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Nous venons de perdre un collègue très estimé et un ami très cher, en la personne de Lionel Ponton. Je voudrais exprimer en des termes simples, devant les membres de sa famille et les quelques proches rassemblés ici, à la fois la profonde tristesse que mes collègues et moi-même, ainsi que nos étudiants, nous partageons avec vous, mais aussi notre très vive reconnaissance pour tout ce que nous lui devons, bien au-delà de ce que les mots peuvent parvenir à exprimer.
Je parle en même temps au nom de tous ceux et celles qui ne peuvent être ici et maintenant présents, sinon de coeur et en esprit. Nombreux justement sont les collègues et amis, d’anciens étudiants surtout, qui nous ont dit ou écrit, de l’étranger, ou d’ailleurs au pays, qu’ils seraient de tout coeur avec nous. C’est tout particulièrement le cas du Doyen de la Faculté de philosophie de l’Université Laval, Luc Langlois, qui m’a vivement prié de vous en faire part.
Le mot qui me revient avec le plus d’insistance, pour qualifier la vie et l’oeuvre de Lionel Ponton, est le mot « générosité ». Déjà lorsqu’il était professeur à l’École Normale, avant de le devenir à l’Université, il aidait des étudiants à poursuivre leurs études, même financièrement, permettant ainsi à certains d’accéder ultérieurement à des postes d’enseignants même, jusqu’à l’Université. Mais sa générosité se manifestait plus profondément encore par son dévouement exceptionnel à l’enseignement et à la recherche, spécialement dans la direction de thèses de doctorat et de mémoires de maîtrise, auprès d’une quantité imposante d’étudiantes et d’étudiants de première qualité, au fil des années, toujours avec le même soin attentif, la même conscience, consacrant d’innombrables heures à les guider, les évaluer, les conseiller, faisant souvent la recherche pertinente à leur place, dans un premier temps à tout le moins, pour les aider à démarrer. Lors des soutenances de thèses, ses interventions étaient toujours soigneusement préparées et s’avéraient des moments forts. Il a fait montre d’un dévouement analogue, pendant de longues années, à titre de rédacteur de la partie philosophique du Laval théologique et philosophique (maintenant le LTP), et dans la direction répétée de cette même revue. Sa contribution, là encore, aura été d’une fécondité inestimable.
Pareil dévouement n’aura jamais connu de répit jusqu’à sa mort, le 25 juin dernier, même s’il avait pris une soi-disant « retraite » il y a longtemps. Il venait d’entrer dans sa 79e année, étant né le 14 juin 1930. Les jurys de thèse allaient pourtant se multipliant au cours de ses dernières années, tant sa vaste culture et son exceptionnelle compétence professionnelle le rendaient plus apte que la plupart à la tâche, à ce niveau exigeant. Il en allait de même pour l’évaluation d’articles soumis à des revues savantes comme le LTP. Ici encore, son érudition, son esprit critique (comme il se doit, en philosophie), son style incisif, sa droiture, mais aussi, je le répète, son dévouement, expliquent qu’on ait tant fait appel à lui. Il n’aura jamais connu de vraie « retraite », et il faut s’en réjouir, pour peu que l’on songe à tous ceux et celles qui, jusqu’à hier encore, ont si grandement bénéficié de sa sagesse.
C’était un professeur très aimé de ses étudiants, dès l’École Normale et à l’Université encore. Brillant, plein d’ironie et d’humour, amoureux de la belle langue française, éloquent, passionné de vérité. La polémique ne lui répugnait pas, au contraire, mais elle visait en son cas les questions de fond, jamais les personnes comme telles. Les querelles stériles le chagrinaient. Il était trop authentique pour être mesquin, même s’il aimait piquer, à la façon de Socrate, chez qui il retrouvait, du reste, l’excellent pédagogue qu’il était lui-même.
Il a fait découvrir, à beaucoup d’étudiants, et même à des collègues, des penseurs difficiles et profonds de la modernité — tel Hegel — encore mal connus il y a quelques décennies, en même temps que les grands philosophes classiques, grecs avant tout, principalement en matière politique et en philosophie du droit. Il écrivait admirablement. Je n’en veux pour exemple récent que le magnifique texte intitulé « Histoire et bilan. Laval théologique et philosophique (1945-2005) », rédigé à l’occasion du 60e anniversaire du LTP (Supplément, octobre 2005).
On lui doit dès lors une oeuvre de toute première conséquence, tant sur le plan de l’éducation des personnes que sur celui des travaux concrets — soit sous sa propre plume soit sous celle des autres — qui le fera vivre encore longtemps en nos mémoires reconnaissantes et en celles qui nous survivront.
Il était animé en outre d’une foi chrétienne profonde, et combien solide. Je ne doute pas un instant qu’il envisageait avec sérénité les fins dernières.
Il est parti discrètement, sans faire de bruit, en plein été, à l’époque des vacances pour la plupart, comme pour ne déranger personne. C’est une délicatesse qui est un peu à l’image de sa vie tout entière, marquée qu’elle était par la discrétion et une certaine timidité. Il sera ainsi demeuré jusqu’à la fin fidèle à ce que la philosophie traditionnelle appelle du beau nom de veritas vitae, « la vérité de vie ».
Permettez-moi de conclure en vous lisant le témoignage que voici, d’un de ses anciens étudiants, qui, à l’instar de nombreux autres témoignages que nous venons de recevoir à la Faculté de philosophie de l’Université Laval, met bien en lumière l’homme que nous pleurons aujourd’hui.
Merci, merci, merci. Je n’ai pas les mots pour vous dire à quel point cela m’attriste profondément. Le professeur Ponton, mon ancien directeur de mémoire à la maîtrise en philosophie, est l’un de ceux qui a le plus compté dans mes études et mon enseignement. Je ne pourrai jamais l’oublier, il a trop compté. Son dernier message était une télécopie pour me féliciter du poste obtenu au Campus Saint-Jean. Un homme extraordinaire, d’une gentillesse et d’une générosité incomparables. J’ai conservé de lui nombre de lettres depuis 1993, alors que je débutais mes études en France, après l’Université Laval. Hannah Arendt dit ceci : « Nos décisions concernant le juste et l’injuste reposent sur le choix de notre compagnie, de ceux avec qui nous désirons passer notre vie. Et nous choisissons généralement nos exemples en pensant à des exemples de gens morts ou vivants, des exemples d’événements passés ou futurs […]. » Lionel Ponton est un de ceux-là.
Nous ne vous oublierons jamais, monsieur le professeur…
Avec beaucoup de tristesse et de chagrin, votre ancien étudiant et ami, Etienne Haché.
C’est à notre tour de dire : Merci, merci, merci !