Abstracts
Résumé
Le débat exégétique autour du problème de Rm 7,7-25 peut aujourd’hui sembler stérile, tant ont été nombreuses et disputées les propositions pour identifier le sujet énonciateur qui se cache derrière le pronom egô. Stimulé par une étude récente (Doutre, 2005), nous estimons toutefois qu’une approche narrative permet d’ouvrir l’interprétation vers d’autres perspectives. Fondant notre lecture sur une analyse de structure préalable, nous repérons les indices narratifs que contient cette péricope, notamment en ce qui concerne les niveaux d’énonciation, la temporalisation, la caractérisation de l’egô, ainsi que son parcours cognitif. Ceci nous permet en particulier de faire ressortir le caractère aporétique de l’identification de l’egô et de renvoyer la problématique de Rm 7,7-25 au niveau de l’acte même de la lecture.
Abstract
Despite numerous studies on Rom 7:7-25, the question of the identity of the speaking egô is still quite debated — some would say to no avail. Rooted in the background of a stimulating recent article (Doutre, 2005), this paper focuses on new interpretive trends suggested by narrative analysis. Using a previous structure analysis as a hermeneutical framework, it gathers narrative elements within the pericope concerning time, speech levels, the characterization of the egô, and the latter’s understanding of Sin’s machination vs. the purpose of the Law. Some conclusions are then drawn about the “nonsense” of trying to identify the egô and the reasons why this problem should be solved through the question of the act of reading itself.
Article body
Le débat exégétique autour de Rm 7,7-25 peut aujourd’hui sembler stérile, tant ont été nombreuses et disputées les propositions pour identifier le sujet énonciateur qui se cache derrière le pronom egô, dont l’usage ne cesse de surprendre le lecteur[1]. Or, une lecture récente, proposée par Doutre, nous semble avoir remarquablement brisé la circularité des travaux actuels pour apporter un éclairage nouveau et significatif sur l’usage et l’interprétation du pronom egô[2]. Stimulé par le renouveau que provoque cette étude, nous proposons ici d’explorer la question de l’énonciation en Rm 7,7-25 en utilisant les outils de l’analyse narrative. Notre lecture prendra appui sur certains éléments structurels, afin d’exposer l’articulation du discours et établir une hiérarchie au niveau des idées. Ces grands axes nous permettront ensuite, tout en dialoguant avec Doutre, d’orienter notre recherche vers les éléments narratifs qui apportent un éclairage sur les jeux d’énonciation dont témoigne la péricope : temporalisation, spatialisation, caractérisation et parcours cognitif de l’egô. Nous mettrons ainsi en valeur le caractère aporétique de l’identification de l’egô, renvoyant plutôt cette question au niveau de l’acte de lecture lui-même.
I. Structure et sens en Rm 7,7-25
Sans reprendre ici une démonstration que nous avons déployée ailleurs[3], présentons rapidement l’architecture de Rm 7,7-25, que nous illustrons en page suivante. Celle-ci révèle deux sections, 7,8-12 et 7,13-25a, départagées par une question rhétorique au v. 13 et encadrées par une introduction (v. 7) et une conclusion (v. 25b). Les v. 8-12 nous semblent présenter une disposition concentrique, tandis que les v. 14-21 présentent un parallélisme très redondant, dont la présence a depuis longtemps été remarquée par la recherche.
II. Macrostructure de Rm 7,7-25
Signalons que l’introduction (v. 7) est composée de trois éléments :
en 7a, une question initiale et sa réponse, introduisant l’ensemble du développement ;
en 7b, une concession à la réponse initiale, introduisant plus spécifiquement les v. 13-25a ;
en 7c, une explication, introduisant plus spécifiquement les v. 8-12.
Au niveau de la délimitation, la cohérence générale de la péricope est assurée par l’inclusion que forment aux v. 7 et 25 l’union des mots νόμος et ἁμαρτία qui sont syntaxiquement liés. La première section (8-12) est encadrée par la répétition de l’expression ἀφορμὴν […] λαβοῦσα ἡ ἁμαρτία διὰ τῆς ἐντολῆς, tandis que la deuxième section (13-25a) possède l’inclusion du mot θάνατος aux v. 13 et 24, dont nous avons là les seules occurrences en 13-25. Enfin, les v. 7b et 7c, qui introduisent les deux grandes sections, annoncent tous deux un savoir apporté par la Loi, en ce qui concerne le péché et la convoitise, ce que soulignent les verbes de connaissance γινώσκω (7b) et οἶδα (7c).
Selon les principes critiques qui président à l’herméneutique structurelle[4], notre lecture doit suivre les repères que nous fournit l’architecture textuelle, notamment en respectant les différents niveaux textuels. Il convient ainsi d’observer une hiérarchisation des idées selon le niveau structurel auquel elles appartiennent. L’interprétation de Rm 7,7-25 devra donc respecter l’ordre de priorité suivant :
Premièrement, la relation loi-péché, qui constitue l’inclusion générale de la péricope, doit orienter notre regard d’ensemble, afin de cerner la thématique principale de la péricope.
Deuxièmement, nous avons noté que l’introduction de chacune des grandes sections contient un verbe de connaissance, ce qui suggère une thématique majeure pour l’articulation du discours. La coupure rhétorique au v. 13 et le changement de temps qui l’accompagne au v. 14 devront également attirer notre attention sur la question de la temporalisation.
Troisièmement, les inclusions aux deux grandes sections, à savoir l’occasion que le précepte fournit au péché et lamort offrent deux thématiques tertiaires, en complément du couple loi-péché et de l’idée de connaissance.
Nous pouvons maintenant nous tourner vers l’analyse narrative proprement dite, qui sera subordonnée aux grandes thématiques repérées. Nous commencerons par regarder en détail de quelle façon s’articule l’inclusion des v. 7-25 et les implications que celle-ci peut avoir sur la compréhension globale de la péricope, ce qui nous conduira à étudier certaines appréciations qui sont portées par le texte. Nous progresserons ensuite vers le niveau inférieur de structuration pour nous intéresser au thème de la connaissance qui est commun aux deux grandes sections. Ceci nous permettra notamment d’aborder les questions de la temporalisation et de l’articulation des deux sections. Nous terminerons par une tentative d’identification de l’egô en nous fondant sur les éléments de caractérisation du sujet, en dialogue avec une synthèse de nos acquis.
III. L’inclusion loi-péché
Les v. 7 et 25 présentent une inclusion fondée sur les mots νόμος et ἁμαρτία ; mais alors que le v. 7 rapproche les deux termes au sein d’une question qui suggère l’identification de la loi avec le péché (Τί οὖν ἐροῦμεν; ὁ νόμος ἁμαρτία;), le v. 25 place ces termes dans un tout autre rapport (νόμῳ ἁμαρτίας). Le génitif qui les relie nous annonce en effet une mutation importante, comportant trois aspects : 1) un aspect dramatique, puisque les deux personnages, Loi et péché, s’effacent au profit d’un troisième, la « loi du péché » ; 2) un aspect juridique, puisque cette loi du péché, substituée à la Torah, attire sur elle la culpabilité d’une complicité avec le péché ; 3) un aspect sémantique, puisque le mot νόμος ne désigne plus exclusivement la Torah, mais plutôt un pouvoir exercé par le péché. À la lumière des éléments précédents, une hypothèse herméneutique apparaît, selon laquelle l’inclusion générale de 7,7-25 illustrerait un mouvement de mutation qui s’opère à travers le texte. On passerait ainsi d’une accusation contre la Loi à une identification des mécanismes qui contrôlent l’agir du sujet, en postulant l’existence d’une loi du péché, véritable responsable de l’asservissement au mal du sujet.
Une telle hypothèse soulève tout d’abord la question de la qualification de la Loi et du péché, plus précisément les jugements et appréciations que le narrateur exprime à leur égard. D’un côté, le texte décrit le péché comme opportuniste (v. 8.11), provoquant la convoitise (v. 8), meurtrier (v. 11) et même extrêmement pécheur (v. 13). De l’autre, si la Loi semble être rapprochée du péché au v. 7, puis de la mort au v. 13, où on la désigne par l’idée du « bon », ce rapprochement n’est que proposé, avant d’être immédiatement et vivement nié. Au v. 12, elle est qualifiée de « sainte » et le précepte est « saint, juste et bon ». Elle est également « spirituelle » au v. 14, « belle » au v. 16. On le voit, le péché est une figure totalement négative tandis que la Loi est totalement positive. Pourtant, certaines formulations ne peuvent manquer de susciter l’interrogation, voire le soupçon du lecteur, en ce qui concerne le rôle de la Loi face au péché. Ces deux pouvoirs semblant radicalement antagonistes, il ne serait que normal de les voir s’affronter au sein du texte. Or, leur rapport apparaît nettement plus ambigu, puisqu’aux v. 7-12, le rôle de la Loi et du précepte demeure obscur, face à l’arrivée du péché et la mort subséquente de l’egô. Tout aussi inquiétantes sont les concessions qui accompagnent le double rejet de la culpabilité de la Loi aux v. 7 et 13. Quelle est donc l’importance de ces concessions[5] et pourquoi mettent-elles l’accent sur l’idée de connaissance ? C’est ce que nous allons tenter de comprendre en étudiant la prochaine grande thématique de Rm 7,7-25.
IV. Temporalité et parcours de connaissance en Rm 7,7-25
Les v. 7b et 7c, introduisant les deux grandes sections, s’articulent, comme nous l’avons vu, autour d’une question de connaissance : « […] je ne connus pas le péché, sinon par la Loi » ; « je n’aurais pas su la convoitise si la Loi n’avait dit : “Tu ne convoiteras pas” ». Or, quel sens faut-il accorder aux verbes γινώσκω et οἶδα, dont les champs sémantiques sont largement entremêlés ? La traduction incertaine de James Dunn est ainsi particulièrement révélatrice : s’il reconnaît que ces termes « overlap in meaning to a large extent and here may be used as synonymous variations[6] », il propose pourtant de comprendre οἶδα en termes de « connaissance rationnelle » et γινώσκω en termes d’expérience, ce qui est en accord avec l’étude classique de Burdick[7]. Mais dans son explication, οἶδα prend plutôt le sens d’une rencontre, d’une « expérience continue » (continuous experience), sens qu’il réservait à γινώσκω. Légasse, pour sa part, affirme carrément : « On doute qu’il y ait ici quelque différence entre ginôskein et eidenai[8] ». Selon notre proposition structurelle, pourtant, οἶδα est en rapport avec 7,8-12, tandis que γινώσκω est en rapport avec 7,13-25a. La distinction entre ces deux termes n’étant pas encore évidente, passons à l’étude de la temporalisation en 7,7-25, qui est directement liée à l’articulation des deux sections sur fond de connaissance.
Dans une étude récente, Doutre déclarait, concernant 7,7-25 : « Ce qui frappe ici, c’est le manque presque total d’indices et de figures de temporalisation[9] ». De fait, le seul indice de temporalisation auquel nous pouvons nous rapporter est un élément d’ordre circonstanciel : la venue du précepte, représentée par le commandement « Tu ne convoiteras pas ». Or, cet événement n’est pas situé dans le temps[10]. Et si toute la section 8-12 renvoie à un passé dont aucun élément ne nous permet d’évaluer l’antériorité, à partir du v. 14, la narration s’installe dans le présent pour n’être interrompue par un futur qu’au niveau du v. 24. Là encore, ce futur n’est pas annonce proleptique d’un accomplissement assuré, il est appel, espérance en un avenir qui semble impossible, inaccessible et, donc, logiquement utopique ou, plutôt, achronique.
En ce qui concerne maintenant l’enchaînement des actions et des événements, nous avons dans la première section une sorte de mini-intrigue, construite selon une progression concentrique, où la situation initiale présente un sujet en vie et un péché mort. Le point tournant, en exergue, est la venue du précepte ; il débouche sur une situation renversée : un péché en vie provoquant la mort du sujet. Or, tout l’enchaînement des événements s’articule autour de la venue du précepte, sans autre indice de temporalisation qui nous permettrait de mesurer la lenteur ou la rapidité de la péripétie. Si des actions ou des événements se succèdent, ils sont ici sans rapport avec le temps, qui n’a ni repère,ni durée. Ce constat est encore plus saisissant en 14-25 où l’egô, s’exprimant au présent, aligne une série de constatations sans repère temporel. La narration est statique, nous pourrions presque dire atemporelle. Doutre en arrive à la même conclusion :
Le passé du « moi » qui vivait jadis sans la loi a été mentionné en Rm 7,10 ; mais, après sa réduction en esclavage (7,14), il n’y a qu’un présent. Le temps est alors unidimensionnel ; il n’ouvre sur aucune perspective d’avenir et ne présente aucun défi ; il n’y a rien à faire, sinon faire le mal ! L’avenir et l’espérance se résument à un cri pour une libération (7,24). Le temps ne possède ni densité, ni intensité ; il n’est porteur de rien ; il est mort ! Il est vidé de direction et de sens ; le « moi » n’a rien à vivre au cours du temps et l’espérance se résume à un cri[11].
Si l’on constate en Rm 7,7-25 une totale absence de repère temporel, il faut toutefois signaler l’importance de la rupture temporelle qui apparaît au début de la deuxième section, notamment en ce qui concerne le lieu de l’énonciation[12]. Cette rupture nous semble en effet suggérer la présence d’un narrateur autobiographique, dont le sens nous est expliqué par Rivara :
[…] dans la plupart des romans autobiographiques, une sorte de dissociation semble se produire […] : le pronom Je semble dénoter une autre personne, qui porte le même nom, et qui est « identique » au personnage narré au sens où un homme est identique à lui-même toute sa vie. Mais cette nouvelle instance, le scripteur, s’exprime fréquemment au présent, exprime un point de vue nouveau sur le monde ou sur l’histoire racontée, porte des appréciations sur son passé, possède un savoir que n’avait pas le personnage qu’il était. En un mot, il apparaît différent du point de vue psychologique, ce qu’explique parfois la distance temporelle qui le sépare de son moi passé, mais il est la même personne, et se désigne par Je comme le faisait le héros de son histoire[13].
Voyons en quoi l’hypothèse d’un narrateur autobiographique est susceptible d’éclairer la lecture du passage. La première section est introduite par l’explication : « Car aussi je n’aurais pas su la convoitise si la Loi n’avait dit : “Tu ne convoiteras pas” » (7c). Nous comprenons de cette phrase que l’arrivée du précepte est directement liée à la connaissance de la convoitise, mais nous ne savons pas encore de quel type de connaissance il s’agit, ni d’où elle provient. Nous ignorons tout autant quel est l’objet de cette connaissance désignée par le mot οἶδα. Les v. 8 et 11, de leur côté, évoquent l’oeuvre du péché qui, par l’occasion que lui fournit le précepte, trompe et tue le sujet. Ce dernier subit quant à lui les conséquences de l’arrivée du précepte, ne pouvant que constater ses effets mortels. Or, comment expliquer, de la part d’un sujet que l’on sait être « trompé », les affirmations suivantes : « sans Loi, le péché est nécrosé » ; « le Péché reprit vie » ; ou encore que le Péché « prit l’occasion du précepte […] » ? Et comment le sujet conclut-il de lui-même à la sainteté de la Loi et du précepte devant le drame dont il est victime dès leur arrivée ?
De nombreux éléments de l’énonciation renvoient ainsi à un savoir tout à fait inaccessible à une voix prisonnière des événements, ce qui permet de conclure que deux voix énonciatives s’entremêlent ici indistinctement, sans qu’aucun indice grammatical, syntaxique ni structurel ne nous soit fourni pour nous avertir d’une telle dichotomie. Ces deux voix seraient ainsi chacune la manifestation du même sujet, mais à différents moments du temps et de son expérience, selon le principe d’une narration autobiographique[14]. L’egô, personnage impuissant, n’est pas conscient du drame qu’il est en train de vivre : il ne peut que témoigner de sa rencontre avec le commandement et de la mort qui s’en est suivie. Seul le scripteur peut avoir le recul suffisant pour déclarer qu’il s’agit de tromperie, puis expliquer les mécanismes par lesquels le péché a pu atteindre l’egô.
Si donc la présence d’un narrateur autobiographique peut éclairer l’écart cognitif qui existe au sein de l’énonciation, nous ne savons toujours pas d’où provient une telle distance, qui n’est ni expliquée ni justifiée en Rm 7,8-12. Néanmoins, l’élément central, le point tournant du récit qui modifie la situation de l’egô est l’arrivée du précepte et c’est autour de cet événement que nous devons comprendre le sens de οἶδα. Ainsi, étant donné l’ignorance totale dans laquelle se trouve l’egô, on peut en conclure que nous n’avons pas affaire ici à une reconnaissance du péché ou de la convoitise que celui-ci provoque, mais bien à une simple rencontre. La connaissance qui est présentée en ces lignes concerne la rencontre du sujet avec le précepte et la convoitise, et nullement une compréhension de ces acteurs ou de leurs actions, privilège qui demeure celui d’un scripteur situé dans un temps ultérieur. Du point de vue du personnage, son expérience de la rencontre avec un précepte qui était censé assurer la vie se solde par un constat de mort, paradoxe qui fait l’objet d’une nouvelle explication, débutant au v. 13 avec la question : « Donc, le bon pour moi devint-il mort ? »
Selon le v. 7b, la deuxième section concerne la connaissance du péché : « je ne connus pas le péché, sinon par la Loi ». Le v. 13 confirme immédiatement cette hypothèse, expliquant précisément de quoi il est question : « [C’est plutôt] le péché, afin qu’il soit manifesté péché, oeuvrant pour moi la mort à travers le bon, afin que péché devienne extrêmement pécheur à travers le précepte ». Ceci met en évidence la finalité du drame précédent, qui aurait donc eu pour objectif de rendre le péché manifeste, et même de le déclarer pécheur, en tant que coupable de la mort du sujet. Or, voici que cette révélation du rôle et de la nature du péché est rendue possible grâce au précepte. D’un savoir-rencontre, nous passons donc maintenant à un savoir-compréhension, où le sujet découvre, grâce au rôle de la Loi et du précepte, le véritable visage et les actions néfastes du péché. Γινώσκω recouvrirait donc le sème de la reconnaissance ou de la compréhension et οἶδα celui de la rencontre ou de l’expérience.
Poursuivons la lecture. Tout d’abord, le passage des v. 13 à 14 confirme le recours à un narrateur autobiographique. Le scripteur est en effet à l’origine de l’analyse lucide du v. 13, tandis qu’à partir du v. 14, c’est le personnage qui se lance dans la description d’une expérience paradoxale, témoignant d’une rupture entre son vouloir et son agir : « ce que je veux, je ne le pratique pas, mais ce que je déteste, cela je le fais[15] ». Contrairement à la section précédente, le personnage est ici conscient du paradoxe dont il est victime, et c’est précisément autour de son processus de discernement que va se focaliser cette section. On assiste ainsi à un véritable parcours de connaissance, ainsi que Doutre l’a bien fait remarquer :
Les parcours figuratifs du péché et du ‘moi’ en 7,14-25 décrivent le ‘moi’ comme un sujet dominé par le péché. Trompé par le péché par le moyen du précepte (7,11), le ‘moi’ entreprend alors une démarche d’acquisition du savoir qui part du non-savoir sur soi et aboutit à une prise de conscience de ce qui se passe : « je ne comprends pas » (7,15), « je sais » (7,18), « je trouve donc » (7,20), « je vois » (7,23.25) ; cette connaissance se termine par un cri, un souhait de délivrance et une action de grâce adressée à Dieu (7,24-25a).
Nous estimons que l’on peut organiser ce parcours en trois grands moments, révélés respectivement par les v. 14-21, 22-24 et 25a. En 14-21, tout d’abord, on découvre que le problème auquel fait face le personnage se situe au niveau de son agir. Or, si au début de chaque sous-section, l’egô est le sujet du verbe oeuvrer (κατεργά-ζομαι), en finale, celui-ci se désolidarise de son agir pour désigner le péché comme véritable origine de l’agir et sujet du verbe. Le sujet prend donc progressivement conscience des mécanismes de décision et d’action qui se jouent en son for intérieur et dont témoignent ses réalisations concrètes. Refusant d’endosser la paternité d’actes qu’il ne reconnaît pas, il désigne le péché comme le seul coupable qui, caché dans sa chair, agit en son nom et pour sa perte. Un glissement se dessine alors au sein du texte : on se souvient que la question de départ suggérait un rapprochement coupable entre la Loi et le péché ; or, celle-ci ne reçoit que des qualificatifs positifs et la culpabilité semble alors glisser vers un sujet charnel, en qui n’habite pas le bon et dont les actions sont détestables. Mais voici maintenant que le sujet rejette la responsabilité en direction du péché, de telle sorte que l’idée de culpabilité est progressivement passée de la Loi vers le « moi », puis vers le péché, laissant les deux acteurs précédents lavés de tout soupçon[16].
Les v. 22-24 semblent poursuivre le drame précédent en le présentant sous la forme d’un conflit. Apparaissent alors quatre « lois » différentes, dont certaines sont en plein affrontement. Le mot nomos, qui représentait jusqu’ici uniquement la Torah, est donc maintenant associé à quatre termes distincts, perdant du même coup sa spécificité culturelle[17]. Cette désappropriation du sens survient au terme d’une raréfaction des occurrences du mot nomos au sein de la deuxième section, auquel on a progressivement substitué les idées de beau et de bon[18]. Au terme de cette « introspection », n’en déplaise à Stendahl[19], le personnage en arrive à la conclusion que son corps, de par les lois qui le gouvernent, est voué à la mort. L’inclusion des v. 13-25 (thanatos) prend ici tout son sens, venant couronner le « parcours de connaissance », en ce qui concerne les mécanismes du péché et leur rôle dans la mort du sujet. Le cri du v. 24 exprime alors le comble du désespoir d’un « moi » qui regarde avec lucidité sa condition humaine et comprend que, prisonnier de son corps, il ne peut échapper au destin tragique qui est le sien.
Le v. 25a, enfin, présente la Révélation de Dieu en Jésus Christ comme la réponse au cri de détresse du sujet, suggérant ainsi que ce dernier a en Christ la seule occasion d’être délivré de sa condition tragique. Ceci marque une nouvelle fois la présence d’un scripteur face au personnage. Le monologue de 14-24 présente en effet un personnage totalement impuissant devant son drame et sa destinée : bien qu’il en comprenne maintenant les mécanismes, sa lucidité ne peut toutefois le conduire jusqu’à la connaissance de la voie de salut. L’action de grâce en 25a ne peut provenir que du scripteur, parlant à partir de son lieu actuel, en tant que bénéficiaire du salut[20]. Tout le monologue constituait une voix autobiographique sortie de son passé, sur lequel il porte aujourd’hui un regard lucide en expliquant, comme au v. 13, la véritable réalisation du précepte en ce qui concerne le péché, c’est-à-dire la mise en lumière de sa nature pécheresse et de son action néfaste.
Or, cette distinction scripteur/personnage, en 7,13-25, fait surgir un deuxième écart temporel. Admettons que le scripteur s’exprime au présent, à partir d’une position postérieure dans le temps, ce que révèle le futur du v. 24. Ce jeu d’énonciation de Rm 7,7-25 met alors en lumière trois périodes distinctes : 1) un présent marqué par la connaissance de la Révélation de Dieu en Jésus (7,25a) ; 2) un passé marqué par un conflit intérieur et la reconnaissance de l’impuissance du sujet face au péché qui contrôle son agir (7,13-24.25b) ; 3) un « passé antérieur » dans lequel le sujet, totalement ignorant et impuissant, subit le drame de sa rencontre avec la Loi et le péché (7,8-12). Ainsi, pour comprendre l’énonciation de Rm 7,7-25, nous devons non seulement observer une distinction entre scripteur et personnage, mais nous devons conclure au dédoublement du personnage, qui « personnalise » les deux étapes de son parcours de connaissance, face au drame de sa condition humaine. Signalons enfin que chaque passage d’une étape à une autre est assuré par un événement venant bouleverser les coordonnées existentielles du sujet, tout en lui fournissant la possibilité d’approfondir sa compréhension de lui-même. Ces deux sources de savoir sont : 1) l’arrivée de la Loi et du précepte ; 2) la Révélation de Dieu en Jésus Christ.
V. Identifier l’egô ?
L’analyse des indices de temporalisation et celle du thème de la connaissance nous ont donc permis de clarifier les rapports entre les deux sections et de mettre en évidence le parcours d’acquisition du savoir du sujet, à travers les trois étapes de son évolution. Il nous reste pourtant à faire le dernier pas, le plus délicat, qui vise à identifier le sujet egô. Le moment est donc venu de nous intéresser aux éléments de caractérisation du sujet, tout en rassemblant les informations glanées au fil de l’étude. Nous savons déjà que :
Le sujet observe un décalage entre son vouloir et son agir : son vouloir et son intelligence sont tournés vers Dieu, le bien et la Loi, tandis que son faire et sa chair appartiennent au péché et accomplissent le mal.
Le sujet est esclave du péché et prisonnier de son corps. De même qu’il fut impuissant dans sa rencontre avec la Loi et le péché, il ne peut se sortir de sa situation tragique qui le voue à la mort, si ce n’est par le salut de Jésus Christ.
Mais d’autres éléments viennent s’ajouter, notamment en ce qui concerne l’aspect relationnel du sujet, qui se confond largement avec les indices de spatialisation du texte. Nous pensons en particulier à sa soumission au péché et son habitation par le péché. Citons Doutre une nouvelle fois :
Le péché habite en « moi ». C’est là la seule relation du « moi » et c’est une relation unilatérale. […] Le « moi » est une figure au singulier, individuelle, sans relation avec d’autres figures humaines et donc coupé et isolé des autres, sauf pour le mal et la mort. S’il veut s’approcher du bien, c’est le mal qui s’approche de lui. Le contact avec le bien lui est lui-même refusé. La domination par le péché et la mort par le moyen de la loi fait donc violence au « moi » et le place dans une existence vide de sens et de toute relation de mutualité[21].
Cette absence de relation positive fait de l’egô une figure dont l’identification devient problématique. Il nous est en effet impossible de nous représenter un être qui serait coupé de toute relation, qui plus est lorsque son acte d’énonciation est à ce point dépourvu de repères spatiaux et temporels. Or, nous ne disposons d’aucune autre information sur l’identité de l’egô, si ce n’est le fait qu’il est charnel, ce que nous savons de son propre aveu : 7,14.18. Ce détail est toutefois d’une importance capitale, si l’on en juge par le nombre de références que fait le texte à la corporalité de l’egô : « en moi », « habiter en moi », « humain intérieur », « mes membres », « moi humain », « corps de mort », « ma chair », etc. Nous pouvons donc ajouter à notre liste :
Le sujet est avant tout « charnel » : son état est celui d’un être dans la chair, avant même de savoir s’il se trouve sous le péché ou sous la Loi. Le simple fait d’être dans la chair (7,14.18.25) conditionne automatiquement un esclavage au péché, ainsi qu’une dépendance envers la sanction légale que représente la Loi, même si celle-ci demeure manipulée par le péché et donc incapable d’offrir une voie de salut.
Conclusion
Pour résumer nos acquis, nous pouvons dire que nous avons devant nous un sujet coupé du monde et hors du temps, dont le seul élément d’identification est sa condition charnelle. Ceci rend donc hasardeux tout rapprochement entre ce sujet et une figure concrète, qu’elle soit mythique ou historique. Sans difficulté, nous pouvons conclure, que « Paul n’applique cette description du ‘moi’ à personne en particulier et ne s’identifie pas au ‘moi’[22] ». Serait-ce là une impasse ? Comment expliquer le recours au « je » dans cette péricope, si son identification est impossible ? Cette « impasse » doit plutôt nous inviter à reconsidérer la manière dont nous approchons le texte, notamment en ne nous focalisant plus sur les rapports qu’entretiendrait le texte avec tel ou tel référent, dont la nature et l’identité devraient être reconstituées au gré des indices et des silences du texte. Tournons-nous au contraire vers les rapports qui naissent entre le texte et le lecteur, c’est-à-dire les possibilités d’identification qui apparaissent au lecteur lui-même, dans sa rencontre avec le texte de Rm 7,7-25. Or, cette rencontre est d’autant plus aisée, que le texte est construit autour de l’usage du « je », ce qui favorise le rapprochement entre le lecteur et le sujet implicite de l’action :
Why does an author choose the first person, when other options exist ? In the case of the plural the reason is obvious : the reference to ‘us’ creates a sense of solidarity and intimacy. Simultaneously the audience is led to think in the way ‘we’ think. Insofar as identification is a basic means of persuasion, the use of first person makes it easy to identify with the author[23].
Reconnaître que le sujet constitue une figure narrative, une instance énonciative dépourvue de correspondance dans le monde réel et n’ayant nul besoin de représenter une personne ou un type d’homme en particulier, permet ainsi de laisser cette figure ouverte aux diverses possibilités d’identification qui émanent du lecteur. En plus des paramètres que nous avons présentés ci-dessus, il conviendrait de préciser que l’identification du lecteur avec l’egô de Rm 7 est facilitée lorsque celui-ci a lui-même une certaine expérience de la Loi ; mais ceci n’est pas obligatoire, puisque le texte, s’ouvrant vers l’idée de beau et de bon, est construit autour d’un dépassement du référent nomique. Il ne faut pas oublier non plus que nous avons ici plusieurs voix, témoignant des diverses étapes dans le « cheminement cognitif » du sujet. En définitive, une certaine identification personnelle du lecteur chrétien est possible, puisque le sujet a bénéficié de la Révélation de Dieu en Jésus Christ (25a). Toutefois, il est manifeste que la proposition d’identification qu’offre Rm 7 au lecteur constitue un contre-modèle, un « repoussoir », dont la condition de vie est détestable et sans issue[24]. Pour le lecteur chrétien, tout particulièrement, une description si pathétique illustre bien ce qui constitue l’opposé absolu de la condition chrétienne. Une telle identification avec l’egô a donc un fort potentiel catéchétique : non seulement le lecteur païen peut y découvrir le drame de son existence et le salut offert à travers Christ, mais le lecteur chrétien peut également y trouver un rappel et un avertissement, si d’aventure il avait oublié que la Loi et le péché n’ont pas disparu, et que ces puissances étaient encore prêtes à l’asservir s’il retombait sous l’influence de la chair.
Appendices
Notes
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[1]
De notre avis, la production scientifique sur cette péricope a perdu beaucoup de sa créativité depuis une dizaine d’années. Les études sont ainsi de plus en plus redondantes, ayant beaucoup de mal à démontrer leur apport original pour l’avancement de la connaissance sur Rm 7. Rappelons brièvement les grands axes d’interprétation de Rm 7,7-25. Nous avons d’abord deux axes majeurs : 1) l’egô est-il chrétien, préchrétien, ou peut-il être les deux ? 2) l’egô est-il autobiographique ou stylistique ? À cela s’ajoutent quelques questions plus spécifiques : 3) 7,7-12 fait-il référence au récit de Genèse, au don de la Torah à Israël, à une prise de conscience morale, ou à une combinaison de ces éléments ? 4) comment comprendre le changement de temps au v. 13 ? 5) l’egô demeure-t-il identique tout au long de la péricope ? 6) le mot nomos renvoie-t-il toujours à la Torah ? Notre travail évitera volontairement d’aborder ces questions de front, d’autant que la lecture de Rm 7,7-25 nous apparaît faussée par des considérations théologiques que la question suivante résume assez bien : est-il théologiquement et même dogmatiquement concevable que le chrétien demeure sous l’influence du péché ? Bien plus qu’un problème posé par l’usage particulier du pronom egô, c’est en effet la situation pathétique d’un « moi » sous le péché qui soulève les passions d’un lecteur chrétien pressentant la gravité des implications sotériologiques qui découlent de l’interprétation de ce pronom capricieux. On trouvera un état de la question très fourni chez M.P. Middendorf, The ‘I’ in the Storm. A Study of Romans 7, Saint Louis, Concordia Academic Press, 1997, mais il est à noter son impasse sur la littérature francophone. Pour un état plus concis, voir M.A. Seifrid, « The Subject of Rom 7,14-25 », Novum Testamentum, 34, 4 (1992), p. 313-320 ; ou encore J.-N. Aletti, « Rm 7,7-25 encore une fois », New Testament Studies, 48 (2002), p. 358-364. En ce qui concerne le présent travail, nous réserverons plusieurs notes afin de faire le point sur certains problèmes, mais nous conserverons le texte libre de toute problématique périphérique.
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[2]
Jean Doutre, « Le ‘moi’ dominé par le péché et le ‘nous’ libéré par le Christ. Deux paradigmes simultanés pour penser le sujet en Rm 7,7-8,30 », dans A. Gignac, A. Fortin, dir., « Christ est mort pour nous ». Études sémiotiques, féministes et sotériologiques en l’honneur d’Olivette Genest, Montréal, Médiaspaul (coll. « Sciences bibliques », série « Études », 14), 2005, p. 157-177.
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[3]
L’argumentation détaillée qui a conduit à la production de cette structure se trouve au chapitre 3 de notre thèse doctorale : L’identité chrétienne en Romains 6-8 : analyse structurelle et narrativité, Montréal, Université de Montréal, 2007. Notre démarche se fait en dialogue avec d’autres auteurs qui ont travaillé cet aspect de Romains, mais généralement sans en faire un outil herméneutique à part entière. Nous précisons par ailleurs que cet article constitue une version remaniée d’une conférence prononcée à l’Université catholique de Lyon en mai 2007, dans le cadre du Réseau de recherche en analyse narrative des textes bibliques (RRENAB).
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[4]
Ces principes ont été énoncés par M. Girard, « La méthodologie de l’analyse structurelle », dans Les Psaumes redécouverts. De la structure au sens, vol. 1, Montréal, Bellarmin, 1996, p. 93-136 ; puis reformulés par nos soins dans le cadre de l’étude de textes pauliniens : « L’identité chrétienne en Romains 6-8 », p. 48-59.
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[5]
L’accent concessif est mis en valeur par J.-B. Édart, « De la nécessité d’un sauveur rhétorique et théologique », Revue Biblique, 105 (1998), p. 375 ; mais surtout S. Romanello, « Rom 7,7-25 and the Impotence of the Law. A Fresh Look at a Much-Debated Topic Using Literary-Rhetorical Analysis », Biblica, 84 (2003), p. 510-530, qui propose de lire l’ensemble de Rm 7,7-25 comme un phénomène de concessio.
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[6]
J.D.G. Dunn, Romans 1-8, Waco, Word Books (coll. « World Biblical Commentary », 38A), 1988, p. 378.
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[7]
Selon D.W. Burdick, « Οἶδα and Γινώσκω in the Pauline Epistles », dans R.N. Longenecker, M.C. Tenney, dir., New Dimensions in New Testament Studies, Grand Rapids, Zondervan, 1974, p. 344, en grec classique, οἶδα représente un savoir « grasped directly or intuitively by the mind » et γινώσκω un savoir « gained by some intermediate means such as experience, instruction, or observation ».
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[8]
S. Légasse, L’épître de Paul aux Romains, Paris, Cerf (coll. « Lectio divina », « Commentaires », 10), 2002, p. 457, n. 27. Également D.J. Moo, The Epistle to the Romans, Grand Rapids, Eerdmans (coll. « The New International Commentary of the New Testament »), 1996, p. 433.
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[9]
Doutre, « Le ‘moi’ dominé par le péché et le ‘nous’ libéré par le Christ », p. 166.
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[10]
La mention d’une période sans Loi incite les chercheurs à situer l’action des v. 8-12, soit au moment du don de la Loi à Israël, soit dans le cadre du récit de Gn 2-3. La similarité des situations avec le récit adamique est d’ailleurs frappante : on se souvient, en effet, qu’Adam et Ève furent eux aussi trompés (par le serpent), de sorte qu’ils outrepassèrent un commandement donné pour leur protection, ce qui provoqua leur condamnation et leur expulsion du jardin d’Éden. Le meilleur défenseur de la lecture adamique au xxe siècle est S. Lyonnet, qui mit en valeur certaines conceptions de la Loi, dans le Targum Néophiti, susceptibles de confirmer le rapprochement entre Gn 2-3 et Rm 7 — notamment le fait qu’Adam aurait observé la Loi au paradis et que la convoitise était considérée comme « le péché par excellence ». Voir surtout : « Tu ne convoiteras pas (Rm 7,7) », dans Neotestamentica et Patristica. Eine Freundesgabe, Herrn Professor Dr. Oscar Cullmann zu seinem 60. Geburtstag Überreicht, Leiden, Brill (coll. « Supplements to Novum Testamentum », 6), 1962, p. 157-165. Parmi les autres tenants de cette lecture, citons M.J. Lagrange, Saint Paul. Épître aux Romains, Paris, Gabalda, 1922, p. 168 ; F.J.M. Leenhardt, L’épître de saint Paul aux Romains, Paris, Delachaux et Niestlé, 1957, p. 106 ; G. Bornkamm, « Sin, Law and Death. An Exegetical Study of Romans 7 », Early Christian Experience, London, SCM, 1969, p. 93 ; E. Käsemann, Commentary on Romans, London, SCM, 1980, p. 196 (« There is nothing in the passage which does not fit Adam, and everything fits Adam alone » !) ; Dunn, Romans 1-8, p. 378 ; J.M. Espy, « Paul’s “Robust Conscience” Re-examined », New Testament Studies, 31 (1985), p. 169 ; Édart, « De la nécessité d’un sauveur rhétorique », p. 366 ; Aletti, « Rm 7,7-25 encore une fois », p. 363 ; C. Grappe, « Qui me délivrera de ce corps de mort ? L’Esprit de vie ! Romains 7,24 et 8,2 comme éléments de typologie adamique », Biblica, 83 (2002) 472-492 ; K. Grieb, The Story of Romans : A Narrative Defense of God’s Righteousness, Louisville, Westminster John Knox Press, 2002, p. 72. En revanche, D.J. Moo, « Israël and Paul in Romans 7,7-12 », New Testament Studies, 32 (1986), p. 122-135, apporte de sérieux éléments contre l’interprétation adamique de l’egô, préférant voir ici une référence au don de la Torah : « Proponents of the Adamic view customarily answer this question by suggesting that Paul assumes the view, attested in a number of Jewish sources, to the effect that Adam was given and made responsible for the torah in the garden. But not only is there no evidence for this view in Paul, it is most unlikely that he would have made any such assumption. The temporal limitation of the torah is a key element in Paul’s theology, a linchpin in his conception of redemptive history and a critical point in his polemic with Judaism. It is far too basic and significant a belief for Paul to have contradicted it without explanation in one of his most important discussions of the law » (p. 124). Voir aussi J.A. Fitzmyer, Romans, New York, Doubleday (coll. « Anchor Bible », 33), 1993, p. 464 et suiv. ; Légasse, Romains, p. 446 et suiv. ; G. Theissen, Psychological Aspects of Pauline Theology, Philadelphia, Fortress, 1987, p. 251 : « Is Adam speaking ? But who in the Roman community would have understood that ? » ; Middendorf, The ‘I’ in the Storm, p. 139 et suiv. Notons que la critique de ce dernier envers Moo est inconsistante : « Once the Law had been revealed, Paul refuses to allow any limitations to be placed upon its scope or its duration » (p. 138). Or, Moo se prononce uniquement sur l’apparition de la Loi, et nullement en ce qui concerne sa durée. Finalement, tout ce débat nous semble quelque peu hors de propos, car il se résume à un simple problème d’intertextualité, problème qui n’est pas suffisamment pris au sérieux par la recherche. La question consiste en effet à préciser le degré de contact qui existe entre les textes de Gn 2-3 et de Rm 7, sans quoi toute hypothèse n’est que pure spéculation. Or, nous ne trouvons ici aucune mention d’Adam, aucune citation explicite, ni aucun indice discursif qui attirerait l’attention du lecteur vers un récit qu’il faudrait importer dans le texte, afin d’en saisir la portée. Nous n’avons donc ici, au mieux, qu’une allusion implicite au récit de Gn 2-3 et en aucun cas cette référence externe n’est-elle nécessaire à l’interprétation de Rm 7,7-25. C’est dans le même sens que la pensée de Moo a évolué, puisqu’il écrit, dans son commentaire : « […] while there may be allusions to Adam’s situation in vv. 7-11 […] I cannot think that Paul is describing events in the Garden of Eden » (Romans, p. 429). Voir aussi B. Byrne, Romans, Collegeville, Liturgical Press (coll. « Sacra Pagina », 6), 1996, p. 218 et Seifrid, « The Subject of Rom 7,14-25 », p. 325, n. 38, en ce qui concerne le rôle « typique » de la référence adamique.
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[11]
« Le ‘moi’ dominé par le péché et le ‘nous’ libéré par le Christ », p. 166.
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[12]
Comme l’a remarqué depuis longtemps la recherche, la narration passe du passé au présent entre les versets 13 et 14.
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[13]
R. Rivara, La langue du récit. Introduction à la narratologie énonciative, Paris, L’Harmattan (coll. « Sémantiques »), 2000, p. 158-159.
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[14]
Nous insistons sur le fait que notre référence à une narration autobiographique ne doit pas être comprise de façon historique : le caractère autobiographique de Rm 7,7-25 procède d’une construction narrative qui n’a aucun lien avec la vie réelle et les expériences de l’auteur présumé de ce texte : Paul. L’hypothèse selon laquelle le « je » de Rm 7 renverrait à Paul lui-même constituait l’interprétation dominante avant les travaux de W.G. Kümmel, Römer 7 und die Bekehrung des Paulus, Leipzig, Hinrichs, 1929. Ceux-ci ont largement orienté la recherche vers la lecture d’un « je » rhétorique, stylistique, qui n’avait pas besoin d’être identifié avec l’auteur lui-même. On a ressenti le besoin, par la suite, de tempérer la rigidité de Kümmel, qui considérait lui-même que ce « je » pouvait désigner tout homme… excepté Paul ! Malgré le coup violent porté à l’interprétation autobiographique, cette dernière est encore largement soutenue : voir, par exemple, J.D.G. Dunn, « Rom 7,14-25 in the Theology of Paul », Theologische Zeitschrift, 31 (1975), p. 257-273 ; A. Viard, Saint Paul,Épître aux Romains, Paris, Gabalda, 1975, p. 162 et suiv. ; R.H. Gundry, « The Moral Frustration of Paul Before His Conversion : Lust in Romans 7,7-25 », dans D.A. Hagner, M.J. Harris, dir., Pauline Studies (FS. F.F. Bruce), Exeter, Paternoster, 1980 ; Theissen, Psychological Aspects of Pauline Theology ; Middendorf, The ‘I’ in the Storm. Afin de rendre possible cette voie d’interprétation, il est nécessaire de comprendre le v. 9 en termes moraux ou psychologiques, par exemple en y reconnaissant l’expérience du jeune juif ou de tout enfant qui découvre le commandement.
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[15]
Deux parallèles ont été dressés avec cette opposition entre le vouloir et le faire. Le premier concerne un topos répandu chez les stoïciens (par exemple Épictète, Entr. 2.26.4) et dans la littérature grecque, notamment chez Eurypide, Médée, trad. L. Méridier, Paris, Les Belles Lettres, 1925, p. 1 077-1 080. Voir à ce sujet Theissen, Psychological Aspects of Pauline Theology, p. 211-219 ; S.K. Stowers, « Romans 7,7-25 as a Speech-in-Character (προσωποποιία) », dans T. Engberg-Pedersen, dir., Paul in His Hellenistic Context, Minneapolis, Fortress, 1995, p. 198-199 ; Édart, « De la nécessité d’un sauveur rhétorique », p. 381-383 ; Aletti, « Rm 7,7-25 encore une fois », p. 367-370. En revanche, Seifrid, « The Subject of Rom 7,14-25 », p. 329, n. 47 : « [this topos] has to do with a tragic succumbing to passions in the face of better judgment. In contrast, the will of the ἐγώ in Rom 7,14-25 remains committed to the Law of God ». Voir également les remarques de G.S. Holland, « The Self against the Self in Romans 7,7-25 », dans S.E. Porter, D.L. Stamps, dir., The Rhetorical Interpretation of Scripture : Essays from the 1996 Malibu Conference, Sheffield, Sheffield Academic Press (coll. « Journal for the Study of New Testament Supplement Series », 180), 1999, p. 266 et suiv., qui rendent difficile toute interprétation au moyen du contexte philosophique grec : « Paul here runs against the common opinion of first-century Hellenistic moral philosophy, which taught that true knowledge of the good inevitably led to correct moral behaviour » (p. 267). Le deuxième parallèle pointe au contraire vers la littérature juive et la doctrine de « deux inclinations » ou des « deux esprits », bon et mauvais ; par exemple : Ps 51 ; 119 ; Is 63,5-12 ; Jr 3,22-25 ; 1QH 1,21-27 ; 3,19-29 ; 11,9-10. On pourra voir W.D. Davies, Paul and Rabbinic Judaism : Some Elements in Pauline Theology, Philadelphia, Fortress, 19804 ; Seifrid, « The Subject of Rom 7,14-25 », p. 322 et suiv. ; Aletti, « Rm 7,7-25 encore une fois », p. 370-371.
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[16]
ContraMiddendorf, The ‘I’ in the Storm, p. 96 : « What the ‘I’ does confess is that the flesh is wholly sinful, that ‘I’ am still fleshy, and that sin ‘dwells in me’ (vv. 14.17). On the basis of the goodness exemplified in the Law, the only possible conclusions for the ‘I’ to draw is that, in contrast to the Law, ‘I am sinful’ ». Même si la Loi pourrait être de l’avis de cet auteur, l’egô ne se prononce pas quant à sa propre culpabilité.
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[17]
Sur la question du sens de nomos, voir en particulier M. Winger, « Meaning and Law », Journal of Biblical Literature, 117 (1998), p. 108 : « […] the idea that νόμος works as a name has broken down, and we retreat to the idea (which has the advantage of its obvious truth) that there are many νόμοι […] why should we struggle to find a reference to Jewish law in the expression ὁ νόμος τῆς ἀμαρτίας (Rom 7,23) ? […] If νόμος by itself identifies Jewish law, then what are appended genitival phrases like […] τῆς ἀμαρτίας doing ? » ContraDunn, Romans 1-8, p. 392 et suiv., qui se fonde sur le principe du « chevauchement des éons » pour postuler que nous aurions ici deux aspects de la Loi, lorsqu’elle est utilisée négativement par le péché et lorsqu’elle remplit sa fonction divine : « The point is, on the one hand, that the two-sidedness of the law reinforces and interacts with the ‘I’ in its own two-dimensional character : as the law of God, reinforcing my desire for good ; as the law used by sin, precipitating my actions for evil » (p. 392).
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[18]
La disparition du mot nomos dans le deuxième mouvement du parallélisme des v. 14-20 avait déjà été remarquée. Voir, par exemple, P.F. Esler, Conflict and Identity in Romans. The Social Setting of Paul’s Letter, Minneapolis, Fortress, 2003, p. 241 : « […] the second passage does differ in certain respects from the first, and it is presumably the existence of these differences that explains why Paul has included the material in v. 18-20 […] the major change is the elimination of the Law from the second passage ».
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[19]
K. Stendahl, « The Apostle Paul and the Introspective Conscience of the West », Harvard Theological Review, 56 (1963), p. 199-215.
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[20]
R. Bultmann, « Romans 7 and the Anthropology of Paul (1932) », dans Existence and Faith, Londres, Hodder & Stoughton, 1960, p. 147-157, voyait déjà en Rm 7 « the eye of one who has been freed from the law by Christ » (p. 147). Cette hypothèse d’un « regard chrétien » sur l’expérience du sujet s’est largement répandue, par exemple chez Bornkamm, « Sin, Law and Death », p. 87-104 ; Dunn, « Rom 7,14-25 », p. 257-273 ; Fitzmyer, Romans, p. 465 ; Byrne, Romans, p. 226 ; Aletti, « Rm 7,7-25 encore une fois », p. 373.
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[21]
« Le ‘moi’ dominé par le péché et le ‘nous’ libéré par le Christ », p. 166. Une remarque similaire (« it is difficult to believe that Paul would conceive of any ‘I’ whose will was always thwarted by his actions », p. 95) conduit Middendorf, The ‘I’ in the Storm, à une conclusion très différente : ceci constitue pour lui une preuve suffisante pour affirmer que le texte ne présente pas un sujet dont toutes les actions seraient mauvaises, ce qui l’autorise à postuler que le sujet accomplit aussi de bonnes actions en accord avec son vouloir : « […] the ‘I’ does not attribute all of his actions to sin, as if he never did anything good but only and always evil » (p. 94). Aussi Dunn, Romans 1-8, p. 391 (« difficulty of doing good »). Or, le texte n’ayant pas les mêmes présupposés que Middendorf, il ne dit rien d’éventuelles « bonnes » actions. La seule chose que l’on peut y lire concerne l’échec du vouloir devant le faire. L’hypothèse des actions bonnes est en effet nécessaire au déploiement d’une « interprétation chrétienne » de Rm 7,7-25 qui, sans cela, deviendrait totalement intenable, sachant qu’elle est déjà difficile à concilier avec le contexte de Rm 6-8. Dans le même sens, voir Aletti, « Rm 7,7-25 encore une fois », p. 361 : « […] l’apôtre entendrait dire que le chrétien fait difficilement le bien, alors que le passage parle d’une impossibilité totale ; et l’on peut se demander ce que signifierait pour les chrétiens une libération du péché (Rm 6) qui les en laisserait radicalement esclaves. […] une libération qui change le seul vouloir et ne peut se réaliser dans les faits, mérite-t-elle ce nom ? »
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[22]
Doutre, « Le ‘moi’ dominé par le péché et le ‘nous’ libéré par le Christ », p. 167.
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[23]
Thurén, « Romans 7 Derhetorized », p. 431. Thurén suppose ainsi que le « je » désigne l’auteur. Nous préférons parler de l’énonciateur ou du sujet construit par le texte. Cette référence à l’auteur gêne Thurén lui-même et c’est ainsi pour éviter d’avoir à postuler « Paul’s past or present wretchedness » (p. 432), qu’il juge problématique au regard de Rm 6-8, que Thurén propose de comprendre Rm 7 sous l’angle du langage hyperbolique, de l’exagération : « […] the Christian is presented as totally free from sin, and yet totally subject to it. […] principles are expressed in a black-and-white manner in order to affect the addressees with maximum power » (p. 437-438).
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[24]
De même, Holland, « The Self against the Self in Romans 7,7-25 », p. 270 : « The wretched ‘I’ is offered as an example of human failure ». L’auteur identifie en Rm 7 « the topos of the moral teacher as a moral example and guide ». Nos conclusions sont similaires, mais ne nécessitent pas d’identifier Paul avec l’egô, ce qui demeure problématique, étant donné le caractère utopique et achronique du discours (caractère auquel Holland ne prête pas attention). Notons que l’idée selon laquelle Paul se présenterait ici comme modèle est assez répandue parmi la recherche. Elle s’appuie notamment, mais non exclusivement sur les traditions psalmiques d’Israël, telles que Ps 69 ; 77 ; Ps. Sal. 5 ; 8 ; 1QH 3 ; 11. Voir par exemple Dunn, Romans 1-8, p. 382 ; Middendorf, The ‘I’ in the Storm, p. 238 ; Thurén, « Romans 7 Derhetorized », p. 431 et suiv. Or, ceci pose un problème au regard du contexte de Romains elle-même, ainsi que le signale Esler : « In congregations he founded, Paul based his claim to exemplify the group on his behaviour when among them. In particular, he went so far as to portray himself as the model of life in Christ that other Christ-believers should imitate. […] Yet since Paul has not even visited Rome, this particular policy is not possible. This factor explains the lack of any call to imitate him in Romans » (Conflict and Identity in Romans, p. 223 et suiv.). Enfin, au regard de certains accents apologétiques de Romains (cf. 3,8), il apparaît que le statut apostolique de Paul est une question problématique. Postuler, dans ces conditions, que « among his fellow Christians, Paul was, no doubt, the great Apostle who had been chosen and visited by the risen Lord Jesus Christ himself […] In all likelihood these Roman Christians pictured Paul as an unconditionally determined Apostle who endeavoured with all his life to spread the Gospel which had been delivered to him directly by Jesus », ainsi que le fait Middendorf (The ‘I’ in the Storm, p. 249-250), nous semble pour le moins optimiste !