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La religion est souvent présentée en opposition à la démarche philosophique. Jean Grondin tente de démontrer dans cet ouvrage qu’elles ont toujours maintenu un dialogue mutuellement fécond. La réflexion de l’une (la philosophie) n’a jamais été possible sans l’autre (la religion) qui, historiquement, l’a précédée. Il y a donc une dette de la philosophie envers la religion, comme il y a une dette de la religion envers la philosophie.
Selon l’A., il y a trois types de réponses possibles à la question difficile, mais criante, du sens de l’existence : les réponses religieuses qui lient l’existence humaine à quelque puissance supérieure ; les réponses séculières plus récentes qui, sans contester l’existence d’une transcendance, misent davantage sur le bonheur humain ; les réponses multiples de ceux qui affirment que la vie n’a pas de sens et qu’elle est absurde.
Si la vie n’a pas de sens, c’est que l’on conteste qu’elle ait un sens religieux ou transcendant, réellement crédible et vérifiable. Cette affirmation ne répond cependant pas à la question fondamentale : pourquoi vit-on si on n’a aucune raison de vivre ? La philosophie de la religion vise à répondre à l’énigme de l’existence, et forcément, à dire si l’homme peut trouver un sens à l’existence, si les réponses religieuses ont plus de sagesse que la philosophie elle-même.
La philosophie de la religion porte donc avant tout sur l’essence de la religion afin de comprendre ce qu’elle est, quels sont ses éléments et ses raisons. L’approche de la fonction ou du pourquoi de la religion est plurielle : la religion sert à expliquer les phénomènes naturels ; elle sert à expliquer l’obligation morale ; elle est une réponse à l’angoisse devant la mort. L’approche essentialiste de la religion ramène celle-ci à deux dimensions : le culte et la croyance. Il y a autant de religions que de croyances. Les cultes sont multiples et variables.
Le culte croyant qu’est la religion comporte une dimension symbolique. Le symbole exprime une fusion entre ce qui est donné et ce qu’il signifie. Le monde de la religion est d’emblée un monde qui veut dire quelque chose. Qui a du sens et qui donne du sens. De plus, l’universalité de la religion n’est pas à démontrer. Il y en a partout sur la planète, dans à peu près toutes les civilisations et de tout temps. Aucun homme n’existe vraiment sans quelque forme de religion. Chacune, à sa manière, propose un salut qui se veut en principe universel.
Les premiers philosophes grecs posent les jalons d’une première pensée religieuse. Platon demeure celui qui a exercé la plus profonde influence sur la pensée du divin, de la religion et de la transcendance. Les dieux sont responsables de l’ordre, de la beauté et de la vertu, mais aussi de la transcendance puisqu’ils habitent l’Olympe. Son disciple, Aristote, affirme qu’il est nécessaire d’admettre la causalité d’un premier moteur si on veut expliquer le mouvement des corps célestes. Ce mouvement éternel doit avoir une cause qui elle-même doit être éternelle. Le philosophe de Stagire enseigne les grands principes métaphysiques où se trouvent les éléments fondamentaux de la philosophie de la religion. Les écoles postaristotéliciennes (scepticisme, stoïcisme, épicurisme) se tiennent dans l’ombre des grandes philosophies de la religion de Platon et d’Aristote. La philosophie de la religion change cependant de statut. Délaissant quelque peu les grands principes qui régissent le monde, ces philosophies se tournent davantage vers le salut personnel.
Le monde religieux latin n’est pas en reste. La grande vertu de la religion se distingue de la superstition, vue comme un vice. La religion se caractérise par son rapport réfléchi, prudent et raisonné au culte des dieux. L’oeuvre d’Augustin demeure un incontournable pour qui se penche sur la philosophie de la religion. Le véritable philosophe est celui qui aime Dieu, c’est-à-dire la sagesse par laquelle tout a été fait. Pas étonnant que l’évêque d’Hippone tente de concilier christianisme et platonisme.
Le monde médiéval présente les trois géants du monde islamique (Al-Farabi, Avicenne et Averroès) comme étant d’avides lecteurs d’Aristote et qui privilégient les deux sources de la connaissance que sont la raison et la révélation. Thomas d’Aquin, dans le monde chrétien, ne mettra jamais en question la vérité de la révélation mais aura le souci de montrer qu’elle s’accorde avec la raison. Le Docteur angélique parlera de la vertu de religion, comme une vertu annexe à la justice. La religion n’a pas directement Dieu pour objet, mais le culte de l’homme envers Dieu.
La modernité, par la suite, ne sera rien d’autre qu’une libération du joug de la religion, laquelle sera remplacée par la science. La philosophie essentialiste est remplacée par la philosophie nominaliste. Les essences ne sont que des réalités « nominales », abstraites de l’expérience et créées par l’esprit. Seuls les individus existent. La connaissance ne porte plus sur les essences, secondes et dérivées, mais sur les données contingentes et singulières de l’expérience. Le savoir empirique n’est pas universel comme le savoir d’essence des médiévaux. La religion devient une affaire personnelle, naturelle, le plus souvent fondée sur l’expérience de chacun.
Ainsi, Spinoza défendra, par tous les moyens, la liberté de pensée et de parole. Kant, héritier des Lumières, distingue la religion statutaire, historique et particulière, de la religion universelle qui peut être tirée de la religion universelle. La philosophie de la religion du penseur de Königsberg n’est pas fondée sur un concept de Dieu tiré de l’ordre de la nature, mais déduit de la loi morale inscrite dans le coeur de tout homme. La religion devient ainsi une discipline à part entière de la philosophie.
Pour Hegel, Dieu s’est aliéné dans la Nature et se révèle dans l’Histoire comme savoir de soi, si bien que la philosophie est la vérité de la religion. Après Marx, Nietzsche, Freud, on pourra parler de la mort de Dieu. Mais si Dieu est bien mort, l’ombre portée de Dieu ne cesse cependant de s’étendre sur la philosophie contemporaine. Son absence, son effacement même, pose peut-être plus de problèmes qu’il n’en résout.
L’A. s’élève contre la réduction de la religion à une affaire de culture. Elle en fait partie mais elle est bien plus que cela. Tout le sens de la vie en dépend. Devant l’effondrement des repères, la sensibilité contemporaine tente de remplacer la religion par l’éthique. Historiquement, il semble bien que la religion est et reste plus inspirante pour le commun des mortels.
Ce petit livre de la collection « Que sais-je ? » mérite d’être placé sur les rayons de toutes les bibliothèques. En rédigeant La philosophie de la religion, l’auteur a bien pris soin de noter qu’il fallait entendre l’expression au sens subjectif du génitif (ou du complément de nom). En conséquence, Jean Grondin ne fait pas que réfléchir sur ce qu’est objectivement la religion mais reconnaît qu’il y a une philosophie et une voie de sagesse inhérente à la religion elle-même.