Ce livre imposant regroupe plusieurs textes méconnus de Georges Canguilhem (1904-1995), qui était alors agrégé de philosophie et enseignant au niveau du lycée. Ce n’est que par la suite, bien après la rédaction des textes réunis dans le présent ouvrage, que Canguilhem effectuera des études en médecine et qu’il deviendra, à partir de 1955, professeur en Sorbonne. Auteur prolifique dès la vingtaine, il reste surtout connu pour ses travaux de philosophie des sciences et pour son ouvrage devenu classique, inspiré de sa thèse de doctorat en médecine, intitulé Le normal et le pathologique (1943), non inclus dans ce premier tome d’Oeuvres complètes puisqu’il ne contient que des textes antérieurs à 1940. Ce premier tome se subdivise en trois parties principales, outre la préface et les introductions émanant des coresponsables de cette édition critique. Les textes de Canguilhem y sont presque toujours ordonnés chronologiquement : parmi les plus considérables, on trouve une monographie méconnue sur « Le fascisme et les paysans » (1935) (p. 535-596), suivie d’un Traité de logique et de morale (1939) (p. 633-926), tous deux précédés d’une infinité d’articles épars, de lettres et de comptes rendus de livres, occupant près de la moitié de ce premier tome (p. 147-511). Ces innombrables écrits de jeunesse de Canguilhem pourraient à première vue sembler superflus, superficiels ou trop diversifiés ; et pourtant, le lecteur du xxie siècle y fera de nombreuses découvertes stimulantes, à la fois du point de vue historique et philosophique. La plupart de ces textes d’avant-guerre n’avaient jamais été réédités et sembleront inédits, même pour les spécialistes de l’oeuvre de Canguilhem. Dans leur généreuse introduction, qui en soi constituerait presque un essai substantiel et autonome sur l’épistémologie selon Canguilhem, les coéditeurs de ce vaste projet ont voulu mettre en évidence l’originalité de la pensée de l’éminent philosophe français, qui se distingue nettement de celle de ses contemporains (p. 7-146 en incluant la préface). Dans une allusion au philosophe Alain (pseudonyme utilisé par son ancien professeur au Lycée Henri-IV, Émile Chartier), Canguilhem y est ici présenté comme étant « un disciple d’Alain », pacifique et antimilitaire, mais aussi comme un militant, qui deviendra plus tard engagé dans la Résistance (p. 104). Parmi les anciens élèves et disciples de Canguilhem, le préfacier Jacques Bouveresse mentionne que Michel Foucault considérait Canguilhem comme un incontournable, c’est-à-dire le penseur « auquel on ne peut pas oublier de se référer sans perdre à peu près toute chance de comprendre une bonne partie de ce qui s’est passé en France, en philosophie, en épistémologie, et dans une multitude d’autres domaines, en particulier, le marxisme, la sociologie et la psychanalyse […] » (p. 10). Fréquemment, le jeune Canguilhem critiquait la sociologie de son temps pour son obsession à vouloir constamment établir des faits exacts et vérifiables sans pour autant considérer un aspect philosophique qui lui semblait fondamental : celui des valeurs (p. 122). Néanmoins, loin de dénigrer toute la sociologie, Canguilhem en appréciait la conceptualisation propre à l’épistémologie et aux sciences sociales en général, lorsqu’il écrivait, presque avec jubilation : « Travailler un concept, c’est en faire varier l’extension et la compréhension, le généraliser par l’incorporation des traits d’exception […] bref lui conférer progressivement, par des transformations réglées, la fonction d’une forme » (p. 96). Et les coéditeurs ajoutaient pour conclure sur ce point que pour Canguilhem, l’important était de pouvoir suivre l’évolution d’un concept selon les époques et les diverses écoles de pensée : « […] le concept est donc toujours, y compris dans l’architecture des théories scientifiques, un résultat historique » (p. 96). Si on en juge par la lecture de certains …
L’épistémologie des sciences dans les écrits de jeunesse de Georges Canguilhem[Record]
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Yves Laberge
Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté (Centr’ERE) Université du Québec à Montréal
À propos du livre suivant : Jean-François Braunstein, Michele Cammelli, Xavier Roth, Yves Schwartz, dir., Georges Canguilhem. Oeuvres complètes. Volume I : Écrits philosophiques et politiques (1926-1939), préface de Jacques Bouveresse, Paris, Vrin (coll. « Bibliothèque des textes philosophiques »), 2011, 1 033 p