[97]
« Est pactum, ex quo ultro, citroque oritur obligatio » (ibid., vol. II, De contractibus, Venise, 1607, disp. 252). Voir James Gordley, The Philosophical Origins of Modern Contract Doctrine, Oxford, Clarendon Press, 1991, p. 82.
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[98]
Molina, De Iustitia et Iure, disp. 352, 340 et 342.
-
[99]
Ibid., disp. 259.
-
[100]
Pour le détail des points traités, on se reportera à l’index des disputations en introduction au De contractibus placé avant l’index thématique.
-
[101]
Molinas, De contractibus, respectivement disp. 408, 345, 347 et 303-325.
-
[102]
Martti Koskenniemi, « Empire and International Law : The Real Spanish Contribution », p. 15.
-
[103]
Le droit des gens étant engendré par l’usage de la raison pour l’utilité des peuples conformément à leurs besoins, le thème des guerres et conflits entre nations aurait aussi dû être abordé par Soto. Or, de façon tout à fait remarquable, il n’existe aucun texte, ni enseignement de Soto sur la guerre ou l’usage du droit des gens en cas de conflit, hormis le fait de conserver sa foi, de respecter les légats et d’avoir le droit de pratiquer la captivité en cas de guerre, signalés au livre 3, question 1, du De Iustitia et Iure (se reporter à Domingo del Pilar Cuesta, Domingo de Soto. Estudio critico, Madrid, Fundacion Ignacio Larramendi, 2013, pour sa bibliographie). On peut émettre une première hypothèse pouvant justifier cette absence, qui serait que son maître Vitoria ayant particulièrement développé le droit de guerre, il a préféré aborder la dimension privée du droit des gens que Vitoria n’avait pas considérée. Mais s’il ne l’a pas abordé pour ne pas produire d’analyses redondantes, pourquoi dans ce cas reprend-il intégralement les arguments de Vitoria contre le pouvoir universel du pape et de l’empereur ? Ces longs développements ne se justifieraient pas. On peut émettre une seconde hypothèse, qui est que Vitoria aborde la question de la guerre par le biais de la totus orbis, à laquelle Soto ne souscrit pas. Comme nous l’avons vu, cette thèse s’apparente pour lui à l’exercice d’un pouvoir impérial mondial qui n’a aucune légitimité. L’analyse subséquente du droit de guerre n’aurait de ce fait plus eu de justification. Et pourtant, ce sujet est d’importance dans la thématique des liens juridiques entre les nations. Peut-être n’a-t-il pas eu l’opportunité de creuser l’idée d’un droit international public engendré par la droite raison dans le contexte spécifique des conflits entre nations.
-
[104]
Il traite, dans les disputations 98 à 110 (De Iustitia et Iure, vol. 1), des questions relatives au ius ad bellum (définition de la guerre, qui a l’autorité de déclarer la guerre, les justes causes de guerre, étude de la légitimité de la guerre contre les infidèles), puis, dans les disputations 111 à 123, de celles relatives au ius in bello (les règles à observer dans la guerre, ce qu’il est possible de faire en conformité avec la justice, le traitement des étrangers, des innocents, la servitude et la spoliation des biens des ennemis). Pour le traitement de la guerre chez Molina, voir Manuel Fraga Iribarne, Luis de Molina y el derecho de la guerra, Madrid, Consejo Superior de Investigaciones Cientificas, Instituto « Francisco de Vitoria », 1947 ; Joao Manuel Fernandes, « Luis de Molina : On War », dans A Companion to Luis de Molina, p. 227-256 ; Norbert Brieskorn, « Luis de Molina Weiterentwicklung der Kriegsethik und des Kriegsrechts der Scholastik », dans Norbert Brieskorn, Marcus Ridenauer, dir., Suche nach Frieden : Politische Ethik in der Frühen Neuzeit II, Stuttgart, Kohlhammer, 2000, p. 167-190.
-
[105]
« Unum, quod infertur ad ulteriorem sumendam de injuria illata, sive simul intendamus recuperare nostra, resarcireque damna nobis illata, sive non. Atque, ut hoc justum sit, necesse est praecedat culpa in hostibus » (Molina, De Iustitia et Iure, vol. 1, II, disp. 102).
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[106]
« Un autre type de guerre juste est mené pour reprendre des terres qui nous sont dues occupées [par un autre peuple] par une ignorance invicible, sans que l’on puisse les récupérer par un autre moyen. Il n’est pas nécessaire qu’une telle guerre soit précédée d’une faute, il suffit qu’elle soit précédée d’une injustice matérielle (Alterum genus belli iusti est, ad occupandum nostra, quae nobis debentur, quando ignorantia invicibili detinentur, neque alia via obtinere ea possumus. Et ad tale bellum necesse non est praecedat culpa, sed satis est si praecedat injuria materialis) » (ibid.).
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[107]
« En outre, si celui qui excède son droit de propriété pouvait engager une guerre contre celui qui possède [de droit ces terres], il s’ensuivrait qu’il pourrait exister que chacun des belligérants ait également cause de justice et que la guerre puisse être juste des deux côtés […], ce qui signifie qu’il serait raisonnable de concéder que la guerre pourrait être juste, formellement et matériellement, des deux côtés, et l’on ne peut rien affirmer de plus absurde (Praeterea, si is qui est extra possesionem, posset in dubio movere bellum adversus eum, qui possidet, sequeretur, existente eadem cognitione in utroque bellantium de iustitia utruisque partis dari bellum justum ex utraque parte […] id autem concedere, sane esset concedere justum bellum formaliter et matererialiter ex utraque parte, quo nihil absurdius affirmari potest) » (ibid., vol. 1, II, disp. 103). Molina perçoit la difficulté que tranchera Alberico Gentili (De Jure belli libri tres, Hanovre, Guill. Antonius, 1598, I, chap. 13-16) en reconnaissant que la guerre peut être juste des deux côtés, mais il reste sur ce point dépendant de la thématisation scolastique de la guerre juste.
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[108]
Yves de la Brière, Le droit de juste guerre : tradition théologique, adaptations contemporaines, Paris, Pédone, 1938, p. 43.
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[109]
« Et quamvis quaestio praecipue habeat, locum in dominio proprietatis, extendi etiam potest ad dominium iuridictionis. Etenim statim ac genus humanum ab innocentiae statu per peccatum corruit, necessarium fuit iurisdictionis dominium cum vi quadam coercente introduci, quo homines in officio continerentur, propulsarentur et punirentur injuriae, paxque et tranquillitas inter eos servaretur » (Molina, De Iustitia et Iure, vol. 1, II, disp. 20).
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[110]
« Est namque cunctis animantibus innatum desiderium, tale alterum post se relinquendi, quale ipsum est » (ibid., II, disp. 22).
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[111]
« Nous montrons que le pouvoir du mari sur sa femme, du père sur ses enfants et de la république sur son propre pouvoir politique est de droit naturel, qu’il est par conséquent impulsé par Dieu dans les choses naturelles et que l’ordonnancement des choses et leur création dans l’univers sont immédiatement constitués par lui et lui sont confiés (Ostendimus potestates viri in uxorem, patris in filios, reipublicae cujusque in potestate ipsius, esse de iure naturali, ac proinde esse a Deo per naturae instinctum, ordinemque rebus in hoc universo earum creatione immediate ad eo constitutum ac traditum) » (ibid.).
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[112]
« Cependant, comme le sens des hommes, après le péché, les conduit dès leur jeune âge au mal, et à tant d’affects corrompus que l’on éprouve lorsque beaucoup nous dominent, assurément, s’ils vivaient en dehors de la communauté politique, sans la force du pouvoir public pour les contraindre et les retenir par sa puissance et son autorité, il n’y aurait partout que massacres, séditions, vols, larcins, ruses et fraudes, oppressions des plus faibles par les puissants, et leur condition serait grandement détériorée, pour la misère du genre humain (Cum vero hominum sensus post peccatum ad malum proni sint ab adolescentia, totque pravi affectus, quot experimur in illis ut plurimum dominentur, profecto si ita extra politicam communitatem viverent, ut nulla esset publica superior potestas, quae sua potentia et auctoritate eos coercere, ac comprimere posset, omnia plena essent caedibus, seditionibus, rapinis, furtis, dolis, ac fraudibus, potentioribus opprimentibus minus potentes, longeque deterior esset conditio ac miseria generis humani) » (ibid.).
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[113]
« Le dominium de juridiction possédant force de contrainte a été introduit pour maintenir les hommes dans leurs fonctions (Jurisdictionis dominium cum vi quadam coercente introduci, quo homines in officio continerentur) » (ibid.).
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[114]
Ibid., II, disp. 22.
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[115]
« Nous disons ensuite […] que les lois […] sont des actes de juridiction émanant du pouvoir supême (Dicimus autem […] de legibus […] quae actus sunt jurisdictionis ab suprema potestate emanantes) » (Molina, De Iustitia et Iure, vol. 5, De iudicia et exequutione justitiae per publicas potestas, Moguntiae, Godofredi Schönwetteri, 1659, disp. 46).
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[116]
Michel Bastit, Naissance de la loi moderne. La pensée de la loi de saint Thomas à Suarez, Paris, PUF, 1990, p. 314.
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[117]
« Lex autem est actum intellectus praevio actu voluntaris legislatoris, quo id intellectu et actu ulterioris externo imperat subditis » (Molina, De Iustitia et Iure, vol. 5, disp. 46).
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[118]
Suarez définit ainsi la loi positive comme étant celle « quae ponitur per liberam voluntatem alicuis potentis praecipere, et suo praecepto seu voluntate obligare eum, cui lex imponitur » (Tractatus De legibus ac Deo Legislatore in decem libros distributus, L. II, 2). Pour une analyse de cette transformation de la loi, voir Bastit, Naissance de la loi moderne, p. 312-317 ; Jean-François Courtine, Nature et empire de la loi. Études suaréziennes, Paris, Vrin, 1999, p. 145-146.
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[119]
Frank Bartholomew Costello, The Political Philosophy of Luis de Molina, Rome, Institutum Historicum, 1974, p. 50. Les écrits de Molina sont antérieurs à ceux de Bellarmin et Suarez ; c’est lui qui les a influencés, et non l’inverse. Ses mentors sont ici les deux grands dominicains Vitoria et Soto.
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[120]
« Vitoria, dans sa leçon sur le pouvoir politique, n. 6, et Soto, dans son de iustitia et iure, L. 4, q. 4, a. 1, observaient eux-mêmes que les hommes se réunissent en créant le corps de la république, le pouvoir du corps de l’ensemble de la république prenant sa source dans le droit naturel et gouvernant les particuliers, établissant les lois, disant le juste et les punissant. Pourquoi, demandent-ils, quand Dieu Tout-Puisant est l’auteur du droit naturel, a-t-il assurément institué immédiatement le pouvoir de cette manière ? Il semble que la réunion des hommes en une république est la condition sans laquelle elle ne pourrait pas avoir de pouvoir (Vitoria in relectione de potestate civili a n.6 et Sotus de justitia 4, q. 4, art. 1 asseruerant, eo ipso, quod homines ad integrandum unum Reipublicae corpus conveniunt, iure naturali oriri potestatem corporis totius Reipublicae in singulas partes ad eas gubernandum, ad leges illis ferendum, jusque illis dicendum, et ad eas puniendum. Quare, inquiunt, cum Deus optimus maximus autor sit iuris naturalis, sane hujusmodi potestas immediate est ab Deo naturam instituente ; tametsi hominum adunatio in unam Rempublicam conditio sit, sine qua ea potestas non resultaret) » (Molina, De Iustitia et Iure, vol. 1, II, disp. 22).
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[121]
André de Muralt, L’unité de la philosophie politique. De Scot, Occam et Suarez au libéralisme contemporain, Paris, Vrin, 2002, p. 116.
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[122]
« Hucusque solum ostendimus originem ejus civilis, politicaeve potestatis, quae residet in tot Reipublicae corpore comparatione suarum partium. Quia vero Respublica secundum se totam exercere non potest potestatem hanc in suas partes (esset enim operosum, moraliterque impossibile, ad singulos hujus potestatis actus exigere, expectareque consensum singulorum de Republica difficileque admodum tanta hominum multitudo in idem placitum conveniret) lumen ipsum naturae docet, in Reipublicae arbitrio esse positum, committere alicui, vel aliquibus, regimen et potestatem supra seipsam, prout voluerit, expedireque judicaverit. Hinc habuerunt ortum varia regimina justa, quae in diversis Rebuspublicis conspiciuntur, unaquaque eligente, constituenteque sibi regimen, tradenteque supra se majorem aut minorem potestatem pro suo arbitratu » (Molina, De Iustitia et Iure, vol. 1, II, disp. 23).
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[123]
Ibid., II, disp. 27.
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[124]
« Cette translation du pouvoir de la république au prince n’est pas une délégation, mais quasiment une aliénation, ou un abandon parfait du pouvoir qui était dans la communauté (Talis translatio potestatis a republica in principem non est delegatio, sed quasi alienatio, seu perfecta largitio potestatis quae erat in communitate) » (Suarez, De legibus, L. III, chap. 4, n. 6). Voir Muralt, L’unité de la philosophie politique, p. 120.
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[125]
« Ratio vero est, quia neque rex ea in parte est Republica superior, neque respublica est illo inferior : sed manet, ut se habeat, antequam illi nam concederet potestatem » (Molina, De Iustitia et Iure, vol. 1, II, disp. 23).
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[126]
« Tous les pouvoirs laïcs légitimes sont soit de droit naturel, comme le pouvoir du père sur ses fils, du mari sur sa femme, de la république sur les particuliers, ainsi que ceux qui viennent de Dieu en tant que créateur de la nature, soit dérivés du droit naturel, comme ceux qui composent le droit positif. Ces derniers sont en partie accordés immédiatement par le pouvoir du droit naturel, comme celui d’instituer tous les pouvoirs des autorités laïques supérieures, ainsi médiatement constituées par l’ensemble du corps de la république, et en partie médiatement dérivés du droit naturel, comme le sont les autres pouvoirs médiatement constitués par l’ensemble du corps de la république, et sans doute le pouvoir royal, qui crée d’autres pouvoirs. Ce pouvoir concédé développe tout ce qui est nécessaire au bien commun de la république, de sorte que tous les pouvoirs laïcs légitimes viennent plus ou moins directement de Dieu, et sont institués conformément à la bienveillance et à la volonté divine (Cum legitimae omnes potestates laicae, vel sint de iure naturali, ut potestas patris in filios, viri in uxorem, reipublicae in singulas partes, atque adeo sint ab Deo tanquam ad autore naturae, vel descendant a iure naturae, constituanturque iure positivo, partim per potestatem iure naturali ad id immediate concessam, ut sunt potestates omnes supremae laicae, et si quae aliae, quas mediate constituantur a toto corpore reipublicae ; partim vero per potestatem a iure naturali mediate ad id derivatam, quales sunt potestates aliae, quas mediate constituantur a corpore toto reipublicae mediante videlicet regia, et aliis potestatibus ad ipsa creatis, et per potestatem ad id in commune reipublicae bonum illis concessam consequens profecto est, ut legitimae omnes laicae potestates proxime vel remote sint ab Deo, atque adeo juxta divinum beneplacitum et voluntatem sint constitutae) » (ibid., II, disp. 27).
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[127]
« On dit que tant la royauté que tout autre pouvoir civil suprême choisi par la république existent immédiatement par la république et médiatement par Dieu par la lumière naturelle et par le pouvoir que lui a concédé la république, qui élit elle-même le pouvoir civil comme elle le veut et le juge bon. En raison de quoi le pouvoir découle du droit naturel, et pourtant il est essentiellement constitué à partir du droit humain de la république, par son arbitre propre, non seulement en ce qui concerne la personne ou des personnes à qui est attribuée une fonction politique, mais aussi pour ce qui regarde le mode, la quantité et la durée d’un tel pouvoir. […] On voit ainsi que le pouvoir civil suprême élu par la république est dérivé du pouvoir naturel qui l’a institué, et qu’il est pourtant de droit humain (Dicendum est […] tum regiam, tum quamvis aliam supremam civilem potestatem, quam pro arbitratu Respublica sibi elefierit, esse immediate ab Republica, et mediate a Deo per lumen naturale et potestatem, quam Reipublicae concessit, ut sibi deligeret civilem potestatem prout velletque iudicaret. Quare descendit ab iure naturali, est tamen simpliciter de iure humano Reipublicae, pro arbitratu sibi deligentis, non solum personam, aut personas, quibus tribuat potestatem, sed etiam modum, quantitatem, ac durationem talis potestatis. […] ita etiam licet suprema civilis potestas, quam pro arbitratu sibi Respublica eligit, derivetur ab naturali potestate, quam ad illud constituendum habet, est tamen de iure humano) » (ibid., II, disp. 26).
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[128]
« En effet, autant la république accorde au roi de pouvoirs indépendants d’elle dans le futur, autant elle s’en ôte dont elle ne peut faire un usage immédiat. On ne peut néanmoins pas nier qu’il subsiste deux pouvoirs, celui du roi, et celui qui réside quasiment dans la république, dont elle reste privée de l’usage tant qu’il est exercé par une autre puissance. Mais elle ne reste précisément privée que de celui qu’elle a concédé à ce roi. Si le pouvoir royal disparaît, la république peut récupérer l’usage de son pouvoir. En outre, lorsque le pouvoir est exercé, la république peut lui résister s’il commet une action injuste envers la république, ou s’il excède les limites du pouvoir qui lui a été accordé. La république peut en effet exercer immédiatement tous les usages possibles du pouvoir qu’elle s’est réservé (Etenim quantum Respublica concedit regi potestatis independentis in futurum ab se ipsa, tantum sibi adimit potestatem, quoad immediatum illius usum, nihilominus negandum non est, manere duas potestates, unam in rege, alteram vero quasi habitualem in Republica, impeditam ab actu interim dum illa alia potestas perdurat, et tantum praecise impeditam quantum Respublica independenter in posterum ab se regi illi eam concessit. Abolita vero ea potestate, potest Respublica integre uti sua potestate. Praeterea, illa perdurante, potest Respublica illi resistere, si aliquid injuste in Rempublicam committat, limitesve potestatis sibi concessae excedat. Potest etiam Respublica exercere immeditate quemcunque usum suae potestatis, quem sibi reservaverit) » (ibid.).
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[129]
Voir Muralt, L’unité de la philosophie politique, p. 115-121.
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[130]
Francisco Suarez (Tractatus De legibus ac Deo Legislatore in decem libros distributus, L. II, 19, p. 155-156) distingue deux sens au droit des gens, qui en composent selon lui deux modalités différentes. Dans son premier sens, il est défini comme le droit « que tous les peuples et les diverses nations s’engagent réciproquement à respecter », tandis que, dans son second mode, il est « le droit auquel les sociétés ou royaumes particuliers se conforment seulement par similitude ». Il dénomme ce dernier le « mode secondaire » du ius gentium, qui est seulement un ius intra gentes correspondant aux similitudes entre les moeurs et coutumes des différentes nations, aux façons de vivre ou aux usages que l’on retrouve généralement dans toute collectivité. Seule la première modalité du ius gentium est un ius inter gentes qui donne naissance à de véritables obligations pour les États. Son champ d’application est proprement inter-national, puisqu’il s’exerce dans « la coutume d’admettre des ambassadeurs avec le droit à l’immunité et à la sécurité diplomatique », dans les « contrats et accords commerciaux » entre nations, dans le droit de guerre et dans « les traités de paix et les trêves », soit dans tous les secteurs où les nations entre en contact les unes avec les autres. Sur l’éviction du droit des gens classique, voir Marie-France Renoux-Zagamé, « La disparition du droit des gens classique », Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 4 (1984), p. 51-53.