J’ai sans doute trop tardé à lire ce beau petit livre, tout simple, qui aborde l’hindouisme non pas à partir des concepts ou des structures de pensée, mais du point de vue d’expériences spirituelles, anciennes ou plus récentes. Cette sélection d’expériences trahit sans doute les intérêts de l’auteur, mais chaque lecteur peut aussi la compléter selon ses goûts. Le chap. 1, « Au commencement » (p. 17-35), aborde la notion hindoue de création à partir d’un récit de la Brhadaranyaka Upanishad (c’est-à-dire Le Grand enseignement de la forêt) (1,4,1-6), également une occasion de réfléchir en début de parcours à ce qu’implique le fait de se mettre « de manière créative et spirituelle à l’école d’une autre tradition religieuse » (p. 24), présenté comme un long processus de réception, de relecture, d’appropriation qui peut s’avérer une « entreprise ardue, voire dangereuse » (p. 27). Se laisser dévorer par l’autre ou le dévorer soi-même, tel est toujours l’enjeu des interactions nécessitées par la rencontre d’identités religieuses fortes. Il n’est jamais question ici de découvrir l’Inde uniquement en spectateur (p. 35). « Si nous laissons une autre religion nous atteindre assez profondément pour nous livrer un véritable enseignement, il nous faut lâcher prise par rapport à ce que nous sommes, cesser d’être celui que nous pensons être. Ouvrir nos coeurs, les distendre à la dimension du monde, traverser les frontières religieuses : ce sont là des gestes de vie, mais ils signifient en même temps mourir un peu chaque jour » (p. 31). Le chap. 2, « Rien que le soi » (p. 37-59), explore le non-dualisme. Débutant par les célèbres huit analogies proposées par Uddalaka à son fils Shvetaketu dans la Chandogya Upanishad pour comprendre « l’unité fondamentale sous-jacente du réel » (p. 39), Clooney passe au processus par lequel le maître amène l’élève à réaliser cette connaissance du soi en suivant pas à pas les quatre étapes décrites dans le Vivekacudamani (c’est-à-dire Le Joyau de la discrimination, composé vers 800 de notre ère). Une rencontre avec un témoin moderne, Ramana Maharshi (1879-1950), clôt le chapitre. L’auteur enchaîne avec une habile réflexion sur l’expérience du Bouddha (chap. 3, « Le Bouddha se souvient », p. 61-78), construite à partir du recueil du Madhyama Nikaya (c’est-à-dire Les Moyens Discours). Il y est surtout question de la rencontre du Bouddha avec Sacchaka (sutta 35 et 36), un ascète et un savant brahmane, qui finit par demander au maître de lui parler de sa propre expérience mais que les propos de celui-ci ne parviennent pas à ébranler. « Même si nous sommes plus disposés que Sacchaka à nous mettre à l’école du Bouddha — commente Clooney —, nous n’avons pas à lui demander un message spécifique. Sa quête et son acte de mémoire nous apprennent que la liberté nous attend dans le simple fait de considérer notre vie telle que nous l’avons vécue hier et la vivons aujourd’hui. La clé de notre existence présente, c’est de nous rappeler » (p. 72-73). Et il conclut par cette suggestion : Le chap. 4, « Voir Krishna, c’est voir toute chose » (p. 79-104), aborde certaines des expériences de Dieu qu’a inspirées la dévotion à Vishnou : celle du guerrier Arjuna sur le champ de bataille (Bhagavad-Gita) ; celle d’Andal, une poétesse du sud de l’Inde (ixe siècle) ; celle de Shatakopan, un autre poète tamoul de la même époque qui s’en est remis totalement à Krishna et dont les vers inspirent toujours les dévots d’aujourd’hui ; et finalement l’expérience de Yashoda, la mère de Krishna, découvrant l’univers dans la …
Francis X. Clooney, Sagesse hindoue pour qui cherche Dieu. Traduit de l’américain par Édouard Boné et Jacques Scheuer. Bruxelles, Éditions Lessius (coll. « L’Autre et les autres », 5), 2004, 196 p.[Record]
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André Couture
Université Laval, Québec