Abstracts
Résumé
L’Évangile de Judas, bien loin de présenter Judas comme le disciple fidèle à qui Jésus demande de le libérer de son enveloppe charnelle et comme le modèle du parfait chrétien, fait de l’Iscariote celui qui préside à une interprétation sacrificielle de la crucifixion. Cette interprétation sacrificielle et toutes ses applications (eucharistie, vie chrétienne, martyre), sont perçues par l’Évangile de Judas comme une continuation du culte juif, voué à un dieu inférieur, qui n’est pas le Père de Jésus. Judas est donc démonisé, soumis à la fatalité astrale et assimilé aux archontes dont il est le serviteur. Il est certes appelé à régner, mais son gouvernement ne s’exercera que dans les limites du monde matériel, sur ceux-là mêmes qui le maudiront.
Abstract
Far from presenting Judas as the perfect Christian, the faithful disciple whose assistance Jesus seeks in liberating himself from his material body, the Gospel of Judas actually turns Judas into the leading figure in a sacrificial interpretation of the crucifixion. This sacrificial interpretation, and the various ways in which it is manifested in Christian behaviour (eucharist, Christian life seen as an ongoing sacrifice, martyrdom) is presented in the Gospel of Judas as a continuation of Jewish cultic practice, and as being devoted to an inferior god, who is not the Father of Jesus. Judas is thus (literally !) demonized, put under the power of astral determinism and assimilated to the archons whom he serves. In the gospel that bears his name, Judas is indeed called to reign over others, but his power does not extend beyond the limits of the material world, and those over whom he rules will curse him.
Article body
Voici comment on résume le contenu et le message de l’Évangile de Judas à l’intérieur de la jaquette de sa traduction anglaise :
[…] a gospel told from the perspective of Judas Iscariot, history’s ultimate traitor. And far from being a villain, the Judas that emerges in its pages is a hero. In this radical reinterpretation, Jesus asks Judas to betray him. In contrast to the New Testament Gospels, Judas Iscariot is presented as a role model for all those who wish to be disciples of Jesus. He is the one apostle who truly understands Jesus[1].
Cette présentation de l’Évangile de Judas et l’interprétation de la figure de Judas qu’on y trouve ont été largement reprises et amplifiées par la rumeur médiatique qui a accompagné et suivi la conférence de presse tenue à Washington le 6 avril 2006. Dans le présent article, je voudrais montrer que cette présentation de l’Évangile de Judas, inspirée d’une lecture superficielle des passages d’Irénée et d’Épiphane qui mentionnent un tel évangile[2], ne rend compte ni de son contenu ni de la figure de Judas qu’on y découvre, qui n’y apparaît nullement comme un modèle à imiter. En effet, si le Judas de l’Évangile de Judas est un héros, il est un héros de tragi-comédie, jouet de l’influence trompeuse de son étoile et objet des moqueries de Jésus. Le lecteur ne veut pas ressembler à cette figure. Certes, ce Judas sait que Jésus vient de l’éon immortel de Barbélô (35,17-18) et il peut se tenir debout devant Jésus, ce dont les autres disciples sont incapables, sans toutefois pouvoir soutenir son regard (35.2-13) ; cette connaissance ne lui sert de rien, ne lui permet ni d’échapper à l’influence trompeuse de son étoile (45,13-14), ni d’atteindre jamais le lieu réservé aux saints (45,14-19 ; 46,25-47,1). Et si gouvernement et royauté lui échoient en partage (46,19-24 ; 55,10-11), il les exerce dans les limites du monde inférieur, en tant que treizième (44,20-21 ; 46,19-20 ; 55,11). En conclusion, je situerai la réception de l’Évangile de Judas en ce début du xxie siècle et la méprise dont il a été l’objet dans le contexte de la transformation du mythe de Judas dans l’Occident contemporain.
Le texte copte de l’Évangile de Judas est disponible en ligne sur la page du National Geographic depuis avril 2006[3]. Il en existe déjà à l’heure actuelle, outre les trois traductions anglaise, française et allemande signées par l’équipe formée de Rodolphe Kasser, Marvin Meyer et Gregor Wurst[4], une traduction française provisoire publiée sur la toile par Pierre Cherix[5] ; il existe également de nombreuses traductions dans différentes langues modernes. Elles sont la plupart du temps l’oeuvre de traducteurs professionnels n’ayant pas accès au texte copte, qui ont travaillé à partir de la traduction anglaise de M. Meyer ; les quelques traductions qui sont l’oeuvre de coptisants demeurent fortement dépendantes de cette dernière[6]. Nous ne disposons actuellement ni d’une édition photographique, ni d’une bonne édition critique du texte, ce qui rend évidemment périlleuse toute entreprise de traduction et d’interprétation, qui ne peut donc être que provisoire. Le présent article s’appuie sur le texte copte divulgué par la National Geographic Society en avril 2006[7].
L’écrit a deux titres, un titre final, par lequel on le désigne généralement, L’Évangile de Judas ( 58,28-29)[8], et un titre initial, plus long (33,1-6) :
Le récit secret de la révélation au cours de laquelle Jésus a parlé avec Judas Iscariote pendant les huit jours précédant les trois jours avant qu’il ne célèbre la Pâque[9].
Sur le plan de la forme littéraire, on peut classer l’Évangile de Judas parmi les dialogues gnostiques de révélation[10]. Outre Judas lui-même, les disciples, en tant que groupe, sont les interlocuteurs de Jésus. Hormis Judas, aucun n’est toutefois nommé. Ce n’est pas Judas qui rapporte ce dialogue, mais un narrateur anonyme, qui n’intervient jamais de manière personnelle dans le cours de son récit. Sur le plan strictement narratif, on ne peut donc nullement affirmer que ce texte prétend raconter l’histoire du point de vue de Judas.
Voici le plan de l’écrit tel qu’on peut le dégager des articulations du dialogue :
Titre (33,1-6)
Préambule narratif (33,6-22)
Évocation du début du ministère de Jésus.
Premier dialogue de Jésus avec ses disciples (33,22-35,14)
Jésus n’est pas le fils du dieu de ses disciples, qui ne le connaissent pas.
Premier dialogue de Jésus avec Judas (35,14-36,11)
Judas connaît l’origine de Jésus : il provient de l’éon de Barbélô.
Deuxième dialogue de Jésus avec ses disciples (36,11-37,20)
Une grande génération sainte est supérieure aux disciples.
Troisième dialogue de Jésus avec ses disciples (37,20-43,11)
Les disciples voient en rêve une maison où se trouve un autel devant lequel se tiennent douze hommes ainsi qu’une grande foule en attente. Jésus interprète cette vision : les prêtres, ce sont les apôtres et le troupeau mené au sacrifice est la multitude qu’ils égareront.
Deuxième dialogue de Jésus avec Juda (43,11-47,1)
Judas voit en rêve une maison qu’il ne peut mesurer, entourée de grands hommes et couverte de verdure, où se tient une foule et dans laquelle il veut entrer lui aussi.Réponse de Jésus : Judas est égaré par son étoile, il gouvernera mais n’accédera pas à ce lieu réservé à la génération sainte.
Révélation protogonique de Jésus à Judas (47,1-53,7)
Révélation « séthienne ».
Reprise du dialogue entre Jésus et Judas, et sort final de Judas (53,8-57,26[?])
L’un des deux protagonistes entre dans un nuage de lumière entouré d’étoiles.
Épilogue narratif (58,1[?]-26)
Évocation des événements qui précédèrent l’arrestation de Jésus.
Titre final (58,27-28)
Voyons maintenant quelques passages qui permettent d’éclairer le rôle de Judas dans cet écrit. On comprendra que Judas se rend coupable de sacrifice humain, qu’il est un démon, qu’il est trompé par son étoile, qu’il n’accédera jamais au lieu de la génération sainte mais qu’il exercera le gouvernement sur ceux-là mêmes qui le maudiront.
I. Judas se rend coupable de sacrifice humain
Le premier de ces passages, celui qui est le plus souvent cité et où l’on veut lire une demande adressée par Jésus à Judas de l’aider à accomplir sa mission dit en réalité tout autre chose (EvJud 56,11-20)[11] :
En vérité, je te le dis, Judas, ceux qui offrent des sacrifices à Sakla[s quatre lignes manquent] toutes choses mauvaises. Quant à toi, tu les surpasseras tous, car l’homme qui me porte, tu le sacrifieras.
Voici comment Kasser et al. commentent ce passage :
Judas is instructed by Jesus to help him by sacrificing the fleshly body that clothes or bears the true spiritual self of Jesus. The death of Jesus, with the assistance of Judas, is taken to be the liberation of the spiritual person within[12].
Lu à la lumière de son contexte immédiat, on doit au contraire comprendre ce texte comme une condamnation sans appel de Judas par Jésus. Celui-ci dit en effet à Judas qu’il « les surpassera tous », ce qui traduit le verbe copte ce verbe, qui signifie littéralement « faire plus que », n’a en soi aucune connotation positive ou négative et doit être interprété à la lumière de son contexte. Or, il est dit que Judas surpassera tous les autres précisément parce qu’il sacrifiera l’homme qui porte Jésus. Pour déterminer le sens du verbe « surpasser » il faut donc comprendre quelle est la valeur du sacrifice dans ce texte. Or, dans l’Évangile de Judas, le vocabulaire sacrificiel, et a toujours une connotation négative. Aux disciples qui voient en rêve douze prêtres se tenant devant un autel, présentant des offrandes et sacrifiant leurs propres enfants et leurs épouses en invoquant le nom de Jésus (38,1-26), celui-ci explique que ces prêtres, ce sont eux-mêmes, et que les troupeaux menés au sacrifice, ce sont les foules qu’ils égarent (39,25-28)[13] ; plus loin, il leur enjoint de « cesser d’offrir des sacrifices » (41,1-2)[14]. Ce culte est rendu par les apôtres à leur dieu (« votre dieu », 34,10), le dieu des Écritures juives, assimilé à l’Archonte de ce monde, Saklas (56,12-13)[15]. Ainsi, sacrifices et offrande de sacrifices sont interprétés négativement, et il n’y a aucune raison de croire que « sacrifier l’homme qui porte Jésus » doive être interprété positivement. Désigner ainsi le geste de Judas l’inscrit plutôt dans la continuité du culte sacrificiel rendu au dieu des juifs. Cela est confirmé par le contexte qui précède immédiatement, qui, bien qu’endommagé, est clair sur ce point. Il y est en effet question de ceux qui « offrent des sacrifices » à Saklas et se termine sur la mention de « toutes choses mauvaises ». Dire que Judas les surpassera tous, c’est dire qu’il fera pire que tous les autres apôtres, puisqu’il sacrifiera l’homme même qui porte Jésus. Il ne répond donc pas à une demande de Jésus ni n’est exalté, ni blanchi. Pour l’auteur de l’Évangile de Judas comme pour celui du Témoignage véritable, le vrai Dieu, contrairement à Saklas, ne veut pas de sacrifice humain[16].
II. Judas est un démon
Dans un autre passage, après que Jésus eût interprété le rêve que lui avaient raconté les apôtres, il rit en réaction à une question que lui pose Judas et qualifie celui-ci de « treizième démon » (44,15-23)[17] :
Judas dit : « Maître, de même que tu les as écoutés, écoute-moi, moi aussi, car j’ai eu une grande vision. » Entendant cela, Jésus rit et lui dit : « Pourquoi rivaliser, ô treizième démon ? Mais parle toi aussi, je vais te supporter. »
Les premiers éditeurs du texte choisissent toutefois de traduire par « spirit » ou « esprit[18] » et justifient leur traduction par la note suivante :
Judas is thirteenth because he is the disciple excluded from the circle of the twelve, and he is a demon (or daemon) because his true nature is spiritual. Compare tales of Socrates and his daimōn or daimonion, in Plato, Symposium 202e-203a[19].
Pourtant, rien n’appelle ce rapprochement avec le démon de Socrate. Dans un apocryphe chrétien mettant en scène Jésus et ses apôtres, l’interprétation obvie du mot démon est celle que l’on trouve dans le Nouveau Testament et la littérature chrétienne. Or, les textes chrétiens canoniques, apocryphes ou gnostiques, sont unanimes à concevoir les démons comme des forces mauvaises agissant dans les êtres humains et les possédant[20]. Qualifier Judas de démon, c’est dire qu’il est le jouet d’influences démoniaques[21]. À cet égard, notre évangile applique à Judas le même processus de démonisation qui s’amorce dans les évangiles de Luc (22,3) et de Jean (13,27)[22], et qu’on retrouve notamment chez Épiphane[23]. Le fait que Judas soit dit le treizième démon indique qu’il y en a douze autres, qui doivent, selon toute vraisemblance, être identifiés aux douze autres disciples (ce qui anticipe le remplacement de Judas, Ac 1,15-26). Sa position de treizième le place au-dessus des douze, mais indique du même coup que ceux-ci participent aussi de la nature démoniaque ; elle ne l’exclut donc pas du cercle des disciples.
Dans le contexte de la mythologie séthienne, le monde inférieur compte treize éons[24], dont le treizième est l’éon supérieur, celui de l’Archonte, le gouverneur de ce monde. Judas étant le treizième, cela signifie qu’il est en quelque sorte assimilé à cet archonte ou gouverneur, ce que confirme l’annonce de son gouvernement en tant que « treizième » sur les générations qui le maudiront (46,14-47,4). Dans l’Apocalypse d’Adam, le treizième royaume correspond aux chrétiens psychiques[25], précisément ceux sur qui régnera Judas.
III. Judas est égaré par son étoile
Cette interprétation est confirmée par un autre passage dont voici le contexte. Après que Judas eût décrit la vision qu’il avait eue en rêve d’une maison entourée de grands hommes, il demande à Jésus de l’accepter lui aussi dans cette maison, à quoi Jésus répond par la négative. Voici ce passage (45,11-19) :
(Judas) : « Maître reçois-moi aussi avec ces hommes. » Jésus répondit et dit : « Ton étoile t’a égaré Judas ! Nulle descendance d’un humain mortel n’est digne d’entrer dans la maison que tu as vue. En effet, ce lieu-là, c’est aux saints qu’il est réservé…[26] ».
La réponse de Jésus indique explicitement à Judas que cette maison est le lieu réservé aux saints et que nul être engendré d’un humain mortel n’y peut avoir accès. On pourrait certes prétendre que Judas, échappe à la condition des humains mortels grâce à la connaissance qu’il détient, mais il n’en est rien puisque la première partie de la réponse de Jésus : « Ton étoile t’a égaré », indique implicitement que sa demande d’être reçu parmi les saints relève de sa condition inférieure, soumise à l’influence des astres. Si Judas est le jouet de l’influence trompeuse des astres, c’est en effet qu’il n’est pas digne d’entrer dans ce lieu. Il faudrait procéder ici à une analyse détaillée du rôle des étoiles, qui est essentiel dans ce texte[27]. Il suffira de dire pour le moment que les étoiles accomplissent toute chose (40,17 ; 54,17), qu’elles sont associées à l’erreur (πλανή, 45,13 ; 46,1-2 ; 55,16-17) et à l’exercice de la royauté (r ero e- 37,5 ; 55,10), et que chacun des apôtres a sa propre étoile (42,8)[28]. Nous reviendrons sur l’étoile de Judas. Retenons donc que la réponse de Jésus indique clairement que Judas est exclu du lieu réservé aux saints.
IV. Judas ne montera pas au lieu réservé à la génération sainte, mais il régnera néanmoins
Que Judas ne puisse avoir accès au lieu réservé à la génération sainte est confirmé à la page suivante, par un autre passage qui, bien que corrompu, ne laisse subsister aucun doute. Voici ce passage (46,14-47,4)[29] :
Lorsqu’il entendit cela, Judas lui dit : « Quel profit ai-je reçu puisque tu m’as mis à part de cette génération-là ? » Jésus répondit et dit : « Tu deviendras le treizième et tu seras maudit par les autres générations et tu les gouverneras. Aux derniers jours, elles te <…> et tu ne vas pas [ . . . ] en haut vers la gé[nération s]ainte » (trad. Painchaud).
La question de Judas et la réponse de Jésus sont doublement essentielles, sur les plans intratextuel et intertextuel, pour la compréhension de l’Évangile de Judas. Sur le plan intratextuel d’abord, malgré son caractère corrompu, cette péricope apporte une double confirmation à la lecture que nous avons proposée du passage précédent. Premièrement, en effet, la question de Judas, « Quel profit ai-je reçu puisque tu m’as mis à part de cette génération-là[30] ? », indique qu’il a bien compris que la réponse de Jésus à sa précédente question signifiait qu’il n’aurait pas accès au lieu réservé aux saints.
La formulation de cette nouvelle question soulève deux problèmes que nous aborderons rapidement : que signifie la formule et quel est le référent de « cette génération-là » La formule littéralement « quel est le plus » ou « quel est le surplus », dans le contexte, ne peut que signifier « quel est le profit », ou « quel est l’avantage[31] ». Le fait que Judas pose cette question indique qu’il a bien compris la réponse de Jésus à sa précédente question comme une rebuffade, il demande donc quel est son profit ou son avantage puisqu’il ne peut être reçu dans le lieu réservé à la génération sainte.
Quant à la deuxième partie de la phrase, « puisque tu m’as séparé de cette génération-là » ( 46,17-18), on doit se demander à quoi elle se réfère exactement. On pensera d’abord à l’injonction que Jésus a adressée à Judas de se séparer des autres disciples[32], et il faudrait alors croire que « cette génération-là » désigne ceux-ci ; toutefois, l’expression « cette génération-là » ( 37,3.5.8 ; 43,9 ; 57,13) désigne toujours, dans notre écrit, la génération sainte, c’est-à-dire les parfaits[33]. Or, la réponse qui précède immédiatement cette nouvelle question de Judas « sépare » précisément celui-ci de cette génération sainte (45,14-19)[34]. Il est donc normal que Judas demande à Jésus quel est son profit, puisque la réponse de Jésus « l’a séparé de la génération sainte ».
D’autre part, la réponse de Jésus à cette question confirme l’appréhension de Judas : certes, malgré qu’il sera maudit par les générations qui restent (c’est-à-dire les générations à venir), il exercera sur elles le gouvernement (46,21-24), c’est là son « profit », mais il n’aura pas accès en haut à la génération sainte (46,24-47,1). En effet, bien que le texte soit corrompu, il est clair qu’un verbe au futur négatif à la 2e personne du masculin singulier (- 46,25) précède les mots « en haut vers la génération sainte » (46,25-47,1)[35]. Ce passage indique donc que Judas exercera certes le gouvernement sur les générations qui le maudiront, mais qu’il n’accédera pas à la génération sainte et que son gouvernement restera confiné aux générations habitant le monde inférieur.
Que signifie ce « gouvernement » que Judas recevra en récompense de son geste ? C’est vraisemblablement sur le plan intertextuel, dans une allusion au patriarche Judas, que réside la réponse à cette question. En effet, la question posée par Judas rappelle celle que pose Juda le patriarche à ses frères en Gn 37,26-27 : « Quel avantage (lxx Τί χρήσιμον) y aurait-il à tuer notre frère et à couvrir son sang[36] ? » Or, ce même patriarche hérite du gouvernement en Gn 49,8-10[37], lot qui échoit également à Judas dans notre évangile : « tu les gouverneras » ( [< ἄρχειν] 46,23), avec la royauté [38]. L’apôtre Judas pose dans cet évangile la même question que son homonyme le patriarche et comme lui, accède au gouvernement et à la royauté. Tout se passe comme si l’auteur de l’Évangile de Judas voulait télescoper ainsi les deux figures. Judas devient en quelque sorte le prince des apôtres tout comme son homonyme, le patriarche, hérita de la royauté.
En attribuant le gouvernement (ἄρχειν) et la royauté à Juda, le texte associe en outre celui-ci à l’activité des archontes (ἄρχοντες) (46,7 ; 51,24 ; 53,5.15 ; 57,8) et le dissocie de la génération sainte, qui est sans roi (53,24)[39], ce qui est parfaitement cohérent avec sa position de treizième. De plus, si le texte comporte une allusion à la question du patriarche Juda en Gn 37,26, cette allusion, en associant les deux figures, aurait pour fonction d’assimiler le gouvernement qu’exercera Judas sur les apôtres et les générations à venir à une continuation de la religion juive. Autrement dit, l’Évangile de Judas révèle à son lecteur qu’en réalité, celui qui gouverne le christianisme que nous qualifierons de proto-orthodoxe, c’est celui que ces chrétiens maudissent, Judas qui, en tant que treizième, règne sur les apôtres, leurs successeurs et la conception sacrificielle du christianisme qu’ils incarnent. C’est bien là le sens de la promesse de Jésus : Judas gouvernera précisément ceux qui le maudissent.
V. Qui entre dans un nuage lumineux entouré d’étoiles ?
À la fin du dernier dialogue entre Jésus et Judas, juste avant l’épilogue narratif, on peut lire ceci (57,16-26)[40] :
(Jésus) : « Lève les yeux et vois le nuage et la lumière qui est en lui et les étoiles qui l’entourent. Et l’étoile qui est dans son ascendant, c’est ton étoile. » Judas leva les yeux, vit le nuage et la lumière. Il y entra. Ceux qui se tenaient en bas entendirent une voix venant du nuage qui disait : [huit lignes manquent].
Le nuage lumineux rappelle deux nuages qui ont été mentionnés dans la révélation protogonique. En effet, on y apprend l’existence dans le grand éon illimité d’un nuage de lumière ( 47,15-16) d’où sortira l’Autoengendré (47,5-20). Adamas se trouve dans ce premier nuage dit « de la lumière » ( 48,22-23)[41]. Il existe également « un autre nuage » dont sont issus quatre anges pour assister l’Autoengendré (47,21-24). Du premier nuage, il est également dit que nul ange ne le vit parmi tous ceux qui sont appelés dieux (48,23-26). Il est impossible de déterminer s’il s’agit ici de l’un de ces deux nuages, ou d’un autre nuage de lumière, véhicule d’ascension céleste, comme en Zostrien 2,23.31.
La question cruciale est de savoir qui entre dans le nuage. En effet, le texte copte juxtapose une suite de trois verbes au parfait 57,21-23), le premier ayant pour sujet Judas, les deux suivants étant à la forme pré-pronominale de la troisième personne du singulier. Normalement, on s’attendrait à ce que les deux verbes à la forme pré-pronominale (…il vit… il entra…) aient le même sujet que le premier (Judas leva les yeux…). Ce serait alors Judas qui entrerait dans le nuage lumineux ; toutefois, il est plus vraisemblable que ce soit Jésus[42]. En effet, on observe parfois un changement de sujet dans ce type de séquence syntaxique, par exemple, pour nous en tenir au codex Tchacos, un passage de la (Première) Apocalypse de Jacques présente un phénomène comparable à celui qu’on observe ici, une suite de trois verbes au parfait au cours de laquelle intervient un changement de référent non explicité : « Soudainement, Jésus lui apparut, et il cessa de prier et il commença à l’embrasser en disant… » (17,20-22)[43]. Nous avons ici un premier verbe dont le sujet nominal est Jésus et dont le pronom objet « lui » réfère à Jacques, suivi de la conjonction « et » puis de deux autres verbes ( et ), dont le sujet est un pronom personnel de la troisième personne du singulier. C’est uniquement en raison du sens des verbes et du contexte, et non de la séquence des verbes et des pronoms, que le lecteur peut décider que ce n’est pas Jésus qui est apparu, a cessé de prier et a commencé à embrasser Jacques, mais bien que c’est ce dernier qui a interrompu sa prière et embrassé Jésus lorsque celui-ci est apparu[44].
Le passage qui nous occupe est ambigu en raison de la lacune qui suit la phrase ; le message de la voix émanant du nuage clarifiait peut-être la situation. Toutefois, dans le contexte plus général de l’Évangile de Judas, tout incite à croire que c’est Jésus qui entre dans le nuage. En effet, dans la description de la vision, Judas est lui-même représenté par son étoile comme étant à l’extérieur du nuage. De plus, la scène veut évidemment faire allusion aux récits de la transfiguration (Mt 17,1-8 parr.), où apparaît également un nuage de lumière dont sort une voix (Mt 7,5) délivrant un message au sujet de Jésus. En outre, l’ascension de Jésus dans ce nuage lumineux, laissant derrière lui l’« homme qui le porte » juste avant la conclusion narrative du texte serait cohérente avec la suite du récit alors que l’ascension de Judas impliquerait ou bien que celui-ci ait un double charnel, ou qu’il redescende pour accomplir son oeuvre. Enfin, l’ascension de Jésus (ou du Sauveur spirituel) avant la passion serait en accord avec la doctrine que l’on trouve dans d’autres traités comparables[45]. En tout état de cause, si c’est Judas qui entre dans le nuage, cet épisode ne pourrait être, à la lumière du reste du traité, un ravissement jusqu’à la génération sainte, mais seulement une ascension jusqu’au treizième éon, dont la voix qui sort du nuage révélait la signification[46].
Mais revenons aux étoiles qui entourent ce nuage : on peut sans doute les identifier aux apôtres (cf. 42,8) puisque l’une d’elle, qui est dans son ascendant, est l’étoile de Judas. L’expression employée ici, « l’étoile qui est dans son ascendant » renvoie au vocabulaire technique de l’astronomie et de l’astrologie. En effet, le verbe προηγεῖσθαι désigne l’ascension apparente d’une planète, son mouvement ascendant[47]. On pourrait voir dans cette étoile ascendante une simple illustration de l’ascension de Judas, mais étant donné l’importance du rôle des étoiles dans l’Évangile de Judas — ce sont elles qui accomplissent toute chose (40,17 ; 54,17), et l’étoile de Judas l’induit en erreur (45,13) —, il faut plutôt voir dans l’ascension de l’étoile de Judas la cause de sa propre destinée, qui est ainsi dévoilée au terme de la dernière révélation de Jésus. Si Judas est mis à part et jusqu’à un certain point exalté, c’est en raison de la fatalité astrale, une fatalité qui n’opère évidemment que dans les limites du monde matériel et sur ceux qui lui appartiennent[48].
Judas détient une connaissance, il sait que Jésus est issu de l’éon de Barbélô (35,15-21), mais cette connaissance ne suffit pas à le libérer de l’influence astrale ni à lui permettre d’échapper au monde inférieur. Cette connaissance et le rôle que jouera Judas l’amèneront certes au sommet du monde inférieur, et à cet égard, il y a quelque analogie entre l’ascension de Judas et l’exaltation de Sabaoth dans l’Écrit sans titre sur l’origine du monde (Ecr sT 103,32-106,17) : l’un et l’autre détiennent une certaine connaissance et sont instruits, Sabaoth par Pistis, Judas par Jésus, et l’un et l’autre exercent la royauté (Ecr sT 106,9-10 : Sabaoth exerce la royauté sur les cieux du chaos), mais ni l’un ni l’autre n’échappe au monde inférieur où ils sont appelés à exercer cette royauté[49].
On ne cherchera pas ici à expliquer ce paradoxe. Il suffira de noter que Judas, dans cet évangile, est le jouet de la fatalité astrale ; son étoile ascendante est la cause de son élévation. Comme son étoile régnera (55,10) sur le treizième éon, lui régnera aussi, mais ce règne est étranger à la génération sainte, qui est dite « sans roi » (53,24) et sur laquelle nulle armée angélique des étoiles ne règne (37,1-6).
Judas est le jouet de la destinée. La connaissance qu’il détient lui fait espérer de s’assimiler à la génération sainte, mais cette aspiration suscite le rire de Jésus. Bien que maudit, il régnera et deviendra, en quelque sorte, le Prince des apôtres comme la descendance du patriarche Juda(s) fut appelée à régner sur Israël. Dans le contexte de la seconde moitié du iie siècle ou du iiie siècle et des polémiques entre chrétiens gnostiques et proto-orthodoxes, cette relation établie entre l’apôtre Judas et le patriarche Juda(s), représentant éponyme du judaïsme, de même que l’association des apôtres à un culte sacrificiel et la désignation du geste posé par Judas livrant Jésus comme un sacrifice, ne peuvent avoir qu’une fonction : assimiler le christianisme se réclamant des apôtres au judaïsme, au culte d’un dieu réclamant des sacrifices, mais qui n’est pas le père de Jésus.
Lue dans cette perspective, la désignation du geste de Judas comme l’offrande d’un sacrifice humain veut dénoncer l’interprétation sacrificielle de la mort de Jésus[50] comme étant la continuation du culte du Temple de Jérusalem et de son dieu[51]. Plus encore, il est bien possible que, sous cette dénonciation du sacrifice dans l’Évangile de Judas, se cache un réquisitoire contre la théologie du martyre vu comme un sacrifice, qui va s’imposer dans le christianisme proto-orthodoxe et dont on sait par les témoignages indirects[52], et maintenant par un témoin direct, le Témoignage véritable, qu’elle ne s’imposa pas sans résistance de la part de certains groupes chrétiens, en particulier gnostiques[53].
⁂
En conclusion et pour résumer, le Judas de l’Évangile de Judas est un individu dont la destinée est déterminée par son étoile, qui exerce sur lui une influence trompeuse. La connaissance qu’il détient et la révélation que lui fait Jésus ne lui permettent pas d’échapper au monde inférieur ni d’atteindre le lieu de la génération sans roi. Il ne peut donc être le modèle du vrai disciple de Jésus. Au contraire, bien que maudit, il exercera sa domination sur les autres apôtres. Tout comme Épiphane[54] fait de Judas le père des juifs et le type même du judaïsme, tout se passe comme si l’auteur de l’Évangile de Judas faisait de ce même Judas le père d’un christianisme proto-orthodoxe qui, à ses yeux, trahissait le nom de Jésus en proposant une interprétation sacrificielle de sa mort, et perpétuait ainsi l’économie sacrificielle du judaïsme.
Ainsi, à la question figurant à la une de l’édition française du National Geographic Magazine de mai 2006, « Jésus a-t-il été trahi ? », les « révélations de l’Évangile de Judas » répondent par l’affirmative. Pour l’auteur de ce nouvel apocryphe, oui, Jésus a été trahi. Il a été trahi par les successeurs des apôtres qui ont proposé une interprétation sacrificielle de sa mort et qui ont utilisé son nom pour perpétuer le culte voué à « leur dieu », soit le dieu des Écritures, non pas le père de Jésus[55], mais Saklas, le dieu créateur et archonte de ce monde dans les textes gnostiques[56]. Et si le Judas de notre évangile, comme le patriarche éponyme du judaïsme, exerce un gouvernement, c’est sur les générations entraînées dans cette erreur.
On est bien loin du disciple par excellence, qui aide Jésus à accomplir sa mission salvifique que le battage médiatique entourant la divulgation de ce nouvel apocryphe nous a présenté. Comment cette lecture du Judas de notre évangile a-t-elle pu s’imposer ? Trois facteurs y ont contribué : d’abord, les attentes que suscite chez le lecteur un dialogue gnostique de révélation où, normalement, l’interlocuteur du Sauveur-révélateur est un modèle du parfait chrétien ; ensuite, les rapports des hérésiologues concernant cet évangile qu’ils n’ont pas lu et dont ils imaginent le contenu sur la base de la conception qu’ils se font de leurs adversaires ; enfin, la réception de la figure de Judas dans la seconde moitié du xxe siècle. Il existe en effet en Occident, un mythe de Judas autour duquel s’est cristallisé l’antisémitisme chrétien. Dans ce mythe, déjà parfaitement construit chez Épiphane de Salamine au ve siècle, Judas est possédé de Satan, fourbe et déicide, il est le père des juifs[57], rejoignant ainsi Juda(s) le patriarche.
Depuis la fin du xixe siècle, mais surtout après l’holocauste, l’imaginaire occidental révise cette image du juif déicide, fourbe, et, par conséquent, celle de Judas. C’est ainsi que dans la fiction comme dans les travaux des théologiens, des historiens et des exégètes, Judas a pris une place de plus en plus importante et acquis une aura variable, mais en général positive. Depuis le roman de Nikos Kazantzakis La dernière tentation du Christ, publié en grec (O Teleutaios Peirasmos) en 1951[58], jusqu’à la monographie de William Klassen[59] en passant par l’opéra rock Jesus Christ Superstar, on assiste en effet depuis une cinquantaine d’années à une véritable réhabilitation de la figure de Judas[60]. La mise au jour d’un « évangile de Judas » ne pouvait pas ne pas concourir à ce processus. On en a lu le texte à la lumière de la nouvelle figure de Judas que l’imaginaire occidental est en train de forger.
L’image de Judas compagnon fidèle auquel Jésus demande de le sacrifier, si elle plaît à l’Occident contemporain, résulte néanmoins d’une distorsion du contenu de ce nouvel apocryphe, qui nous parle non pas des événements historiques qui ont entouré la mort de Jésus, mais de débats cruciaux qui agitèrent le christianisme en formation plusieurs décennies plus tard : rapport aux Écritures juives, interprétation sacrificielle de la mort de Jésus et de l’eucharistie, et, sans doute, exaltation du martyre.
Appendices
Notes
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[*]
Le texte de cet article est une version révisée d’une communication présentée à l’Université d’Ottawa le 30 septembre 2006 dans le cadre du colloque « Christian Apocryphal Texts for the New Millenium ». Il doit beaucoup aux séances de séminaire tenues à l’Université Laval entre les 19 avril et 17 mai 2006 ; je remercie Wolf-Peter Funk, Anne Pasquier, Paul-Hubert Poirier, Michel Roberge et les étudiants qui y ont participé pour leurs commentaires et suggestions. J’ai eu également l’occasion d’exprimer mes vues sur ce texte dans le cadre du séminaire du Nordic Nag Hammadi and Gnosticism Network organisé par Einar Thomassen et animé par Stephen Emmel à Bergen du 19 au 26 août 2006. Je remercie Stephen Emmel, Antti Marjanen, Nils Arne Pedersen, Ismo Dunderberg, Ingvild Saelid Gilhus, Einar Thomassen et les nombreux étudiants qui ont participé à ce séminaire et avec lesquels j’ai eu l’occasion de discuter de ce texte. Je remercie enfin le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada et le Fonds québécois de recherche sur la société et la culture pour leur soutien financier.
-
[1]
R. Kasser, M. Meyer et G. Wurst, The Gospel of Judas, Washington, National Geographic, 2006.
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[2]
Irénée, qui n’a manifestement pas lu le texte dont il parle, écrit ceci : « D’autres encore disent que Caïn était issu de la Suprême Puissance, et qu’Ésaü et Coré, les Sodomites et tous leurs pareils étaient de la même race qu’elle : pour ce motif, bien qu’ils aient été en butte aux attaques du démiurge, ils n’en ont subi aucun dommage, car Sagesse s’emparait de ce qui, en eux, lui appartenait en propre. Tout cela, disent-ils, Judas le traître (Iudam proditorem) l’a exactement connu, et, parce qu’il a été le seul d’entre les disciples à posséder la “connaissance” de la vérité (solum prae caeteris cognoscentem ueritatem), il a accompli le “mystère” de la trahison (proditionis mysterium) : c’est ainsi que par son entremise, ont été détruites toutes les choses terrestres et célestes. Ils exhibent, dans ce sens, un écrit de leur fabrication, qu’ils appellent “Évangile de Judas” » (Contre les hérésies I 31, 1 ; A. Rousseau et L. Doutreleau, Irénée de Lyon, Contre les Hérésies, Livre I, Paris, Cerf [coll. « Sources Chrétiennes », 264], 1979, p. 386-387). Il est important toutefois de remarquer qu’Irénée ne prétend pas rapporter le contenu de l’Évangile de Judas qu’il mentionne, mais plutôt les opinions de ceux à qui il attribue sa « fabrication ». De même, dans le Panarion (38,3,4-5), Épiphane présente l’opinion de certains pour qui Judas aurait été l’instrument du salut, qu’il aurait livré Jésus « selon une connaissance supérieure » (κατὰ τὴν ἐπουράνιον γνῶσιν) et qu’il aurait ainsi accompli « une bonne oeuvre pour notre salut » (ἀγαθὸν ἔργον ποιήσας ἡμῖν εἰς σωτηρίαν) (K. Holl, Epiphanius, [Ancoratus und Panarion], II. Panarion, Haer. 34-64, Leipzig, J.C. Hinrichs [coll. « Die griechischen christlichen Schriftsteller der ersten drei Jahrhunderte », 31], 1922, p. 66). C’est cette appréciation positive de Judas, qu’Irénée et Épiphane attribuent à leurs adversaires, que les éditeurs de l’Évangile de Judas ont versée dans le nouveau texte.
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[3]
Diverses photos de qualité variable circulent également et des fragments du texte sont encore conservés aux États-Unis ; voir R. Kasser, M. Meyer et G. Wurst, The Gospel of Judas, p. 72-75.
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[4]
R. Kasser, M. Meyer et G. Wurst, L’Évangile de Judas, Paris, Flammarion, 2006. La traduction française, qui est généralement identique à la traduction anglaise, en diffère au moins en un passage déterminant, comme nous le verrons ; voir p. 561 et n. 34. Je n’ai pas eu accès à la traduction allemande.
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[5]
Cette traduction, publiée dès le 24 avril 2006, indépendante de celles de R. Kasser, M. Meyer et G. Wurst (http://www.coptica.ch/Judas-tra.pdf), avait été précédée d’une concordance datée du 13 avril qui s’avère, malgré son caractère provisoire, un instrument de travail d’une grande utilité.
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[6]
Par exemple celles de J. Montserrat Torrents, El Evangelio de Judas, Madrid, EDAD, 2006 ; de F. García Bazán, El Evangelio de Judas (Curso didáctico por el profesor Francisco García Bazán del 17 al 19 de abril de 2006 en la escuela de Graduados de la Universidad Argentina J.F. Kennedy de Buenos Aires), Madrid, Editorial Trotta, 2006 ; de J. van der Vliet, Het Evangelie van Judas, Utrecht, Kosmos-Z&K Uitgevers BV, 2006 ; et de J. Van Oort, Het Evangelie van Judas, Kampen, Ten Have, 2006.
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[7]
Et non sur celui qui a été distribué par Gregor Wurst lors du colloque « L’Évangile de Judas. Contexte historique et littéraire d’un nouvel apocryphe », à Paris, le 28 octobre 2006.
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[8]
Au sujet de ce titre, M. Meyer suggère (R. Kasser, M. Meyer et G. Wurst, The Gospel, p. 45, n. 151 et L’Évangile, p. 61, n. 5) que la formulation du titre avec plutôt que pourrait suggérer qu’il s’agit de la bonne nouvelle à propos de Judas et de la place qui lui revient dans la tradition (voir aussi H. Krosney, The Lost Gospel. The Quest for the Gospel of Judas Iscariot, Washington, National Geographic, 2006, p. 280). Outre que cette hypothèse fait bon marché de la perte progressive du sens de « bonne nouvelle » du mot εὐαγγέλιον utilisé comme titre pour désigner des textes, la variation « de/selon » (/) n’est pas significative puisqu’on la rencontre, par exemple, dans les quatre manuscrits de l’Apocryphon de Jean, les deux copies de la recension brève ayant l’Apocryphon de Jean ( [BG 77,6-7 ; NH III 40,10-11]) ; et les deux copies de la recension longue, l’Apocryphon selon Jean ( [NH II 32,8-10] ; [NH IV 49,27-28]).
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[9]
EvJud 33,1-6 : Ce titre pose des problèmes de traduction que nous ne discuterons pas ici.
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[10]
Voir K. Rudolph, « Der gnostische “Dialog” als literarisches Genus », dans P. Nagel, éd., Probleme der koptischen Literatur, Halle, Martin-Luther-Universität Halle-Wittenberg, 1968, p. 85-107 ; et P. Perkins, The Gnostic Dialogue : The Early Church and the Crisis of Gnosticism, New York, Paulist Press, 1980.
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[11]
EvJud 56,11-20 : On pourrait certes arguer que l’emploi du futur a une valeur modale et équivaut à un impératif, mais la séquence des deux futurs et rend la chose peu vraisemblable et il faut plutôt donner à ces futurs une valeur temporelle.
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[12]
R. Kasser, M. Meyer et G. Wurst, The Gospel, p. 43, n. 137 ; L’Évangile, p. 59, n. 1 : « Jésus enjoint Judas de faire ce qu’aucun autre disciple ne fera… ». Il ne s’agit nullement d’une injonction, mais simplement d’une prédiction.
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[13]
EvJud 39,25-40,1 : (Et le troupeau qui est amené en sacrifice que vous avez vu, c’est la multitude que vous égarez).
-
[14]
EvJud 41,1-2 : ce qui rappelle une citation de l’Évangile des Ébionites chez Épiphane (Panarion 30,16,5 Holl) : ἦλθον καταλῦσαι τὰς θυσίας, καὶ ἐὰν μὴ παύσησθε τοῦ θύειν, οὐ παύσεται ἀφ᾿ͅ ὑμῶν ἡ ὀργή.
-
[15]
Saklas est identifié au dieu de la Genèse : « Alors Saklas dit à ses anges : “Faisons l’homme…” » (52,14-16).
-
[16]
« Si Di[eu] voulait un sacrifice humain, il serait (gonflé d’une) vaine gloire… » (TemVer 32,19-22, A. et J.-P. Mahé, Le Témoignage Véritable [NH IX, 3] : Gnose et Martyre, Québec, PUL ; Louvain, Paris, Peeters [coll. « Bibliothèque copte de Nag Hammadi », section « Textes », 23], 1996, p. 82-83).
-
[17]
EvJud 44,15-23 :
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[18]
« Judas said, “Master, as you have listened to all of them, now listen to me. For I have seen a great vision.” When Jesus heard this, he laughed and said to him, “You thirteenth spirit, why do you try so hard ? But speak up, and I shall bear with you” » (R. Kasser, M. Meyer et G. Wurst, The Gospel, p. 31) ; « Toi, le treizième esprit… » (R. Kasser, M. Meyer et G. Wurst, L’Évangile, p. 43).
-
[19]
R. Kasser, M. Meyer et G. Wurst, The Gospel, p. 31, n. 74 ; même note dans l’édition française (R. Kasser, M. Meyer et G. Wurst, L’Évangile, p. 43, n. 3) ; Cherix traduit « treizième démon ».
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[20]
Pour l’Écrit sans titre sur l’origine du monde, par exemple, les démons agissant sur la terre sont les archontes chassés de leurs cieux par la Sagesse (NH II 121, 28-35 ; 123,2-25).
-
[21]
Εἰσῆλθεν δε σατανᾶς εἰς Ἰούδαν τὸν καλούμενον Ἰσκαριώτην (Lc 22,3), que reprend, mais dans un autre contexte, Jn 13,27 : τότε εἰσῆλθεν εἰς ἐκεῖνον ὁ σατανᾶς.
-
[22]
Voir à ce sujet A. Gagné, « Caractérisation des figures de Satan et de Judas dans le IVe évangile : stratégie narrative et déploiement des intrigues de conflit », Science et Esprit, 55 (2003), p. 263-284.
-
[23]
Épiphane fait de l’apôtre Judas, assimilé à Satan, le père des juifs (Panarion, 38, 4,9-5,1).
-
[24]
Dans le Livre sacré du Grand esprit invisible (NH III 63,18 ; 64,4 ; NH IV 75,6.18) et dans Zostrien (4,25-27), les treize éons désignent l’univers de la déficience ; être le treizième, dans le contexte de la mythologie séthienne, place Judas au niveau supérieur du monde archontique, celui occupé par Saklas.
-
[25]
Dans l’Apocalypse d’Adam du codex V de Nag Hammadi (NH V 82,10-19), le treizième royaume se distingue des douze précédents, issus de Cham et Japhet, et semble désigner les chrétiens « psychiques », qui ont une connaissance partielle de la vérité. Toutefois, ce treizième royaume, malgré la connaissance partielle qu’il a de la vérité, appartient bien à la série des autres royaumes qui sont dans l’erreur et se distingue de la génération sans roi, qui lui est supérieure (82,19ss) ; voir le commentaire de F. Morard, L’Apocalypse d’Adam (NH V, 5), Québec, PUL ; Louvain, Paris, Peeters (coll. « Bibliothèque copte de Nag Hammadi », section « Textes », 15), 1985, p. 112-113.
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[26]
EvJud 45,11-19 :
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[27]
Les occurrences du mot « étoile » dans ce texte sont presque aussi nombreuses que dans tous les textes de Nag Hammadi réunis.
-
[28]
Sur l’association des apôtres aux étoiles et aux signes du zodiaque, on se reportera à J. Daniélou, « Les douze apôtres et le zodiaque », Vigiliae Christianae, 13 (1959), p. 14-21.
-
[29]
EvJud 46,14-47,4 : La dernière partie de ce passage, qui est corrompue, a été mal rendue par la version anglaise, qui a restitué When he heard this, Judas said to him, “What good is it that I have received it ? For you have set me apart for that generation.” Jesus answered and said, “You will become the thirteenth, and you will be cursed by the other generations — and you will come to rule over them. In the last days they will curse your ascent to the holy [generation] (R. Kasser, M. Meyer et G. Wurst, The Gospel, p. 32-33). En effet, la séquence n’est pas grammaticale, la correction est inutile et la restitution est impossible. Il faut plutôt postuler une corruption par homoteleuton d’une séquence suivie du futur négatif à la 2e personne du masc. sing. La traduction française de Kasser répare partiellement cette maladresse en proposant le texte suivant : « Jésus répondit : “Tu deviendras le treizième et tu seras maudit par les autres générations — et tu régneras sur elles. Lorsque viendront les derniers jours, elles [ . . . ] et tu … vers le haut vers la génération sainte” » (R. Kasser, M. Meyer et G. Wurst, L’Évangile, p. 46). Toutefois, elle laisse ouverte l’interprétation de la forme qui, à la suite du futur 1 de la ligne précédente, doit être interprétée comme un futur négatif. Pierre Cherix propose pour sa part une traduction, assortie d’une note exposant différentes possibilités de comprendre le texte, qui tient compte de cette forme négative du futur : « Lorsqu’il entendit cela, Judas lui dit : “Quel est le surplus que j’ai reçu, que tu m’aies écarté de cette génération-là ?” Jésus répondit : “Tu deviendras treizième, tu seras maudit par les générations restantes et tu les commanderas. Dans les derniers jours, elles feront des imprécations pour que tu ne retournes pas en haut vers la gé[nération s]ainte.” »
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[30]
EvJud 46,16-18 : que l’on peut traduire littéralement : « Quel est le surplus que j’ai reçu puisque tu m’as mis à part de cette génération-là ? »
-
[31]
C’est la traduction retenue par Kasser (R. Kasser, M. Meyer et G. Wurst, L’Évangile, p. 45) ; par exemple, chez Shenouté, on trouve une formule semblable : qu’Amélineau traduit « que t’arrivera-t-il de plus ? » (É. Amélineau, Oeuvres de Shenoudi, vol. II, Paris, Ernest Leroux, 1914, p. 513, mais qui signifie clairement « quel avantage, ou quel profit tireras-tu ? » [je remercie W.-P. Funk de m’avoir signalé ce passage]). En Rm 3,1 Sa, (G. Horner, The Coptic Version of the New Testament in the Southern Dialect, Osnabrück, Otto Zeller, 1969 [1911-1924], vol. IV, p. 24-25) traduit : Τί οὖν τὸ περισσὸν τοῦ Ἰουδαίου ἢ τίς ἡ ὠφέλεια τῆς περιτομῆς. Il est clair que dans le contexte τὸ περισσόν est synonyme de ἡ ὠφέλεια La formule de notre évangile semble faire écho à Paul.
-
[32]
« Jésus lui dit : “Sépare-toi d’eux (c’est-à-dire des disciples : ) et je te dirai les mystères du Royaume” » (35,23-25).
-
[33]
Une seule exception, en 54,14, où l’expression « ces générations-là », au pluriel demeure ambiguë.
-
[34]
La signification de est bien « séparer de », comme l’a compris Kasser : « car tu m’as séparé de cette génération-là » (R. Kasser, M. Meyer et G. Wurst, L’Évangile, p. 45), et non « séparer pour », comme le veut Meyer : « for you have set me apart for that generation » (R. Kasser, M. Meyer et G. Wurst, The Gospel, p. 32).
-
[35]
Voir la note 29.
-
[36]
Εἶπεν δὲ Ἰούδας πρὸς τοὺς ἀδελφοὺς αὐτοῦ Τί χρήσιμον, ἐὰν ἀποκτείνωμεν τὸν ἀδελφὸν ἡμῶν καὶ κρύψωμεν τὸ αἷμα αὐτοῦ; (Gn 37,26 lxx Rahlfs).
-
[37]
Οὐκ ἐκλείψει ἄρχων ἐξ Ἰούδα καὶ ἡγούμενος ἐκ τῶν μηρῶν αὐτοῦ (Gn 49,10 lxx Rahlfs).
-
[38]
EvJud 55,10-11 : « Ton étoile ré[gnera] sur le treizième éon [ … ». Ni le texte massorétique ni la Septante ne mentionnent explicitement la royauté dans ces versets, mais le thème apparaît dans les targumim ; par exemple dans le Targum Neofiti : « Les rois ne manqueront pas d’entre ceux de la maison de Juda… » (A. Díez Macho, Neophyti 1. Targum Palestinense Ms de la Biblioteca Vaticana. Tomo I Génesis, Madrid, Barcelone, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, 1968, p. 331 ; trad. Le Déaut, p. 489). Détail intéressant, l’élévation à la royauté de Juda, qui n’est que le quatrième fils de Jacob, est liée par la tradition rabbinique précisément au fait qu’il ait posé cette question ; voir à ce sujet A. Abécassis (Judas et Jésus, une liaison dangereuse, Paris, Éditions 1, 2001, p. 59), qui cite ce dialogue entre Rabbi Tarphon et ses élèves : « Que notre maître nous enseigne, lui dirent-ils, par quel mérite Judah accéda-t-il à la royauté ? » Le maître leur répondit : « Dites-le moi, vous. » Ils lui répondirent : « Car il a dit : “Quel profit (Mah betsa’’) aurons-nous à tuer notre frère ?” » (Mekhilta’ bechalah).
-
[39]
En 53,24, la grande génération sans roi est une autre désignation de la génération sainte. L’expression « génération sans roi » se retrouve, en grec chez Hippolyte : ἡ ἀβασίλευτος γενεὰ ἡ ἄνω γενομένη (Refutatio V, 8, 2, M. Simonetti, Testi gnostici in lingua greca e latina, Vicenze, Fondazione Lorenzo Valla/Arnoldo Mondadori, 1993, p. 64, l. 27) ; voir aussi V 8, 30 : τοὺς τελείους ἀβασιλεύτους γενέσθαι (Simonetti, p. 74, l. 33). Dans les sources coptes, on la trouve en Eugnoste (NH III 75,17-18 // NH V 5,3-4) et en Sagesse de Jésus Christ (NH III 99,17-19 // BG 92,4-7), dans l’Hypostase des archontes (NH II 97,4-5), l’Écrit sans titre sur l’origine du monde (NH 125,5-6) et l’Apocalypse d’Adam (NH V 82,19-20), et dans l’Anonyme de Bruce (32,22) (C. Schmidt et V. MacDermot, The Books of Jeu and the Untitled Text in the Bruce Codex, Leiden, Brill [coll. « Nag Hammadi Studies », 13], 1993, p. 260). Alors que, dans ces sources, l’expression est utilisée positivement, et semble désigner les spirituels ou les parfaits, selon le Traité tripartite, une somme de théologie valentinienne, nul, parmi les archontes, n’est sans roi TracTri 100,9 (E. Thomassen et L. Painchaud, Le Traité tripartite [NH I, 5], Québec, PUL [coll. « Bibliothèque copte de Nag Hammadi », section « Textes », 19], 1993, p. 168). En dehors de la littérature gnostique, on retrouve l’expression en grec chez Zosime de Panopolis (ἀβασίλευτος γὰρ αὐτῶν ἡ γενεά) (M. Berthelot et C.-E. Ruelle, Collection des anciens alchimistes grecs, Paris, 1888 [repr. Osnabrück 1967], vol. II, p. 213, l. 13) et chez Shenouté à propos de certains hérétiques (I. Leipoldt, Sinuthii Archimandritae vita et opera omnia III, Louvain [coll. « Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium », 42, « Scriptores Coptici », 2], 1955, p. 88, l. 20). Voir au sujet de cette expression F.T. Fallon, « The Gnostics : The Undominated Race », Novum Testamentum, 21 (1979), p. 271-288 ; R. Bergmeier, « “Königlosigkeit” als nachvalentinianisch Heilsprädikat », Novum Testamentum, 24 (1982), p. 316-339 ; L. Painchaud et T. Janz, « The “Kingless Generation” and the Polemical Rewriting of Certain Nag Hammadi Texts », dans A. McGuire et J.D. Turner, éd., The Nag Hammadi Library after 50 Years : Papers from the 1995 Society of Biblical Literature Commemoration of the 50th Anniversary of the Discovery of the Nag Hammadi Library, Nov. 17-22, 1995, Leiden, Brill (coll. « Nag Hammadi and Manichaean Studies », 44), 1997, p. 439-460.
-
[40]
EvJud 57,16-26 :
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[41]
En Zostrien (4,20ss), le visionnaire monte au ciel dans un « grand nuage lumineux » ; on observe la même alternance entre
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[42]
Les traductions de Kasser et de Meyer choisissent la première interprétation ; la seconde a été suggérée, notamment, par Sasagu Arai et Gesine Schenke Robinson.
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[43]
(texte de l’édition critique de G. Wurst et R. Kasser distribué à Paris par G. Wurst, le 28 octobre 2006).
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[44]
La version du codex V de Nag Hammadi est beaucoup plus claire : « Le Seigneur lui apparut, et lui, il cessa de prier… » ( NH V 31, 2-5, A. Veilleux, La Première apocalypse de Jacques [NH V, 3], Québec, PUL [coll. « Bibliothèque copte de Nag Hammadi », section « Textes », 17], 1986, p. 36). Lorsque l’on compare les deux versions coptes, il est évident que, dans le cas du codex V, le traducteur a pris bien soin de marquer le changement de sujet en utilisant l’augens « lui », suivi de la particule
-
[45]
Par exemple, dans le Deuxième Traité du Grand Seth, le Fils de la Grandeur est ravi dans les hauteurs (NH VII 57,7-58,17) juste avant la crucifixion (NH VII 58,17-59,3), voir L. Painchaud, Le Deuxième Traité du Grand Seth (NH VII, 2), Québec, PUL (coll. « Bibliothèque copte de Nag Hammadi », section « Textes », 6), 1982, p. 42-45. De même, dans la Paraphrase de Sem (38,28b-40,31a), la description de la remontée de Derdekeas précède celle de la crucifixion de Soldas ; voir M. Roberge, La Paraphrase de Sem (NH VII, 1), Québec, PUL ; Louvain, Paris, Peeters (coll. « Bibliothèque copte de Nag Hammadi », section « Textes », 25), 2000, p. 192-197 et p. 87-90 ; et « La crucifixion du Sauveur dans la Paraphrase de Sem (NH VII, 1) », dans M. Rassart-Debergh, J. Ries, éd., Actes du IVe congrès copte, Louvain-la-Neuve, 5-10 septembre 1988, t. II, De la linguistique au gnosticisme, Louvain-la-Neuve, 1992, p. 381-387.
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[46]
Il n’en subsiste que le mot « grand » suivi peut-être du début des mots ou en 58,1 et 2.
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[47]
A. Le Boeuffle, Astronomie, Astrologie. Lexique latin, Paris, Picard, 1987, p. 48 ; je remercie le professeur Michel Roberge de m’avoir signalé cette référence.
-
[48]
La génération sainte échappe à leur domination et à celle des anges (37,4-6).
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[49]
Les deux figures de Judas et de Sabaoth ont des fonctions bien différentes dans l’un et l’autre texte.
-
[50]
On la trouve déjà en germe dans la typologie paulinienne (1 Co 5,7 : καὶ γὰρ τὸ πάσχα ἡμῶν ἐτύθη Χριστός) et dans les métaphores sacrificielles qu’il emploie à propos de la vie dans le Christ (par exemple en Phil 2,17 ; 4,18), mais c’est dans l’Épître aux Hébreux (8-9) que l’assimilation de la mort du Christ à un sacrifice atteint son plein développement. Dans la littérature chrétienne subséquente, voir Barnabé 8,2, mais surtout Irénée, Contre les hérésies IV 18. Ni pour les chrétiens gnostiques en général, ni pour les valentiniens en particulier la mort du Christ sur la croix ne saurait être un sacrifice ; voir A. Orbe, Los primeros herejes ante la persecución, vol. 2, Rome, Presses de l’Université Grégorienne, 1956, p. 279-290 ; voir aussi A. et J.-P. Mahé, Le Témoignage Véritable (NH IX, 3) : Gnose et Martyre, p. 57.
-
[51]
Ainsi, l’auteur de l’Évangile de Judas donnerait d’une certaine façon raison à Caïphe, pour qui, en Jn 11,47-53, la mort de Jésus permettrait de sauver le Temple. Notons que le Deuxième Traité du Grand Seth, un autre texte polémique comportant de nombreuses similitudes avec l’Évangile de Judas, fait allusion au même passage johannique (NH VII 53,20-27) ; voir mon commentaire dans Le Deuxième Traité du Grand Seth (NH VII, 2), p. 94-96.
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[52]
Voir le fameux passage où Clément d’Alexandrie renvoie dos à dos comme hérétiques à la fois les chrétiens qui refusent le martyre et ceux qui s’y précipitent (Stromates IV 4,16-17), A. van den Hoek et C. Mondésert, Clément d’Alexandrie. Les Stromates. Stromate IV, Paris, Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 463), 2001, p. 82-87 et, en particulier, p. 85, n. 4.
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[53]
Sur la conception du martyre dans les textes gnostiques, voir C. Scholten, Martyrium und Sophiamythos im Gnostizismus nach den Texten von Nag Hammadi, Münster, Aschendorff, 1987.
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[54]
Voir la note 23.
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[55]
EvJud 34,6-12 : « Il répondit et leur dit : “Je ne ris pas de vous, et ce n’est pas de votre plein gré que vous faites cela, mais de ce fait, c’est votre dieu qui recevra louange.” Ils dirent : “Maître, toi . . [ . . ] . es le fils de notre dieu ?” ».
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[56]
Voir l’Apocryphon de Jean, NH II 11,15-18 : « L’Archonte a trois noms, le premier est Ialdabaoth, le deuxième est Saklas, le troisième est Ialdabaoth » ; la Prôtennoia trimorphe, NH XIII 39,27 : « Sakla, c’est-à-dire Samaël-Ialdabaoth » et l’Hypostase des archontes, NH II 95,7 « “Tu te trompes, Saklas !” — le nom correspondant à celui-ci est Ialdabaoth — ».
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[57]
Voir la note 23.
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[58]
N. Kazantzakis, La dernière tentation du Christ, Paris, Plon, 1988.
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[59]
W. Klassen, Judas, Betrayer or Friend of Jesus ?, Minneapolis, Fortress Press, 1996. L’ouvrage de Klassen n’est évidemment pas à mettre au même rang que ces oeuvres de fiction, puisqu’il s’agit d’une publication savante rigoureusement documentée.
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[60]
Voir K. Paffenroth, Judas. Images of the Lost Disciple, Louisville, Kentucky, Westminster John Knox Press, 2001. Ainsi, d’« archétype de ce peuple maudit qui persécuta Jésus », Judas devient « disciple sacrifié, homme de devoir, héros de l’obéissance » (R. Bijaoui, Le procès de Judas, Paris, Imago, 1999, p. i et 138). Cette transformation atteste que le mythe de Judas est bien vivant et opérant dans la conscience occidentale moderne ; voir aussi G.-D. Farcy, Le sycophante et le rédimé ou Le mythe de Judas, Caen, Presses Universitaires de Caen, 1999 ; et C. Soullard, éd., Judas. Figures mythiques, Paris, Autrement, 1999 ; parmi les exégètes catholiques, X. Léon-Dufour, « Judas, homme de foi ? », Études (1997), p. 654-655. Pour un bon survol et une bibliographie des différentes appréciations de la figure et du rôle de Judas proposées récemment dans les études néotestamentaires, on peut se référer à R.E. Brown, La mort du Messie. Encyclopédie de la Passion du Christ, Paris, Bayard, 2005, p. 1 534-1 561 (je remercie Serge Cazelais de m’avoir signalé cette référence).