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Aelred de Rievaulx a composé 31 homélies sur les Oracles contre Babylone, les Philistins et Moab en Is 13-16. Le terme hébreu massa signifie d’abord « oracle ». Quand il s’agit de prophéties de malheur, saint Jérôme a choisi de traduire le mot par onus en latin ; ce qui peut aussi vouloir dire « fardeau », d’où la traduction française. Ces homélies ont été composées à la fin de la vie d’Aelred, vers 1163 (p. 9). Il s’agit donc d’une oeuvre de maturité qui constitue une somme de son enseignement et un de ses sommets : « […] la vision du monde, cohérente et unifiée, la richesse de l’expérience humaine et religieuse, la composition très étudiée, le raffinement du style dans un langage tout imprégné de réminiscences bibliques contribuent à la réussite du projet » (Gaetano Raciti, cité dans l’introduction, p. 11).
Les homélies proprement dites sont précédées par le Sermon sur l’avent du Seigneur : Les onze fardeaux. Ce sermon présente d’abord l’oeuvre du Christ incarné qui vient nous libérer par grâce et par miséricorde (§ 1-9). Élevé sur la croix, le Christ peut maintenant libérer le monde de son fardeau (§ 10). Après la description des dix premiers fardeaux (les 31 homélies ne reprendront que les trois premiers fardeaux), le onzième fardeau consiste dans le don de l’Esprit Saint qui répand l’amour dans nos coeurs pour que nous puissions porter les fardeaux les uns des autres (§ 33-36). Le dernier fardeau signifie de plus les dons de l’Esprit Saint qui sont départis en raison des ministères (§ 37). Ensuite, chacun est exhorté à s’examiner soi-même pour prendre conscience du fardeau qu’il doit supporter présentement (§ 38-41). Enfin, l’ordre des fardeaux a aussi un sens spirituel (§ 42-43). Le Christ nous décharge de certains fardeaux alors qu’il tempère pour d’autres (§ 44). Profitons de ce temps de miséricorde avant le jugement. Cette homélie nous montre que le commentaire part du sens littéral selon les définitions disponibles à cette époque (Babylone signifie par exemple l’amour pour le monde). Il en dégage d’autres sens : le Christ est venu pour nous libérer des fardeaux et particulièrement de celui qui nous afflige le plus (sens allégorique ou christologique) ; chacun doit donc voir quel fardeau il doit supporter maintenant (sens tropologique ou moral) ; il mentionne brièvement en terminant le jugement et les promesses du salut à la fin (sens anagogique ou eschatologique). Toute l’interprétation part du Christ comme le montrent les premiers paragraphes du sermon (Sermon sur l’avent, § 1-10) ; c’est lui qui accomplit les figures et les promesses de l’AT et c’est à partir de ce qu’il a accompli pour nous que nous pouvons comprendre toutes les Écritures. On peut se surprendre des interprétations de noms qui nous semblent aujourd’hui farfelues mais on aurait tort de s’arrêter là. Cela ne doit pas nous faire oublier la doctrine spirituelle qui peut encore servir d’inspiration et de guide aujourd’hui.
Les 31 homélies esquissent aussi trois synthèses d’une théologie de l’histoire du salut (p. 10) et forment donc un ensemble cohérent. Souvent, une homélie commente d’abord les versets dans le sens allégorique alors que la suivante reprend les mêmes versets pour en donner une interprétation personnelle (sens moral).
L’introduction à l’homélie 19 affirme qu’Aelred présente la mise en oeuvre de la double prédestination, des élus et des réprouvés (p. 241). Il faut se demander si Aelred parle vraiment de double prédestination. Dans l’homélie 1,19, la prédestination s’applique aux élus seulement. Dans l’homélie 8,3, Dieu réalise la première destruction par la conversion des pécheurs. Ce sont les esprits qui réalisent les instruments de sa colère et non Dieu lui-même. Si nous définissons « double prédestination » par la volonté préétablie de Dieu de sauver certains et d’en condamner d’autres, je ne crois pas qu’on puisse parler de double prédestination dans l’homélie 19,32-36. Il est uniquement affirmé que Dieu a décrété le salut des élus (19,34). En revanche, il n’est jamais dit que Dieu a décrété d’avance que certains seraient condamnés. S’ils sont réprouvés, c’est parce qu’ils ne se sont pas convertis (19,33). C’est la conversion qui décide ultimement si quelqu’un sera sauvé ou réprouvé (19,32). C’est pourquoi j’intitulerais les paragraphes 32-36 « appel à la conversion » et non « double prédestination ».
Malgré ces remarques, cette traduction est remarquable et se lit facilement. Elle permet d’accéder à un enseignement spirituel de grande qualité. Les index biblique et thématique sont un bon instrument de travail et les sous-titres facilitent la lecture du texte.