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Ce livre est l’aboutissement d’une thèse de doctorat en philosophie et sciences sociales réalisée sous la direction du professeur Francis Zimmermann à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris. Il porte sur le Nyāya, une école indienne de dialectique qui s’est « formée dans et par sa controverse avec le bouddhisme » (p. 24, 29, etc.) ; cette école s’est spécialisée dans l’art du raisonnement, ce qui l’amène à aborder d’une façon spécifique la question des moyens de connaissance (perception, inférence, analogie et témoignage). Cependant, une des originalités du travail de Belzile consiste à ne pas réduire le Nyāya à la dialectique, mais à insister sur le fait que cette école a aussi réfléchi sur le Soi et la libération et à montrer que l’interprétation qu’elle donne de ces notions a des incidences immédiates sur son épistémologie et sa dialectique.
L’ouvrage est divisé en cinq chapitres. Le premier chapitre, « L’école indienne de dialectique » (p. 9-69), situe le Nyāya dans l’Inde des iie-viie siècles, explique comment se présente un traité de Nyāya, et situe les questions épistémologiques qui s’y posent dans leur contexte propre. Le chapitre 2, « Les moyens de connaissance » (p. 71-191), analyse les moyens de connaissance (pramā+a) reconnus par cette école de pensée et de raisonnement et précise leur fonction. Le chapitre 3, « Le raisonnement dialectique » (p. 193-285), expose le rôle que joue ce type de raisonnement à l’intérieur des enseignements des principaux interprètes du Nyāya. Le chapitre 4 est intitulé « La dialectique en Grèce » (p. 287-311). On s’étonnera peut-être de trouver ici un chapitre, si court soit-il, consacré à la comparaison avec la pensée grecque. Ces questions occupent délibérément dans cet ouvrage une place de choix et y apparaissent même dans le titre. Belzile s’en était dûment expliqué : « L’étude d’un système indien menée dans un cadre conceptuel strictement indien l’emprisonne dans un certain exotisme qui risque de n’éveiller chez le lecteur occidental qu’une vague curiosité — note-t-il. Inversement, l’étude de la philosophie occidentale sans comparatisme nous prive du recul nécessaire pour remarquer certains de nos préjugés les mieux partagés, et limite par le fait même les possibilités de la pensée contemporaine de l’histoire de la philosophie » (p. 49). Finalement, le chapitre 5, « La représentation juste » (p. 313-387), dévoile en quelque sorte la portée de cette dialectique en concluant que le savoir visé n’est pas uniquement de nature rationnelle, mais peut aussi impliquer la défense d’une sagesse acquise par la méditation. La conclusion (p. 389-401) fait le bilan des acquis et poursuit le dialogue amorcé avec le philosophe occidental contemporain.
Tout au long d’un exposé fort bien construit et émaillé de longues citations, le lecteur entrera dans les discussions souvent très vives où s’est construit ce qu’on appelle la philosophie indienne, et en particulier le Nyāya. Le cas échéant, il pourra consulter en notes infrapaginales le texte original sanskrit. Ce lecteur se rendra vite compte des positions originales prises par l’auteur, en particulier en raison de sa façon de ne jamais dissocier dialectique et libération, et des implications de cette position dans la traduction même de certains termes techniques. Les spécialistes discuteront sans doute encore longtemps de la traduction de telle ou telle expression, mais dans l’ensemble il me semble que les traductions et la translittération des textes sanskrits respectent les règles de l’art, ce qui facilite les vérifications et donne d’autant plus de crédibilité à l’ouvrage. Un des partis pris de l’auteur est de faire « l’hypothèse d’une cohérence maximale du traité de dialectique » (p. 53) et de tenter d’expliquer tel passage que d’aucuns jugeraient extrapolé par l’analyse du contexte et la prise en compte du plan précis suivi par le traité. Il me semble qu’il s’agit d’un principe tout à fait sain, préférable en tout cas à la facilité avec laquelle certains exégètes postulent des ajouts tardifs pour résoudre les difficultés de lecture.
N’étant pas moi-même spécialiste des questions de Nyāya mais ayant parcouru avec attention et intérêt l’ensemble de l’ouvrage, il me semble pouvoir affirmer qu’il s’agit d’une étude fort valable, éditée avec un minimum de coquilles, et dont les Presses de l’Université Laval peuvent à juste raison se montrer fières. On trouvera à la fin un index des passages cités, un index des écoles, des auteurs et des ouvrages cités, et une abondante bibliographie. Il manque à mon avis un glossaire et index des termes techniques qui aurait rendu cet excellent ouvrage encore plus accessible au lecteur non sanskritiste désirant s’ouvrir aux enseignements de cette école indienne.