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Voilà un titre d’ouvrage qui, d’emblée, n’attirera peut-être pas naturellement le lecteur. Que peut-on écrire sur un fonds destiné à verser des subventions de recherche ? Les publications sur ces questions, reconnaît volontiers l’auteur, sont rarissimes. Quel est l’intérêt d’un tel sujet d’étude et que peut-il nous apprendre ? Jean-Paul Rouleau, professeur émérite de l’Université Laval où il a enseigné la sociologie de la religion à la Faculté de théologie et de sciences religieuses, a été membre du Comité directeur du Fonds Gérard-Dion de 1993 à 2004. Son ouvrage se présente avant tout comme un travail de mémoire. L’intérêt de cette histoire singulière de l’institution créée par le professeur Dion en 1969, au-delà de son utilité pour ses gestionnaires actuels qui voudront se référer à l’intention du fondateur, est de montrer un lieu de créativité et d’innovation dans le monde de la recherche universitaire.
Sans proposer une biographie de Gérard Dion, prêtre et universitaire engagé dans la société et dans l’Église, l’auteur nous montre l’enracinement de sa fondation dans ses activités professionnelles, ses engagements sociaux et sa personnalité. Spécialiste des relations industrielles, Gérard Dion a aussi été attentif aux champs plus vastes de la justice sociale et de l’équité, de la démocratie et des droits humains. Jean-Paul Rouleau le présente comme « réformateur » sans être révolutionnaire, profondément engagé à accompagner les mutations de la société d’après-guerre dans toutes les sphères de l’activité sociale, dont la sphère religieuse. Son initiative de créer une fondation, dans le but de favoriser la recherche en sciences de la religion, en théologie et en éthique sociale, s’explique par son engagement personnel à l’égard de l’Église et son constat des bouleversements profonds qui étaient alors en cours. Dans une société en processus accéléré de sécularisation, le besoin de recherche et de développement des connaissances sur le phénomène religieux dans la société allait devenir pressant. Ce domaine de recherche, associé à un passé refoulé, allait devoir compter sur l’intelligence critique et des moyens pour l’exercer. Le projet de Gérard Dion, comme le montre cet ouvrage, est directement issu d’une perception aiguë du besoin de comprendre les changements culturels affectant les terrains où se vit la religion et où elle se transforme.
En plus de nous apprendre l’évolution du Fonds Gérard-Dion à partir de la fondation initiale et ses modes de gestion, l’étude faite par Jean-Paul Rouleau donne un certain portrait de la recherche scientifique sur l’objet religieux dans l’univers des institutions d’enseignement supérieur et de recherche. Comme le soulignait Jean-Paul Rouleau dans un autre ouvrage à propos de la lente éclosion de ce secteur de recherche[1], les transformations du phénomène religieux exigeaient une compréhension faisant appel à une approche pluri et interdisciplinaire. Le financement de la recherche dans ce domaine était compromis par la perte de plausibilité des institutions ecclésiales et du message religieux. C’est pourquoi l’initiative du professeur Dion relevait d’une perception clairvoyante des changements à l’oeuvre dans la culture à l’époque de la Révolution tranquille et de l’après-concile Vatican II. L’étude réalisée par Jean-Paul Rouleau, tout en comportant des passages plus techniques sur l’évolution du cadre de fonctionnement à partir de la fondation initiale, trace indirectement un portrait original de la recherche en théologie et en sciences des religions ainsi que de la diffusion de ses résultats. Un objectif avoué de l’ouvrage est aussi de susciter l’intérêt des chercheurs dans ce domaine de même que celui des mécènes intéressés à appuyer ce champ de recherche. Depuis plus de trois décennies, les réalisations de l’institution voulue par Gérard Dion manifestent que la recherche scientifique appliquée à l’étude de la religion, par le biais de la théologie ou des sciences humaines et sociales, s’affirme comme incontournable pour saisir notre culture et ce, « non seulement pour le moment présent mais aussi pour un temps dont personne ne peut anticiper la limite ».
Appendices
Note
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[1]
B. Caulier, N. Voisine, R. Brodeur, dir., De l’harmonie tranquille au pluralisme consenti. Une histoire de la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval 1852-2002, Québec, PUL, 2002, p. 257.