Laval théologique et philosophique
Volume 73, Number 2, June 2017
Table of contents (7 articles)
Articles spéciaux
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Luther et Lacan : exploration et redéploiement d’un héritage
Guilhen Antier
pp. 141–165
AbstractFR:
Lacan décèle en Luther un artisan de la modernité sans laquelle l’invention freudienne n’aurait pas eu lieu. Une articulation des thématiques luthériennes de la déréliction, de la prédestination et de la mort de Dieu avec la relecture lacanienne du mythe freudien du meurtre du Père au moyen des concepts de loi, désir et jouissance, permet d’explorer et de redéployer différentes facettes d’un héritage théologique dont la psychanalyse est tributaire et qu’elle revisite pour en mettre à jour des aspects insoupçonnés. En retour, expliciter la référence de Lacan à Luther en remontant à la source luthérienne en tant que telle ouvre la voie à un dialogue entre les perspectives théologique et psychanalytique en vue de proposer une compréhension renouvelée de la foi, au nouage de la croyance et de la confiance.
EN:
Lacan finds in Luther an architect of modernity without which the Freudian invention would not have taken place. An articulation of Lutheran themes such as dereliction, predestination and the death of God, with topics such as law, desire and jouissance in Lacan’s rereading of the Freudian myth of the murder of the Father, leads to explain and redeploy various facets of a theological heritage which psychoanalysis revisits in order to enlight some of its unsuspected aspects. In return, explicating Lacan’s reference to Luther by going back to the Lutheran source as such opens the way to a dialogue between the theological and the psychoanalytic perspectives in order to propose a renewed understanding of faith, between belief and trust.
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Une métaphysique propre à Thomas d’Aquin ?
Guy-François Delaporte
pp. 167–180
AbstractFR:
Le thème de la Métaphysique de l’acte d’être a connu un succès jamais démenti au cours du siècle dernier, avec des auteurs comme Gilson, Maritain ou Fabro, pour ne citer que les plus célèbres. Pourtant, des questions de fond n’ont jamais reçu de réponse satisfaisante, et ont laissé le sentiment d’une doctrine inachevée et inachevable. Trois observations contribuent à cette insatisfaction : la quasi-absence d’une telle problématique chez Thomas d’Aquin, les désaccords entre certains points de la théorie ainsi qu’entre les auteurs, et les incompatibilités avec certains thèmes centraux de la philosophie de Thomas d’Aquin.
EN:
The theme of the Metaphysics of the act of being has known a never denied success over the last century, with authors like Gilson, Maritain or Fabro, to name only the most famous. Nevertheless, some important questions have never been fittingly answered, and have left the feeling of an unachieved and unachievable doctrine. Three observations contribute to this disappointment : a quasi-absence of such a problematic in Thomas Aquinas, contradictions between certain points of the theory as well as between the authors, and incompatibilities with certain central themes of the philosophy of Thomas Aquinas.
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Des relations entre les doctrines dominicaine et jésuite au XVIe siècle : étude comparative des théories juridique et politique de Domingo de Soto et de Luis de Molina
Gaëlle Demelemestre
pp. 181–207
AbstractFR:
Les controverses opposant les dominicains et les jésuites après le concile de Trente renvoient l’image d’une scission qui se serait produite à ce moment au sein de la seconde scolastique, à partir de laquelle deux traditions doctrinales se seraient constituées. Existe-t-il cependant une réelle césure interprétative entre les deux ordres ? Peut-on réellement trouver une différence de traitement des données ou de raisonnement permettant de distinguer deux traditions de pensée ? Ce sont les questions auxquelles cet article entend apporter des éléments de réponse en comparant la doctrine de deux illustres représentants de ces ordres, Domingo de Soto et Luis de Molina, sur les questions cruciales de la nature et de la fonction du droit et du pouvoir politique. Soto est le premier à proposer un exposé systématique du droit et de la loi, et Molina prolonge ses analyses en reprenant le même projet. Si leurs contemporains ne semblent pas distinguer leurs théorisations du droit, certaines différences définitionnelles préfigurent pourtant des divergences qui se creuseront chez leurs successeurs.
EN:
The controversies between the Dominicans and the Jesuits after the Council of Trent reflect the image of a split that would have occurred at that time within the second scholasticism, from which two doctrinal traditions would have been formed. However, is there a real interpretative break between the two orders ? Can we really find a difference in the data process or in the reasoning allowing to distinguish two traditions of thought ? These are the questions to which this article intends to give an answer by comparing the doctrine of two illustrious representatives of these orders, Domingo de Soto and Luis de Molina, on the crucial questions of the nature and function of law and political power. Soto is the first to propose a systematic exposition of the right and the law, and Molina extends his analyzes by taking up the same project. If their contemporaries do not seem to distinguish their theorisations from the law, some defining differences prefigure, nevertheless, divergencies which will be widened among their successors.
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Qohélet 2,12 : un texte indéchiffrable ?
Jean-Jacques Lavoie
pp. 209–228
AbstractFR:
L’auteur présente un état de la recherche de la critique textuelle de Qo 2,12 en montrant qu’il faut maintenir le texte massorétique, puisque c’est le texte le plus difficile. Puis, il présente un état de la recherche de la critique des sources ainsi que de l’analyse structurelle et littéraire, afin de montrer que ce verset doit être lu à la lumière de son contexte immédiat. En effet, la comparaison de la sagesse et de la folie, au v. 12a, annonce la question de l’avantage de la sagesse sur la folie et du sage sur le fou, en 2,13-16. Quant au v. 12b, il annonce la question portant sur la valeur du successeur, en 2,19a, et souligne, non sans ironie, que la valeur du successeur est dérisoire et que celui-ci ne vaut que ce que le prédécesseur, aussi incomparable soit-il, a fait de lui. Ainsi compris, le v. 12 peut aussi se lire comme une allusion à Roboam en 1 R 12.
EN:
The author presents a state of research about textual criticism concerning Qo 2,12 by showing that it is necessary to maintain the Masoretic Text, since it is the most difficult text. Then, he presents the state of the research about source criticism, as well as structural and literary analyses, in order to show that this verse should be read in the light of its immediate context. Indeed, the comparison between wisdom and folly, in v. 12a, announces the question of the advantage of wisdom over folly, and of the wise over the fool in 2.13-16. As to v. 12b, it announces the question concerning the value of the successor in 2.19a, and emphasizes, not without irony, that the value of the successor is derisory, and that it is worth only what the predecessor, however incomparable he may be, has made of him. Thus understood, v. 12b can also be read as an allusion to Rehoboam in 1 K 12.
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Nécessité, certitude et illumination selon saint Bonaventure
José Antonio Valdivia Fuenzalida
pp. 229–254
AbstractFR:
Pendant le xiiie siècle, plusieurs auteurs scolastiques ont adopté des théories aristotéliciennes pour expliquer la connaissance humaine. Ces théories supposent que l’homme est capable d’acquérir la science en se servant de ses forces naturelles. Notre âme est capable de saisir l’essence des choses en obtenant une connaissance certaine à leur propos. Pourtant, un bon nombre de ces auteurs estimaient que, même en admettant les théories mentionnées, on ne saurait se passer de l’assistance de Dieu afin d’expliquer l’acquisition des connaissances scientifiques. Cet article s’interroge sur les raisons qui ont conduit lesdits auteurs à adopter une telle position. L’analyse de certains textes de saint Bonaventure permet de comprendre ce que la doctrine de l’illumination divine veut expliquer, à savoir : que nous pouvons obtenir de la certitude malgré le fait que les choses créées ne possèdent qu’une « nécessité conditionnelle ». En effet, même l’essence des choses créées n’aurait pas le degré minimum de nécessité qui est requis pour fonder la certitude absolue présupposée dans le concept médiéval de scientia.
EN:
During the 13th century, several scholastic authors adopted Aristotelian theories to explain human knowledge. These theories assume that man is capable of acquiring science by using his natural powers. Our soul is able to grasp the essence of things by obtaining a knowledge that is certain about them. Yet, many of these authors believed that even admitting those theories, God’s assistance could not be dispensed with in order to explain the acquisition of scientific knowledge. This paper examines the reasons that led these authors to such a position. The analysis of several texts by St. Bonaventure allows one to understand what the doctrine of divine illumination aims to explain : namely that we can obtain certainty in spite of the fact that created things only possess a “conditional necessity”. Indeed, even the essence of created things would not have the minimum level of necessity that is required to be the foundation of the absolute certainty presupposed in the medieval concept of Scientia.