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La biographie que le père Louis-Hugues Vincent a consacrée au père Marie-Joseph Lagrange (1855-1938), fondateur de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem et de la Revue biblique, a mis du temps à paraître. En effet, l’auteur la termina en 1951 et elle ne fut publiée… qu’en 2013, cinquante-trois ans après sa mort ! C’est que les autorités dominicaines craignaient que cette publication ne provoquât des polémiques qui porteraient préjudice à l’École biblique. Il faut dire que les querelles qui avaient dressé l’Institut biblique de Rome contre l’École biblique des dominicains avaient été rudes et qu’on craignit longtemps pour la survie de cette dernière.
Le père Louis-Hugues Vincent (1872-1960), dominicain spécialiste de l’archéologie palestinienne, auteur de nombreux livres et articles, a passé une grande partie de sa vie à Jérusalem. Il vivait au couvent Saint-Étienne, auprès du père Lagrange dont il fut l’un des plus proches collaborateurs et qu’il considérait comme un maître auquel il devait tout « dans l’ordre intellectuel, moral et religieux » (p. 15). Malgré cela, dans le livre qu’il lui a consacré il ne voulait pas faire oeuvre apologétique (ce qu’il n’a peut-être pas tout à fait réussi) et il s’est gardé d’apporter des appréciations personnelles.
Dans l’avant-propos, daté du 15 novembre 1951, le père Vincent spécifie que l’ouvrage « n’est pas une biographie composée suivant les règles du genre » (p. 15). C’est vrai. Au niveau formel, on peut relever qu’il n’y a ni introduction ni conclusion et que l’ouvrage est composé de huit chapitres qui ne comportent aucune sous-partie. Quant au fond, l’enquête fut minimale, les sources sont peu nombreuses et les références laissent à désirer. L’auteur, qui l’assume, a composé son livre essentiellement à partir de ses souvenirs du père Lagrange, personnage avec lequel il vécut dans une étroite intimité pendant quarante-six ans. Pourtant, cet ouvrage est plus qu’un livre de souvenirs. Il s’agit d’un témoignage qui, selon les mots du rédacteur, « se restreint […] à l’expérience acquise de son oeuvre scientifique en une vie permanente dans son sillage » (p. 19). Néanmoins, le père Vincent a pu profiter de la Revue biblique, de quelques papiers que lui a légués le père Lagrange, ainsi que de deux documents écrits par ce dernier : 1) ses Notes intimes dans lesquelles il consignait le cheminement de sa vie intérieure, que l’auteur, par pudeur, a utilisées sans les exploiter ; 2) ses Souvenirs, écrits sur l’insistance de ses disciples, à la condition « que son récit demeurerait strictement un document de famille » (p. 18). De plus, les liens amicaux du père Vincent avec le père Lagrange l’ont mis en relation avec la famille de son maître. Il a pu y quérir les confidences de ses proches sur son enfance et sa jeunesse. Notons que la première partie de la vie de l’exégète est traitée rapidement, puisque l’auteur ne consacre que vingt-neuf pages à ses trente-cinq premières années. Il s’en justifie ainsi : « J’ai trop souvent entendu mon maître taxer de stérilité la part excessive attachée souvent dans les biographies à la description anecdotique méticuleuse des années initiales, pour m’y aventurer à son propos » (p. 16). Certes, mais lorsqu’elle est bien faite, la présentation des premières années d’un homme peut être extrêmement importante pour mieux le connaître et pour comprendre certaines de ses réactions.
Dans cet ouvrage, le but du père Vincent était de montrer le lien intime entre la vie et l’oeuvre du père Lagrange. Cet objectif est atteint, car la coordination entre la vie et l’oeuvre de l’exégète et théologien dominicain est bien mise en évidence, et l’on voit très bien la cohérence de son oeuvre malgré la variété des sujets qu’il a abordés tout au long de sa vie. À ce propos, soulignons que la production scientifique du père Lagrange est présentée d’une façon tout à fait compréhensible pour les non-spécialistes. Néanmoins, il faut ajouter que le lecteur se retrouve, tout au long de la biographie, face à une énumération chronologique un peu fastidieuse des écrits du père Lagrange. De plus, ils sont traités avec une importance très variable, selon une logique qui peut parfois laisser perplexe : quelques-uns sont abordés assez longuement tandis que d’autres sont seulement mentionnés. L’auteur s’en explique en spécifiant qu’il devait « s’efforcer de présenter la production scientifique sous une forme aisément intelligible au lecteur le moins spécialisé » (p. 21). Cet argument nous semble peu convaincant pour justifier, par exemple, que le père Vincent s’attarde davantage sur un compte rendu fait par le père Lagrange que sur un livre qu’il a lui-même écrit. Néanmoins, cet ouvrage nous permet d’appréhender les positions doctrinales du père Lagrange et son rôle dans l’évolution du mouvement biblique. On y découvre aussi un homme d’une scrupuleuse soumission à Rome et à ses supérieurs au milieu des controverses délicates auxquelles il fut mêlé, ainsi qu’un religieux dont la vie fut gouvernée par son idéal de sainteté.
L’ouvrage est complété par quelques annexes, par une petite bibliographie, par une carte de la Palestine au temps de Jésus, ainsi que par un index des noms de personnes. On y trouve également une prière pour la glorification du père Marie-Joseph Lagrange, dont l’enquête canonique a été ouverte officiellement par Mgr Joseph Madec, alors évêque de Fréjus-Toulon (diocèse dans lequel est mort le père Lagrange), par décret du 15 décembre 1987.
Pour conclure, cet ouvrage, rédigé par l’un de ses plus proches disciples, est un témoignage important sur le père Lagrange et son oeuvre. Pour ceux qui voudraient approfondir la question, on peut renvoyer au livre de Bernard Montagnes, Marie-Joseph Lagrange. Une biographie critique (Paris, Cerf, 2005, 624 p.).