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Ceux qui se sont penchés sur la philosophie steinienne s’entendent pour dire que l’ensemble des travaux steiniens doit être triplement réparti sur différentes strates herméneutiques. Il y a en premier lieu les oeuvres produites à Göttingen et à Freiburg dont on dit qu’elles appartiennent indubitablement à la phase phénoménologique[1]. Il y a aussi les oeuvres tardives portant sur la théologie, la prière ou la vie mystique[2]. Entre ces deux types d’oeuvre assez bien circonscrits, figurent divers essais de dialogue entre les ontologies classique (ancienne et médiévale) et phénoménologique. L’on éprouve ici plus de difficulté à tracer son chemin à travers ces méandres herméneutiques. Deux tendances interprétatives se dégagent nettement : soit que les analyses d’Edith Stein sont perçues comme découlant d’une vision thomiste (ou en tout cas néo-scolastique) du monde, ainsi que l’affirment Spiegelberg[3] et Schmidinger[4], soit au contraire qu’elles sont perçues comme procédant d’un point de vue phénoménologique, ce qui est l’avis de Jan Nota[5], de Hedwig Conrad-Martius[6] et de Fritz Kaufmann[7]. Si ces cadres interprétatifs ont le mérite d’offrir une optique précise sur l’oeuvre steinienne, ils risquent aussi de ne pas lui faire justice. Sans doute est-il plus prudent de ne pas durcir le cadre interprétatif et d’affirmer, à la suite de P. Secretan[8] et B.W. Imhof[9], que l’oeuvre d’Edith Stein est hautement personnelle et qu’elle ne se laisse pas vraiment étiqueter en raison des croisements multiples entre la scolastique et la phénoménologie. Encore faut-il s’entendre sur la situation historique de la « scolastique » et de la « phénoménologie » dans le monde philosophique allemand balisé par deux conflits armés d’envergure mondiale. Une interprétation acceptable de l’oeuvre steinienne ne peut émerger que si elle est située dans son propre contexte historique et philosophique et analysée selon sa propre cohérence. Par chance, Edith Stein s’exprime toujours très clairement quant à ses intentions et aux sources de sa pensée. Or, ce qui semble émerger des propos de Stein, et de son oeuvre même, n’est rien moins qu’un réflexe métaphysique pour ainsi dire « réconciliant » semblable à ce que déploie Erich Przywara (1889-1972) dans Analogia entis[10], c’est-à-dire que tous deux cherchent à faire dialoguer philosophie médiévale et philosophie contemporaine, et plus profondément, l’ordre de l’être et l’ordre du sens. C’est du moins ce que nous espérons montrer ici en dégageant plus particulièrement le contexte historico-philosophique de Endliches und ewiges Sein (EES[11]) qui appartient indubitablement à la catégorie herméneutique problématique évoquée plus haut.

I. EES : Contexte historico-philosophique

EES, terminé en 1936, mais dont la publication a été reportée en 1950 en raison des lois interdisant la publication d’oeuvres par des auteurs non aryens, représente un point de jonction entre deux cheminements : l’aboutissement de la réflexion philosophique qui a graduellement conduit Edith Stein à prendre une certaine distance critique par rapport à la phénoménologie de Husserl, tout en demeurant essentiellement attachée à un idéalisme réflexif, et l’aboutissement d’un cheminement de foi qui l’a éventuellement mise en contact avec les auteurs philosophiques chrétiens dont Thomas d’Aquin, tout en cherchant des points d’attache entre la phénoménologie et l’ontologie classique. Depuis les premières tentatives visant à tirer au clair l’enjeu phénoménologique jusqu’à leur aboutissement dans EES, 17 années se sont donc écoulées (1917-1934) pendant lesquelles une pensée hautement personnelle s’est peu à peu constituée. En outre, il convient de ne pas passer sous silence que Sein aura préparé pendant ses années plusieurs thèses d’habilitation visant à obtenir un poste permanent en philosophie (Göttingen, Kiel, Freiburg et Breslau). Quoi qu’il ne nous soit pas possible ici d’explorer ces écrits, sauf peut-être pour quelques recours à Einführung in die Philosophie (ci-après EP)[12] dont la rédaction s’échelonne sur plusieurs années, l’on ne doit pas douter que ceux-ci témoignent éloquemment du cheminement intellectuel d’Edith Stein. Une chose est certaine : Edith Stein n’est donc plus à proprement parler cette « apprentie » qu’elle prétend être dans la préface de EES, mais plutôt une philosophe qui s’adonne à l’élaboration d’un projet philosophique hautement personnel[13]. Deux questions méritent ici d’être posées. En premier lieu, à quels facteurs doit-on attribuer le fait que Stein ait dû quitter Freiburg et ce, alors que Husserl échafaudait une vision de plus en plus approfondie de sa phénoménologie ? En second lieu, en quoi est-il possible de tracer une analogie entre le projet de Stein et celui du jésuite Erich Przywara ?

II. La phénoménologie

Edith Stein avait joint le cercle de Göttingen en 1913 sous le coup d’une fascination pour les Logische Untersuchungen[14]. Au même moment paraissait le premier tome des Ideen de Husserl qui en faisait l’objet d’étude de ses séminaires. Plusieurs étudiants, dont Edith Stein, se situent de façon critique face à cette nouvelle parution car une inflexion kantienne s’y fait sentir[15]. Roman Ingarden[16] et Hedwig Conrad Martius[17], entre autres, ont eux aussi manifesté leur perplexité et formulé leurs critiques. Cette progression dans la pensée de Husserl n’a toutefois pas empêché Stein de demeurer dans le Cercle de Göttingen jusqu’en 1916, année où elle déposa sa thèse de doctorat portant sur l’épineux problème de l’intersubjectivité[18]. En 1916, lorsque Husserl se vit offrir un poste à l’Université de Freiburg, Edith Stein l’accompagne à titre d’assistante de recherche. Elle est alors chargée par lui de préparer les manuscrits qui allaient éventuellement constituer les deuxième et troisième tomes des Ideen[19]. En outre, elle devait dispenser un cours d’introduction à la phénoménologie[20]. Husserl s’attendait à ce que Stein soit auprès des néophytes de Freiburg le pédagogue qu’Adolf Reinach (1883-1917) était à Göttingen. Le fait que Husserl lui confie ses manuscrits — une tâche si ingrate par ailleurs, selon Roman Ingarden — témoigne de la compétence reconnue de son assistante et de l’immense confiance qu’il lui accordait[21]. On commence à peine à se rendre compte de l’ampleur du travail qu’Edith Stein a accompli durant son séjour à Freiburg. Même après avoir remis sa démission à titre d’assistante de Husserl, elle a continué d’oeuvrer à la préparation des manuscrits de Husserl et, même si son nom n’apparaissait nulle part lors de sa première parution, c’est à elle, et non à Landgrebe, qu’on doit le deuxième tome des Ideen[22]. À elle revient aussi le mérite d’avoir mis en forme les Leçons sur la phénoménologie de la temporalité interne de la conscience et non à Martin Heidegger seul[23]. Par ailleurs, Stein a également travaillé à la mise en ordre et à l’édition de manuscrits sur l’absolu et sur le mouvement d’Adolf Reinach, tombé au front en 1918[24].

Contrairement à l’idée reçue, Edith Stein n’a pas quitté Freiburg en raison d’un désaccord philosophique, mais pour des raisons humaines et économiques : tant qu’elle resterait auprès de Husserl il lui serait impossible de travailler à l’avancement de sa propre carrière. De plus, la collaboration entre Stein et Husserl était difficile dans la mesure où Husserl n’accordait pas beaucoup d’attention à l’important travail d’édition et d’interprétation auquel elle consacrait d’innombrables heures. Stein estimait qu’il était important de ne pas laisser en plan ce qui avait été fait, tandis que Husserl préférait consacrer son temps et son énergie à de nouveaux problèmes. Elle aurait souhaité que Husserl la traite comme une véritable collaboratrice alors qu’il ne posait aucun geste qui puisse promouvoir la carrière philosophique d’une femme[25].

Cela dit, dès 1917 Edith Stein faisait part à Roman Ingarden de sa divergence d’esprit avec l’idéalisme transcendantal mis de l’avant par Husserl[26]. Elle tenta de convaincre Husserl de réévaluer sa position quant à la constitution de l’objet. Si elle n’obtint pas satisfaction, du moins réussit-elle à lui faire préciser sa pensée[27]. C’est sur la base de ce désaccord philosophique autour du problème de la constitution de l’objet, abordé de façon insatisfaisante dans les Ideen, qu’Edith Stein cherchera à constituer sa propre vision philosophique. Même si elle n’y fait pas toujours explicitement mention de Husserl ou de la phénoménologie, l’évolution théorique qui s’effectue depuis les Recherches logiques jusqu’aux Idées constitue indéniablement l’arrière-plan herméneutique de EES. Aussi tardivement qu’en 1931, à l’occasion d’une thèse (EP) présentée en vue de son habilitation possible à l’Université de Breslau, Edith Stein considère encore que la méthode philosophique par excellence est la phénoménologie[28]. Dans la préface à EES, Edith Stein affirme que sa compréhension philosophique s’arrime toujours déjà à un horizon de pré-compréhension phénoménologique[29]. Pour mieux saisir l’essence de la phénoménologie steinienne, il faudrait à vrai dire explorer son lien avec les phénoménologies de Heidegger et de Hedwig Conrad-Martius (1888-1966)[30]. D’autant plus que EES s’écrit en dialogue avec ces deux disciples de Husserl. Qu’il suffise de dire pour les besoins de cet article que Heidegger et Stein sont unis par leur désir d’approfondir le sens de l’être[31] tandis que c’est l’intérêt pour l’ontologie et la double opposition à Husserl (idéalisme transcendantal) et Heidegger (finitude du Dasein) qui rapprochent Stein et Conrad-Martius envers qui d’ailleurs elle se dit être redevable[32].

III. L’inculturation au monde catholique

Après son rattachement à la phénoménologie, il convient de souligner, à titre d’élément important du contexte philosophico-historique de EES, sa conversion au catholicisme (1921) qui amena Edith Stein à s’initier aux oeuvres normalement fréquentées par les philosophes chrétiens de ce temps[33]. Le fait qu’elle ait entre autres étudié les écrits thomasiens apparaît historiquement justifiable. D’une part, la situation historique de la pensée catholique conditionnait ce choix. C’était en effet l’époque où les études médiévales connaissaient un nouvel essor, grâce à l’encouragement de l’encyclique Aeterni Patris de Léon XIII qui avait promulgué en 1879 le renouveau thomiste et recommandé le retour à la doctrine de Thomas d’Aquin. Ce retour aux sources de la pensée catholique était cependant assorti chez plusieurs d’une farouche opposition à la philosophie moderne. C’est d’ailleurs en raison de cette hostilité envers la philosophie moderne affichée chez plusieurs penseurs catholiques que certains collègues de Stein se sentaient mal à l’aise devant sa conversion au catholicisme[34]. Mais c’était ignorer la nature irénique de la philosophe. En tout cas, c’est sous l’influence de Joseph Schwind (1851-1917), doyen de la cathédrale de Speyer, et de Przywara qu’elle fut en mesure de poursuivre son travail philosophique malgré l’impossibilité d’obtenir un poste en milieu universitaire. Schwind, qui avait lui-même poursuivi des études en philosophie, lui déconseilla fortement d’entrer en religion dès sa conversion, comme elle le désirait, et la poussa à mettre ses talents philosophiques à la disposition du monde catholique. En outre, il l’aida à obtenir un poste d’enseignante en allemand et en histoire au Lycée pour jeunes filles administré par les religieuses dominicaines à Speyer (1923-1931). Depuis qu’elle avait laissé Freiburg (1918), Stein donnait des cours de phénoménologie à titre privé et publiait dans le domaine de la phénoménologie politique. Avoir un travail qui lui permettrait d’avoir une certaine sécurité économique était loin de représenter une condition négligeable dans une Allemagne économiquement vulnérable.

Quant à Przywara, il lui confia la traduction de certaines oeuvres de John Henry Newman et influença l’essor de la carrière d’Edith Stein en tant que conférencière en pédagogie[35]. C’est d’ailleurs en raison de sa renommée qu’elle obtint le poste de maître de conférences à l’Institut de Pédagogie de Münster (1932-1933). Dans la préface de EES, Stein reconnaît explicitement le rôle primordial joué par Przywara dans son retour au travail philosophique et lui rend hommage. Sans le soutien de Przywara, Stein n’aurait probablement plus jamais fait oeuvre philosophique et s’en serait tenue à ses activités d’enseignement au Lycée[36]. Pour sa part, Przywara reconnaît aussi l’influence d’Edith Stein sur son propre cheminement philosophique[37].

D’entrée de jeu, Stein établit clairement qu’on ne trouvera pas dans EES une réflexion philosophique sur l’histoire de la métaphysique comme celle que Przywara déploie dans Analogia entis. Comme les phénoménologues, Stein entend procéder à une « monstration » onto-logique. Elle souhaite explorer les conditions de possibilité de cette monstration, et non analyser l’histoire des systèmes philosophiques[38]. Toutes ces précisions apportées par Stein conduisent à mettre en doute la classification de H. Schmidinger[39] qui range Stein parmi les néo-scolastiques qu’étaient Rahner, Lotz, Coreth, Welte, Steinbüchel, Lakebrink, Siewerth et Müller. Sur ce point, je me rallie volontiers à la protestation de Secretan[40]. À ce propos, c’est peut-être Przywara qui aura le mieux saisi l’essence du geste philosophique steinien en faisant une remarque évoquant la figure de Joseph Maréchal[41], bien qu’en aucun cas Stein ne s’associe explicitement à l’École de Maréchal dont le but est de doter le thomisme de fondements critiques, ce qui n’est d’ailleurs pas sans laisser J. Nota perplexe[42]. Dans le même souffle, Przywara fait aussi allusion aux visées de l’école historique dont Denifle (1844-1905), Ehrle (1845-1934), Baeumker (1853-1924) et Grabmann (1875-1949) furent les artisans[43] puisque dans sa préface à la traduction steinienne des Questions disputées sur la vérité de Thomas d’Aquin, Grabmann salue le travail steinien comme incarnant les visées dialogiques de cette école historique. Toutes ces oeuvres procèdent en effet d’un même esprit de dialogue. Il faut cependant rappeler que Stein ne se considère pas comme une historienne de la scolastique, mais comme une phénoménologue ; ce qui ne l’empêche pas, toutefois, d’apprécier la précision conceptuelle des scolastiques[44]. Comme l’affirme finalement sa collègue et amie Conrad-Martius, il faut résister à la tentation de réduire EES à une synthèse phénoménologico-thomiste, ce qui ne lui rendrait pas du tout justice, les préoccupations philosophiques de son amie se situant au-delà du thomisme[45].

IV. Przywara, Stein et le voeu d’un recoupement parfait entre le noétique et l’ontique

L’on aimerait préciser en quoi il faudrait tenir compte de l’influence lointaine, mais non moins efficace, de Przywara pour interpréter le sens de la philosophie steinienne. Il y a une très grande affinité entre les deux penseurs quant à la façon de concevoir les rapports entre les philosophies médiévales et la phénoménologie. Cette affinité est reconnue par Stein dans l’avant-propos de EES, mais elle est aussi manifeste dans l’équilibre qu’elle tente de maintenir entre une philosophie du sujet et une philosophie de l’être. Il convient de revenir sur le « pendant maréchalien » évoqué plus haut par Przywara. Le début de la préface de EES exprime de façon explicite que la fin poursuivie par son auteure réside dans l’« intégration » ou la « fusion » (« Verschmelzung ») de certaines intuitions médiévales et contemporaines. Selon Stein, c’est sur le terrain de l’ontologie que la philosophie médiévale et la phénoménologie peuvent le mieux communiquer[46]. Si l’on insiste sur l’appartenance de Stein au projet phénoménologique, c’est que l’évocation de Maréchal pourrait conduire à considérer Stein comme une thomiste critique. Il faudrait plutôt dire que le projet de Stein est comparable à un husserlianisme ontologique. Interprétons, en la paraphrasant, cette intuition de Przywara : tout comme Maréchal se propose d’améliorer la métaphysique thomiste en y incorporant la critique kantienne, Stein cherche à féconder la phénoménologie transcendantale d’éléments ontologiques manifestes dans l’attitude philosophique pré-moderne[47]. Ce qu’il faut comprendre ici, c’est que l’ontologie steinienne est sous-tendue par un désir de rectifier le tir de la phénoménologie transcendantale.

C’est précisément l’inscription de la problématique des transcendantaux au coeur de son effort visant la fécondation mutuelle de la philosophie médiévale et philosophie contemporaine que l’affinité entre Przywara et Stein (les transcendantaux occupent le chapitre central de EES) se manifeste le plus éloquemment. Pour sa part, Przywara considère cette réflexion nécessaire parce que le transcendantal — tant ontique que noétique — a énormément façonné le développement de l’histoire de la philosophie et déterminé la compréhension de l’entreprise métaphysique, soit comme « métaphysique transcendantale », soit comme « transcendantalisme métaphysique ». Przywara signifie par là, non seulement la fin visée par Analogia entis, mais l’horizon de la vie philosophique même. Il y va ici de l’articulation de l’ontique et du noétique — cet immense effort spéculatif que le geste hégélien s’est efforcé d’exhiber. Le transcendantal, qu’il soit ontique ou noétique, renvoie à la question du fondement et n’exprime rien moins que le voeu fondamental de la métaphysique : que le monde des choses qui sont soit porté au discours et que ce discours soit déployé de façon aussi vivante et organique que ce qu’il cherche à dire. Pour employer les termes de Secretan, qui traduit merveilleusement les intuitions de Przywara, le transcendantal met au jour le « problème extrême du noétique (en méta-noétique) comme de l’ontique (en méta-ontique[48]) ».

V. L’articulation przywarienne du sens

C’est sous l’égide de la division aristotélicienne des sciences et des objets de science que Przywara conçoit le « méta-noétique » et le « méta-ontique ». De façon classique, le champ noétique est délimité par les trois dimensions de l’activité spirituelle : agir comme esprit c’est assumer en face des étants une position théorique, éthique, esthétique. Quant au champ ontique, il déploie les trois dimensions de l’acte d’être : « agir » à titre d’être, ou être un étant, c’est déployer un être-vrai, un être-bon, un être-beau. La philosophie de Przywara tend à déployer l’idée régulatrice de la métaphysique. Les figures concrètes de cette métaphysique, quoique limitées dans leurs possibilités par la finitude, et s’exprimant de façon très inchoative, tendent néanmoins à exprimer quelque chose de cet horizon ontico-noétique. Pour décrire ce déploiement, Przywara fait usage de métaphores musicales : il s’effectue selon une « oscillation » constante entre l’une et l’autre forme philosophique, une sorte de « fugue » où le thème est dicté tantôt par l’ambition purement méta-ontique, concrétisée dans le « transcendantalisme métaphysique », tantôt par l’ambition purement méta-noétique, sous la figure d’une « métaphysique transcendantale ». Pour Przywara, il est cependant illusoire de penser que les composantes de cette dyade peuvent respectivement réaliser l’idéal métaphysique de façon autonome. Ce condensé d’histoire fait ressortir une région de tension commune aux deux principales méthodes philosophiques empruntées à tour de rôle pendant des siècles. D’une part, tous les transcendantaux finissent par être pensés sous le modèle du « vrai », la préoccupation théorique absorbant le pratique et l’esthétique ; d’autre part, la véritable condition de possibilité de toute noétique, le vrai, ne se trouve pas pensé en tant que tel parce qu’il se trouve a priori exclu par la structure formelle d’un procédé philosophique régulé par l’idéal d’unité[49]. Comment la philosophie peut-elle s’extirper de cet antagonisme méthodologique ? Chaque méthode doit intégrer, à partir de sa propre perspective, l’autre méthode. Dans les termes de Przywara : « l’alternative n’est pas entre une méta-noétique et une méta-ontique, mais entre une méta-noétique comme point de départ d’une méta-ontique, et une méta-ontique qui a une méta-noétique pour terme de réflexion[50] ». La philosophie veut penser la vérité dans son intégralité, mais elle ne peut y parvenir qu’en choisissant la voie noétique ou la voie ontique. Or chacune des voies, prise isolément, aboutit à une impasse associée à son point de départ méthodologique. Malgré cette situation apparemment sans issue, l’entreprise philosophique n’est pas vaine aux yeux de Przywara. Son projet philosophique même doit être perçu dans la ligne d’une « compénétration mutuelle » du méta-ontique et du méta-noétique. Mais pour Przywara, se situant cette fois-ci au plan de la foi chrétienne, la réconciliation perpétuelle des deux formes ne s’effectue que de façon eschatologique. Plus précisément, et comme l’affirme Secretan, le cosmos vit sous l’égide de la contradiction et ne saurait vraiment y échapper sans le secours d’un médiateur : la personne du Christ[51]. En résumé, l’enjeu philosophique du transcendantal, qu’il soit ontique ou noétique, n’est rien moins pour Przywara que le destin de l’entreprise métaphysique qui, en raison de l’inéluctable dualité inhérente à la pensée créaturelle, oscille constamment entre transcendantalisme métaphysique et métaphysique transcendantale. La relation entre l’ontique et le noétique demeure pour ainsi dire l’environnement inéluctable de la philosophie. C’est peut-être cette conviction qui anime l’intérêt de Przywara pour la phénoménologie. Husserl ne cherchait-il pas à éviter l’écueil d’une logique binaire (sujet-objet) en évitant de prendre parti pour l’un ou l’autre, mais en se concentrant sur l’intentionnalité même ? Mais l’ordre créaturel n’est pas le seul qui soit. Comme l’affirme Erich Naab, Przywara inscrit cette dualité ontique-noétique dans un horizon eschatologique : l’assomption des contraires (l’ordre créaturel) dans l’identique (l’ordre divin[52]). Mais en attendant cette éventualité possible, la philosophie doit tenir dans la polarité et Analogia entis vise à montrer que l’analogique doit être la structure fondamentale de la pensée créaturelle soit : « le principe formel de la relation des étants entre eux (analogie horizontale) et de la relation des créatures au Créateur (analogie verticale)[53] ». Non pas un système, mais une dynamique dans laquelle se nouent à la fois le rythme et l’harmonie de la polarité.

VI. L’articulation steinienne de l’ontique et du noétique

Comme l’a fait voir ce trop bref survol du projet przywarien, une réflexion sur l’évolution du transcendantal en philosophie montre une irréductible tension entre deux réflexes métaphysiques : le réflexe ontique et le réflexe noétique. Dans Analogia entis, Przywara s’est lui-même efforcé d’envisager cette tension, non en l’éliminant, mais en l’inscrivant dans le cadre d’une métaphysique rythmique car pour lui le meilleur point de départ est celui de la métaphysique. Quant à Stein, si elle veut comme Przywara procéder à une jonction des intérêts philosophiques propres au transcendantalisme métaphysique (philosophie du sujet) et à la métaphysique transcendantale (philosophie de l’être), elle emprunte un chemin différent. Elle justifie son choix méthodologique par la reconnaissance et le respect de sa propre tournure philosophique. Son chemin n’est pas, comme pour Przywara, celui d’une philosophie de l’histoire de la philosophie, mais plutôt celui de la phénoménologie. EES déploie en effet une ontologie de l’esprit culminant dans une articulation de l’ontique et du noétique.

Inspirée par les travaux de J. Hering[54] et de R. Ingarden[55] et, bien entendu, de Husserl, Stein met au jour les stratifications possibles (selon le degré de déterminité et d’actualisation) de l’être dont la caractéristique est d’être essentiellement [« Wesenheit » (essenceté), « Wesenwas » (essence plus ou moins déterminée, c’est-à-dire la morphè aristotélicienne), « volle Was » (essence pleinement effectuée)] en prenant pour base l’expérience fondamentale du cogito. L’essentialisme de Stein n’est pas réductible à un essentialisme de type aristotélicien ou platonicien. Stein reproche au premier type sa facticité et son incapacité de concevoir le devenir absolu, et au second type son incapacité à donner une réponse satisfaisante au problème de l’actualisation des idées. De plus, Stein reconnaît dans l’étant une triple articulation formelle tandis qu’Aristote semble ne s’être préoccupé que de la forme essentielle et Platon de l’idée (« Wesenheit[56] »).

La doctrine classique des transcendantaux dont l’enjeu est finalement la convergence entre l’ordre de l’esprit et l’ordre de l’être n’en dit pas suffisamment long aux yeux de Stein pour cause de généralité. Fidèle à son réflexe essentialiste, Stein s’intéresse à la signification dernière de chacune des déterminations transcendantales : font-elles saisir la structure formelle de l’étant ou le remplissement de cette structure ? Elle annonce d’ailleurs que son analyse conduit à une telle différenciation des transcendantaux[57]. Contrairement à l’unité et à la choséité (« aliquid », « etwas », « res »), la vérité, la bonté et la beauté renvoient à la pleine actualisation de l’être dans l’étant, et non simplement à la structure formelle de l’étant. Stein s’attarde cependant davantage à la question de la vérité et son traitement illustre d’une manière éminente que l’être du sens conduit au sens de l’être comme présence originaire. Il faut donc décortiquer le phénomène de correspondance ou d’adéquation entre l’esprit et l’étant afin d’en arriver à l’élément dernier qui se donne à comprendre.

Pour Thomas d’Aquin, le « verum » transcendantal fait partie, avec le « bonum » et le « pulchrum », des propriétés de l’être qui sont mises au jour lorsque l’étant est considéré, non en lui-même, mais en tant qu’il est en relation de correspondance avec un autre étant : l’âme. Stein fait remarquer, non sans un ton critique, que Thomas envisage l’âme comme s’il s’agissait d’une forme vide, d’un simple quelque chose (« etwas »), et elle lui reproche d’avoir ainsi vidé l’âme de son étoffe ontologique. L’âme n’est pas simplement réductible à un quelque chose parce qu’elle est un étant, c’est-à-dire, dans le langage steinien, un quelque chose rempli (erfüllt etwas). Autrement dit, Stein reproche à l’Aquinate de procéder à partir d’une description phénoménologique de l’âme qui est incomplète. Il faut considérer l’âme selon sa propre déterminité essentielle : son appartenance au monde de l’esprit, sa vie signifiante et son aptitude à produire du sens[58]. Il faut aussi tirer au clair la nature du rapport de convenance entre l’esprit et l’étant. Stein trouve en effet qu’il n’est pas suffisamment expliqué chez Thomas comment il faut entendre cette relation de convenance entre ces deux étants[59]. Il ne s’agit pas, bien entendu, de remettre en cause la validité d’une définition formelle de la vérité. Stein y consacre d’ailleurs une section du chapitre V[60]. Si elle se prête cependant à l’exercice, ce n’est que pour mieux illustrer l’inaptitude d’une théorie purement formelle à satisfaire une quête du fondement radical de la vérité. Faisant preuve d’ironie, Stein affirme qu’il vaut mieux ne rien dire du tout de la vérité que de produire de la non-compréhension en s’en tenant à une approche purement formelle[61].

L’on sent poindre ici une différence importante entre Stein et Thomas d’Aquin quant à ce qu’il faut entendre par transcendantal. En définitive il ne s’agit pas ici pour Stein d’aborder le vrai sous l’horizon de sa convertibilité avec l’être, mais de comprendre ce qui rend possible quelque chose comme le phénomène de la vérité. Pour ce faire, il faut déterminer si l’on doit emprunter : 1) la route de l’étant en tant que plénitude (« die Fülle seines Was ») ; 2) celle de la forme qui délimite ce contenu (« die Formen des Seienden, die zu dieser Fülle gehören ») ; ou encore 3) la forme de pensée au moyen de laquelle l’étant se trouve saisi (« die gedanklichen Gebilde, durch die das Seiende begrifflich gefaßt wird ») et qui peut s’avérer remplie d’un contenu ou simplement vide[62]. C’est en tenant compte de ces strates essentielles différentes que Stein arrive à l’établissement de différentes couches sémantiques plus ou moins originaires se rapportant à la vérité : vérité logique, vérité ontologique, vérité essentielle et vérité transcendantale. Comme on le sait, « vrai » est compris chez Thomas d’Aquin comme un prédicat analogiquement attribué à l’étant en vertu de la possibilité, inhérente à l’âme, d’entrer en relation avec tout étant. Autrement dit, pour Thomas, la relation entre l’étant et l’esprit n’« existe » pas à proprement parler (elle est conceptuelle). Mais la relation entre l’esprit et l’étant existe (elle est réelle) et c’est elle que l’on désigne par la tendance à connaître[63]. Partant de cette même distinction, Stein fait équivaloir l’acte de viser propre à la conscience (l’intentionner) à cette relation « réelle » entre l’esprit et l’étant. Mais l’intention, comprise ainsi, ne représente qu’une étape préliminaire de la correspondance (« Übereinstimmung ») qui manifeste, quant à elle, un recouvrement (« Deckung ») entre la teneur intentionnelle du savoir et l’objet tel qu’effectivement offert dans la pleine vision[64]. Ce recouvrement est un état de choses dont on ne saurait unilatéralement attribuer l’existence soit au sujet, soit à l’objet puisque la présence de ces deux étants est en tout temps nécessaire pour qu’il y ait recouvrement ou vérité d’adéquation[65]. Stein appelle vérité logique (« logische Wahrheit ») cette « vérité-recouvrement ». Le genre de langage que tient Stein à propos de la vérité (« recouvrement » de sens, « remplissement », « intention ») de même que son approche de la problématique fait directement écho aux développements de Husserl dans les Recherches logiques[66]. Pour Stein comme pour Husserl, l’étant et l’esprit constituent tous deux des présupposés de la vérité logique. Si Husserl s’attarde à explorer les « actes positionnels » de l’esprit propres à chaque degré de remplissement, Stein explore les actes d’être de l’étant. De l’étant, il est exigé qu’il soit authentiquement ou effectivement ce qu’il est, qu’il ait suffisamment de consistance ontologique pour appuyer sa prétention, qu’il soit en quelque sorte conforme à l’approximation que le sujet s’en fait. Autrement dit, l’étant en sa prétention d’être doit pouvoir être vérifié. À la perfection de l’acte positionnel, correspond la perfection de l’objet. Cette potentialité de vérification ou cette authenticité de l’étant s’appelle vérité ontologique (« ontologische Wahrheit »). Contrairement à Gredt, Stein nie cependant que vérité ontologique et vérité transcendantale se recoupent parfaitement[67] car il faut en outre prendre en considération l’horizon d’idéalité pure à partir duquel toute réalité doit être approximée. Même quand l’étant correspond à mon approximation (au contenu intentionnel de mon intention), celle-ci, en tant qu’elle est actuelle, ne constitue qu’une forme d’actualisation possible de l’essenceté (« Wesenheit ») qui est la condition de possibilité de l’étant effectif. En dernière analyse, notre compréhension ne demeure toujours que constitution d’une perspective parmi d’autres possibles. Et l’étant lui-même ne correspond jamais tout à fait à son essenceté de sorte qu’il n’est qu’une actualisation possible et limitée de l’objet idéal. Tout ce qui appartient au monde de la temporalité relève de la finitude. Qui dit finitude, dit perspective limitée. Toute expérience de vérité est relative à un horizon idéal : on ne peut jamais vraiment présumer de la teneur déontique et de l’étant et de la perspective constituée par l’esprit connaissant. Cette vérité déontique, Stein l’appelle vérité essentielle[68].

Il y a donc un être vrai de l’étant 1) en tant que produit de pensée, 2) en tant que déploiement selon une essence, et 3) en tant qu’effectuation d’une essenceté. Pour Stein, ces résultats ne sauraient constituer le dernier mot sur la vérité. Cette expérience doit encore renvoyer à quelque chose de plus originaire qui la rend possible comme expérience. Ce qui se dégage comme présupposé fondamental de toutes ces couches de sens, qui était pourtant donné depuis le tout début mais comme le fond non visible a priori sur lequel vient se greffer ce qui s’est montré de façon immédiate, c’est la connivence ou la synchronie de l’étant et de l’esprit. Tout étant déploie un horizon de sens communicable. C’est précisément ce qui rend l’étant apte à communiquer du sens qui retient l’attention de Stein et lui laisse supposer qu’il se trouve, à la base, une sorte de compatibilité, de possibilité originaire d’ajustement entre l’étant et l’esprit qui permet ce genre de communication. C’est dans cette direction qu’il faut orienter la quête du sens ultime de la vérité[69]. Pour Stein donc, la vérité transcendantale exprime fondamentalement un rapport de coordination (« Zuordnung ») originaire entre l’étant et l’esprit qui ne se laisse pas réduire à une dénomination analogiquement attribuée à l’étant (« simplement pensée »). Et dans ce rapport fondamental, c’est l’être même qui s’offre comme présence tout en demeurant insaisissable par l’esprit puisque celui-ci ne peut saisir que l’offre toujours-déjà structurée de l’être. Être un étant signifie fondamentalement l’être en tant qu’ouverture sur l’esprit et dénote un se-manifester-à, un pouvoir-être-saisi-par l’esprit. Cela laisse supposer un aspect déontique, qui n’apparaît pas si l’on considère l’étant de manière strictement formelle[70].

Conclusion

On a tenté de montrer qu’une même intention dialogique est à l’oeuvre dans les philosophies de Stein et Przywara. Tous deux sont animés de la même conviction : un dialogue s’impose entre la philosophie contemporaine et la philosophie médiévale parce que ni une philosophie de l’être ni une philosophie de la connaissance ne peuvent s’accomplir absolument de façon exclusive. Les deux philosophes empruntent cependant des chemins différents pour incarner ce dialogue. Si Przywara élabore une synthèse métaphysique complexe en se basant sur une analyse de l’histoire de la philosophie (en faisant dialoguer la métaphysique thomiste et le transcendantalisme kantien), Stein compte perfectionner la phénoménologie en lui montrant le chemin de l’être (elle fait dialoguer l’ontologie et le transcendantalisme husserlien).

À partir de ce qui précède, deux conclusions plus larges semblent s’imposer. Premièrement, la vérité transcendantale comme synchronie entre l’esprit et l’étant donne à penser que la vérité ne saurait relever ni du fortuit ni de l’arbitraire. L’expérience de la vérité décèle au contraire la présence d’une sorte d’intention sémantique au coeur de la réalité. Le monde se trouve , non en vain, mais pour être pénétré d’esprit, ce qui indique que l’esprit est là, non pour le regard désintéressé, mais pour s’affairer avec la pluralité de perspectives de sens offertes par le monde. Ainsi le monde est structuré en sorte que le sens des choses est d’exprimer quelque chose du sens de l’être. Le sens de l’esprit est d’interpréter le sens de l’être[71]. Difficile de résister à la tentation d’évoquer l’idée leibnizienne d’« harmonie pré-établie[72] ». Comment également ne pas trouver écho à la pensée steinienne chez Hans Urs von Balthasar[73] ? La vérité transcendantale semble donc pouvoir être comprise comme un rapport déontique qui règle l’achèvement de l’étant et de l’esprit l’un par l’autre, une sorte de transcendantal téléologique qui rende possible la vérité et finalement la science[74]. Stein reconnaît que ce sont là des réflexions qui méritent d’être poussées plus loin car pour vraiment comprendre l’être de la vérité, il faudrait encore explorer plus à fond le sens de l’« esprit » et de son « être-ouvert » et le sens de l’« être-révélé de l’étant pour l’esprit[75] ». Il s’agit là d’un programme pour une ontologie de l’esprit. Les quelques allusions, dans EES, à la structure ontologique de l’esprit montrent que Stein s’inspire directement de Husserl[76] et Conrad-Martius[77].

Deuxièmement, la phénoménologie transcendantale a besoin du concours de l’ontologie pour éclaircir le mystère de l’intentionnalité : comment est-il possible, demande Stein dans EP, que la conscience se dirige vers des objets ? Quelle est la condition de possibilité de cette direction[78] ? Méthodologiquement, cette question ne peut pas être résolue car la phénoménologie exclut a priori la plénitude de l’étant (l’étant qui est pleinement déterminé, c’est-à-dire la structure formelle remplie d’être) de son champ et s’en tient à l’offre toujours-déjà structurée de l’être. L’exploration de la vérité transcendantale montre qu’il y va du sens de l’être comme présence/manifestation comme présupposé de la connaissance. L’ontologie commence aux limites de la noétique. La nécessité d’un rapport dialectique entre les méthodes est d’ailleurs évoquée en des termes plus généraux dans EP[79]. C’est sur ce terrain onto-logique que se rejoignent Stein et Przywara. Chez Stein, l’ontologie devra partir d’un cogito en quelque sorte élargi aux dimensions de la personne (et de ses actualisations possibles). La personne est l’étant le plus proche de nous qui soit un étant pleinement déterminé et qui puisse nous permettre un accès à l’être. Au cogito husserlien fait place l’ontologie spirituelle steinienne : le monde de la personne et des sciences de l’esprit.

En toute fidélité avec son intention de fusionner la philosophie moderne (intérêt noétique) et la philosophie médiévale (intérêt ontique), Stein oscille entre un idéalisme méthodique et un réalisme critique[80]. Avec Husserl, Stein affirme que l’être n’est donné que dans le discours humain qui le porte. Pour Stein comme pour Husserl, l’affirmation originaire de ce discours ontologique est : « je suis ». La conscience subjective constitue le passage obligé vers et la structuration obligée de l’être. Mais avec Aristote et Thomas d’Aquin, Stein dit que la subjectivité est toujours déjà enracinée dans une donation originaire de l’être (« il y a ») radicalement irréductible à toute constitution égologique. Autrement dit, le sujet n’est pas le fondement de l’être, même si la philosophie doit nécessairement être une philosophie du sujet.