Abstracts
Résumé
L’article se propose de présenter l’éthique philosophique de Jean Ladrière comme une recherche de croisement entre ces deux dimensions constitutives de l’expérience éthique que sont les points de vue universel et existentiel. On couvrira pour ce faire toute l’étendue de la démarche éthique, telle que Ladrière la déploie depuis l’expérience pré-réflexive jusqu’à la détermination effective de l’action en regard d’une situation particulière. Dans cette perspective, l’éthique philosophique apparaît arc-boutée à la fois à l’universalité de la normativité immanente à l’action et à la singularité existentielle d’une destinée unique.
Abstract
This paper shows how Jean Ladrière’s ethics can be understood as an attempt to make the two basic dimensions of ethics, namely the universal and the particular, intersect. We will thus address the whole ethical spectrum, from pre-reflexive experience up to the effective course of action in relation to a particular situation. From this perspective, ethics thus appears altogether rooted in the universality pertaining to the immanent normativity of action as well as the existential singularity of each individual destiny.
Article body
L’expérience éthique semble bien mettre en oeuvre une tension fondatrice irréductible : d’un côté, l’expérience de la loi, de l’obligation et du devoir, d’une normativité qui s’impose selon la toute-puissance d’une souveraine autorité, dans l’impérieuse altérité d’une exigence inconditionnée ; de l’autre, l’infinie diversité des contextes dans lesquels l’action doit s’inscrire, revendiquant à son tour une exigence d’un autre ordre, non plus formelle mais existentielle, quoique aussi pressante et incompressible. L’expérience éthique s’insère entre la rugosité, l’âpreté du formalisme éthique dans son exigence à caractère universel et l’insurmontable finitude de l’action humaine dans toute l’épaisseur de sa contingence. Il se trouve que Jean Ladrière situe cette dualité de perspective au coeur de sa réflexion sur l’éthique. Il y reconnaît la marque d’une difficulté essentielle et surtout l’indication de la tâche propre à la réflexion philosophique sur l’éthique :
On pourrait résumer cette difficulté en disant qu’une recherche visant à déterminer un contenu éthique doit réussir à conjoindre une exigence d’universalité (qui s’exprimera dans la généralité d’une règle, fondée elle-même sur l’universalité présumée de l’essence de la raison) et une exigence existentielle (liée au caractère singulier des actes). On peut évidemment opposer purement et simplement ces exigences comme extérieures l’une à l’autre, mais alors on ne réussit pas vraiment à fournir à l’action des principes d’orientation susceptibles d’en assurer la valeur éthique. Il faut essayer de comprendre, au contraire, comment les deux exigences peuvent se rejoindre[1].
On s’efforcera ici de présenter les grandes lignes de cette recherche de croisement entre l’universel et l’existentiel qui caractérise l’éthique philosophique de Ladrière, c’est-à-dire la manière dont s’effectue cette « réverbération du point de vue existentiel sur le point de vue de l’universalité[2] ». On couvrira pour ce faire toute l’étendue de la démarche éthique, telle que Ladrière la déploie depuis l’expérience pré-réflexive jusqu’à la détermination effective de l’action en regard d’une situation particulière. Il s’agira de montrer comment l’éthique philosophique parcourt toute la gamme allant du registre le plus universel au plus particulier, et plus précisément, la manière dont elle se déploie depuis le dégagement de l’éthique comme dimension de l’existence jusqu’au jugement prudentiel, en passant par la détermination des normes concrètes devant guider l’action, point nodal de cette vaste partition. Dans cette perspective, l’éthique philosophique apparaît arc-boutée à la fois à l’universalité de la normativité immanente à l’action et à la singularité existentielle d’une destinée unique. Elle se manifeste comme l’inscription dans la singularité de l’effectivité historique d’une exigence irréductible à celle-ci mais qui pourtant ne peut se faire valoir qu’à travers la médiation qu’elle lui procure, précisément parce qu’elle s’articule à une seconde exigence, existentielle celle-là, et qui vise l’accomplissement d’une destinée singulière.
I. La tâche de l’éthique : reconnaissance et construction
Pour Ladrière, l’éthique philosophique est une démarche réflexive qui vise à élucider les orientations de l’action[3]. Elle poursuit un double objectif, selon qu’elle s’oriente à partir d’une visée davantage reconstructrice ou davantage constructrice. Ladrière distingue en effet deux tâches distinctes mais complémentaires, correspondant aux deux formes sous lesquelles s’est présentée historiquement l’éthique philosophique : « La première de ces tâches est la détermination de ce qui constitue l’éthique comme dimension de l’existence. La seconde est la mise au jour des principes qui spécifient ce qu’on pourrait appeler l’éthicité de l’action et à partir desquels peuvent être élaborées réflexivement les normes d’une éthique concrète[4]. » Le projet de l’éthique philosophique se divise ainsi en son unité même et ce dédoublement définit du même coup le cahier des charges qu’il s’assigne.
1. Le dégagement de la dimension éthique
La première tâche de l’éthique se propose de mettre au jour ce qui est constitutif de la dimension de l’action — et corrélativement de l’existence — en tant que déterminée par le rapport que celle-ci entretient à la normativité qui l’habite et à la dichotomie fondamentale qui départage le bien et le mal. Il s’agit ainsi d’expliciter les caractéristiques de la dimension éthique en tant que telle. À cette fin, la réflexion se présente comme une démarche qui consiste en une reprise compréhensive de la dimension éthique, c’est-à-dire en un travail de reconstruction par voie de ce que Ladrière qualifie de « désimplication explicitante[5] ».
Cette visée reconstructrice laisse immédiatement entrevoir un aspect fondamental de la compréhension ladrièrienne de l’éthique philosophique. Celle-ci est toujours seconde par rapport à l’action, par rapport à l’éthique historique et aux traditions qui la constituent, et donc par rapport à la normativité intrinsèque de l’action. Elle ne fait que reconnaître cette dernière de manière réflexive. L’apport de la démarche réflexive n’est pas d’instaurer la normativité interne de l’action, toujours déjà là, mais de la reconnaître. Sa tâche consiste à élucider ce qui est impliqué dans cette normativité, donc de saisir celle-ci du point de vue de la rationalité, et plus précisément selon le souci de la justification rationnelle. La tâche d’élucidation de la normativité éthique est une tâche critique et non pas instauratrice[6]. Pour Ladrière, « l’éthique est d’abord une pratique. La réflexion philosophique sur l’éthique est nécessairement seconde par rapport à cette pratique[7] ». Le point de départ demeure toujours l’expérience éthique concrète, entendue aussi bien par rapport à la situation particulière dans laquelle l’action est appelée à s’inscrire qu’à la voix de la conscience[8]. La normativité fondamentale qui fonde l’éthique est de l’ordre du vécu[9]. Si, du point de vue logique, les normes ont priorité sur le jugement éthique, ce rapport s’inverse lorsqu’il est envisagé du point de vue expérientiel : il y a également priorité de l’expérience sur la réflexion. La réflexion éthique est l’effort pour dégager ce qui est impliqué dans l’expérience éthique, c’est-à-dire pour rendre manifeste l’intuition éthique[10].
2. La détermination des normes
La secondarité de la réflexion éthique par rapport à la pratique ne l’empêche pas d’exercer aussi une compétence instauratrice essentielle. Aux yeux de Ladrière, l’éthique est avant tout constructive, la démarche critique n’en constituant qu’une étape préalable : la visée instauratrice suppose que la dimension éthique ait été d’abord dégagée. L’objectif de cette seconde tâche de l’éthique philosophique est « de conférer un statut rationnel aux normes concrètes qui constituent le contenu de l’éthique[11] ». Or ce second objectif se dédouble : « Il s’agira, pour la réflexion, de déterminer les principes de l’ordre éthique et ensuite de montrer comment on peut rattacher à ces principes des normes relatives à des champs d’action déterminés[12]. » Il se trouve en effet que l’élaboration des normes appelées à guider l’exercice concret de l’action s’appuie elle-même sur des principes qu’il convient de préciser au préalable : « La tâche de l’éthique philosophique se précise à la lumière de cette distinction entre principes et normes[13]. »
3. La mise au jour des principes
La mise au jour des principes de l’éthique joue un rôle clé dans l’économie de la réflexion philosophique sur l’éthique telle que l’entend Ladrière. Ce rôle stratégique vient du fait que les principes occupent le lieu de jonction entre ces deux pôles de l’éthique que sont la dimension éthique de l’existence et les normes concrètes appelées à guider l’action historique. La position médiatrice qu’occupent les principes permet à Ladrière de définir la tâche de l’éthique par rapport à ceux-ci, comme étant prioritairement ordonnée à leur détermination même. Ceux-ci sont le pivot autour duquel s’articule l’ensemble de la démarche de l’éthique philosophique :
La tâche que s’assigne la réflexion sur l’éthique, c’est en définitive de mettre au jour les principes selon lesquels peuvent être élaborées les maximes de l’action et à partir desquels elles peuvent être justifiées. Ce qui revient à donner une forme précise à la normativité éthique immanente à l’action. Mais l’accomplissement de cette tâche présuppose la mise en évidence de ce qui est le fondement de cette normativité, c’est-à-dire de ce qui est constitutif de l’éthique comme telle[14].
La tâche de l’éthique est constructrice avant tout. Mais cette construction repose sur la base de la dimension éthique, dont les principes expriment réflexivement la normativité :
Il n’est pas possible de donner un sens précis à l’éthique comme dimension sans en déterminer à tout le moins le contenu essentiel, et cette détermination est donnée sous la forme de principes. Réciproquement, une réflexion sur la nature des principes qui sont constitutifs de l’ordre éthique doit forcément conduire à une détermination de l’éthique comme dimension[15].
Les principes en effet renvoient à la dimension éthique, qu’ils illustrent. Mais ce pouvoir d’illustration leur vient du fait qu’ils y sont enracinés. D’autre part, ils sont la base à partir de laquelle les normes peuvent être énoncées précisément en tant que normes. La détermination des normes de l’action suppose le dégagement préalable des méta-normes garantissant aux normes concrètes leur cohérence avec la dimension éthique fondamentale. Les principes « contiennent la force normative qui opère dans les normes, ou la normativité des normes[16] ». La détermination des principes résume la tâche de l’éthique puisqu’ils explicitent la normativité immanente constitutive de la dimension éthique, normativité qu’ils doivent transmettent ensuite aux normes concrètes. C’est pourquoi Ladrière peut présenter la tâche de l’éthique comme se déployant à partir de la distinction entre les principes et les normes de l’action, entre le fondement des normes et les normes concrètes. Les principes sont à la fois principes constitutifs de l’éthique et principes de détermination des normes :
Le lien entre ces deux formes du principe, c’est l’éthicité de l’éthique : la détermination de l’éthique comme dimension est en même temps détermination du rapport de ce qui est constitutif de l’éthicité, et le rapport fondateur du principe aux normes, qui rattache les normes au principe, a précisément pour vertu d’assurer le caractère normatif des normes, autrement dit d’assurer la communication aux normes de leur normativité, qui leur est donnée par le principe[17].
Autrement dit, les principes doivent non seulement faire valoir l’exigence d’universalité de la dimension éthique mais encore guider l’action effective[18].
4. Reconstruction et construction : éthique et morale
Ladrière précise ce double volet de la réflexion éthique en s’inspirant de Ricoeur : d’un côté, « l’éthique », de l’ordre de « l’appel inspirateur », « essentiellement constituée par une visée qui a un caractère global mais par le fait même aussi relativement indéterminé » ; de l’autre, la « morale », désignant « la norme reconnue comme imposant un devoir », et « essentiellement constituée par des normes, relativement précises, qui sont relatives à des types de situation bien circonscrits, et qui dès lors ont un caractère déterminé ». En ce sens, et toujours selon Ricoeur, l’éthique doit être entendue comme « visée d’une vie accomplie » et la morale comme « articulation de cette visée par des normes caractérisées à la fois par la prétention à l’universalité et par un effet de contrainte[19] ». La tâche de l’éthique réside dans l’articulation de la visée du bien et dans l’élaboration d’une morale comprise comme traduction de cette visée en normes.
Bref, le cadre dans lequel l’éthique philosophique se déploie est celui d’une théorie réflexive de l’action[20]. Celle-ci part de l’action vécue et cherche à ressaisir conceptuellement la dynamique interne de l’expérience éthique, selon une double visée de clarification et de jugement. Dans un premier temps, la démarche comporte un aspect rétrospectif et prend l’allure d’une reconstruction de l’expérience. Cette reconstruction se détaille dans les deux opérations suivantes : la délimitation du champ éthique, par l’ouverture d’une perspective transcendantale susceptible de mettre au jour, à partir d’une analyse de l’expérience, les conditions de possibilité de l’action, et la remontée vers les principes, selon une perspective « fondationnelle ». Dans un deuxième temps, il s’agit d’établir une perspective de jugement. C’est l’aspect prospectif de la démarche qui replace l’action dans l’horizon globalisant de sa visée constitutive.
II. L’éthique comme visée fondamentale
On cherchera d’abord à préciser comment Ladrière conçoit le premier pôle de l’éthique, la visée de la « vie bonne », par une caractérisation de ses traits essentiels.
1. Le concept de dimension[21]
La visée du bien se rapporte à la dimension éthique de l’existence. Celle-ci a le statut d’une factualité transcendantale caractéristique de l’existence. Le concept de dimension permet de situer le lieu et la fonction qu’occupe l’éthique au sein de l’expérience humaine. Emprunté à la géométrie, ce concept, par voie de transposition analogique, signifie que l’éthique constitue une « composante essentielle du mode d’être de l’homme[22] », une projection de l’existence, un axe constitutif de déploiement de l’existence.
La dimension éthique s’ancre dans la structure caractéristique de la temporalité de l’existant humain. Celui-ci est sans cesse toujours à la fois présent et non présent à lui-même ; il ne se vit que distendu entre le passé et le futur. L’existence est ce mode d’être qui consiste à être constamment projeté hors de soi, vers un état toujours à venir. En d’autres termes, elle est sans cesse en attente de son être, maintenue dans un incessant état d’inaccomplissement structurel en tant que sans cesse suspendue à son être toujours encore à venir parce que toujours différé. L’existence n’existe que dans la non-présence à soi, comme incessante différence par rapport à elle-même :
L’existence […] se vit comme non-coïncidence avec elle-même, comme perpétuellement dépossédée d’elle-même, comme ayant, en vertu de sa constitution essentielle, marquée par la temporalité, à se dépasser sans cesse vers une figure à venir d’elle-même, comme si son être véritable était toujours en avant d’elle-même. Ceci implique que l’existence est affectée d’une passivité fondamentale : elle s’échappe continuellement à elle-même[23].
La réalité de l’éthique s’appuie sur cette scission ontologique originaire :
S’il [l’être humain] est concerné par l’éthique, c’est en tant qu’il est un existant, c’est-à-dire qu’il se vit sur le mode de l’existence […]. En tant que tel […] il est réel sans être jamais pleinement lui-même, il est comme en perpétuelle attente de son être. Cela signifie que l’existence est affectée constitutionnellement par une scission intérieure qui sépare en elle son être présent de son être à venir[24].
C’est ici qu’entre en jeu l’action, qui est précisément la modalité selon laquelle l’éthique, en tant que composante, affecte l’existence. Il existe un lien essentiel entre l’éthique et l’action sur lequel insiste sans cesse Ladrière. L’action est capacité d’initiative et pouvoir d’agir, vouloir et décision. Elle est l’instrument qui permet à l’existence de construire elle-même son être à venir :
Dans le déploiement de l’existence, l’action est le moment de l’initiative, en lequel l’existence se donne à elle-même, à partir d’elle-même, ses déterminations concrètes […]. Si elle est une détermination de l’existence, c’est là où l’existence s’assume elle-même et se donne ainsi son effectivité, à savoir dans l’action, que l’éthique trouve elle-même son effectivité. Dimension de l’existence, elle est aussi, par le fait même, dimension de l’action[25].
Ladrière précise la dimensionnalité éthique de l’existence-action à l’aide des deux grandes traditions éthiques que sont la structure téléologique de l’existence comme visée du bien et la normativité comprise comme devoir-être et responsabilité. Ces deux grandes traditions revêtent une importance égale et Ladrière les fait s’entrecroiser, autant de manière thématique qu’historique. L’importance de la structure téléologique dans l’éthique de Ladrière est fonction du fait que le rapport entretenu par l’existence avec son telos n’est pas autre chose que la dimension éthique[26]. Mais cela vaut également pour le volet déontologique : la vie éthique n’est pas autre chose que la recherche d’accomplissement du vouloir profond de l’existence[27]. Les deux perspectives sont équivalentes ; le vouloir profond de l’existence vise un horizon téléologique, celui précisément qu’exerce la sollicitation du bien :
L’éthique est une dimension de l’existence : elle est, pourrait-on dire, l’existence même en tant qu’elle est non accomplie et qu’elle est confiée à elle-même comme ayant la tâche de se donner à elle-même, par son action, sa qualification ultime par rapport à une exigence radicale, qui définit son telos, et qui est l’adéquation de son vouloir effectif à son vouloir profond[28].
L’horizon téléologique du vouloir et celui du bien s’identifient : ils ne dessinent qu’un seul horizon commun.
2. L’exigence de réalisation de l’être humain comme telos du bien
Ladrière réinterprète l’idée d’une téléologie du bien dans une perspective existentielle : le telos éthique s’inscrit dans la structure ontologique de l’existence dont il fournit au fond une traduction éthique. Cette structure éthico-téléologique repose sur la scission ontologique originaire, dont nous venons de parler, et qui affecte l’existant humain distendu entre son être effectif et son être intégral encore à venir. Puisqu’elle repose sur l’exigence ontologique de réalisation de l’existence, la détermination à venir de l’existence exclut tout arbitraire : « L’enjeu de l’éthique […] est inscrit dans la structure même de l’existence. Celle-ci est à la recherche de ce qu’implique l’exigence d’être, ou d’auto-accomplissement qu’elle porte en elle[29]. » L’exigence éthique n’est autre que l’exigence ontologique ; toutes deux se recoupent parfaitement. La normativité éthique n’est pas autre chose que l’expression de l’appel fondamental qui traverse l’existence. La tâche de l’éthique, de ce point de vue, consiste à lier l’être éthique et l’être ontologique, et donc à réassumer l’ontologie dans le vouloir de son accomplissement intégral[30]. L’éthique se trouve ainsi située d’emblée par Ladrière sur le plan de la destinée même : « L’éthique est une dimension de l’existence, en ce sens qu’elle met en jeu une question qui concerne l’existence en elle-même et qu’elle s’inscrit dans sa constitution[31]. » Et c’est bien le manque qui s’inscrit dans la structure téléologique de l’existence qui en fournit la condition formelle[32]. L’accomplissement de l’existence est une tâche confiée à l’existence elle-même, en tant que celle-ci est responsable envers elle-même. C’est précisément la responsabilité éthique qui confère à la dimension éthique une dimension destinale[33]. La problématique éthique suppose que l’accomplissement de l’existence est une tâche relevant d’elle-même seule, en tant qu’elle porte la responsabilité de son propre devenir. Ce qui confère à l’existence sa dimension éthique, c’est le fait transcendantal qu’elle est investie d’une mission qu’elle seule peut assumer[34].
Ladrière associe l’accomplissement téléologique et donc éthique de l’existence, et la notion classique du bien. La visée éthique peut être pensée de façon équivalente comme celle de l’accomplissement de l’existence ou celle de la « vie bonne[35] ». Le bien moral coïncide avec celui de l’existence au sens de son accomplissement. La téléologie ontologico-éthique fait valoir une exigence normative intrinsèque à la structure même de l’existence. L’exigence ontologique, qui n’est autre que l’exigence d’accomplissement de l’existence, fonde la normativité éthique ; elle est le principe constitutif de la morale. Ainsi la mission confiée à l’existence de parvenir à son accomplissement est « déterminée téléologiquement par une exigence qui, en sa teneur formelle, est exprimée par l’idée de bien, et en sa teneur matérielle, peut être exprimée par l’idée d’accomplissement[36] ». Cette coïncidence téléologique entre l’ontologique et l’éthique permet à Ladrière de rattacher l’éthique au désir profond qui anime l’existence, et plus précisément à la tradition thomiste du désir naturel. En tant que visée du déploiement total de l’existence, l’horizon de l’éthique n’est pas autre chose que l’accomplissement du désir, c’est-à-dire la réunification de l’existence avec elle-même[37].
3. L’exigence d’accomplissement de l’être humain comme adéquation du vouloir effectif et du vouloir profond
On trouve chez Ladrière une autre manière d’entrer dans l’éthique : la voie ouverte par Kant et approfondie par Blondel, qui est celle de la raison pratique ou de l’action comprise comme devoir-être. Ce filon met particulièrement en valeur l’aspect nomologique de l’expérience éthique, c’est-à-dire l’impérativité de la loi morale, la contrainte qu’impose la législation qu’elle met en oeuvre. Mais cette impérativité est comprise comme étant inscrite dans l’intériorité subjective. L’autonomie acquiert ainsi une importance décisive à l’intérieur de la démarche éthique qui la promeut au titre de propriété essentielle du sujet de l’action[38]. Elle se manifeste à la manière d’une exigence qui appartient de manière constitutive à la volonté : « L’exigence constitutive de la volonté libre, c’est d’agir conformément à cette condition d’autonomie, donc de se vouloir précisément comme liberté[39]. » Elle met en lumière l’exigence d’universalité dont est porteuse la normativité éthique.
À proprement parler, on l’a vu, la dimension éthique repose sur la normativité que fait intervenir tout jugement éthique et qui se fait valoir à la manière d’une exigence à caractère général, qui n’est autre au fond que la conscience morale. Or cette normativité se manifeste comme inhérente à l’action elle-même. À la base de l’ensemble de la démarche éthique se trouve l’action en exercice en tant qu’elle perçoit une contrainte intérieure, la normativité interne qui situe l’action par rapport à un critère en lequel elle reconnaît sa légitimité. Cette qualité confère une valeur éthique à l’action relativement au partage originel que dessine la polarité bien/mal. La normativité éthique de l’action signifie que l’action peut se juger elle-même ; elle renvoie à la propre capacité de l’action d’être à elle-même son propre tribunal[40]. Le point de départ de l’éthique est donc l’expérience originaire de la normativité éprouvée au sein de l’agir concret, l’obligation que l’existence reconnaît dans la normativité inhérente à l’action.
On retrouve, sur le plan de l’action, une scission interne identique à celle qui affecte l’existence de manière constitutive. L’action est très précisément l’initiative se situant à la jonction de ces deux composantes de l’existence que sont l’existence en son effectivité d’une part et en son être à venir d’autre part. Elle calque la scission ontologique qui frappe l’existence :
Toujours engagée dans un débat avec le concret du monde et de l’histoire, l’action est traversée par une tension intérieure qui la porte toujours en avant d’elle-même, vers un terme que l’on pourrait caractériser comme accomplissement de l’existence, ou comme vie pleinement authentique ou comme réconciliation totale de l’être avec lui-même[41].
Cette tension, qui engage sans cesse l’existence dans le sens de l’excès qui la transit, s’appuie sur le vouloir exprimant « la dynamique constitutive de l’existence et par lequel celle-ci s’efforce sans cesse de s’ajuster à une sollicitation qui lui vient, pourrait-on dire, de son être à venir, de ce telos qui serait précisément le moment ultime de sa venue à elle-même[42] ». Or cet être à venir, c’est ce que la réflexion éthique appelle le « bien » ou la « vie bonne ». La structure éthico-téléologique du bien prend ici figure de la visée d’adéquation entre le vouloir profond de l’existence et son vouloir effectif ; la problématique éthique s’exprime selon les termes de la dialectique blondélienne de l’action. L’exigence qui anime l’action est bien cet « appel fondamental qui transit l’existence et en lequel s’exprime en définitive son vouloir profond[43] ». Autrement dit, le vouloir originaire se présente sous la forme de la visée du bien, et ce recouvrement fonde la normativité éthique : « C’est donc en définitive dans le bien lui-même, en tant qu’objet du vouloir originaire, que se trouve la source de la normativité éthique[44]. »
La tradition kantienne met en valeur les idées corrélatives de responsabilité et de devoir qu’appelle l’expérience éthique. L’analyse blondélienne de l’action articule de manière immédiate responsabilité et action et met en évidence la dimension de responsabilité qui est intimement liée à l’action ; elle montre de manière remarquable que l’éthique implique l’idée de responsabilité[45]. Le sentiment du devoir est étroitement apparenté à celui de responsabilité. À la suite de Kant, chez qui, comme il le rappelle, le sentiment du devoir apparaît comme le fait premier de la dimension éthique, Ladrière reconnaît que le devoir est une factualité d’ordre transcendantal révélatrice de la dimension éthique[46]. Il existe bien un devoir éthique, et l’appel éthique peut à bon droit être qualifié d’injonction. L’idée de devoir fonde la dimension éthique, par le biais du sentiment d’obligation inconditionnelle.
La tradition kantienne met également en lumière de façon tout à fait remarquable la manière dont le concept de liberté résume l’enjeu de la vie éthique[47]. L’autonomie comme mode d’opérativité de l’agent libre est la reconnaissance de sa capacité à se donner à lui-même sa propre loi. Mais cette loi n’est autre que loi intérieure au sujet, loi dont la reconnaissance constitue la conscience morale. Or cette loi a une portée ontologique : elle enjoint de vivre conformément à l’essence de la subjectivité morale. L’exigence éthique, bien qu’elle s’impose comme une injonction, est intérieure à l’existence ; elle en exprime la loi profonde et fonde ainsi l’agir libre comme principe autonome. La liberté dit que l’existence doit s’autoréaliser ; elle exprime la détermination constitutive de l’existence comme ouverture et constitue, en ce sens, une factualité transcendantale. Il est typique de noter que Ladrière associe immédiatement les concepts de devoir et de liberté avec la structure téléologique de l’existence. Le sentiment d’obligation inconditionnelle renvoie à la structure téléologique de l’action, à un telos de nature axiologique qui n’est autre que le bien :
C’est la présence de ce telos dans la règle que l’action reconnaît devoir adopter qui lui impose de reconnaître en cette règle précisément cette forme spécifique de contrainte que dit l’idée de devoir. Le sentiment du devoir est en quelque sorte la réfraction dans l’esprit qui en est affecté de la sollicitation finalisante qui lui vient de l’horizon du bien[48].
III. Les normes
Selon la division ladrièrienne du travail assigné à l’éthique philosophique, la dimension éthique une fois caractérisée, il reste à procéder à l’élaboration des normes. On a vu que la visée éthique met en jeu une exigence qui fonde une normativité en laquelle peut être reconnu le principe constitutif de la morale. Encore faut-il assurer le passage de cette normativité, comprise comme condition générale de l’action, aux règles qui régissent celle-ci, c’est-à-dire les normes concrètes. Les règles, ou normes, sont en effet l’expression concrète de la contrainte qu’impose la normativité à l’action. C’est le rôle de la morale de traduire la visée éthique en normes déterminées, de faire le pont entre le contenu visé par la « vie bonne » et les circonstances concrètes de l’existence :
La fonction des normes c’est de fournir des indications qui spécifient ce que, dans un type de situation donné, la visée de la « vie bonne » implique pour un agent placé dans une situation de ce type. C’est précisément dans la formulation de ces normes que se précise, par rapport aux circonstances concrètes de l’existence, le contenu de la « vie bonne », ou la forme d’accomplissement visé par la vie éthique[49].
La question éthique, selon Ladrière, se concentre dans la question des normes. En effet, celles-ci ont pour mission d’expliciter la rationalité de l’expérience éthique. Lorsqu’on aborde la question des normes, on entre dans la tâche propre de l’éthique philosophique (ou réflexive) qui consiste fondamentalement en une fonction d’orientation eu égard aux circonstances concrètes de l’action : « Il s’agit de proposer à l’action des orientations conformes à sa normativité interne, sous forme de normes concrètes susceptibles de guider effectivement l’action. Or l’action effective est toujours liée à une situation concrète. C’est donc par rapport à des situations concrètes que doivent se situer les normes[50]. » On retrouve, au niveau des normes, la même dichotomie autour de laquelle s’articule la division de la réflexion philosophique sur l’éthique. Cette répercussion n’est pas étonnante, s’il est vrai que la question des normes représente le noyau dur de cette entreprise. Ainsi le problème de la rationalité de la norme est-il double : celui de la justification et celui de sa forme normative. Le problème de la justification, d’ordre transcendantal, consiste à poser la question des principes sur lesquels repose l’injonction énoncée par les normes, c’est-à-dire à s’interroger sur ce qui constitue la normativité de celles-ci. Le problème de la forme normative, pour sa part, d’ordre herméneutique, est celui de l’applicabilité de la norme aux situations singulières rencontrées par l’action, c’est-à-dire de leur pertinence par rapport aux situations réelles[51]. Ces deux problèmes sont étroitement liés, au point de n’en former qu’un seul : « La fonction de la norme c’est d’éclairer l’action, et plus exactement de donner une base et dès lors une justification au jugement éthique[52]. »
1. La fonction médiatrice des normes
Le lieu de la formulation des normes est l’intersection entre l’universel et le particulier. Cette localisation définit en même temps la fonction propre de la norme qui consiste à « effectuer une médiation entre la forme de l’universalité et la particularité des circonstances », c’est-à-dire « entre la visée éthique, en tant qu’elle appartient de manière constitutive à l’existence humaine, et les situations par rapport auxquelles l’action doit se décider[53] ». Si l’épreuve éthique se situe toujours au niveau de la singularité de chaque situation concrète rencontrée par l’action, cet enracinement existentiel premier n’exige pas de renoncer à l’universalité de la visée éthique. Ladrière précise cette fonction de la norme en la rattachant à la téléologie du bien :
La fonction de la norme c’est de fournir des indications qui spécifient ce que, dans un type de situation donnée, la visée de la “vie bonne” implique pour un agent placé dans une situation de ce type. C’est précisément dans la formulation de ces normes que se précise, par rapport aux circonstances concrètes de l’existence, le contenu de la “vie bonne”, ou la forme d’accomplissement visé par la conscience éthique[54].
Il lui faut être proche à la fois des circonstances concrètes de l’action et de la dimension éthique, médiatiser l’abstraction des principes et les situations concrètes, c’est-à-dire arbitrer ces deux dimensions. Selon l’inspiration kantienne, cette médiation normative prend l’allure d’une synthèse de l’universel et du singulier s’appuyant sur le « schème » comme élément médiateur[55]. La norme, puisqu’elle doit faire valoir l’universalité de l’exigence éthique, ne se réfère jamais directement aux circonstances particulières de l’action, mais toujours de manière médiate,
[…] à travers une schématisation, qui propose non des situations concrètes mais des types de situation […] la fonction propre de la norme c’est d’effectuer une synthèse entre un type de situation, qu’elle présente dans une description, et un type de réponse (action à entreprendre ou à éviter), qu’elle présente aussi dans une description, mais en l’affectant d’une modalité d’obligation dans laquelle s’expriment la normativité de la norme et un type de réponse[56].
La norme opère une corrélation entre des types de situation et des types d’action. Elle n’a aucunement trait aux situations immédiatement concrètes. C’est pourquoi le jugement qu’elle met en jeu se distingue nettement du jugement pratique posé en regard de telle ou telle situation particulière. Comme le précise très nettement Ladrière, la norme décrit « non des situations à proprement parler mais des types de situation, et corrélativement des types d’action. La synthèse normative rattache des types d’action à des types de situation, sous la forme : “Dans tel type de situation, tel type d’action est permis ou interdit, recommandable, voire obligatoire”[57] ». Dans une telle perspective, il est permis d’atteindre un degré d’universalité non pas absolu mais relatif[58].
2. La question des principes
Pour satisfaire au critère de rationalité, la détermination des normes doit s’effectuer selon des principes (ou méta-normes). Ceux-ci jouent un rôle de médiation entre la visée éthique et la formulation des normes concrètes de l’action : « […] ils disent ce que doit être, en fonction de l’exigence contenue dans la visée, la forme des normes concrètes[59] ». Les méta-normes ont un caractère hautement formel : elles expriment la normativité de la norme, « la norme en tant que norme ». Le propre des méta-normes est de fournir les principes de justification des normes. Cette justification exprime ce qui est proprement constitutif de la rationalité de la norme, autrement dit son universalité (relative). « Les principes, écrit Ladrière, sont les fondements des normes, en ce sens qu’ils contiennent la force normative qui opère dans les normes, ou la normativité des normes[60] ». Le processus de justification emprunte une remontée progressive, conduisant de la norme particulière à des principes normatifs plus généraux, pour ensuite aboutir à un principe premier au-delà duquel il n’est plus possible de régresser, et dont la justification est de nature intuitive. Ainsi retrouve-t-on le moment intuitif qui se trouvait déjà à la base du jugement éthique pratique pré-réflexif[61].
3. L’applicabilité de la norme
Comment s’effectue le processus qui consiste à lier un type de situation et une situation concrète ? Poser cette question revient à s’interroger sur le second terme de la structure de la médiation, la situation en tant que telle, et soulever la question de l’applicabilité de la norme. Ladrière répète à plusieurs reprises que l’application d’une norme à une situation concrète n’a rien d’un processus déductif. S’ils fournissent des critères, les principes ne se rapportent pas immédiatement à l’action concrète ; ils ne sauraient en aucun cas servir de prémisses à une déduction de normes pratiques[62]. La déduction doit ici céder à la construction et à l’invention.
Les normes concrètes, rappelons-le, mettent en relation des types de situation et des types d’action. Elles mettent en jeu un jugement, et donc une interprétation. Le processus d’application de la norme est complexe ; il comporte deux moments essentiels, l’un consistant, pour reprendre les catégories mêmes de Ladrière, en un jugement de pertinence et l’autre en un acte d’assomption :
Le premier moment consiste à reconnaître la pertinence d’une norme relativement à une situation donnée, autrement dit à faire valoir la dimension éthique de la situation ou encore à reconnaître « l’éthicité de la situation, c’est-à-dire ce qui, dans la situation, relève d’un jugement éthique et appelle une décision éthique » : « La tâche propre du jugement de pertinence c’est de se prononcer sur le degré de correspondance entre la situation, telle qu’elle est appréhendée cognitivement, et le type de situation prévu par la norme[63]. » S’opère alors la reconnaissance que la situation est porteuse d’un enjeu éthique, autrement dit qu’elle appelle « de la part de l’agent tel ou tel type de comportement[64] ».
Le second moment réside dans la démarche par laquelle l’agent assume la normativité de la norme, ou encore ce qui confère à l’action sa qualification éthique. En d’autres termes, le jugement contribue ici à « préciser le contenu concret de la visée éthique, c’est-à-dire à déterminer le concept de “vie bonne”[65] ».
Remarquons que ces deux jugements dessinent une démarche circulaire dans laquelle les deux moments, la reconnaissance de l’éthicité ou encore de la pertinence de la norme, et celui de l’assomption effective de la normativité, s’appellent l’un l’autre et se présupposent mutuellement.
IV. La raison prudentielle
Il reste enfin à passer des situations types aux situations concrètes. Les orientations doivent recevoir un surcroît de détermination de la part de l’agent en fonction de la situation précise où il se trouve. Alors intervient le jugement moral proprement dit, qui met en jeu le « sens moral » ou encore la « conscience morale[66] », qui ne sont l’un l’autre pas autre chose que la visée éthique elle-même, dans sa radicalité originaire. La réflexion éthique de Ladrière aboutit au jugement éthique immédiat, qui est le jugement moral à proprement parler. Celui-ci se rapporte à une situation concrète tout à fait déterminée qui n’est jamais la réalisation exacte d’un type. C’est pourquoi toute la vision de Ladrière culmine dans le jugement prudentiel compris comme jugement de sagesse accompagnant l’action, et ancré dans la sensibilité éthique[67]. Toute la démarche éthique se résout dans le passage à l’effectivité, qui est le moment de la décision ; elle débouche sur ce qui est tout à la fois un engagement, une assomption et un risque pris par l’existence. Il apparaît alors plus que jamais que la démarche éthique est fondamentalement auto-implicative.
Conclusion
La tâche de l’éthique, selon Ladrière, consiste à articuler deux dimensions irréductibles : l’universel et le singulier[68]. Son refus de brader l’une ou l’autre de ces deux exigences fait la force de sa vision de l’éthique et en inscrit la pertinence dans le champ éthique contemporain. Le rôle de l’éthique est d’assurer la médiation existentielle entre l’universel et le singulier. Elle doit faire valoir les droits de l’universel tout en ayant la capacité de déterminer concrètement l’action. La médiation, c’est-à-dire la singularité de la synthèse qui s’effectue dans l’action, apparaît comme le problème fondamental de l’éthique philosophique. Celle-ci se résout dans la recherche des « conditions » de cette médiation qui croise l’exigence éthique, inscrite dans la structure même de l’existence, et les déterminations concrètes en lesquelles celle-ci se donne son effectivité[69]. L’éthique vise certes un monde moral, c’est-à-dire un universel ; mais cet universel doit pouvoir s’inscrire dans la contingence du monde. Ainsi doit-elle s’assurer de couvrir tout le spectre de la démarche éthique, qui va du plus général au plus particulier en passant par le point nodal de la formulation des normes en fonction de types de situation, où se joue cette démarche de contextualisation progressive. Le mouvement qu’elle déploie en est un de remplissement graduel, prenant la forme d’une recherche de saturation croissante, d’un rapprochement toujours plus étroit entre l’universalité de départ et la singularité d’arrivée. L’illustration suivante cherche à résumer cette démarche :
Ce passage de la forme pure à la forme effective — de la forme à l’histoire — s’appuie sur un principe de solution clairement formulé : « Il doit y avoir comme une réverbération du point de vue existentiel sur le point de vue de l’universalité[70]. » Cela suppose qu’il n’existe pas une telle chose qu’un formalisme absolument pur. L’éthique en effet a trait à l’existence en tant que singularité, c’est-à-dire en tant que destinée :
La finalité éthique n’est donc pas purement formelle. En tant qu’elle a une validité pour toute action, qu’elle a donc ce qu’on pourrait appeler une compétence générale, elle a un caractère englobant. Ce qui signifie qu’elle concerne l’existence en totalité, en tant que celle-ci est donnée à elle-même comme tâche pour elle-même. Cette tâche, c’est son autoréalisation[71].
Si l’éthique ne vise pas autre chose que la réalisation de l’humain, « la détermination de l’humain dans l’homme », ce n’est toujours qu’à travers une existence concrète, particulière. L’éthique chez Ladrière s’inscrit dans la dimension destinale de l’existence, c’est-à-dire sa qualification ultime. L’appel éthique est frappé du sceau de la singularité et de l’unicité. La visée éthique englobe toujours une valeur universelle et la forme concrète d’une réalisation d’une vie effective : « En même temps que la singularité d’un accomplissement personnel il y a, dans l’enjeu éthique de l’existence, l’universalité d’une responsabilité commune[72]. » Pour exprimer cette visée ultime de l’éthique, Ladrière recourt à la notion d’universel concret, qu’il rapproche de l’idée kantienne d’un « corpus mysticum des êtres raisonnables ». La volonté originaire vise un universel concret, c’est-à-dire un monde moral assumant les conditions de contingence qu’impose le monde : « La dimension éthique de l’existence est celle de la médiation existentielle entre les situations et la visée universalisante de l’action entendue au sens de l’effort par lequel celle-ci tente de participer au centre personnel qui la fonde en tant qu’il est le seul véritable universel concret[73]. » Sur le plan formel, toute la réflexion éthique de Ladrière est sous-tendue par l’exigence d’une conciliation entre l’existence comme dimension éthique, c’est-à-dire comme fait transcendantal, et comme dimension d’historicité, c’est-à-dire comme destinée singulière. Elle tient tout entière dans la question de l’articulation entre la forme (structure) et l’historique (l’existentiel) : comment le transcendantal peut-il s’articuler à l’événementiel ?
Sur le plan de l’histoire de la philosophie éthique, l’entreprise de Ladrière apparaît clairement comme un effort pour surmonter la polarisation entre les traditions téléologique et déontologique, cherchant à croiser la « vie bonne » et le « devoir[74] ». La position de Ladrière est au confluent de ces deux grandes traditions de la réflexion éthique, tout en leur étant irréductible. Elle témoigne en effet d’une lecture de cette histoire articulée autour du moment clé de l’avènement du point de vue transcendantal. En ce sens, on pourrait suggérer qu’elle apparaît comme une relecture de la tradition aristotélico-thomiste du point de vue de la perspective transcendantale sans pour autant se réduire à un point de vue kantien. Il s’agit en effet pour Ladrière de relire cette tradition à la lumière du champ transcendantal comme champ ontologique. C’est pourquoi elle emprunte facilement son interrogation propre à celle de Kant : « Comment la synthèse d’une législation universelle et d’une vocation singulière est-elle possible[75] ? » Mais elle ne s’y résout pourtant pas car, en retour, cette question est instruite des limitations du formalisme qu’enseigne la postérité kantienne. L’éthique ladrièrienne est une éthique qui cherche à rattacher la dimension fondatrice de l’éthique aux conditions concrètes de l’action. En amont, bien qu’elle soit plus discrète quant à cette source, on repère aisément le moment aristotélico-thomiste en ses principales articulations : téléologie du bien, articulation de l’éthique et de l’ontologique, rôle clé de la phronésis (prudentia), traitement thomiste de la loi naturelle et de la syndérèse/conscience comme progression de l’universel au particulier. Mais ce moment a fait l’objet de la relecture qu’impose l’introduction, à l’intérieur du champ philosophique, du point de vue transcendantal : il n’est pas question comme tel du bonheur et des vertus dans l’éthique ladrièrienne. En aval, on trouve deux éléments clés caractéristiques de l’éthique ladrièrienne s’appuyant sur les apports de la phénoménologie post-husserlienne (existentielle et herméneutique) et la philosophie de l’action de Blondel : l’inscription de l’éthique dans le champ transcendantal réinterprété dans une perspective non égologique et le refus du formalisme éthique pur. Sur le plan formel comme dans son rapport à l’histoire, la réflexion éthique de Ladrière calque le mouvement d’ensemble de sa philosophie.
Il n’est pas étonnant alors qu’il faille en définitive la rattacher à « l’horizon eschatologique de la liberté réalisée » comme à sa clé de voûte[76]. L’éthique requiert la réconciliation de deux exigences contradictoires, celle de l’universalité et celle de la concrétude. Cette tension inévitable ne trouve pas de résolution dans les conditions qui sont les nôtres. Ce n’est qu’en assumant cette tension irréductible que l’éthique peut assumer sa mission. Plus elle consentira à la forme de l’universalité, plus elle sera en mesure d’honorer l’exigence de singularité propre aux circonstances concrètes dans lesquelles l’action est appelée à s’inscrire. Mais la reconnaissance de cette insurmontable finitude de l’action n’est possible qu’en raison du caractère proprement infini de la visée éthique. Cet excès propre à l’existence ouvre la pratique à sa dimension d’espérance. La résolution de la tension ne peut être que l’objet d’une promesse. Ce qui peut appuyer cet espoir, c’est bien l’ampleur de l’exigence éthique et de sa visée. L’éthique, selon Ladrière, ne reçoit son sens ultime, plénier, que dans une perspective eschatologique. La convergence entre les requêtes de l’universel et du particulier est un espoir s’appuyant sur un eschaton. Si cet espoir trouve lui-même sa propre justification dans la croyance en l’universalité de l’éthique, encore faut-il ajouter que l’effectivité de l’univers éthique ne peut être qu’objet d’espérance. Croyance et espoir éthiques sont solidaires[77]. Ladrière postule que le « voeu le plus intérieur de l’éthique » n’a d’autre lieu que « cette dimension de participation concrète et de médiation singulière » qui s’annonce sous la forme d’un eschaton[78]. Celui-ci est un pôle d’attraction qui inscrit la démarche éthique dans « la mouvance de cette sollicitation infinitisante qui vient à la responsabilité éthique de ce lointain royaume dont elle est le pressentiment[79] ». C’est pourquoi l’éthique est davantage chez Ladrière l’objet d’une espérance que d’un savoir. Le devoir-faire y est inséparable d’une espérance, et l’éthique devient une pratique de l’espérance pariant sur l’excès qui transit l’existence humaine. L’éthique de Ladrière est une éthique eschatologique. C’est parce qu’elle se présente ainsi comme une éthique de l’avenir qu’elle nous semble particulièrement apte à inspirer la recherche éthique contemporaine.
Appendices
Notes
-
[1]
J. Ladrière, L’éthique dans l’univers de la rationalité, Montréal, Fides ; Namur, Artel, 1997, p. 169 (désormais : ÉUR).
-
[2]
Ibid., p. 170.
-
[3]
Id., « Philosophie de la nature et l’éthique », dans A. Lacroix, J.-F. Malherbe, dir., L’éthique à l’ère du soupçon. La question du fondement anthropologique de l’éthique appliquée, Montréal, Liber, 2003, p. 15. Ce texte a fait l’objet d’une première publication sous les auspices de la Chaire d’éthique appliquée de la Faculté de théologie, d’éthique et de philosophie de l’Université de Sherbrooke (Sherbrooke, Université de Sherbrooke, Productions GGC, 2001, 24 p.).
-
[4]
ÉUR, p. 229. Cf. « Philosophie de la nature et l’éthique », p. 19.
-
[5]
« Sur le rôle de l’idée de nature en éthique », dans Simone Bateman-Novaes, Ruwen Ogier, Patrick Pharo, coord., Raison pratique et sociologie de l’éthique. Autour des travaux de Paul Ladrière, Paris, CNRS, 2000, p. 194. Cf. « Philosophie de la nature et l’éthique », p. 15 et suiv.
-
[6]
« L’éthique philosophique, en tant qu’elle est réflexive, n’est donc pas elle-même instauratrice de la normativité interne de l’action. Mais elle apporte sa contribution à l’élucidation de ce qui est impliqué dans cette normativité, en tant qu’elle relève d’une démarche philosophique. Ce que la philosophie apporte en propre, c’est le point de vue de la rationalité et le souci de justification rationnelle qui anime sa réflexion. Il s’agit pour cette réflexion, de “rendre raison” d’un ordre de choses qui la précède et qui s’est déjà réfléchi d’une certaine manière dans l’“éthique historique” » (« Philosophie de la nature et l’éthique », p. 16).
-
[7]
ÉUR, loc. cit. Cf., p. 77. Et encore : « L’idée même de normativité a été inventée en vue de donner un statut rationnel à l’expérience morale. Mais c’est bien cette expérience qui est première » (ibid., p. 43).
-
[8]
« […] la pratique précède la formulation des principes et des normes qui la médiatisent. La raison pratique se découvre à elle-même dans l’expérience historico-culturelle en laquelle l’action prend progressivement conscience de sa normativité intrinsèque. […] il s’agit ici […] de l’adéquation du comportement effectif à cette indication normative fondamentale qui s’exprime par la séparation originelle entre le bien et le mal. L’action s’éprouve directement concernée par la question de la signification de sa démarche par rapport à cette dichotomie première. C’est toujours dans des situations concrètes qu’elle rencontre cette question, par exemple lorsqu’elle fait l’épreuve du conflit et de la possibilité du meurtre. C’est dans une telle épreuve que se fait entendre cette voix intérieure qui fait reconnaître le meurtre comme interdit. De même, c’est dans l’épreuve de la controverse et de la possibilité du mensonge que se fait reconnaître l’impératif du respect de la vérité » (J. Ladrière, « L’éthique déstabilisée par la science », dans Id., C. Arnsperger, C. Larrère, Trois essais sur l’éthique économique et sociale, Paris, INRA, 2001, p. 168).
-
[9]
ÉUR, p. 304.
-
[10]
J. Ladrière, « L’interprétation dans le jugement éthique », Revue d’éthique et de morale, « Le Supplément », 202 (août-sept. 1997), p. 147-148.
-
[11]
« Philosophie de la nature et éthique », p. 19.
-
[12]
Ibid., p. 18-19.
-
[13]
Ibid.
-
[14]
J. Ladrière, « Préface », dans A. Gomez-Muller, Éthique, coexistence et sens, Paris, Desclée de Brouwer, 1999, p. 11. Voir ÉUR, p. 97 ; ainsi que J. Ladrière, Les enjeux de la rationalité. Le défi de la science et de la technologie aux cultures (nouvelle édition), suivi d’Existence, éthique et rationalité, Montréal, Liber, 2001, p. 123 et suiv.
-
[15]
ÉUR, p. 165-166.
-
[16]
« Philosophie de la nature et l’éthique », p. 18.
-
[17]
Ibid., p. 19.
-
[18]
ÉUR, p. 168.
-
[19]
Ibid., p. 22-23.
-
[20]
J. Ladrière, « La philosophie et la référence aux valeurs », dans Id. et al., Licéité en droit positif et Références légales aux valeurs. Contribution à l’étude du règlement juridique des conflits de valeurs en droit pénal, public et international. Xes Journées d’études juridiques Jean Dabin organisées par l’Unité de droit pénal, Bruxelles, Bruylant, 1982, p. 15-17.
-
[21]
ÉUR, p. 24 et suiv., 94, 231-232.
-
[22]
J. Ladrière, « Éthique et responsabilité », dans P. Capelleet al., Le statut contemporain de la philosophie première, Paris, Beauchesne, 1996, p. 223.
-
[23]
ÉUR, p. 27-28.
-
[24]
Ibid., p. 29.
-
[25]
« L’interprétation dans le jugement éthique », p. 143-144.
-
[26]
ÉUR, p. 53.
-
[27]
« Ainsi, s’il y a une problématique éthique, c’est parce que l’existence est constitutionnellement traversée par un voeu fondamental, par un vouloir profond, qui vise la réalisation authentique d’elle-même, et que, corrélativement, elle a la charge d’assumer par elle-même, dans son action, cette réalisation même. Autrement dit, la problématique éthique concerne l’adéquation entre le vouloir profond de l’existence et son vouloir effectif, c’est-à-dire la responsabilité qui lui est confiée à l’égard de son propre être » (ibid., p. 34).
-
[28]
Ibid., p. 51. Cf. p. 32-34, 44-45, 61, 230.
-
[29]
Ibid., p. 97. Voir « L’interprétation dans le jugement éthique », p. 146.
-
[30]
« Éthique et responsabilité », p. 235. « Sur le rôle de l’idée de nature en éthique », p. 206 : « L’éthique est la participation de l’action au déploiement de l’être. »
-
[31]
« L’interprétation dans le jugement éthique », p. 143.
-
[32]
« Éthique et responsabilité », p. 230.
-
[33]
ÉUR, p. 33-34
-
[34]
« Éthique et responsabilité », p. 225.
-
[35]
« L’interprétation dans le jugement éthique », p. 145. Voir ÉUR, p. 32-33, 230-231.
-
[36]
« Éthique et responsabilité », p. 225.
-
[37]
Ibid., p. 225-226 ; « La philosophie et la référence aux valeurs », p. 17.
-
[38]
« Existence, coexistence et sens », p. 16.
-
[39]
« Philosophie de la nature et l’éthique », p. 17 et suiv. Sur l’influence kantienne à propos de l’autonomie, voir ÉUR, p. 151 et suiv., 236-241.
-
[40]
Cf. « Éthique, coexistence et sens », p. 9 ; « L’éthique déstabilisée par la science », p. 168 ; ÉUR, p. 43, 77.
-
[41]
ÉUR, p. 44-45.
-
[42]
Ibid.
-
[43]
« L’interprétation dans le jugement éthique », p. 146. Voir ÉUR, p. 301-302 ; ainsi qu’« Éthique et responsabilité », p. 225-226 ; et « Sur le rôle de l’idée de nature en éthique », p. 189-190.
-
[44]
« Sur le rôle de l’idée de nature en éthique », p. 202. Voir « Philosophie de la nature et l’éthique », p. 27.
-
[45]
ÉUR, p. 151 et suiv., 301-302.
-
[46]
Ibid., p. 230-231 ; « Éthique et responsabilité », p. 224.
-
[47]
ÉUR, p. 39-40, 153-154, 199.
-
[48]
« Éthique et responsabilité », p. 223-224. Cf. ÉUR, p. 152-155, 230-231.
-
[49]
ÉUR, p. 36. « En un sens l’exigence éthique est seulement la forme générale caractéristique de la conscience éthique. Elle ne reçoit son contenu que de son insertion dans les situations effectives que rencontre l’action. Les normes sont les expressions que prend la sollicitation éthique du “telos” de l’existence dans les différents contextes concrets en lesquels se joue sa destinée. En tant qu’elles se rapportent à de tels contextes et confèrent ainsi à la demande éthique son contenu elles ont un caractère descriptif, mais leur spécificité leur vient de ce qui les constitue comme normes, c’est-à-dire de la normativité éthique. Celle-ci n’est autre que la réfraction dans les normes particulières de l’appel fondamental qui transit l’existence et en lequel s’exprime en définitive le vouloir profond » (« L’interprétation dans le jugement éthique », p. 146).
-
[50]
« Philosophie de la nature et l’éthique », p. 17. « L’invention des normes est à l’intersection de la visée éthique fondamentale, c’est-à-dire de l’exigence qui est constitutive de la qualité éthique de l’être humain, et des situations concrètes que rencontre l’action, en tant qu’elles sont problématiques » (ÉUR, p. 305).
-
[51]
« L’interprétation dans le jugement éthique », p. 149 et suiv. ; « Philosophie de la nature et l’éthique », p. 25 : « Comment est-il possible de construire ou de reconstruire les normes concrètes, en tant qu’elles doivent pouvoir servir de critères d’appréciation aux jugements immédiatement pratiques et en tant qu’elles doivent en même temps être justifiables du point de vue de la raison pratique ? »
-
[52]
« L’interprétation dans le jugement éthique », p. 146. Voir aussi Les enjeux de la rationalité, p. 125 et suiv.
-
[53]
« Philosophie de la nature et l’éthique », p. 11, 17-18. Voir « L’interprétation dans le jugement éthique », p. 146-147.
-
[54]
ÉUR, p. 36.
-
[55]
« Philosophie de la nature et l’éthique », p. 25-26 ; « Sur le rôle de l’idée de nature en éthique », p. 192-193 ; ÉUR, p. 232.
-
[56]
ÉUR, p. 44.
-
[57]
« Philosophie de la nature et l’éthique », p. 18. Voir « Sur le rôle de l’idée de nature en éthique », p. 192-194 ; « L’éthique déstabilisée par la science », p. 168-169.
-
[58]
ÉUR, p. 77.
-
[59]
ÉUR, p. 37.
-
[60]
« Philosophie de la nature et l’éthique », p. 18. Cf. p. 19 : « […] le rapport fondateur du principe aux normes, qui rattache les normes au principe, a précisément pour vertu d’assurer le caractère normatif des normes, autrement dit d’assurer la communication aux normes de leur normativité, qui leur est donnée par le principe. »
-
[61]
ÉUR., p. 45-46, 77-79 ; « L’éthique déstabilisée par la science », p. 168-171 ; « L’interprétation dans le jugement éthique », p. 149-151.
-
[62]
Ainsi : « Pour remplir la fonction qui lui est assignée, il faut [que la norme] puisse effectivement éclairer l’action sur les situations concrètes auxquelles elle peut être confrontée. Or […] la norme, en tant que porteuse d’universalité, procède par schématisation, en termes de types de situation. Et entre un type de situation et une situation concrète il y a une distance qui empêche de concevoir l’application d’une norme sur le modèle de l’application d’une fonction mathématique à un argument » (ÉUR, p. 47).
-
[63]
ÉUR, p. 47-48.
-
[64]
Ibid., p. 38.
-
[65]
Ibid. Cf. p. 48-52. Sur toute cette question fort importante chez Ladrière mais que nous ne pouvons qu’esquisser, voir encore ÉUR, p. 77-81 ; « L’éthique déstabilisée par la science », p. 168-173 ; « L’interprétation dans le jugement éthique », p. 151-157 ainsi que Les enjeux de la rationalité, p. 126 et suiv.
-
[66]
ÉUR, p. 38-39. Cf. ibid., p. 66, 91 et suiv., 172 et suiv., 189 et suiv. ; « L’interprétation dans le jugement éthique », p. 143-144, 171.
-
[67]
Ibid.
-
[68]
ÉUR, p. 165 et suiv.
-
[69]
« Éthique, coexistence et sens », p. 11, 13-14.
-
[70]
Ibid., p. 170.
-
[71]
Ibid., p. 152.
-
[72]
« Sur le rôle de l’idée de nature en philosophie », p. 192. Voir « Éthique et responsabilité », p. 226-228.
-
[73]
ÉUR, p. 175. Voir « Sur le rôle de l’idée de nature en philosophie », loc. cit.
-
[74]
« Éthique, coexistence et sens », p. 9-22.
-
[75]
« Philosophie de la nature et l’éthique », p. 24-25.
-
[76]
« Éthique et responsabilité », p. 235.
-
[77]
ÉUR, p. 100, 193.
-
[78]
J. Ladrière, « L’éthique et la dynamique de la raison », Rue Descartes 7 (juin 1993), p. 69.
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[79]
ÉUR, p. 164.