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Ce livre n’est pas une apologie du prêtre Alfred Loisy ni ne prétend proposer une explication de l’évolution de la pensée de Loisy lui-même. L’A. s’en tient à un principe de méthode qui ne prend en compte que les actes et surtout, dans le cas qui préoccupe l’A., les textes conservés de Loisy.
Le livre, divisé en huit chapitres, nous plonge au coeur de la vie de l’auteur du livre rouge L’Évangile et l’Église, publié en 1902. Loisy a toujours affirmé qu’avant tout contact direct avec la critique protestante et rationaliste, sa conviction était que « la conception traditionnelle de la vérité biblique n’était pas défendable dans sa forme actuelle ». Il s’est alors assigné une mission : fonder la science de la Bible dans l’Église catholique. Qualifié de « rationaliste en soutane », Loisy a ainsi défini au départ l’orientation de son enseignement et de ses recherches : appliquer « la méthode historique ordinaire » à l’étude des textes bibliques.
L’A., au chapitre deux, parle longuement des tribulations de Loisy avec les autorités ecclésiales de son époque. Les premières publications du prêtre controversé portent sur deux points sensibles de la doctrine catholique : Moïse est-il, comme l’affirme la tradition, l’auteur du Pentateuque ? La Révélation touche-t-elle uniquement la question de la foi et celle des moeurs ? Tout le reste, selon Loisy, ce qui est affaire de sciences naturelles et d’histoire simplement humaine, n’est pas matière d’inspiration divine et peut être erroné. Comment alors concilier le relativisme qu’imposent la démarche historique et l’absolu de la foi chrétienne ? Soutenu par de nombreux amis, dont l’évêque Mignot, qui restera isolé dans l’épiscopat français, l’abbé Bremond et le baron von Hügel, l’abbé Loisy et ses thèses, qu’on pourrait qualifier de « progressistes » pour l’époque, furent condamnés en 1907, par l’encyclique « Pascendi ».
Toute sa vie durant, Alfred Loisy dut subir les foudres des autorités romaines. Durant les « années noires », le Saint-Office condamna la plupart de ses oeuvres, dont les « deux petits livres rouges », qui furent mis au catalogue de l’Index. L’A., s’attarde à bien nous faire comprendre les démêlées de l’abbé Loisy avec la papauté de l’époque, particulièrement le pape Pie X. Le 19 janvier 1908, une sommation lui interdit de publier à l’avenir aucun écrit ou article semblable à ceux qui ont déjà été l’objet de réprobation du Saint-Siège. Faute de soumission dans un délai de dix jours, il serait frappé d’excommunication nominative. La sentence tomba le 7 mars de la même année.
Le chapitre six et les derniers chapitres de cet ouvrage magnifiquement bien fait, sont consacrés à « la religion de l’avenir », selon Loisy. Élu comme excommunié au Collège de France, il provoqua toute une réaction dans la presse catholique. Certains l’accusèrent d’avoir perdu la foi dans le Transcendant. Dieu semblant devenir pour lui comme la somme des consciences individuelles. Ce à quoi Loisy répondait : « Bien sûr, je crois dans le Transcendant, […] comme quelque chose qui est Autre en soi de l’humanité. Mais je m’abstiens de définir la nature de cet Autre, et j’ai entrepris de construire ma religion morale sans une doctrine explicite de cette Transcendance qui nous échappe, bien que nous ne lui échappions pas ». Loisy était convaincu que le christianisme, dans sa formule actuelle, était condamné à disparaître. La nouvelle religion de l’avenir serait faite d’un rapprochement entre les peuples, du rêve d’une humanité réconciliée.
En ce sens, dès 1914, note l’A., Loisy tente de trouver la formule de cette nouvelle religion. Il parle de découvrir le « Dieu qui se fait », et qui se fait dans et par l’histoire humaine. Cette religion de l’humanité, que développera Loisy dans les années suivantes et que l’on considérera souvent comme une simple resucée de la philosophie d’Auguste Comte, portera bien de ses opposants à confirmer les soupçons d’immanentisme qui se trouvent dans sa doctrine finale.
Le chapitre sept de l’ouvrage parle des amis de Loisy. Pages fort intéressantes qui permettent au lecteur de replacer toute sa vie dans la perspective d’amitiés qui ne se sont jamais démenties.
Enfin, l’A. nous parle, en des pages émouvantes, de l’âge de la retraite de Loisy, de son remplaçant au Collège de France. Il quitte définitivement Paris pour s’établir dans une petite maison qu’il avait achetée en 1907. Seul, il reçoit parfois de jeunes étudiants qui viennent le consulter et s’enrichir de ses recherches et de ses convictions. Le bilan des croyances abandonnées en cours de route serait facile à dresser. Loisy en viendra à balancer non seulement la notion d’orthodoxie même, mais le contenu de celle-ci. Il ne pouvait, dès le début de sa recherche, se dire chrétien, si l’on entend par là celui qui croit en la divinité du Christ telle que l’a définie l’enseignement dogmatique traditionnel. Mais il se voulait catholique.
Trois griefs majeurs à sa nouvelle religion : elle serait athée, ou (indifféremment) panthéiste, elle confondrait religion et morale, et elle se réduirait à un moralisme humanitaire.
Cinquante ans après sa mort, l’Église, au moment du concile Vatican II, devait se rallier à la plupart des intuitions exégétiques de Loisy. On a pu dire que Loisy avait servi de paratonnerre à des hommes, comme le Père Lagrange, qui professaient, en privé, plusieurs des idées de Loisy, mais purent rester dans l’institution.
Alfred Loisy et ses amis est un livre bien documenté, facile à lire. L’A, en utilisant écrits, articles, essais, cours, correspondances, présente la figure tourmentée de ce prêtre, riche en amitiés et qui a eu un rayonnement considérable, même au-delà de la mort. L’A., fidèle à son engagement, ne porte pas de jugement moral sur son oeuvre, mais nous présente objectivement les grandes visées exégétiques défendues par l’abbé Loisy. À lire.