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La communauté des théologiens du Québec et du monde catholique apprenait récemment (23 décembre 2009) le décès, à l’âge de quatre-vingt-quinze ans, du Père Edward Schillebeeckx, membre de l’ordre dominicain et l’un des plus éminents théologiens du xxe siècle et de la période postconciliaire (Vatican II).
Né en Belgique flamande en novembre 1914, on le connaît cependant comme théologien hollandais, puisqu’il a enseigné pendant un quart de siècle à l’Université de Nimègue aux Pays-Bas, son pays d’adoption. Il a aussi été professeur invité dans les plus grandes universités tout en demeurant un auteur théologique prolifique, continuellement salué pour la pertinence, la vigueur et la profondeur de sa pensée.
Les membres de la Faculté de théologie et de sciences religieuses se sont souvenus tout particulièrement de lui au moment où nous apprenions son décès. En effet, après 50 ans de carrière comme théologien, l’Université Laval, sur la recommandation de sa Faculté de théologie, lui décernait un doctorat honoris causa le 17 juin 1993, s’ajoutant à une longue liste de distinctions et d’hommages rendus à son oeuvre. À cette occasion, le doyen René-Michel Roberge soulignait qu’« en dialogue avec le meilleur de la culture contemporaine, cet érudit a tracé la voie à une théologie plus attentive à l’expérience humaine. Le sérieux avec lequel il s’est mis à l’écoute de l’histoire humaine a fait de lui un des théologiens les plus estimés de ce siècle ».
Portant un regard sur cet événement majeur du xxe siècle que fut le deuxième Concile du Vatican pour l’Église catholique et ses relations avec le monde, nous pouvons mesurer l’importante contribution de ce théologien au Concile et son influence majeure au cours de la période postconciliaire. En effet, il n’a pas cessé de travailler à la poursuite d’une réforme de l’Église que le Concile avait envisagée mais qui restait encore trop timide à ses yeux, compte tenu des bouleversements qui survenaient dans les cultures et dans les sociétés issues de la modernité. C’est dans ce sens qu’il insistait notamment sur l’urgence d’une « gestion démocratique de l’Église » en tant que communauté de Dieu au coeur de l’histoire humaine, dans une publication marquante de son oeuvre théologique, L’histoire des hommes, récit de Dieu, parue aux Éditions du Cerf de Paris, en 1992.
C’est ainsi qu’il a été l’un des principaux théologiens de l’après-Concile à s’engager avec la plus grande énergie à établir un vrai dialogue entre la tradition chrétienne, la société séculière et la culture postmoderne. Il ne considérait pas le monde séculier et la modernité comme une menace mais comme une occasion de revitaliser l’expérience chrétienne dans l’existence humaine telle qu’elle se présente à nous aujourd’hui. Il a tracé la voie à une théologie plus attentive au récit vivant des hommes et des femmes. Son oeuvre est ainsi représentative de l’évolution du travail théologique, appelé comme jamais à faire dialoguer l’heureuse nouvelle du salut en Jésus Christ et ce qui habite profondément nos contemporains. Cela était pour lui l’une des questions les plus urgentes pour toute théologie à notre époque : retrouver la place de l’expérience humaine dans le discours croyant et la parole théologique. Il va en dégager ensuite toutes les conséquences pour l’articulation d’un nouveau discours sur Dieu aussi bien que pour la christologie et l’ecclésiologie.
On pourra relire avec intérêt le dossier publié dans la revue Laval théologique et philosophique, 50, 2 (juin 1994), qui reprenait les communications présentées lors d’un colloque tenu à la Faculté de théologie le 15 juin 1993, quelques jours avant la cérémonie de la collation des grades où un doctorat d’honneur lui fut conféré en présence de nombreux étudiants et professeurs.
Puisse son oeuvre théologique continuer de nous inspirer dans la poursuite du nécessaire travail d’articulation de l’expérience humaine vécue par les hommes et les femmes de notre temps avec le discours toujours à renouveler sur l’universalité du salut en Jésus le Christ, fils de Dieu et frère en humanité.