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Ouvrage classique des sciences sociales et particulièrement de la sociologie religieuse, cet Essai sur le don de Marcel Mauss (1872-1950) a influencé plusieurs générations d’universitaires, et particulièrement l’anthropologue Claude Lévi-Strauss (né en 1908). Dans son introduction récente qui occupe le quart de la présente édition, Florence Weber présente cet Essai sur le don comme une « oeuvre pionnière » au caractère inachevé (p. 7), « un texte déroutant » (p. 12), néanmoins « ouvert et rigoureux » (p. 12), bien qu’il soit, selon ses mots, « rédigé en spirale » (p. 12). Ses soixante premières pages proposent une étude approfondie sur ce que Mauss a voulu dire sur les sacrifices, le sacré et le profane, et même sur certaines intuitions qu’il n’avait pas pu décrire dès son premier ouvrage mais seulement par la suite. Par exemple, Florence Weber affirme, à propos du sacrifice et du sacré, que « Mauss avait noté la parenté de ces phénomènes religieux avec le contrat et le don », mais que ses réflexions subséquentes sont parues dans des articles ultérieurs (p. 37). En outre, il faut souligner les qualités pédagogiques du travail de Florence Weber et particulièrement son sens de la formule efficace, par exemple lorsque celle-ci écrit que Mauss veut pour ainsi dire « rompre avec la charité », pour expliquer le principe sous-jacent à tout don, pouvant être observé dans plusieurs cas de sociétés dites primitives (p. 50). Parmi ces sociétés traditionnelles qui sont comparées, Mauss interprète les observations faites initialement par Franz Boas sur les Indiens Kwakiutl de la Colombie-Britannique, en 1898 (p. 137). Ceux-ci pouvaient en une seule fête (nommée « le potlatch ») consumer tous les biens accumulés pendant plusieurs années (p. 137). D’autres rapprochements avec différents rites religieux sont établis par Mauss à travers les époques et entre les continents, par exemple avec l’hindouisme de l’Inde ancienne (p. 197), ou encore avec les pratiques ancestrales de la tribu des Winnebago au sein des Sioux (p. 228), le Coran (p. 239), ou même à partir de ses propres souvenirs d’enfance dans sa Lorraine natale à la fin du xixe siècle : « Ainsi telle famille villageoise de notre enfance, en Lorraine, qui se restreignait à la vie la plus modeste en temps courant, se ruinait pour ses hôtes, à l’occasion de fêtes patronales, de mariage, de communion ou d’enterrement » (p. 220).
Au-delà de ses observations abondantes sur les mécanismes de la charité, de la générosité, des présents, de la politesse, Marcel Mauss énonce dans sa conclusion quelques règles méthodologiques établies à partir de son étude du don : « […] il ne suffit pas de constater le fait, il faut en déduire une pratique, un précepte de morale » (p. 225). On comprend que même disproportionné, au-delà des limites du gaspillage, le don peut servir de principe relationnel entre des individus et des groupes, permettant de montrer publiquement que l’on paie sa dette envers sa communauté et que l’on sait être redevable envers les autres. L’invité de l’une de ces fêtes pourrait difficilement décliner une invitation, et devra un jour « rendre la pareille » : « l’invitation doit être rendue » (p. 220). Durant cet intervalle, celui qui a pu profiter de la fête conserve une dette envers ses hôtes. Pour Marcel Mauss, ce principe apparemment universel du don demeure à la base des relations sociales, économiques et religieuses dans une multitude de sociétés.